(La lecture de cet article sera précédée de celle de l'article : Ai-je connaissance d'un avis différent à propos de la sanction pour apostasie ?.)
Al-Bukhârî et Muslim ont rapporté le récit dit de Dhu-l-Khuwayssira, cet homme qui vint dire au Prophète (sur lui la paix), après que ce dernier eut partagé un bien entre des personnes : "Muhammad, crains Dieu" [al-Bukhârî 6995], "tu n'as pas fait preuve de justice" [al-Bukhârî 4390].
Le Prophète lui répondit : "Ne suis-je pas celui qui mérite le plus de craindre Dieu ? [al-Bukhârî 4094] Et qui ferait preuve de justice si je n'en fais pas ? Si je ne suis pas juste, tu es perdu [puisque tu me suis, croyant que je suis Messager de Dieu]" [al-Bukhârî 3414].
Ce récit s'est passé lorsque Alî a envoyé de l'or depuis le Yémen ; c'est cet or que le Prophète avait partagé (al-Bukhârî 3166, 4094, 6995, Muslim 1064) ; Alî a été envoyé au Yémen en l'an 9 (Fat'h ul-bârî 12/363) ou en l'an 10 (As-Sârim, p. 230).
Il y a un autre récit où on lit les mêmes paroles être dites à propos d'un autre partage effectué par le Prophète : celui ayant eu lieu après Hunayn (Muslim 1063, al-Bukhârî 2969, Ahmad 14276) (Hunayn a eu lieu en l'an 8). A Hunayn, soit il s'est agi d'un autre homme que Dhu-l-Khuwayssira, et c'est par erreur (wahm) qu'un rapporteur a donné à l'objecteur le même nom ; soit dans les deux cas il s'est agi du même homme, Dhu-l-Khuwayssira (Fat'h ul-bârî 12/364).
En tous cas, un tel propos a été tenu au Prophète (sur lui soit la paix) en 2 fois :
- une en l'an 8,
- l'autre en l'an 9 ou bien l'an 10.
En tous cas, que lors des deux occasions ce soit Dhu-l-Khuwayssira qui l'ait tenu, ou que lors du partage de l'or envoyé du Yémen seulement ce soit cet homme qui l'ait tenu, ce propos fut une parole de kufr akbar (As-Sârim, p. 199, p. 228, p. 233, p. 528). Or Dhu-l-Khuwayssira avait auparavant professé son adhésion à l'islam.
----- De nombreux ulémas l'ont classé comme étant un Munâfiq (As-Sârim, p. 228 ; Mirqât ul-mafâtîh). Ce serait donc un Munâfiq bi nifâq akbar, qui prononça ce jour-là une parole de kufr akbar au vu et au su de tous ceux qui étaient présents (donc de façon pouvant être établie juridiquement)...
----- Est-ce qu'il serait possible de dire qu'il était jusqu'alors "seulement" Dhâll, mais que ce jour-là la parole qu'il prononça fut de Kufr akbar. La raison de cette proposition qu'il n'ait pas été un Munâfiq est que (comme le Prophète l'a dit), il fut le premier d'une (longue) série de Kharijites devant émerger plus tard : or ceux-ci ne furent pas des Munâfiqûn. Après qu'il les eut combattus, quelqu'un demanda à 'Alî à leur sujet : "Sont-ils des Mushrik ? - Du Shirk ils ont fui, répond-il. - Sont-ils des Munâfiq ? - Les Munâfiq n'évoquent Dieu que peu ! - Qui sont-ils donc ? - Des gens qui ont fait bagh'y contre nous" : "عن طارق بن شهاب، قال: كنت عند عليّ، فسئل عن أهل النهر: أهم مشركون؟ قال: من الشرك فروا! قيل: فمنافقون هم؟ قال: إن المنافقين لا يذكرون الله إلا قليلا! قيل له: فما هم؟ قال: قوم بغوا علينا"" (Ibn Abî Shayba, n° 37942 ; MS 3/94-95). Ibn Taymiyya écrit que les Kharijites, à cause de leur manque de compréhension du Dîn, y ont exagéré, et cela les a conduits à des croyances fausses, qui ont entraîné de leur part des actions répréhensibles. Puis Ibn Taymiyya relate d'hérésiographes que les Kharijites considèrent que les prophètes peuvent commettre des péchés majeurs (kabâ'ïr), et c'est pourquoi ces Kharijites ne suivent pas toute la Sunna. Ibn Taymiyya nuance ce propos en disant que ce sont en fait certains Kharijites qui disent cela (As-Sârim, pp. 184-185).
En tous cas, nous avons de la part de Dhu-l-Khuwayssira un cas de prononciation de parole de kufr akbar. Et pourtant, ces mêmes récits montrent que, face à la proposition d'un Compagnon (Khâlid ibn ul-Walîd : al-Bukhârî 4094, Muslim 1064) de sanctionner cet homme pour son propos, le Prophète refusa qu'une quelconque sanction lui soit appliquée, et ce au motif que :
--- d'une part, selon les apparences cet homme était un musulman ("لا، لعله أن يكون يصلي"، فقال خالد: "وكم من مصل يقول بلسانه ما ليس في قلبه"، قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إني لم أومر أن أنقب عن قلوب الناس ولا أشق بطونهم" : al-Bukhârî 4094, Muslim 1064) et donc un de ceux qui étaient avec le Prophète,
--- or, d'autre part : "معاذ الله أن يتحدث الناس أني أقتل أصحابي" : "Je cherche la protection de Dieu contre le fait que les gens disent que je fais exécuter ceux qui sont avec moi !" (Muslim, 1063).
Cette phrase signifie : "Je ne veux pas que les gens disent que, parmi l'ensemble de ceux qui croient en moi (du moins en apparence), j'en fais exécuter certains parce que maintenant je n'ai plus besoin d'eux" ; "ou par intérêt personnel, par antipathie, comme le font parfois les rois" ("فإن الناس ينظرون إلى ظاهر الأمر، فيرون واحدا من أصحابه قد قتل؛ فيظن الظان أنه يقتل بعض أصحابه على غرض أو حقد أو نحو ذلك؛ فينفر الناس عن الدخول في الإسلام" : As-Sârim, p. 237. "أنه صلى الله عليه وسلم كان يخاف أن يتولد من قتلهم من الفساد أكثر مما في استبقائهم وقد بين ذلك حيث قال: "لا يتحدث الناس أن محمدا يقتل أصحابه" وقال: "إذًا ترعد له آنف كثيرة بيثرب". فإنه لو قتلهم بما يعلمه من كفرهم لأوشك أن يظن الظان أنه إنما قتلهم لأغراض وأحقاد وإنما قصده الاستعانة بهم على الملك كما قال: "أكره أن تقول العرب لما ظفر بأصحابه أقبل يقتلهم" وأن يخاف من يريد الدخول في الإسلام أن يقتل مع إظهاره الإسلام كما قتل غيره" : As-Sârim, pp. 357-358).
(Quant au hadîth rapporté par Ahmad - 11118 - où on voit le Prophète demander de le mettre à mort et que Ibn Hajar pense s'être déroulé après cela (FB 12/373), sa chaîne est dha'îf, dit le muhaqqiq de Musnadu Ahmad : "Abû Ru'ba" est "maj'hûl ul-hâl". As-Sindî dit de son contenu : "fîhi nakâra", car il contredit les hadîths suscités, qui sont, eux, authentiques. Et, de toutes façons, différemment de Ibn Hajar, Ibn Hibbân pense qu'il s'agit d'un homme autre que Dhu-l-Khuwayssira.
De même, le hadîth qui se trouve dans Maghâzi-l-Umawî – As-Sârim, p. 180, FB 12/373 – est mursal, et Makhraja ibn Mujâlid présente une "lîn".)
Précisons ici qu'un propos voisin fut tenu par le Prophète (sur lui soit la paix) au sujet des 12 Hypocrites qui avaient voulu profiter d'une occasion propice lors du voyage de Tabûk pour l'assassiner (événement auquel une phrase du verset Coran 9/74 fait allusion). Ayant été mis au courant de leur projet, le Prophète fit échouer leur projet à la dernière minute en envoyant Hudhayfa disperser leurs montures. Puis il les nomma un à un devant Hudhayfa. Ce dernier lui ayant demandé pourquoi il ne les faisait pas exécuter, il répondit : "Je ne veux pas que les Arabes disent : "Lorsqu'il eut obtenu la victoire par le moyen de ses Compagnons, il se mit à les faire exécuter"" : "قوله تعالى: (وهموا بما لم ينالوا) يعني المنافقين من قتل النبي صلى الله عليه وسلم ليلة العقبة في غزوة تبوك، وكانوا اثني عشر رجلا. قال حذيفة: سماهم رسول الله صلى الله عليه وسلم حتى عدهم كلهم. فقلت: ألا تبعث إليهم فتقتلهم؟ فقال: "أكره أن تقول العرب لما ظفر بأصحابه أقبل يقتلهم. بل يكفيهم لله بالدبيلة." قيل: يا رسول الله وما الدبيلة؟ قال: "شهاب من جهنم يجعله على نياط فؤاد أحدهم حتى تزهق نفسه." فكان كذلك" (Tafsîr ul-Qurtubî, au sujet de Coran 9/74) (la même relation figure dans Tafsîr ul-Baghawî, mais cette fois en commentaire de Coran 9/65). C'est à cet épisode de al-'Aqaba de Tabûk que fait allusion cette narration : "عن أبي الطفيل، قال: كان بين رجل من أهل العقبة وبين حذيفة بعض ما يكون بين الناس، فقال: "أنشدك بالله كم كان أصحاب العقبة؟" قال فقال له القوم: "أخبره إذ سألك." قال: "كنا نخبر أنهم أربعة عشر، فإن كنت منهم فقد كان القوم خمسة عشر. وأشهد بالله أن اثني عشر منهم حرب لله ولرسوله في الحياة الدنيا ويوم يقوم الأشهاد، وعذر ثلاثة، قالوا: "ما سمعنا منادي رسول الله صلى الله عليه وسلم ولا علمنا بما أراد القوم." وقد كان في حرة فمشى فقال: "إن الماء قليل، فلا يسبقني إليه أحد" فوجد قوما قد سبقوه، فلعنهم يومئذ" (Muslim, 2779).
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Pourquoi donc le Prophète (sur lui soit la paix) a-t-il d'une part dit : "Celui qui change de religion, exécutez-le", mais d'autre part refusé qu'un homme devenu apostat soit exécuté, au motif que : "Je cherche la protection de Dieu contre le fait que les gens disent que j'exécute ceux qui sont dans ma compagnie" ?
A cette question, différentes explications ont été / peuvent être avancées...
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– A) Par rapport à l'avis qui dit qu'il y a bien une sanction fixe à propos de l'apostasie, alors :
--- A.A) Selon Ibn Hazm :
Si aucune sanction n'a été appliquée à Dhu-l-Khuwayssira, c'est parce qu'au moment où son affaire se produisit, la sanction fixe concernant l'apostasie n'avait pas encore été instituée. Ce ne fut que plus tard que Dieu révéla au Prophète d'instituer la sanction concernant l'apostasie (Al-Muhallâ, 12/162-163, 434-435).
L'affaire Dhu-l-Khuwayssira a été datée plus haut. Mais en l'an 6 de l'hégire, lors du pacte de al-Hudaybiya, le Prophète accepta la condition des Mecquois selon laquelle le Mecquois musulman qui quitterait la Mecque pour partir auprès du Prophète à Médine serait retourné à la Mecque, alors que le Médinois qui apostasierait et quitterait Médine pour partir auprès des Mecquois ne serait pas retourné à Médine. Entendant cela, des Compagnons s'exclamèrent : "Messager de Dieu, nous écririons cela ?" Le Prophète expliqua ainsi son acceptation de la clause : "Oui. Celui qui nous aura quittés pour partir auprès d'eux, Dieu l'aura éloigné. Et celui qui aura cherché à nous rejoindre, Dieu créera pour lui une porte de sortie" : "عن أنس، أن قريشا صالحوا النبي صلى الله عليه وسلم فيهم سهيل بن عمرو، فقال النبي صلى الله عليه وسلم لعلي: اكتب: "بسم الله الرحمن الرحيم". قال سهيل: أما باسم الله، فما ندري ما "بسم الله الرحمن الرحيم"! ولكن اكتب ما نعرف: "باسمك اللهم". فقال: اكتب "من محمد رسول الله". قالوا: لو علمنا أنك رسول الله لاتبعناك، ولكن اكتب اسمك واسم أبيك. فقال النبي صلى الله عليه وسلم: اكتب: "من محمد بن عبد الله". فاشترطوا على النبي صلى الله عليه وسلم أنّ مَن جاء منكم لم نرده عليكم، ومَن جاءكم منا رددتموه علينا. فقالوا: يا رسول الله، أنكتب هذا؟ قال: نعم، إنه من ذهب منا إليهم فأبعده الله؛ ومن جاءنا منهم سيجعل الله له فرجا ومخرجا" (Muslim, 1784).
Ainsi, en l'an 6 de l'hégire, le Prophète acceptait que des apostats quittent tranquillement Médine. (Quelqu'un pourrait objecter à cela que l'on relate l'existence d'une sanction à un cas d'apostasie en l'an 3 de l'hégire. La réponse est que d'après ash-Shawkânî ce récit n'est pas authentique : cf. Nayl ul-awtâr 8/9.)
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--- A.B) Selon Ibn Taymiyya :
Il existe une sanction pour toute parole de manque de respect vis-à-vis du Prophète (sur lui soit la paix) (sabb un-nabî). Cependant, comme cela relevait de son droit personnel (haqq ul-'abd), il avait la possibilité de ne pas appliquer de sanction et de pardonner : c'est ce qu'il fit après la conquête de la Mecque vis-à-vis de Fartanâ (As-Sârim p. 129) et aussi, d'après une version, de Sârah al-mawlâh (Zâd ul-ma'âd 3/411).
Dans le cas de Dhu-l-Khuwayssira il y eut un cas d'apostasie pour cause de sabb (As-Sârim, p. 199, p. 228, p. 233, p. 528).
Or [la sanction pour apostasie avait peut-être déjà alors déjà été instituée, mais] il y a apostasie et apostasie : le Prophète ne pouvait pas ne pas appliquer la sanction s'il y avait un cas d'"apostasie pure" ("ridda mujarrada") et, malgré la istitâba, persistance dans la ridda ; c'est-à-dire qu'un musulman de la Dâr ul-islâm proclamait ouvertement qu'il a quitté l'islam et a embrassé telle autre religion (il s'agit alors d'un pur haqqullâh). Par contre, en cas d'"apostasie due à un manque de respect à son encontre" ("ridda muqtarina bi sabb in-nabî"), c'est-à-dire au cas où un homme auparavant apparemment musulman prononçait une parole de kufr par parole d'irrespect à son encontre, la dimension "haqq ul-'abd" y dominait, au point que le Prophète pouvait décider de ne pas appliquer la sanction (As-Sârim, p. 362).
Et, dans le cas précis de Dhu-l-Khuwayssira, si le Prophète décida de ne pas lui appliquer de sanction, il exposa clairement la mafsada que l'application d'une sanction aurait entraînée : les gens diraient que Muhammad fait tuer certains de ceux qui [de leur point de vue] sont ses compagnons (As-Sârim, pp. 228-229, 292, p. 362, p. 366).
Ibn Taymiyya ajoute cependant que ce droit dont disposait le Prophète de ne pas appliquer la sanction pour "ridda muqtarina bi-s-sabb" (سبّ) est terminé avec sa mort (As-Sârim, p. 436, p. 443).
Ibn Taymiyya veut dire ici que après le décès du Prophète :
--- dans le cas où la personne s'est repentie avant d'être interpelée, alors il y a des ulémas qui sont d'avis qu'aucune sanction ne lui est applicable ; et Ibn Taymiyya a cité leur avis ;
--- par contre, dans le cas où la personne a été interpelée sans qu'elle se soit au préalable repentie, alors l'autorité musulmane ne dispose pas du droit de choisir de ne pas sanctionner la "ridda muqtarina bi-s-sabb" par pur pardon.
Par contre, toujours selon Ibn Taymiyya, même après le décès du Prophète et dans ce cas de figure, l'autorité musulmane a la possibilité de n'appliquer aucune sanction pour la "ridda muqtarina bi-s-sabb" si elle se trouve face à certaines maslaha précises. Cela se fonde sur l'événement qui s'est passé avec Abdullâh ibn Ubayy Ibn Salûl.
A la suite d'un incident s'étant produit entre un muhâjirî et un ansârî pendant que le Prophète voyageait avec ses Compagnons, le premier en appela au groupe des Muhâjirûn, le second à celui des Ansâr : "عن جابر بن عبد الله رضي الله عنهما، قال: كنا في غزاة - قال سفيان: مرة في جيش - فكسع رجل من المهاجرين، رجلا من الأنصار، فقال الأنصاري: يا للأنصار، وقال المهاجري: يا للمهاجرين، فسمع ذلك رسول الله صلى الله عليه وسلم فقال: ما بال دعوى الجاهلية قالوا: يا رسول الله، كسع رجل من المهاجرين رجلا من الأنصار، فقال: دعوها فإنها منتنة". Entendant cela, le Prophète réagit et lançant un : "Que signifie cet appel (digne) des gens de la période pré-islamique ?". Ayant reçu l'information de ce qui s'était passé, il dit : "Laissez cette (parole), elle est puante". Abdullâh ibn Ubayy en profita pour dénigrer le Prophète et les Muhâjirûn : il dit : "أقد تداعوا علينا، لئن رجعنا إلى المدينة ليخرجن الأعز منها الأذل" ; "لا تنفقوا على من عند رسول الله حتى ينفضوا". Or son propos fut rapporté au Prophète par Zayd ibn Arqam. Omar ibn ul-Khattâb demanda alors au Messager l'autorisation d'appliquer la sanction à Abdullâh ibn Ubayy. Mais le Prophète dit : "لا يتحدث الناس أنه كان يقتل أصحابه" : "(Je ne veux) pas que les gens disent que (Muhammad) faisait exécuter ceux qui étaient avec lui !" (al-Bukhârî 3330, 4622, etc., Muslim 2584). Dieu révéla ensuite au sujet des Hypocrites tout un passage d'une sourate, intitulée justement Les Hypocrites (63ème sourate du Coran) (al-Bukhârî 4618 : on y lit que ce sont les versets 1 à 8 de cette sourate qui furent alors révélés).
Cela se passa :
- lors de la campagne des Banu-l-Mustaliq (cf. Fat'h ul-bârî, 8/821, 827) (propos de Suf'yân in Jâmi' ut-Tirmidhî, 3315) (laquelle campagne eut lieu en l'an 4 ou en l'an 5 de l'hégire, cliquez ici) ;
- ou bien lors de la campagne de Tabûk (cf. Fat'h ul-bârî, 8/821) (propos de Muhammad ibn Ka'b al-Qurazî in Jâmi' ut-Tirmidhî, 3314) (laquelle campagne eut lieu en l'an 9 de l'hégire) (cette seconde possibilité implique que Abdullâh ibn Ubayy ait participé à la campagne de Tabûk ; or ce point a été discuté par des ulémas ; en tous cas ce Abdullah mourut en dhu-l-qa'da de cet an 9 : Fat'h ul-bârî 8/423).
Par rapport à ce récit de Abdullâh ibn Ubayy, si le Prophète a refusé qu'une sanction soit appliquée à Ibn Ubayy, ce fut, dit Ibn Taymiyya, pour deux causes :
– [a] parce que le propos de Abdullâh ibn Ubayy n'était pas établi au niveau voulu sur le plan juridique, alors même qu'une sanction ne peut être appliquée que sur la base d'une preuve juridique (le propos de Ibn Ubayy ne fut relaté que par Zayd ibn Arqam ; si la relation de ce dernier fut ensuite confirmée par la révélation, l'application d'une sanction temporelle doit s'appuyer sur une preuve juridique valable, et non pas sur la seule révélation divine : "وإذا كانت هذه حالهم فالنبي صلى الله عليه وسلم لم يكن يقيم الحدود بعلمه ولا بخبر الواحد ولا بمجرد الوحي ولا بالدلائل والشواهد؛ حتى يثبت الموجب للحد ببينة أو إقرار" (As-Sârim, p. 355-357) ;
– [b] parce que le Prophète craignait, comme il l'a dit, que suite à l'application de la sanction, les gens disent que Muhammad était homme qui faisait tuer ceux qui étaient avec lui. De même, il craignait, comme il l'a dit aussi, que cela provoque, chez certains clans de Médine, une émotion de solidarité avec Abdullâh ibn Ubayy, et que cela engendre de graves troubles à Médine : "أنه صلى الله عليه وسلم كان يخاف أن يتولد من قتلهم من الفساد أكثر مما في استبقائهم؛ وقد بين ذلك حيث قال: "لا يتحدث الناس أن محمدا يقتل أصحابه"، وقال: "إذًا ترعد له آنف كثيرة بيثرب". فإنه لو قتلهم بما يعلمه من كفرهم لأوشك أن يظن الظان أنه إنما قتلهم لأغراض وأحقاد وإنما قصده الاستعانة بهم على الملك كما قال: "أكره أن تقول العرب لما ظفر بأصحابه أقبل يقتلهم"؛ وأن يخاف من يريد الدخول في الإسلام أن يقتل مع إظهاره الإسلام كما قتل كما قتل غيره. وقد كان أيضا يغضب لقتل بعضهم قبيلته وناس آخرون فيكون ذلك سببا للفتنة. واعتبر ذلك بما جرى في قصة عبد الله بن أبي لما عرض سعد بن معاذ بقتله خاصم له أناس صالحون وأخذتهم الحمية حتى سكتهم رسول الله صلى الله عليه وسلم وقد بين ذلك رسول الله صلى الله عليه وسلم لما استأذنه عمر في قتل ابن أبي. قال أصحابنا: ونحن الآن إذا خفنا مثل ذلك كففنا عن القتل" (As-Sârim, pp. 357-358) (voir aussi pp. 178-179). C'est ce que, parlant de la différence entre l'époque du Prophète et celle de ses 3 premiers califes [la situation n'étant évidemment plus la même aujourd'hui], Hudhayfa avait exprimé en ces termes : "عن حذيفة، قال: "إنما كان النفاق على عهد النبي صلى الله عليه وسلم؛ فأما اليوم فإنما هو الكفر بعد الإيمان" (al-Bukhârî, 6697). Ibn Hajar écrit : "والذي يظهر أن حذيفة لم يرد نفي الوقوع وإنما أراد نفي اتفاق الحكم. لأن النفاق إظهار الإيمان وإخفاء الكفر ووجود ذلك ممكن في كل عصر. وإنما اختلف الحكم لأن النبي صلى الله عليه وسلم كان يتألفهم ويقبل ما أظهروه من الإسلام ولو ظهر منهم احتمال* خلافه؛ وأما بعده فمن أظهر شيئا فإنه يؤاخذ به ولا يترك لمصلحة التألف لعدم الاحتياج إلى ذلك" (FB 13) [كان ينبغي أن يقول: *ولو ثبت منهم خلافه]. Il y a aussi cet autre propos de Hudhayfa : "عن حذيفة بن اليمان، قال: "إن المنافقين اليوم شر منهم على عهد النبي صلى الله عليه وسلم: كانوا يومئذ يسرون؛ واليوم يجهرون" (al-Bukhârî, 6696). Ibn Hajar écrit : "ويشهد لما قال ابن بطال ما أخرجه البزار من طريق عاصم عن أبي وائل: قلت لحذيفة: النفاق اليوم شر أم على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم؟ قال فضرب بيده على جبهته وقال: أوه هو اليوم ظاهر؛ إنهم كانوا يستخفون على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم" (FB 13).
Dans le récit de Abdullâh ibn Ubayy, ces deux causes a et b furent réunies :
– le propos ne fut pas prouvé au niveau voulu sur le plan juridique (a) ;
– et il y avait crainte qu'une sanction entraîne les effets suivants : "faire fuir des gens de l'islam, provoquer chez d'autres l'apostasie, et amener des gens à exprimer la guerre et la sédition" (b).
Ibn Taymiyya a également cité ces deux causes in As-Sârim, p. 354.
Dans le récit de Dhu-l-Khuwayssira :
– la cause a n'était pas présente, puisque le propos fut prononcé devant plusieurs personnes, et ne présentait donc aucun doute sur le plan juridique ;
– ce fut la cause b qui entraîna la non-application d'une sanction par le Prophète (As-Sârim, pp. 178-179) ;
– si, avant de le prononcer, Dhu-l-Khuwayssira ne pensait pas que son propos était de kufr akbar, le Prophète (sur lui soit la paix) lui expliqua que son propos était totalement contraire au fait de le suivre, lui, en tant que prophète ; mais, au lieu de s'excuser, il tourna le dos et partit : soit la réponse du Prophète (sur lui soit la paix) fut suffisante pour que iqâmat ul-hujja ait eu lieu ; soit le Prophète (sur lui soit la paix) considéra qu'il fallait lui expliquer davantage pour que iqâmat ul-hujja ait lieu (nous y reviendrons plus bas, en A.C).
La non-application de la sanction a été exposée par Ibn Taymiyya à propos du récit de Abdullâh ibn Ubayy comme étant due aux deux causes a et b.
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Mais cela est-il aussi valable à propos du récit de Dhu-l-Khuwayssira, où seule la cause b fut présente ?
Poser cette question revient à se demander si, même après le décès du Prophète, il serait possible que l'autorité n'applique pas une sanction pour cause de ridda muqtarina bi-s-sabb si seule cette maslaha b est présente (la crainte d'une mafsada plus grande encore) ?
La réponse semble être – wallâhu a'lam – "Oui", car Ibn Taymiyya, évoquant les raisons ayant amené le Prophète à, de façon générale et non plus seulement dans le cas particulier de Abdullâh ibn Ubayy, ne pas appliquer de sanction, a employé la conjonction "ou" ("أوْ") (p. 358) quand il a écrit :
"قال أصحابنا: ونحن الآن إذا خفنا مثل ذلك كففنا عن القتل.
فحاصله أن الحد لم يقم على واحد بعينه لعدم ظهوره بالحجة الشرعية التي يعلمه بها الخاص والعام [أ] أو لعدم إمكان إقامته إلا مع تنفير أقوام عن الدخول في الإسلام وارتداد آخرين عنه وإظهار قوم من الحرب والفتنة ما يربى فساده على فساد ترك قتل منافق [ب]. وهذان المعنيان حكمهما باق إلى يومنا هذا. إلا في شيء واحد وهو أنه صلى الله عليه وسلم ربما خاف أن يظن الظان أنه يقتل أصحابه لغرض آخر مثل أغراض الملوك فهذا منتف اليوم".
"Les nôtres [= les hanbalites] ont dit : "Maintenant (aussi), si nous craignons chose semblable, nous nous retiendrons d'exécuter".
Le résumé est que la sanction n'a pas été appliquée sur l'un d'eux,
– [a] parce que (son propos) n'est pas apparu selon le (degré) de la preuve légale par laquelle les érudits et le commun le reconnaissent ;
– ou bien [b] parce qu'il n'était possible d'appliquer (cette sanction) qu'avec [comme effets] de faire fuir des gens de l'islam, de provoquer chez d'autres l'apostasie, et d'(amener) des gens à exprimer la guerre et la sédition, choses dont le fassâd est plus grand que le fassâd de délaisser l'exécution d'un Hypocrite [ayant exprimé qu'il est un kâfir].
Ces deux causes [a et b] demeurent jusqu'à aujourd'hui"(As-Sârim, p. 358).
Ibn Taymiyya poursuit :
"فحيث ما كان للمنافق ظهور وتخاف من إقامة الحد عليه فتنة أكبر من بقائه عملنا بآية {ودع أذاهم} (...). فهذا يبين أن الإمساك عن قتل من أظهر نفاقه بكتاب الله على عهد رسوله عليه الصلاة والسلام، إذ لا نسخ بعده؛ ولم ندع أن الحكم تغير بعده لتغيرالمصلحة من غير وحي نزل" :
"Là où le Munâfiq dispose d'une puissance et que l'on craint, par l'application de la peine sur lui, un trouble (fitna) plus grand que (celui qu'il y a) dans le fait qu'il demeure (ainsi), nous agirons selon le verset : "Délaisse le tort qu'ils font" (…). Ceci montre que le fait de ne rien faire à celui qui a exprimé son Nifâq, (cela s'est fait) sur la base du Coran, (révélé) à l'époque du Prophète (sur lui soit la paix). Car il n'y a pas d'abrogation après lui. Et nous n'avons pas prétendu que la règle a changé après lui pour cause de changement de maslaha sans [que ce conditionnement de la règle à cette maslaha] ait été fait sur la base d'une révélation descendue" (As-Sârim, pp. 359-360).
Ce propos montre que, d'après les hanbalites, même après le décès du Prophète, l'autorité musulmane n'appliquera pas de sanction :
– à un cas semblable à celui mentionné dans le récit de Abdullâh ibn Ubayy, où le propos n'est pas prouvé au niveau juridique voulu (a),
– mais également à un cas semblable à celui de Dhu-l-Khuwayssira, où le propos est prouvé sur le plan juridique, mais où l'application de la sanction entraînerait une mafsada conséquente (b). Aujourd'hui encore, en cas de manque de respect à la mémoire du Prophète, s'il y a une mafsada plus grande à appliquer la sanction, celle-ci ne sera donc pas appliquée.
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Cependant, 2 questions demeurent ici :
– Les 3 éléments susmentionnés ("faire fuir des gens de l'islam, provoquer chez d'autres l'apostasie, et amener des gens à exprimer la guerre et la sédition") doivent-ils être tous les 3 réunis pour constituer la cause b, ou bien la présence de n'importe lequel des 3 est-elle suffisante ?
Je ne sais pas (لا أدري).
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– Cette possibilité de non-application de la sanction pour cette cause b (cela est susceptible d'engendrer les effets négatifs susmentionnés : faire fuir les gens de l'islam, etc.), cela est-il restreint aux cas de Ridda Muqtarina bi-s-Sabb ?
Ou bien cela concerne-t-il tous les cas de Ridda où la personne demeure muntassib ila-l-islâm (comme ce fut le cas dans les affaires Abdullâh ibn Ubayy et Dhu-l-Khuwayssira) ? Al-Bukhârî, qui est d'avis que les Kharijites furent des apostats, écrit : "باب قتل الخوارج والملحدين بعد إقامة الحجة عليهم", puis : "باب من ترك قتال الخوارج للتألف وأن لا ينفر الناس عنه" (Al-Jâmi' us-sahîh).
Ou bien cela est-il, de façon plus générale, également "extensible" à la Ridda où la personne abandonne clairement l'islam (et éventuellement embrasse ouvertement une autre religion que l'islam) ?
Ou est-ce que, de façon plus générale encore, cette possibilité concerne toute peine capitale ?
Ou même toute sanction tout court ?
Je ne sais pas (لا أدري).
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--- Personnellement, et bien que n'étant qu'un petit tâlib ul-'ilm, je trouve quelque peu singulière l'explication de Cheikh ul-islam disant que :
--- dans le cas d'une Ridda mujarrada, si persistance dans la Ridda il y avait, le Prophète (sur lui soit la paix) n'avait pas le choix de ne pas appliquer la sanction ;
--- par contre, vu que le Prophète (sur lui soit la paix) avait le droit d'excuser le Sabb (ce qui est vrai, car c'est son droit personnel), il put ne pas appliquer de sanction non pas seulement vis-à-vis de non-musulmans ayant fait son Sabb, mais aussi vis-à-vis de musulmans l'ayant fait : ces derniers commirent donc une Ridda muqtarina bi-s-sabb, mais le Prophète pouvait ne pas appliquer de sanction, car c'était "le Sabb qui domine", bien qu'il y avait aussi Ridda.
Je trouve cela quelque peu singulier.
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--- Est-ce qu'un grand 'âlim aurait avancé l'une des deux autres (possibles) explications suivantes ?
--- A.C) distinguer Ridda par abandon pur et simple de l'islam, et Ridda par une parole de kufr malgré que l'on se réclame toujours de l'islam, et justifier la non-application d'une sanction à Dhu-l-Khuwayssira par le fait que...
... par le fait que :
------ en ce qui concerne la Ridda par l'abandon pur et simple de l'islam, il y a besoin de Istitâba, mais pas de Iqâmat ul-hujja, avant d'appliquer la sanction ;
------ tandis que pour ce qui est de la Ridda par une parole de Kufr Akbar alors même qu'on continue à se réclamer de l'islam, il faut (tant qu'il ne s'agit pas du rejet pur et simple du contenu de l'un des deux témoignages de foi) une Iqâmat ul-hujja avant que la personne soit qualifiée de Kâfir, car il y a la possibilité qu'elle ignorait que sa parole est mauvaise.
Dans le cas du Sabb fait par Dhu-l-Khuwayssira, le Prophète (sur lui soit la paix) aurait considéré, par précaution, ihtiyâtan, que Iqâmat ul-hujja n'avait pas encore été réalisée. L'attitude de Dhu-l-Khuwayssira était gravissime, mais le Prophète, par précaution, aurait préféré ne pas lui appliquer tel quel le hukm de "kâfir".
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--- A.D) élargir à toute Ridda (donc à la Ridda Mujarrada aussi) la possibilité de prendre en considération la Mafsada avant d'appliquer une quelconque sanction :
La prise en considération de la Mafsada, que le Prophète a faite dans le cas de Dhu-l-Khuwayssira, il l'aurait alors faite parce que cela est possible pour tout cas de Ridda.
Il est possible qu'une sanction pour apostasie avait déjà été fixée avant le Pacte de al-Hudaybiya. Mais le récit (déjà cité plus haut) relatant la réponse du Prophète à ses Compagnons s'étonnant d'une des clauses pourrait exprimer la possible prise en compte de la Maslaha et de la Mafsada avant l'application de la sanction pour apostasie. En effet, des Compagnons s'exclamèrent : "Messager de Dieu, nous écririons cela ?", et le Prophète répondit : "Oui. Celui qui nous aura quittés pour partir auprès d'eux, Dieu l'aura éloigné. Et celui qui aura cherché à nous rejoindre, Dieu créera pour lui une porte de sortie" : "عن أنس، أن قريشا صالحوا النبي صلى الله عليه وسلم فيهم سهيل بن عمرو، فقال النبي صلى الله عليه وسلم لعلي: اكتب: "بسم الله الرحمن الرحيم". قال سهيل: أما باسم الله، فما ندري ما "بسم الله الرحمن الرحيم"! ولكن اكتب ما نعرف: "باسمك اللهم". فقال: اكتب "من محمد رسول الله". قالوا: لو علمنا أنك رسول الله لاتبعناك، ولكن اكتب اسمك واسم أبيك. فقال النبي صلى الله عليه وسلم: اكتب: "من محمد بن عبد الله". فاشترطوا على النبي صلى الله عليه وسلم أنّ مَن جاء منكم لم نرده عليكم، ومَن جاءكم منا رددتموه علينا. فقالوا: يا رسول الله، أنكتب هذا؟ قال: نعم، إنه من ذهب منا إليهم فأبعده الله؛ ومن جاءنا منهم سيجعل الله له فرجا ومخرجا" (Muslim, 1784).
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Est-ce qu'un grand 'âlim aurait avancé l'une de ces deux explications A.C et A.D ?
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– B) Enfin, si on considère l'avis de al-'Awwâ (selon qui il y a, face à l'apostasie, uniquement une ta'zîr, sanction laissée à l'appréciation de l'autorité de la Dâr ul-islam), alors on peut avancer l'explication suivante (bien que al-'Awwâ ne l'ait pas formulée) :
La sanction pour apostasie avait peut-être déjà été instituée au moment de l'affaire Dhu-l-Khuwayssira, mais il s'agit d'une sanction de type ta'zîr et non pas d'une sanction fixe.
Or la ta'zîr est par définition telle qu'elle n'est pas applicable si la maslaha est de ne pas le faire.
Et la maslaha que le Prophète (sur lui soit la paix) a mise en exergue fut : "Je cherche la protection de Dieu contre le fait que les gens disent que je fais tuer ceux qui sont dans ma compagnie" / "Que les gens ne disent pas que Muhammad exécutait ceux dans sa compagnie !".
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).
Quand Dhu-l-Khuwayssira et Abdullâh ibn Ubayy dirent une claire parole de kufr akbar, mais que le Prophète (sur lui soit la paix) choisit de ne rien entreprendre contre eux
Al-Bukhârî et Muslim ont rapporté le récit dit de Dhu-l-Khuwayssira, cet homme qui vint dire au Prophète (sur lui la paix), après que ce dernier eut partagé un bien entre des personnes : "Muhammad, crains Dieu" [al-Bukhârî 6995], "tu n'as pas fait preuve de justice" [al-Bukhârî 4390].
Le Prophète lui répondit : "Ne suis-je pas celui qui mérite le plus de craindre Dieu ? [al-Bukhârî 4094] Et qui ferait preuve de justice si je n'en fais pas ? Si je ne suis pas juste, tu es perdu [puisque tu me suis, croyant que je suis Messager de Dieu]" [al-Bukhârî 3414].
Ce récit s'est passé lorsque Alî a envoyé de l'or depuis le Yémen ; c'est cet or que le Prophète avait partagé (al-Bukhârî 3166, 4094, 6995, Muslim 1064) ; Alî a été envoyé au Yémen en l'an 9 (Fat'h ul-bârî 12/363) ou en l'an 10 (As-Sârim, p. 230).
Il y a un autre récit où on lit les mêmes paroles être dites à propos d'un autre partage effectué par le Prophète : celui ayant eu lieu après Hunayn (Muslim 1063, al-Bukhârî 2969, Ahmad 14276) (Hunayn a eu lieu en l'an 8). A Hunayn, soit il s'est agi d'un autre homme que Dhu-l-Khuwayssira, et c'est par erreur (wahm) qu'un rapporteur a donné à l'objecteur le même nom ; soit dans les deux cas il s'est agi du même homme, Dhu-l-Khuwayssira (Fat'h ul-bârî 12/364).
En tous cas, que lors des deux occasions ce soit Dhu-l-Khuwayssira qui l'ait tenu, ou que lors du partage de l'or envoyé du Yémen seulement ce soit cet homme qui l'ait tenu, ce propos fut une parole de kufr akbar (As-Sârim, p. 199, p. 228, p. 233, p. 528). Or Dhu-l-Khuwayssira avait auparavant professé son adhésion à l'islam.
----- De nombreux ulémas l'ont classé comme étant un Munâfiq (As-Sârim, p. 228 ; Mirqât ul-mafâtîh). Ce serait donc un Munâfiq bi nifâq akbar, qui prononça ce jour-là une parole de kufr akbar au vu et au su de tous ceux qui étaient présents (donc de façon pouvant être établie juridiquement)...
----- Est-ce qu'il serait possible de dire qu'il était jusqu'alors "seulement" Dhâll, mais que ce jour-là la parole qu'il prononça fut de Kufr akbar. La raison de cette proposition qu'il n'ait pas été un Munâfiq est que (comme le Prophète l'a dit), il fut le premier d'une (longue) série de Kharijites devant émerger plus tard : or ceux-ci ne furent pas des Munâfiqûn. Après qu'il les eut combattus, quelqu'un demanda à 'Alî à leur sujet : "Sont-ils des Mushrik ? - Du Shirk ils ont fui, répond-il. - Sont-ils des Munâfiq ? - Les Munâfiq n'évoquent Dieu que peu ! - Qui sont-ils donc ? - Des gens qui ont fait bagh'y contre nous" : "عن طارق بن شهاب، قال: كنت عند عليّ، فسئل عن أهل النهر: أهم مشركون؟ قال: من الشرك فروا! قيل: فمنافقون هم؟ قال: إن المنافقين لا يذكرون الله إلا قليلا! قيل له: فما هم؟ قال: قوم بغوا علينا"" (Ibn Abî Shayba, n° 37942 ; MS 3/94-95). Ibn Taymiyya écrit que les Kharijites, à cause de leur manque de compréhension du Dîn, y ont exagéré, et cela les a conduits à des croyances fausses, qui ont entraîné de leur part des actions répréhensibles. Puis Ibn Taymiyya relate d'hérésiographes que les Kharijites considèrent que les prophètes peuvent commettre des péchés majeurs (kabâ'ïr), et c'est pourquoi ces Kharijites ne suivent pas toute la Sunna. Ibn Taymiyya nuance ce propos en disant que ce sont en fait certains Kharijites qui disent cela (As-Sârim, pp. 184-185).
En tous cas, nous avons de la part de Dhu-l-Khuwayssira un cas de prononciation de parole de kufr akbar. Et pourtant, ces mêmes récits montrent que, face à la proposition d'un Compagnon (Khâlid ibn ul-Walîd : al-Bukhârî 4094, Muslim 1064) de sanctionner cet homme pour son propos, le Prophète refusa qu'une quelconque sanction lui soit appliquée, et ce au motif que :
--- d'une part, selon les apparences cet homme était un musulman ("لا، لعله أن يكون يصلي"، فقال خالد: "وكم من مصل يقول بلسانه ما ليس في قلبه"، قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إني لم أومر أن أنقب عن قلوب الناس ولا أشق بطونهم" : al-Bukhârî 4094, Muslim 1064) et donc un de ceux qui étaient avec le Prophète,
--- or, d'autre part : "معاذ الله أن يتحدث الناس أني أقتل أصحابي" : "Je cherche la protection de Dieu contre le fait que les gens disent que je fais exécuter ceux qui sont avec moi !" (Muslim, 1063).
Cette phrase signifie : "Je ne veux pas que les gens disent que, parmi l'ensemble de ceux qui croient en moi (du moins en apparence), j'en fais exécuter certains parce que maintenant je n'ai plus besoin d'eux" ; "ou par intérêt personnel, par antipathie, comme le font parfois les rois" ("فإن الناس ينظرون إلى ظاهر الأمر، فيرون واحدا من أصحابه قد قتل؛ فيظن الظان أنه يقتل بعض أصحابه على غرض أو حقد أو نحو ذلك؛ فينفر الناس عن الدخول في الإسلام" : As-Sârim, p. 237. "أنه صلى الله عليه وسلم كان يخاف أن يتولد من قتلهم من الفساد أكثر مما في استبقائهم وقد بين ذلك حيث قال: "لا يتحدث الناس أن محمدا يقتل أصحابه" وقال: "إذًا ترعد له آنف كثيرة بيثرب". فإنه لو قتلهم بما يعلمه من كفرهم لأوشك أن يظن الظان أنه إنما قتلهم لأغراض وأحقاد وإنما قصده الاستعانة بهم على الملك كما قال: "أكره أن تقول العرب لما ظفر بأصحابه أقبل يقتلهم" وأن يخاف من يريد الدخول في الإسلام أن يقتل مع إظهاره الإسلام كما قتل غيره" : As-Sârim, pp. 357-358).
(Quant au hadîth rapporté par Ahmad - 11118 - où on voit le Prophète demander de le mettre à mort et que Ibn Hajar pense s'être déroulé après cela (FB 12/373), sa chaîne est dha'îf, dit le muhaqqiq de Musnadu Ahmad : "Abû Ru'ba" est "maj'hûl ul-hâl". As-Sindî dit de son contenu : "fîhi nakâra", car il contredit les hadîths suscités, qui sont, eux, authentiques. Et, de toutes façons, différemment de Ibn Hajar, Ibn Hibbân pense qu'il s'agit d'un homme autre que Dhu-l-Khuwayssira.
De même, le hadîth qui se trouve dans Maghâzi-l-Umawî – As-Sârim, p. 180, FB 12/373 – est mursal, et Makhraja ibn Mujâlid présente une "lîn".)
Précisons ici qu'un propos voisin fut tenu par le Prophète (sur lui soit la paix) au sujet des 12 Hypocrites qui avaient voulu profiter d'une occasion propice lors du voyage de Tabûk pour l'assassiner (événement auquel une phrase du verset Coran 9/74 fait allusion). Ayant été mis au courant de leur projet, le Prophète fit échouer leur projet à la dernière minute en envoyant Hudhayfa disperser leurs montures. Puis il les nomma un à un devant Hudhayfa. Ce dernier lui ayant demandé pourquoi il ne les faisait pas exécuter, il répondit : "Je ne veux pas que les Arabes disent : "Lorsqu'il eut obtenu la victoire par le moyen de ses Compagnons, il se mit à les faire exécuter"" : "قوله تعالى: (وهموا بما لم ينالوا) يعني المنافقين من قتل النبي صلى الله عليه وسلم ليلة العقبة في غزوة تبوك، وكانوا اثني عشر رجلا. قال حذيفة: سماهم رسول الله صلى الله عليه وسلم حتى عدهم كلهم. فقلت: ألا تبعث إليهم فتقتلهم؟ فقال: "أكره أن تقول العرب لما ظفر بأصحابه أقبل يقتلهم. بل يكفيهم لله بالدبيلة." قيل: يا رسول الله وما الدبيلة؟ قال: "شهاب من جهنم يجعله على نياط فؤاد أحدهم حتى تزهق نفسه." فكان كذلك" (Tafsîr ul-Qurtubî, au sujet de Coran 9/74) (la même relation figure dans Tafsîr ul-Baghawî, mais cette fois en commentaire de Coran 9/65). C'est à cet épisode de al-'Aqaba de Tabûk que fait allusion cette narration : "عن أبي الطفيل، قال: كان بين رجل من أهل العقبة وبين حذيفة بعض ما يكون بين الناس، فقال: "أنشدك بالله كم كان أصحاب العقبة؟" قال فقال له القوم: "أخبره إذ سألك." قال: "كنا نخبر أنهم أربعة عشر، فإن كنت منهم فقد كان القوم خمسة عشر. وأشهد بالله أن اثني عشر منهم حرب لله ولرسوله في الحياة الدنيا ويوم يقوم الأشهاد، وعذر ثلاثة، قالوا: "ما سمعنا منادي رسول الله صلى الله عليه وسلم ولا علمنا بما أراد القوم." وقد كان في حرة فمشى فقال: "إن الماء قليل، فلا يسبقني إليه أحد" فوجد قوما قد سبقوه، فلعنهم يومئذ" (Muslim, 2779).
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A cette question, différentes explications ont été / peuvent être avancées...
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– A) Par rapport à l'avis qui dit qu'il y a bien une sanction fixe à propos de l'apostasie, alors :
--- A.A) Selon Ibn Hazm :
Si aucune sanction n'a été appliquée à Dhu-l-Khuwayssira, c'est parce qu'au moment où son affaire se produisit, la sanction fixe concernant l'apostasie n'avait pas encore été instituée. Ce ne fut que plus tard que Dieu révéla au Prophète d'instituer la sanction concernant l'apostasie (Al-Muhallâ, 12/162-163, 434-435).
L'affaire Dhu-l-Khuwayssira a été datée plus haut. Mais en l'an 6 de l'hégire, lors du pacte de al-Hudaybiya, le Prophète accepta la condition des Mecquois selon laquelle le Mecquois musulman qui quitterait la Mecque pour partir auprès du Prophète à Médine serait retourné à la Mecque, alors que le Médinois qui apostasierait et quitterait Médine pour partir auprès des Mecquois ne serait pas retourné à Médine. Entendant cela, des Compagnons s'exclamèrent : "Messager de Dieu, nous écririons cela ?" Le Prophète expliqua ainsi son acceptation de la clause : "Oui. Celui qui nous aura quittés pour partir auprès d'eux, Dieu l'aura éloigné. Et celui qui aura cherché à nous rejoindre, Dieu créera pour lui une porte de sortie" : "عن أنس، أن قريشا صالحوا النبي صلى الله عليه وسلم فيهم سهيل بن عمرو، فقال النبي صلى الله عليه وسلم لعلي: اكتب: "بسم الله الرحمن الرحيم". قال سهيل: أما باسم الله، فما ندري ما "بسم الله الرحمن الرحيم"! ولكن اكتب ما نعرف: "باسمك اللهم". فقال: اكتب "من محمد رسول الله". قالوا: لو علمنا أنك رسول الله لاتبعناك، ولكن اكتب اسمك واسم أبيك. فقال النبي صلى الله عليه وسلم: اكتب: "من محمد بن عبد الله". فاشترطوا على النبي صلى الله عليه وسلم أنّ مَن جاء منكم لم نرده عليكم، ومَن جاءكم منا رددتموه علينا. فقالوا: يا رسول الله، أنكتب هذا؟ قال: نعم، إنه من ذهب منا إليهم فأبعده الله؛ ومن جاءنا منهم سيجعل الله له فرجا ومخرجا" (Muslim, 1784).
Ainsi, en l'an 6 de l'hégire, le Prophète acceptait que des apostats quittent tranquillement Médine. (Quelqu'un pourrait objecter à cela que l'on relate l'existence d'une sanction à un cas d'apostasie en l'an 3 de l'hégire. La réponse est que d'après ash-Shawkânî ce récit n'est pas authentique : cf. Nayl ul-awtâr 8/9.)
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--- A.B) Selon Ibn Taymiyya :
Il existe une sanction pour toute parole de manque de respect vis-à-vis du Prophète (sur lui soit la paix) (sabb un-nabî). Cependant, comme cela relevait de son droit personnel (haqq ul-'abd), il avait la possibilité de ne pas appliquer de sanction et de pardonner : c'est ce qu'il fit après la conquête de la Mecque vis-à-vis de Fartanâ (As-Sârim p. 129) et aussi, d'après une version, de Sârah al-mawlâh (Zâd ul-ma'âd 3/411).
Dans le cas de Dhu-l-Khuwayssira il y eut un cas d'apostasie pour cause de sabb (As-Sârim, p. 199, p. 228, p. 233, p. 528).
Or [la sanction pour apostasie avait peut-être déjà alors déjà été instituée, mais] il y a apostasie et apostasie : le Prophète ne pouvait pas ne pas appliquer la sanction s'il y avait un cas d'"apostasie pure" ("ridda mujarrada") et, malgré la istitâba, persistance dans la ridda ; c'est-à-dire qu'un musulman de la Dâr ul-islâm proclamait ouvertement qu'il a quitté l'islam et a embrassé telle autre religion (il s'agit alors d'un pur haqqullâh). Par contre, en cas d'"apostasie due à un manque de respect à son encontre" ("ridda muqtarina bi sabb in-nabî"), c'est-à-dire au cas où un homme auparavant apparemment musulman prononçait une parole de kufr par parole d'irrespect à son encontre, la dimension "haqq ul-'abd" y dominait, au point que le Prophète pouvait décider de ne pas appliquer la sanction (As-Sârim, p. 362).
Et, dans le cas précis de Dhu-l-Khuwayssira, si le Prophète décida de ne pas lui appliquer de sanction, il exposa clairement la mafsada que l'application d'une sanction aurait entraînée : les gens diraient que Muhammad fait tuer certains de ceux qui [de leur point de vue] sont ses compagnons (As-Sârim, pp. 228-229, 292, p. 362, p. 366).
Ibn Taymiyya ajoute cependant que ce droit dont disposait le Prophète de ne pas appliquer la sanction pour "ridda muqtarina bi-s-sabb" (سبّ) est terminé avec sa mort (As-Sârim, p. 436, p. 443).
Ibn Taymiyya veut dire ici que après le décès du Prophète :
--- dans le cas où la personne s'est repentie avant d'être interpelée, alors il y a des ulémas qui sont d'avis qu'aucune sanction ne lui est applicable ; et Ibn Taymiyya a cité leur avis ;
--- par contre, dans le cas où la personne a été interpelée sans qu'elle se soit au préalable repentie, alors l'autorité musulmane ne dispose pas du droit de choisir de ne pas sanctionner la "ridda muqtarina bi-s-sabb" par pur pardon.
Par contre, toujours selon Ibn Taymiyya, même après le décès du Prophète et dans ce cas de figure, l'autorité musulmane a la possibilité de n'appliquer aucune sanction pour la "ridda muqtarina bi-s-sabb" si elle se trouve face à certaines maslaha précises. Cela se fonde sur l'événement qui s'est passé avec Abdullâh ibn Ubayy Ibn Salûl.
A la suite d'un incident s'étant produit entre un muhâjirî et un ansârî pendant que le Prophète voyageait avec ses Compagnons, le premier en appela au groupe des Muhâjirûn, le second à celui des Ansâr : "عن جابر بن عبد الله رضي الله عنهما، قال: كنا في غزاة - قال سفيان: مرة في جيش - فكسع رجل من المهاجرين، رجلا من الأنصار، فقال الأنصاري: يا للأنصار، وقال المهاجري: يا للمهاجرين، فسمع ذلك رسول الله صلى الله عليه وسلم فقال: ما بال دعوى الجاهلية قالوا: يا رسول الله، كسع رجل من المهاجرين رجلا من الأنصار، فقال: دعوها فإنها منتنة". Entendant cela, le Prophète réagit et lançant un : "Que signifie cet appel (digne) des gens de la période pré-islamique ?". Ayant reçu l'information de ce qui s'était passé, il dit : "Laissez cette (parole), elle est puante". Abdullâh ibn Ubayy en profita pour dénigrer le Prophète et les Muhâjirûn : il dit : "أقد تداعوا علينا، لئن رجعنا إلى المدينة ليخرجن الأعز منها الأذل" ; "لا تنفقوا على من عند رسول الله حتى ينفضوا". Or son propos fut rapporté au Prophète par Zayd ibn Arqam. Omar ibn ul-Khattâb demanda alors au Messager l'autorisation d'appliquer la sanction à Abdullâh ibn Ubayy. Mais le Prophète dit : "لا يتحدث الناس أنه كان يقتل أصحابه" : "(Je ne veux) pas que les gens disent que (Muhammad) faisait exécuter ceux qui étaient avec lui !" (al-Bukhârî 3330, 4622, etc., Muslim 2584). Dieu révéla ensuite au sujet des Hypocrites tout un passage d'une sourate, intitulée justement Les Hypocrites (63ème sourate du Coran) (al-Bukhârî 4618 : on y lit que ce sont les versets 1 à 8 de cette sourate qui furent alors révélés).
Cela se passa :
- lors de la campagne des Banu-l-Mustaliq (cf. Fat'h ul-bârî, 8/821, 827) (propos de Suf'yân in Jâmi' ut-Tirmidhî, 3315) (laquelle campagne eut lieu en l'an 4 ou en l'an 5 de l'hégire, cliquez ici) ;
- ou bien lors de la campagne de Tabûk (cf. Fat'h ul-bârî, 8/821) (propos de Muhammad ibn Ka'b al-Qurazî in Jâmi' ut-Tirmidhî, 3314) (laquelle campagne eut lieu en l'an 9 de l'hégire) (cette seconde possibilité implique que Abdullâh ibn Ubayy ait participé à la campagne de Tabûk ; or ce point a été discuté par des ulémas ; en tous cas ce Abdullah mourut en dhu-l-qa'da de cet an 9 : Fat'h ul-bârî 8/423).
Par rapport à ce récit de Abdullâh ibn Ubayy, si le Prophète a refusé qu'une sanction soit appliquée à Ibn Ubayy, ce fut, dit Ibn Taymiyya, pour deux causes :
– [a] parce que le propos de Abdullâh ibn Ubayy n'était pas établi au niveau voulu sur le plan juridique, alors même qu'une sanction ne peut être appliquée que sur la base d'une preuve juridique (le propos de Ibn Ubayy ne fut relaté que par Zayd ibn Arqam ; si la relation de ce dernier fut ensuite confirmée par la révélation, l'application d'une sanction temporelle doit s'appuyer sur une preuve juridique valable, et non pas sur la seule révélation divine : "وإذا كانت هذه حالهم فالنبي صلى الله عليه وسلم لم يكن يقيم الحدود بعلمه ولا بخبر الواحد ولا بمجرد الوحي ولا بالدلائل والشواهد؛ حتى يثبت الموجب للحد ببينة أو إقرار" (As-Sârim, p. 355-357) ;
– [b] parce que le Prophète craignait, comme il l'a dit, que suite à l'application de la sanction, les gens disent que Muhammad était homme qui faisait tuer ceux qui étaient avec lui. De même, il craignait, comme il l'a dit aussi, que cela provoque, chez certains clans de Médine, une émotion de solidarité avec Abdullâh ibn Ubayy, et que cela engendre de graves troubles à Médine : "أنه صلى الله عليه وسلم كان يخاف أن يتولد من قتلهم من الفساد أكثر مما في استبقائهم؛ وقد بين ذلك حيث قال: "لا يتحدث الناس أن محمدا يقتل أصحابه"، وقال: "إذًا ترعد له آنف كثيرة بيثرب". فإنه لو قتلهم بما يعلمه من كفرهم لأوشك أن يظن الظان أنه إنما قتلهم لأغراض وأحقاد وإنما قصده الاستعانة بهم على الملك كما قال: "أكره أن تقول العرب لما ظفر بأصحابه أقبل يقتلهم"؛ وأن يخاف من يريد الدخول في الإسلام أن يقتل مع إظهاره الإسلام كما قتل كما قتل غيره. وقد كان أيضا يغضب لقتل بعضهم قبيلته وناس آخرون فيكون ذلك سببا للفتنة. واعتبر ذلك بما جرى في قصة عبد الله بن أبي لما عرض سعد بن معاذ بقتله خاصم له أناس صالحون وأخذتهم الحمية حتى سكتهم رسول الله صلى الله عليه وسلم وقد بين ذلك رسول الله صلى الله عليه وسلم لما استأذنه عمر في قتل ابن أبي. قال أصحابنا: ونحن الآن إذا خفنا مثل ذلك كففنا عن القتل" (As-Sârim, pp. 357-358) (voir aussi pp. 178-179). C'est ce que, parlant de la différence entre l'époque du Prophète et celle de ses 3 premiers califes [la situation n'étant évidemment plus la même aujourd'hui], Hudhayfa avait exprimé en ces termes : "عن حذيفة، قال: "إنما كان النفاق على عهد النبي صلى الله عليه وسلم؛ فأما اليوم فإنما هو الكفر بعد الإيمان" (al-Bukhârî, 6697). Ibn Hajar écrit : "والذي يظهر أن حذيفة لم يرد نفي الوقوع وإنما أراد نفي اتفاق الحكم. لأن النفاق إظهار الإيمان وإخفاء الكفر ووجود ذلك ممكن في كل عصر. وإنما اختلف الحكم لأن النبي صلى الله عليه وسلم كان يتألفهم ويقبل ما أظهروه من الإسلام ولو ظهر منهم احتمال* خلافه؛ وأما بعده فمن أظهر شيئا فإنه يؤاخذ به ولا يترك لمصلحة التألف لعدم الاحتياج إلى ذلك" (FB 13) [كان ينبغي أن يقول: *ولو ثبت منهم خلافه]. Il y a aussi cet autre propos de Hudhayfa : "عن حذيفة بن اليمان، قال: "إن المنافقين اليوم شر منهم على عهد النبي صلى الله عليه وسلم: كانوا يومئذ يسرون؛ واليوم يجهرون" (al-Bukhârî, 6696). Ibn Hajar écrit : "ويشهد لما قال ابن بطال ما أخرجه البزار من طريق عاصم عن أبي وائل: قلت لحذيفة: النفاق اليوم شر أم على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم؟ قال فضرب بيده على جبهته وقال: أوه هو اليوم ظاهر؛ إنهم كانوا يستخفون على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم" (FB 13).
Dans le récit de Abdullâh ibn Ubayy, ces deux causes a et b furent réunies :
– le propos ne fut pas prouvé au niveau voulu sur le plan juridique (a) ;
– et il y avait crainte qu'une sanction entraîne les effets suivants : "faire fuir des gens de l'islam, provoquer chez d'autres l'apostasie, et amener des gens à exprimer la guerre et la sédition" (b).
Ibn Taymiyya a également cité ces deux causes in As-Sârim, p. 354.
Dans le récit de Dhu-l-Khuwayssira :
– la cause a n'était pas présente, puisque le propos fut prononcé devant plusieurs personnes, et ne présentait donc aucun doute sur le plan juridique ;
– ce fut la cause b qui entraîna la non-application d'une sanction par le Prophète (As-Sârim, pp. 178-179) ;
– si, avant de le prononcer, Dhu-l-Khuwayssira ne pensait pas que son propos était de kufr akbar, le Prophète (sur lui soit la paix) lui expliqua que son propos était totalement contraire au fait de le suivre, lui, en tant que prophète ; mais, au lieu de s'excuser, il tourna le dos et partit : soit la réponse du Prophète (sur lui soit la paix) fut suffisante pour que iqâmat ul-hujja ait eu lieu ; soit le Prophète (sur lui soit la paix) considéra qu'il fallait lui expliquer davantage pour que iqâmat ul-hujja ait lieu (nous y reviendrons plus bas, en A.C).
Poser cette question revient à se demander si, même après le décès du Prophète, il serait possible que l'autorité n'applique pas une sanction pour cause de ridda muqtarina bi-s-sabb si seule cette maslaha b est présente (la crainte d'une mafsada plus grande encore) ?
La réponse semble être – wallâhu a'lam – "Oui", car Ibn Taymiyya, évoquant les raisons ayant amené le Prophète à, de façon générale et non plus seulement dans le cas particulier de Abdullâh ibn Ubayy, ne pas appliquer de sanction, a employé la conjonction "ou" ("أوْ") (p. 358) quand il a écrit :
"قال أصحابنا: ونحن الآن إذا خفنا مثل ذلك كففنا عن القتل.
فحاصله أن الحد لم يقم على واحد بعينه لعدم ظهوره بالحجة الشرعية التي يعلمه بها الخاص والعام [أ] أو لعدم إمكان إقامته إلا مع تنفير أقوام عن الدخول في الإسلام وارتداد آخرين عنه وإظهار قوم من الحرب والفتنة ما يربى فساده على فساد ترك قتل منافق [ب]. وهذان المعنيان حكمهما باق إلى يومنا هذا. إلا في شيء واحد وهو أنه صلى الله عليه وسلم ربما خاف أن يظن الظان أنه يقتل أصحابه لغرض آخر مثل أغراض الملوك فهذا منتف اليوم".
"Les nôtres [= les hanbalites] ont dit : "Maintenant (aussi), si nous craignons chose semblable, nous nous retiendrons d'exécuter".
Le résumé est que la sanction n'a pas été appliquée sur l'un d'eux,
– [a] parce que (son propos) n'est pas apparu selon le (degré) de la preuve légale par laquelle les érudits et le commun le reconnaissent ;
– ou bien [b] parce qu'il n'était possible d'appliquer (cette sanction) qu'avec [comme effets] de faire fuir des gens de l'islam, de provoquer chez d'autres l'apostasie, et d'(amener) des gens à exprimer la guerre et la sédition, choses dont le fassâd est plus grand que le fassâd de délaisser l'exécution d'un Hypocrite [ayant exprimé qu'il est un kâfir].
Ces deux causes [a et b] demeurent jusqu'à aujourd'hui"(As-Sârim, p. 358).
Ibn Taymiyya poursuit :
"فحيث ما كان للمنافق ظهور وتخاف من إقامة الحد عليه فتنة أكبر من بقائه عملنا بآية {ودع أذاهم} (...). فهذا يبين أن الإمساك عن قتل من أظهر نفاقه بكتاب الله على عهد رسوله عليه الصلاة والسلام، إذ لا نسخ بعده؛ ولم ندع أن الحكم تغير بعده لتغيرالمصلحة من غير وحي نزل" :
"Là où le Munâfiq dispose d'une puissance et que l'on craint, par l'application de la peine sur lui, un trouble (fitna) plus grand que (celui qu'il y a) dans le fait qu'il demeure (ainsi), nous agirons selon le verset : "Délaisse le tort qu'ils font" (…). Ceci montre que le fait de ne rien faire à celui qui a exprimé son Nifâq, (cela s'est fait) sur la base du Coran, (révélé) à l'époque du Prophète (sur lui soit la paix). Car il n'y a pas d'abrogation après lui. Et nous n'avons pas prétendu que la règle a changé après lui pour cause de changement de maslaha sans [que ce conditionnement de la règle à cette maslaha] ait été fait sur la base d'une révélation descendue" (As-Sârim, pp. 359-360).
Ce propos montre que, d'après les hanbalites, même après le décès du Prophète, l'autorité musulmane n'appliquera pas de sanction :
– à un cas semblable à celui mentionné dans le récit de Abdullâh ibn Ubayy, où le propos n'est pas prouvé au niveau juridique voulu (a),
– mais également à un cas semblable à celui de Dhu-l-Khuwayssira, où le propos est prouvé sur le plan juridique, mais où l'application de la sanction entraînerait une mafsada conséquente (b). Aujourd'hui encore, en cas de manque de respect à la mémoire du Prophète, s'il y a une mafsada plus grande à appliquer la sanction, celle-ci ne sera donc pas appliquée.
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Cependant, 2 questions demeurent ici :
– Les 3 éléments susmentionnés ("faire fuir des gens de l'islam, provoquer chez d'autres l'apostasie, et amener des gens à exprimer la guerre et la sédition") doivent-ils être tous les 3 réunis pour constituer la cause b, ou bien la présence de n'importe lequel des 3 est-elle suffisante ?
Je ne sais pas (لا أدري).
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– Cette possibilité de non-application de la sanction pour cette cause b (cela est susceptible d'engendrer les effets négatifs susmentionnés : faire fuir les gens de l'islam, etc.), cela est-il restreint aux cas de Ridda Muqtarina bi-s-Sabb ?
Ou bien cela concerne-t-il tous les cas de Ridda où la personne demeure muntassib ila-l-islâm (comme ce fut le cas dans les affaires Abdullâh ibn Ubayy et Dhu-l-Khuwayssira) ? Al-Bukhârî, qui est d'avis que les Kharijites furent des apostats, écrit : "باب قتل الخوارج والملحدين بعد إقامة الحجة عليهم", puis : "باب من ترك قتال الخوارج للتألف وأن لا ينفر الناس عنه" (Al-Jâmi' us-sahîh).
Ou bien cela est-il, de façon plus générale, également "extensible" à la Ridda où la personne abandonne clairement l'islam (et éventuellement embrasse ouvertement une autre religion que l'islam) ?
Ou est-ce que, de façon plus générale encore, cette possibilité concerne toute peine capitale ?
Ou même toute sanction tout court ?
Je ne sais pas (لا أدري).
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--- Personnellement, et bien que n'étant qu'un petit tâlib ul-'ilm, je trouve quelque peu singulière l'explication de Cheikh ul-islam disant que :
--- dans le cas d'une Ridda mujarrada, si persistance dans la Ridda il y avait, le Prophète (sur lui soit la paix) n'avait pas le choix de ne pas appliquer la sanction ;
--- par contre, vu que le Prophète (sur lui soit la paix) avait le droit d'excuser le Sabb (ce qui est vrai, car c'est son droit personnel), il put ne pas appliquer de sanction non pas seulement vis-à-vis de non-musulmans ayant fait son Sabb, mais aussi vis-à-vis de musulmans l'ayant fait : ces derniers commirent donc une Ridda muqtarina bi-s-sabb, mais le Prophète pouvait ne pas appliquer de sanction, car c'était "le Sabb qui domine", bien qu'il y avait aussi Ridda.
Je trouve cela quelque peu singulier.
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--- Est-ce qu'un grand 'âlim aurait avancé l'une des deux autres (possibles) explications suivantes ?
--- A.C) distinguer Ridda par abandon pur et simple de l'islam, et Ridda par une parole de kufr malgré que l'on se réclame toujours de l'islam, et justifier la non-application d'une sanction à Dhu-l-Khuwayssira par le fait que...
... par le fait que :
------ en ce qui concerne la Ridda par l'abandon pur et simple de l'islam, il y a besoin de Istitâba, mais pas de Iqâmat ul-hujja, avant d'appliquer la sanction ;
------ tandis que pour ce qui est de la Ridda par une parole de Kufr Akbar alors même qu'on continue à se réclamer de l'islam, il faut (tant qu'il ne s'agit pas du rejet pur et simple du contenu de l'un des deux témoignages de foi) une Iqâmat ul-hujja avant que la personne soit qualifiée de Kâfir, car il y a la possibilité qu'elle ignorait que sa parole est mauvaise.
Dans le cas du Sabb fait par Dhu-l-Khuwayssira, le Prophète (sur lui soit la paix) aurait considéré, par précaution, ihtiyâtan, que Iqâmat ul-hujja n'avait pas encore été réalisée. L'attitude de Dhu-l-Khuwayssira était gravissime, mais le Prophète, par précaution, aurait préféré ne pas lui appliquer tel quel le hukm de "kâfir".
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--- A.D) élargir à toute Ridda (donc à la Ridda Mujarrada aussi) la possibilité de prendre en considération la Mafsada avant d'appliquer une quelconque sanction :
La prise en considération de la Mafsada, que le Prophète a faite dans le cas de Dhu-l-Khuwayssira, il l'aurait alors faite parce que cela est possible pour tout cas de Ridda.
Il est possible qu'une sanction pour apostasie avait déjà été fixée avant le Pacte de al-Hudaybiya. Mais le récit (déjà cité plus haut) relatant la réponse du Prophète à ses Compagnons s'étonnant d'une des clauses pourrait exprimer la possible prise en compte de la Maslaha et de la Mafsada avant l'application de la sanction pour apostasie. En effet, des Compagnons s'exclamèrent : "Messager de Dieu, nous écririons cela ?", et le Prophète répondit : "Oui. Celui qui nous aura quittés pour partir auprès d'eux, Dieu l'aura éloigné. Et celui qui aura cherché à nous rejoindre, Dieu créera pour lui une porte de sortie" : "عن أنس، أن قريشا صالحوا النبي صلى الله عليه وسلم فيهم سهيل بن عمرو، فقال النبي صلى الله عليه وسلم لعلي: اكتب: "بسم الله الرحمن الرحيم". قال سهيل: أما باسم الله، فما ندري ما "بسم الله الرحمن الرحيم"! ولكن اكتب ما نعرف: "باسمك اللهم". فقال: اكتب "من محمد رسول الله". قالوا: لو علمنا أنك رسول الله لاتبعناك، ولكن اكتب اسمك واسم أبيك. فقال النبي صلى الله عليه وسلم: اكتب: "من محمد بن عبد الله". فاشترطوا على النبي صلى الله عليه وسلم أنّ مَن جاء منكم لم نرده عليكم، ومَن جاءكم منا رددتموه علينا. فقالوا: يا رسول الله، أنكتب هذا؟ قال: نعم، إنه من ذهب منا إليهم فأبعده الله؛ ومن جاءنا منهم سيجعل الله له فرجا ومخرجا" (Muslim, 1784).
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– B) Enfin, si on considère l'avis de al-'Awwâ (selon qui il y a, face à l'apostasie, uniquement une ta'zîr, sanction laissée à l'appréciation de l'autorité de la Dâr ul-islam), alors on peut avancer l'explication suivante (bien que al-'Awwâ ne l'ait pas formulée) :
La sanction pour apostasie avait peut-être déjà été instituée au moment de l'affaire Dhu-l-Khuwayssira, mais il s'agit d'une sanction de type ta'zîr et non pas d'une sanction fixe.
Et la maslaha que le Prophète (sur lui soit la paix) a mise en exergue fut : "Je cherche la protection de Dieu contre le fait que les gens disent que je fais tuer ceux qui sont dans ma compagnie" / "Que les gens ne disent pas que Muhammad exécutait ceux dans sa compagnie !".
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).