Dans le Coran on trouve, pour désigner : "l'argument", "la preuve", les termes : "Hujjah", "Bayyina", "Bur'hân", "Sultân", "Âyah" (dans l'une des utilisations du terme), et également : "'Ilm" (mais uniquement lorsque ce terme a le sens de "Mâ bihî al-'ilm", comme nous le verrons plus bas, en II).
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I) Introduction :
Le Coran a énoncé un certain nombre de choses :
--- des informations (khabar, pluriel : akhbâr) (qu'elle soit liée au passé, au présent – relevant de l'Invisible, ou de la description de choses de l'univers – ou au futur – relevant de la vie dernière, ou de choses devant survenir sur Terre –) ;
--- et des injonctions (talab, pluriel : talabât) (qu'elle soit liée à des croyances, ou à des actions – que celles-ci soient du domaine de l'obligation ou de l'interdit, soient relatives à un objet licite ou illicite quant à l'action en question –).
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Mais ce qu'il a ainsi énoncé, le Coran en a-t-il présenté aussi un argument allant dans le sens de sa véracité, Sidq (dans le cas d'une information), ou de sa justesse, 'Adl (dans le cas d'une injonction) ?
Pour ce qui est informations liées au futur (par exemple la Géhenne dira telle chose le Jour du Jugement), il va de soi que le Coran ne fournit pas l'argumentation qui l'étayerait.
La question de la preuve et de l'argument ne se pose que pour les informations liées au passé et au présent, ainsi que pour les injonctions...
– Il faut rappeler que quand on utilise ici le terme "preuve", ce n'est pas au sens mathématique, ou encore juridique, du terme. L'islam aussi enseigne que dans le domaine du Droit pénal, par exemple, il faut une preuve pour établir la culpabilité de celui qui est soupçonné comme étant le coupable du meurtre : cette fois, le terme "preuve" est bien au sens juridique : il s'agit soit d'un aveu, soit de quelque chose de palpable (même s'il reste toujours une infime possibilité qu'il y ait une erreur – "Il a avoué pour couvrir quelqu'un d'autre", ou : "Quelqu'un d'autre a fabriqué des preuves accablantes contre lui" –, la "preuve" est ici quelque chose d'audible, ou de visible).
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– A la différence de la preuve de l'énoncé coranique dont nous parlons ici : il s'agit, ici, non pas d'une preuve juridique, mais d'une argumentation supplémentaire à l'énoncé ; on pourrait parler, par rapport à la Raison Pure, d'un faisceau d'indices forts s'adressant à elle.
Le fait est que le Coran traite de choses concrètes aussi, mais s'enracine en la foi en des choses relevant de l'Invisible : l'homme est mis à l'épreuve de croire ou de ne pas croire. Il ne peut donc pas s'agir d'une preuve d'ordre mathématique.
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– A) Certaines de ces choses qu'il a énoncées, le Coran en a effectivement avancé un argument (دليل سمعي), argument au contenu externe au seul énoncé qu'il en a fait :
--- A.a) Soit un Argument d'ordre 'Aqla-Qalbî (دليل عقْلَـقَلْبِيّ) (s'adressant au Raisonnement fait avec l'accompagnement du Cœur).
C'est le cas dans ce verset, qui, énonçant l'inexistence de rabb inférieurs (des êtres qui auraient, à un moment donné, reçu de Dieu l'attribution de la gestion autonome de quelque chose dans l'univers), présente un argument rationnel : "أَمِ اتَّخَذُوا آلِهَةً مِّنَ الْأَرْضِ هُمْ يُنشِرُونَ لَوْ كَانَ فِيهِمَا آلِهَةٌ إِلَّا اللَّهُ لَفَسَدَتَا" : "Si dans les (cieux et sur la Terre) il y avait des divinités autres que Dieu, les (cieux et Terre) deviendraient gâchées" (Coran 21/22) ; "وقال غيره: أي لو كان فيهما إلهان لفسد التدبير، لأن أحدهما إن أراد شيئا والآخر ضده كان أحدهما عاجزا. وقيل: معنى" لفسدتا" أي خربتا وهلك من فيهما بوقوع التنازع بالاختلاف الواقع بين الشركاء" (Tafsîr ul-Qurtubî). Voilà quelque chose qui est vérifiable dans le Réel (lequel est externe au Coran) : "Or on constate que les cieux et la terre fonctionnent harmonieusement de façon permanente. Aussi on voit là une preuve supplémentaire au fait qu'il n'y existe pas plusieurs gérants, même pour des domaines différents".
C'est aussi le cas dans cet autre verset : "مَا اتَّخَذَ اللَّهُ مِن وَلَدٍ وَمَا كَانَ مَعَهُ مِنْ إِلَهٍ إِذًا لَّذَهَبَ كُلُّ إِلَهٍ بِمَا خَلَقَ وَلَعَلَا بَعْضُهُمْ عَلَى بَعْضٍ سُبْحَانَ اللَّهِ عَمَّا يَصِفُونَ" : "Dieu n'a pas pris d'enfant [= enfant divinisé], et il n'y a pas (non plus) avec Lui un (autre type de) divinité [= une divinité n'étant pas Son enfant] ; sinon chaque divinité [n'étant pas enfant de Dieu] s'en irait avec ce qu'elle a créé, et l'une dominerait l'autre" (Coran 23/91). Ici, la croyance de Polythéistes en "اتّخَاذ اللّه وَلَدًا" désignerait leur croyance en des "divinités n'ayant la capacité que de créer certains événements (a'râdh, pluriel de 'aradh)", tandis que leur croyance en "وجود شركاء للّه فِي الْمُلْكِ" désignerait leur croyance en des "divinités ayant la capacité de créer des créatures concrètes (a'yân, pluriel de 'ayn), distinctes des créatures d'autres divinités"... Dieu argumente en disant que si ces divinités créaient des créatures, alors chacune d'elles se rangerait avec ses créatures à elle et chercherait à dominer l'autre. Il est question ici de disputes qui surviendraient entre ces divinités inférieures elles-mêmes. "إِذًا لَذَهَبَ} يقول: إذن لاعتزل كل إله منهم {بِمَا خَلَقَ} من شيء، فانفرد به، ولتغالبوا، فلعلا بعضهم على بعض، وغلب القويّ منهم الضعيف؛ لأن القويّ لا يرضى أن يعلوه ضعيف، والضعيف لا يصلح أن يكون إلها. فسبحان الله، ما أبلغها من حجة وأوجزها لمن عقل وتدبر" (Tafsîr ut-Tabarî). "ما اتخذ الله من ولد وما كان معه من إله، إذا لذهب كل إله بما خلق، ولعلا بعضهم على بعض} لأنه يجب أن يتخالفا بالذات، وإلا لما تصور العدد؛ والمتخالفان بالذات يجب أن يتخالفا في الأفعال، فيذهب كل بما خلقه، ويستبد به، ويظهر بينهم التحارب والتغالب، فيفسد نظام الكون، كما تقدم بيانه في آية {لو كان فيهما آلهة إلا الله لفسدتا" (Mahâssin ut-ta'wîl).
Le Coran dit que Jésus et Marie ne sont que des êtres humains, et pas des divinités : "مَّا الْمَسِيحُ ابْنُ مَرْيَمَ إِلاَّ رَسُولٌ قَدْ خَلَتْ مِن قَبْلِهِ الرُّسُلُ وَأُمُّهُ صِدِّيقَةٌ" : "Le Messie fils de Marie n'est qu'un messager ; d'autres messagers ont passé avant lui. Et sa mère est une très pieuse", et argumente ainsi : "كَانَا يَأْكُلاَنِ الطَّعَامَ انظُرْ كَيْفَ نُبَيِّنُ لَهُمُ الآيَاتِ ثُمَّ انظُرْ أَنَّى يُؤْفَكُونَ" : "Ils mangeaient tous deux de la nourriture. Regarde comment Nous leur exposons les Signes, ensuite regarde comment sont-ils détournés" (Coran 5/75). Or, sur Terre, qui mange de la nourriture doit éliminer de son corps les déchets résultant de la digestion. Et c'était bien le cas de Jésus et de Marie (comme de tous les prophètes et les pieux). Ceux qui sont ainsi ne peuvent donc pas être divins ! Les "Signes" mentionnés dans ce dernier verset sont ce genre d'"Arguments s'adressant à la Raison"...
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--- A.b) Soit un Argument d'ordre Naqlî / Sam'î (دليل سمْعيّ ونقْليّ) : il s'agit du contenu des messages prophétiques.
C'est le cas dans ce verset, qui présente comme argument supplémentaire au Monothéisme prêché par le prophète Muhammad, sur lui soit la paix : le fait que tous les prophètes ont prêché cela avant lui : "أَمِ اتَّخَذُوا مِن دُونِهِ آلِهَةً قُلْ هَاتُوا بُرْهَانَكُمْ هَذَا ذِكْرُ مَن مَّعِيَ وَذِكْرُ مَن قَبْلِي بَلْ أَكْثَرُهُمْ لَا يَعْلَمُونَ الْحَقَّ فَهُم مُّعْرِضُونَ وَمَا أَرْسَلْنَا مِن قَبْلِكَ مِن رَّسُولٍ إِلَّا نُوحِي إِلَيْهِ أَنَّهُ لَا إِلَهَ إِلَّا أَنَا فَاعْبُدُونِ" (Coran 21/24-25).
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– B) D'autres fois, le Coran fait valoir que c'est celui qui affirme chose contraire à ce qu'il énonce qui n'a pas de preuve de ce qu'il affirme :
Ainsi en est-il du verset 46/4, où, aux Polythéistes, au sujet de ceux qu'ils invoquent en dehors de Dieu : "قُلْ أَرَأَيْتُم مَّا تَدْعُونَ مِن دُونِ اللَّهِ" : "Dis : "Avez-vous considéré ceux que vous invoquez en dehors de Dieu", le Coran demande une preuve qu'ils disposent bien de (quelque chose de) la Rubûbiyya :
--- un Argument d'ordre Aqla-Qalbî : "أَرُونِي مَاذَا خَلَقُوا مِنَ الْأَرْضِ أَمْ لَهُمْ شِرْكٌ فِي السَّمَاوَاتِ" : "Montrez-moi ce qu'ils ont créé de la Terre ; ou bien ont-ils une part [de propriété] dans les cieux ?" ("أي أم لهم شركة مع الله في خلقها أو ملكها أو التصرف فيها حتى يستحقوا بذلك الشركة في الإلهية" : Tafsîr Abi-s-Sa'ûd) ;
--- ou bien une Preuve d'ordre Naqlî / Sam'î : "اِئْتُونِي بِكِتَابٍ مِّن قَبْلِ هَذَا أَوْ أَثَارَةٍ مِّنْ عِلْمٍ إِن كُنتُمْ صَادِقِينَ" : "Apportez-moi une Ecriture [d'origine divine] d'avant ce [Coran], ou une preuve [d'origine divine] (vous) étant particulière [qui montre qu'invoquer ces êtres est chose que Dieu agrée], si vous êtes véridiques (dans ce que vous prétendez)".
Ainsi en est-il encore du passage où le Coran énonce que Jésus fils de Marie n'a pas été tué ni crucifié : "وَمَا قَتَلُوهُ وَمَا صَلَبُوهُ وَلَكِن شُبِّهَ َهُمْ" : "Or ils ne l'ont pas (fait) tuer, ni ne l'ont (fait) crucifier, mais l'affaire leur a été rendue confuse", et, plus loin : " وَمَا قَتَلُوهُ يَقِينًا بَل رَّفَعَهُ اللّهُ إِلَيْهِ وَكَانَ اللّهُ عَزِيزًا حَكِيمًا" : "Et certainement ils ne l'ont pas (fait) tuer, mais Dieu l'a élevé à Lui. Et Dieu est Puissant, Sage", et argumente en faisant seulement valoir que ceux qui affirment l'autre assertion n'en ont pas de preuve : "مَا لَهُم بِهِ مِنْ عِلْمٍ إِلاَّ اتِّبَاعَ الظَّنِّ" : "ils n'ont de cela pas de preuve, mais suivent ce qui ne confère que la conjecture" (Coran 4/157-158).
Peu avant, dans le même passage, il relatait : "وَإِنَّ الَّذِينَ اخْتَلَفُواْ فِيهِ لَفِي شَكٍّ مِّنْهُ" : "Et ceux qui ont divergé à son sujet sont dans un doute par rapport à cela" ; référence est peut-être faite ici aux divergences qui ont existé avant, et après la venue de l'islam, entre des groupes quant à ce qu'il est advenu de Jésus : parmi les chrétiens, les Bazilidiens, les Corinthiens et les Carpocratiens disaient que Jésus n'avait pas été crucifié. Avant que le Coran soit révélé, les deux assertions ("Jésus a été crucifié" et "Ce n'est pas Jésus qui a été crucifié") avaient cours chez les hommes, et étaient, pour la plupart des hommes, toutes deux de niveau Zannî (il est même possible que certains Apôtres de Jésus aient adhéré à la première assertion). Le Coran, par son affirmation citée ci-dessus, est venu établir de façon Qat'î que c'est la seconde assertion qui est vraie : le Coran a apporté la preuve purement Sam'î que Jésus n'a pas été crucifié. Lire notre article : Le Coran dit que Jésus n'a pas été crucifié.
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– C) Cependant, certaines autres choses que le Coran a évoqué, il n'en a pas du tout avancé d'argument :
Et cela car...
--- C.a) Soit cela était déjà établi avant la venue du Coran (et le Coran s'est seulement appuyé sur ce fait établi, afin d'argumenter pour établir d'autres choses).
En effet :
------- C.a.a) soit cette vérité était déjà établie dans le 'Aql bi-l-Qalb (min al-Badîhiyyât al-Fit'riyyât) (il s'agit de la reconnaissance des Ma'rûf et Munkar du type classé "1.1" dans notre article relatif aux différents types de Ma'rûf et Munkar). Ainsi en est-il de l'existence de Dieu le Créateur (en arabe : "Allah"), connue et reconnue de façon naturelle par les humains dans leur grande majorité (même s'il est vrai que certains d'entre eux n'y croient pas, et demandent pour leur part une argumentation sur le sujet) ;
------- C.a.b) soit cette vérité était déjà connue et reconnue par beaucoup d'êtres humains (min al-Mash'hûrât). Ainsi, l'existence des anges (créatures belles et lumineuses) et des esprits (en arabe : "djinns") est quelque chose qui est connu et reconnu par énormément d'humains sur Terre ; même le Pharaon de l'époque de Moïse croyait en l'existence des anges ("أَمْ أَنَا خَيْرٌ مِّنْ هَذَا الَّذِي هُوَ مَهِينٌ وَلَا يَكَادُ يُبِينُ فَلَوْلَا أُلْقِيَ عَلَيْهِ أَسْوِرَةٌ مِّن ذَهَبٍ أَوْ جَاء مَعَهُ الْمَلَائِكَةُ مُقْتَرِنِينَ" : Coran 43/52-53) ;
------- C.a.c) soit cette vérité était déjà connue et reconnue par les humains précis avec lesquels ce passage du Coran débat (min Mussallamât il-khasm). Ainsi en est-il de la partie du monothéisme consistant à croire que c'est Dieu Seul qui a créé les cieux, la Terre et les humains : cette parcelle du monothéisme (hâdha-l-juz' min asli tawhîd illâh), les Polythéistes Arabes y adhéraient déjà, et le Coran dit à leur sujet : "وَلَئِن سَأَلْتَهُم مَّنْ خَلَقَ السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضَ وَسَخَّرَ الشَّمْسَ وَالْقَمَرَ؟ لَيَقُولُنَّ اللَّهُ! فَأَنَّى يُؤْفَكُونَ" : "Et si tu leur demandes : "Qui a créé les cieux et la Terre et a assujetti le soleil et la lune ?", ils diront : "C'est Dieu". Où sont-ils donc détournés ?" (Coran 29/61). "وَلَئِن سَأَلْتَهُم مَّنْ خَلَقَهُمْ لَيَقُولُنَّ اللَّهُ! فَأَنَّى يُؤْفَكُونَ" : "Et si tu leur demandes qui les a créés, ils diront : "C'est Dieu". Où sont-ils donc détournés ?" (Coran 43/87).
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--- C.b) Soit c'est le Coran lui-même qui l'a énoncé, et il s'est contenté de l'énoncer, sans en apporter de Hujja :
------- C.b.a) soit parce que l'information donnée (khabar) relève de l'Invisible. Ainsi, le Coran affirme-t-il que les anges lancent des projectiles sur des djinns venus écouter tour près du ciel les informations ;
------- C.b.b) soit le texte du Coran fait valoir que l'injonction (talab) communiquée, c'est Dieu qui en a décidé ainsi. Ainsi en est-il du caractère "licite" du bénéfice perçu sur une vente classique (marchandise contre monnaie), mais du caractère "illicite" de l'intérêt perçu sur un prêt de monnaie : "الَّذِينَ يَأْكُلُونَ الرِّبَا لاَ يَقُومُونَ إِلاَّ كَمَا يَقُومُ الَّذِي يَتَخَبَّطُهُ الشَّيْطَانُ مِنَ الْمَسِّ ذَلِكَ بِأَنَّهُمْ قَالُواْ إِنَّمَا الْبَيْعُ مِثْلُ الرِّبَا وَأَحَلَّ اللّهُ الْبَيْعَ وَحَرَّمَ الرِّبَا" (Coran 2/275). Ici, pas d'argument, le propos est tranché : c'est Dieu qui a décrété ainsi. Par contre, rationnellement parlant il est possible à l'homme d'argumenter en faveur de l'énoncé de Dieu : "L'intérêt est une mauvaise chose pour telle et telle raison, vérifiables ainsi et ainsi" : les travaux de l'économiste Keynes vont dans ce sens.
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– D) Entre les cas A et B d'une part, et le cas C d'autre part, il y a les cas quelque peu intermédiaires, où le Coran présente bien l'argument de ce qu'il énonce, mais, rationnellement parlant, cet argument n'est pas vérifiable, ou pas complètement vérifiable, par le lecteur : ce n'est pas que cela serait irrationnel, c'est que cela est au-delà de ce que la Raison du lecteur peut trouver d'elle-même :
--- D.a) soit parce que le contenu de l'argument relève de l'Invisible.
Ainsi, le Coran blâme le fait que des humains aient divinisé des anges, ou des djinns convertis au monothéisme, ou des prophètes décédés, en leur adressant des invocations, et argumente en faisant valoir que ces créatures n'entendent même pas les invocations que ces polythéistes croient leur faire parvenir en les appelant : "وَالَّذِينَ تَدْعُونَ مِنْ دُونِهِ مَا يَمْلِكُونَ مِنْ قِطْمِيرٍ إِنْ تَدْعُوهُمْ لَا يَسْمَعُوا دُعَاءَكُمْ؛ وَلَوْ سَمِعُوا مَا اسْتَجَابُوا لَكُمْ؛ وَيَوْمَ الْقِيَامَةِ يَكْفُرُونَ بِشِرْكِكُمْ" (Coran 35/13-14). Or le lecteur qui est sceptique pourrait contester que ces créatures ne l'entendent pas quand il l'invoque ! En fait il s'agit, ici, d'une argumentation par simple énonciation, par Dieu, d'une réalité inaccessible pour l'homme.
Ainsi encore, un autre verset blâme lui aussi le fait que des humains invoquent les mêmes types de créatures, avec cette fois comme argument que ces créatures elles-mêmes cherchent à se rapprocher de Dieu, qu'elles espèrent Sa Miséricorde et qu'elles redoutent Son châtiment : le verset veut dire qu'elles sont donc dans une posture de soumission complète à Dieu, L'espérant et Le craignant, et non pas dans celle de divinités établies, recevant de leurs adorateurs des invocations et s'occupant d'exaucer leurs demandes : "قُلِ ادْعُواْ الَّذِينَ زَعَمْتُم مِّن دُونِهِ فَلاَ يَمْلِكُونَ كَشْفَ الضُّرِّ عَنكُمْ وَلاَ تَحْوِيلاً أُولَئِكَ الَّذِينَ يَدْعُونَ يَبْتَغُونَ إِلَى رَبِّهِمُ الْوَسِيلَةَ أَيُّهُمْ أَقْرَبُ وَيَرْجُونَ رَحْمَتَهُ وَيَخَافُونَ عَذَابَهُ إِنَّ عَذَابَ رَبِّكَ كَانَ مَحْذُورًا" (Coran 17/56-57). Or pour l'homme qui n'est pas convaincu, il est impossible de vérifier rationnellement que les anges, les djinns croyants et les prophètes décédés cherchent bien à se rapprocher de Dieu ;
--- D.b) soit l'argument concerne une injonction (talab), et relève une nouvelle fois du simple énoncé d'un jugement de valeur de la part de Dieu quant à l'action.
Ainsi, le Coran ordonne de ne pas s'approcher de la fornication, car celle-ci est "quelque chose de grave", et elle "est mauvaise comme voie" : "وَلاَ تَقْرَبُواْ الزِّنَى إِنَّهُ كَانَ فَاحِشَةً وَسَاء سَبِيلاً" (Coran 17/32). L'interdiction de s'approcher de la fornication a été justifiée ici par le fait qu'elle constitue quelque chose de grave et une mauvaise voie. Or cette justification elle-même relève de l'énoncé péremptoire : un sceptique pourrait contester cette cause de l'interdiction, en disant : "Moi je trouve que c'est au contraire une très bonne voie, à condition que cela soit fait avec consentement mutuel". Par contre, de nouveau ici, rationnellement parlant il est possible pour un autre homme d'argumenter en faveur de l'énoncé de Dieu : "La fornication est une mauvaise voie de satisfaction du désir amoureux pour telle et telle raisons, vérifiables ainsi et ainsi."
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Ce au sujet de quoi le Coran n'a pas argumenté pour prouver ce qu'il a énoncé (C, et aussi D), quelle preuve a-t-on de sa véracité ou de sa justesse ?
La réponse est que le Coran forme un tout. Vu que, pour le Coran en lui-même, l'homme qui veut croire dispose par ailleurs de la preuve de son origine divine, et ce par des preuves internes à, et externes au Coran, les éléments du type C et D aussi, cet homme les accepte comme étant sûrs et certains.
Lire nos deux articles :
--- Quelles preuves a-t-on de l'origine divine du Coran ? (إعجاز القرآن) ;
--- Les signes permettant de distinguer le vrai du faux prophète.
Par ailleurs, que cela se rapporte à des informations - liées au passé, au présent ou au futur - données par le Coran, ou à des injonctions communiquées par le Coran : ce qui se révèle au fur et à mesure à la connaissance des humains dans la Création divine, cela étaye ce que la Révélation divine énonçait : "سَنُرِيهِمْ آيَاتِنَا فِي الْآفَاقِ وَفِي أَنفُسِهِمْ حَتَّى يَتَبَيَّنَ لَهُمْ أَنَّهُ الْحَقُّ" : "Nous allons leur montrer Nos signes dans les horizons et en eux-mêmes jusqu'à ce qu'il leur devienne évident que ceci [= le Coran] est la vérité" (Coran 41/53).
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Ibn Taymiyya écrit : "والعلم: ما قام عليه الدليل. والنافع منه: ما جاء به الرسول. وقد يكون علم من غير الرسول، لكن في أمور دنيوية مثل الطب والحساب والفلاحة والتجارة. وأما الأمور الإلهية والمعارف الدينية فهذه العلم فيها مأخذه عن الرسول. فالرسول أعلم الخلق بها وأرغبهم في تعريف الخلق بها وأقدرهم على بيانها وتعريفها؛ فهو فوق كل أحد في العلم والقدرة والإرادة وهذه الثلاثة بها يتم المقصود. ومن سوى الرسول: إما أن يكون في علمه بها نقص أو فساد؛ وإما أن لا يكون له إرادة فيما علمه من ذلك فلم يبينه إما لرغبة وإما لرهبة وإما لغرض آخر؛ وإما أن يكون بيانه ناقصا ليس بيانه البيان عما عرفه الجنان. وبيان الرسول على وجهين: تارة يبين الأدلة العقلية الدالة عليها؛ والقرآن مملوء من الأدلة العقلية والبراهين اليقينية على المعارف الإلهية والمطالب الدينية؛ وتارة يخبر بها خبرا مجردا لما قد أقامه من الآيات البينات والدلائل اليقينيات على أنه رسول الله المبلغ عن الله وأنه لا يقول عليه إلا الحق وأن الله شهد له بذلك وأعلم عباده وأخبرهم أنه صادق مصدوق فيما بلغه عنه؛ والأدلة التي بها نعلم أنه رسول الله كثيرة متنوعة، وهي أدلة عقلية تعلم صحتها بالعقل، وهي أيضا شرعية سمعية لكن الرسول بينها ودل عليها وأرشد إليها. وجميع طوائف النظار متفقون على أن القرآن اشتمل على الأدلة العقلية في المطالب الدينية وهم يذكرون ذلك في كتبهم الأصولية وفي كتب التفسير. وعامة النظار أيضا يحتجون بـالأدلة السمعية الخبرية المجردة في المطالب الدينية فإنه إذا ثبت صدق الرسول وجب تصديقه فيما يخبر به" (MF 13/136-137).
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II) La Hujja coranique, présente dans les versets du type A, et également du type D :
--- 1) Le terme "Yaqîn", "اليقين", désigne la certitude au sujet de quelque chose (certitude que le Coran oppose au "Inkar" – "réfutation" – ainsi qu'au "Shakk", "الشكّ" – "doute" –, doute que le Coran désigne aussi parfois par le terme "Zann", "الظنّ", selon un des deux sens qu'il confère à ce terme) :
Sans Asl-ul Yaqîn, aucun Asl ul-Îmân n'est possible (même si, en sus du Yaqîn, il faut encore d'autres choses pour avoir Asl ul-Îmân).
--- "كَلَّا لَوْ تَعْلَمُونَ عِلْمَ الْيَقِينِ" : "Jamais ! Si vous saviez d'un savoir de certitude" (Coran 102/5).
--- "وَفِي الْأَرْضِ آيَاتٌ لِّلْمُوقِنِينَ وَفِي أَنفُسِكُمْ أَفَلَا تُبْصِرُونَ" : "Et sur la Terre il y a des Signes pour ceux qui (veulent) être convaincus, ainsi qu'en vous-mêmes. ne voyez-vous donc pas ?" (Coran 51/20-21).
Lire notre article : Qu'est-ce que le degré de Certitude (اليَقِيْن) dont parle le Coran, et qu'il oppose au Doute (الشَكّ) ? - Et quid du degré qu'il nomme : "الظَنّ" ?.
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--- 2) Le terme "'Ilm", "العلم" (que le Coran oppose à "Jahl") possède quant à lui plusieurs sens : l'un d'eux fait de ce terme un synonyme de "Yaqîn", "اليقين" (Shar'h ul-'Aqâ'ïd an-Nassafiyya, pp. 10-11). L'opposé du "'Ilm" est, de nouveau, le "Shakk" (ou encore le "Zann", qui, selon un des deux sens qu'il possède dans le Coran, est synonyme de "Shakk") :
Et, alors :
----- A l'origine, le terme "'Ilm", "العلم", désigne : le degré de conviction que la personne a, ce degré atteignant le Yaqîn.
----- Cependant, parfois ce terme "'Ilm", "العلم" (au sens de "Yaqîn") est en fait au sens figuré (هو مجاز) : il désigne l'argument qui est capable, en soi, de conférer le degré de certitude. Ce terme "'Ilm" a alors en fait le sens de : "Mâ bihî al-'Ilm", "ما به العلم" (c'est-à-dire : "Mâ bihî al-Yaqîn"), (تسمية السبب باسم المسبّب، أو: علاقة مسبّبيّة), autrement dit : "Hujjatun Tufîd ul-Yaqîn", "الحجة التي تفيد اليقين" :
"'Ilm" est alors synonyme de "Hujja", "Bayyina", "Bur'hân" ("Preuve"), de "Sultân" ("Argument"), de "Haqq" (au sens de : "Yaqînî, Certain").
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Et il est l'opposé de "Zann", qui signifie soit : "Action de Conjecturer, sur la base d'aucun fondement, ou sur la base d'un fondement très insuffisant" ("Fi'l uz-Zann", "فعل الظنّ") ; soit : "Indice très insuffisant, ne peut en soi conférer que ce qui est moindre que la certitude" ("Hujja Lâ Tufîd ul-Yaqîn, bal ish-Shakk", "الحجة التي لا تفيد اليقين بل إنما تفيد الشكّ").
--- "إِنَّ الَّذِينَ لَا يُؤْمِنُونَ بِالْآخِرَةِ لَيُسَمُّونَ الْمَلَائِكَةَ تَسْمِيَةَ الْأُنثَى وَمَا لَهُم بِهِ مِنْ عِلْمٍ إِن يَتَّبِعُونَ إِلَّا الظَّنَّ وَإِنَّ الظَّنَّ لَا يُغْنِي مِنَ الْحَقِّ شَيْئًا" : "Ceux qui ne croient pas en la vie dernière nomment par des noms féminins les anges. Or ils n'en ont aucune preuve. Ils ne font que suivre (leur) conjecture. Or la conjecture n'apporte rien par rapport à la vérité" (Coran 53/27-28).
--- "وَمَا قَتَلُوهُ وَمَا صَلَبُوهُ وَلَكِن شُبِّهَ َهُمْ وَإِنَّ الَّذِينَ اخْتَلَفُواْ فِيهِ لَفِي شَكٍّ مِّنْهُ؛ مَا لَهُم بِهِ مِنْ عِلْمٍ إِلاَّ اتِّبَاعَ الظَّنِّ وَمَا قَتَلُوهُ يَقِينًا بَل رَّفَعَهُ اللّهُ إِلَيْهِ وَكَانَ اللّهُ عَزِيزًا حَكِيمًا" : "Or ils ne l'ont pas (fait) tuer, ni ne l'ont (fait) crucifier, mais l'affaire leur a été rendue confuse. Et ceux qui ont divergé à son sujet sont dans un doute par rapport à cela ; ils n'en ont aucune preuve, mais suivent ce qui ne confère que la conjecture. Et certainement ils ne l'ont pas (fait) tuer, mais Dieu l'a élevé à Lui. Et Dieu est Puissant, Sage" (Coran 4/157-158).
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III) A lire ensuite :
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).