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Les règles révélées ne viennent que confirmer et protéger la conscience du bien et du mal que le cœur humain contient :
--- Il existe des Règles que le 'Aql bi-l-Qalb connaît de lui-même. Toute règle de ce niveau-là, le 'Aql bi-l-Qalb le reconnaissait déjà, et la Révélation est seulement venue le confirmer.
--- Mais il existe par ailleurs des Règles que le 'Aql bi-l-Qalb peut théoriquement connaître de lui-même, sans l'accompagnement de la Révélation, mais que dans le concret il peut difficilement parvenir à le faire. Toute Règle de ce niveau-là, il faut se référer à la Révélation pour la connaître.
--- Enfin il existe ce que la Révélation a ordonné de faire ou interdit de faire et qui, alors seulement, est devenu "bien" ou "mal".
En d'autres termes :
--- Ce que le Coran et la Sunna désignent "Ma'rûf" ou "Munkar", cela reprend et confirme le Ma'rûf et le Munkar que l'Humanité, considérée dans son ensemble, pouvait connaître d'elle-même, par le biais de son Qalb, avant même la venue de la Révélation ('Aqla-qalbî).
--- Cependant, le Coran et la Sunna induisent d'autres choses comme Ma'rûf ou Munkar : il s'agit de ce le 'Aql bi-l-Qalb aurait difficilement pu connaître à lui seul comme Ma'rûf ou comme Munkar. La Révélation est venue le lui montrer (kashf). Mais, alors, le 'Aql bi-l-Qalb le reconnaît Ma'rûf ou Munkar.
--- Enfin il existe ce que la Révélation est venue induire (inshâ') comme "Ma'rûf" ou "Munkar".
Lire notre article : Le caractère "bon" ou "mauvais" d'une action humaine précédait-il ce que la Révélation est venue "révéler" ("الوحي", "السمع", "الشرع") à son sujet ? Ou bien fait-il suite à la venue de ce dit de la Révélation à son sujet ?.
A retenir les numéros attribués aux cas de figure dans cet article-là : les règles liées à une Ratio Legis, c'est-à-dire les règles qui seront ci-après désignées comme étant : "de type A", le 'Aql bi-l-qalb trouve de lui-même celles de ces règles qui sont de type 1.1, et aurait théoriquement (mais pas aussi facilement) pu trouver de lui-même celles de ces règles qui sont du type 1.2, 1.3 ou 2.1.
Ce sont les règles du type 2.2 (lequel inclut toutes les ahkâm ta'abbudî mah'dh) dont le 'Aql bi-l-Qalb ne peut pas trouver la Ratio Legis (bien que ces règles soient bien, elles aussi, liées à une Ratio Legis), c'est-à-dire les règles qui seront ci-après désignées comme étant : "de type B". "وبالجملة فللشارع في أحكام العبادات أسرار لا تهتدي العقول إلى إدراكها على وجه التفصيل، وإن أدركتها جملة" (A'lâm ul-muwaqqi'în, 2/67).
Pour leur part, les règles du type 3 ne sont pas du tout liées à une Ratio Legis ; la révélation a décrété leur caractère "bon" ou "mauvais" par simple mesure de "mise à l'épreuve".
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La grande majorité des règles (ahkâm) que la Révélation a communiquées au sujet des actions humaines sont donc dues au fait que chacune de ces actions renferme telle propriété particulière :
La règle de la révélation se veut adaptée à l'action, ou, plus particulièrement, à cette propriété que cette action renferme.
Cette propriété que l'action renferme est ce qui a motivé la loi, avec l'objectif de permettre la réalisation de finalités connues sous le nom de Maqâssid ush-sharî'a.
Cette propriété est laRatio Legis, ou raison de la loi.
En arabe : la 'Illa.
Ou encore : le Manât(le pivot).
Ou bien aussi : le Ma'nâ, pour : le sens, la signification de la loi.
En voici deux définitions :
--- "المؤثر، والمراد بالمؤثر ما به وجود الشيء، كالشمس للضوء والنار للإحراق" (At-Tawdhîh, 2/145),
--- "الموجبة للحكم، على معنى أن الشارع جعلها موجبة بذاتها" (Irshâd ul-fuhûl, p. 686).
Cette 'Illa du Fiqh correspond à la 'Illa Fâ'iliyya (العلة الفاعلية) du Mantiq.
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Cependant :
--- parfois on peut prendre connaissance de la 'Illa de la règle ;
--- et parfois on ne le peut pas, devant alors se contenter de prendre connaissance de seulement la Sabab de la règle.
--- Le premier type de règle est dit : "Hukm Ma'qûl ul-ma'nâ" ("règle à la 'Illa accessible à la raison").
--- Le second : "Hukm Ghayr ma'qûl ul-ma'nâ" (ou : "Hukm Ta'abbudî Mah'dh") ("règle à la 'Illa non-accessible à la raison").
C'est ce que nous allons voir ci-après...
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Les règles (ahkâm) concernant les actions (a'mâl) sont de 2 types :
– Type A : Hukm Ma'qûl ul-ma'nâ : les règles dont l'applicabilité, du point de vue humain, est commandée non seulement par une cause juridique (sabab) et/ou une condition (shart), mais aussi par une Ratio Legis, principe motivant ('illa) (pour en fait : 'illat ul-hukm, ou principe étant présent dans l'action et qui a motivé la règle).
– Type B : Hukm Ghayru Ma'qûl il-ma'nâ : les règles (ahkâm) dont l'applicabilité, du point de vue humain, est liée à une cause juridique (sabab : cliquez ici) et/ou à une condition (shart), mais pas également à une Ratio Legis, principe motivant ('illa) (sabab et 'illa sont deux choses différentes). Toutes les ahkâm de type ta'abbudî mah'dh sont ainsi.
En fait :
– L'action qui fait l'objet d'une règle (hukm) de type A, cette action-là est concernée par cette règle parce qu'elle renferme une propriété (sifa) qui est la Ratio Legis, ou "principe motivant" ou "pivot" de cette règle ('illat ul-hukm) et dont nous avons pu avoir connaissance. C'est ce principe qui constitue :
–--- soit (lorsque la règle consiste en une obligation ou une recommandation) une maslaha, c'est-à-dire une des choses permettant de faire naître ou de préserver un des objectifs supérieurs que Dieu veut pour l'homme (maqsadun min al-maqâssid ul-'ulyâ) ;
–--- soit (lorsque la règle consiste en un caractère déconseillé ou une interdiction) une mafsada, c'est-à-dire une des choses mettant en danger l'existence ou la préservation d'un des objectifs supérieurs que Dieu veut pour l'homme (maqsadun min al-maqâssid ul-'ulyâ).
Voici un exemple : s'il est interdit de manger de la main gauche, c'est parce que cette façon de faire est celle du Diable. L'action de manger avec la main gauche fait donc l'objet d'une interdiction (c'est là le hukm de cette action). Si cette action fait l'objet de cette règle, c'est parce qu'elle possède la propriété d'"être la façon de faire du Diable". Cette propriété est donc la 'illa, c'est-à-dire le principe motivant, pivot, ou Ratio Legis, de cette règle d'interdiction frappant cette action. Or ce qui constitue la façon de faire du Diable est une mafsada, car touchant à l'objectif supérieur (maqsad) qu'est le dîn.
– Par contre, l'action ('amal) qui relèvent des 'ibâdât, de même que l'élément (juz') qui est ta'abbudî mahdh (type B), tous deux sont eux aussi concernés par cette règle parce qu'ils possèdent une propriété (sifa) qui est la Ratio Legis, ou "principe motivant" ou "pivot" de cette règle ('illat ul-hukm), cependant, nous ne pouvons pas en avoir connaissance ; la règle est donc considérée comme étant directement liée à la réalisation d'une maslaha. Ainsi, la prière rituelle, le jeûne, les formules d'évocation, constituent de telles actions, qui permettent la concrétisation de la maslaha qui est reliée à l'objectif supérieur de spiritualité (maqsad ud-dîn, ar-rûhâniyya).
On dit donc qu'il n'y a pas, ici, de Ratio Legis ('illa). En fait il y en a bien une, mais notre raison est incapable de la connaître.
Dès que la cause et la(les) condition(s) sont présentes, ce genre de règle est applicable. Ainsi, la prière, le jeûne, le pèlerinage, etc. sont obligatoires dès lors que la cause (sabab) est présente (les positions du soleil, l'entrée du mois de ramadan et l'entrée de la saison du pèlerinage respectivement) et dès lors que les conditions sont réunies (être musulman, pubère, sain d'esprit, ne pas être en période de règles, etc.). Ainsi encore, quand le soleil se trouve, lors de sa "course dans le ciel", entre telle et telle position, telle prière rituelle devient obligatoire pour celui(celle) qui est musulman(e), sain(e) d'esprit et en état de pureté par rapport aux menstrues et aux lochies.
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A quoi sert-il de prendre connaissance de la Ratio Legis de la règle ?
La connaissance de la Ratio Legis permet de restreindre l'applicabilité de la loi aux cas où cette raison, 'Illa, est vraiment présente dans l'action en question, et plus aux cas où l'action ne contient plus la 'Illa (Takhsîs) (conformément au principe : "yadûr ul-hukmu ma'a dawrân il-'illati wujûdan wa 'adaman"). Car il est certains cas où la présence de la 'Illa est variable ('âridh) : la 'Illa est parfois présente mais d'autres fois absente de l'action. Cependant, il est d'autres cas où la présence de la 'Illa est inhérente (lâzim) à l'action : bien que nous puissions prendre connaissance de la raison de la loi, cette dernière est applicable dès que la cause extérieure (sabab) est présente : Dieu nous a éclairé quant à la réalité de cette action, pour notre propre bien.
Par ailleurs, la connaissance de la Ratio Legis permet aussi d'étendre l'applicabilité de la loi aux actions qui n'ont pas été stipulées mais où cette 'Illa est également présente (Ta'diya).
Lire : Faire la Ta'lîl d'une règle (hukm) présente dans les textes des sources a 2 conséquences.
Par ailleurs, il est vrai que certains ouvrages hanafites ont dit que la 'Illa attribuée par le mujtahid à la règle doit forcément être muta'addiya, c'est-à-dire servir à forcément "exporter" la règle, sinon on ne peut attribuer à une règle une 'Illa qui est restreinte à elle (voir par exemple At-Tawdhîh, 2/154, Muntakhab ul-Hussâmî, pp. 104-105, Nûr ul-anwâr, p. 246).
Cependant, d'après la plupart des ulémas (hanafites et autres), cela n'est pas nécessaire pour la validité de la Ta'lîl : la Ta'lîl peut très bien se faire par une 'Illa qâssira aussi, qui ne va pas permettre d'exporter la règle à autre chose que ce qui est mentionné dans les Textes (note de bas de page n° 12 sur Muntakhab ul-Hussâmî, p. 104).
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Les règles de type A ("Hukm Ma'qûl ul-ma'nâ") sont de 2 sous-types :
--- A.a) la présence ou l'absence de la 'illa dans l'action relève de la simple observation de la réalité (mulâhazat ul-wâqi') (sans dépendre aussi de la présence du hukm shar'î) :
----- A.a.a) et la 'illa est parfois présente dans l'action, parfois pas ('âridha) ;
----- A.a.b) cependant, la 'illa est toujours présente (lâzima) dans la réalité de l'action ;
--- A.b) la présence de cette 'illa dans cette action relève elle-même d'un hukm shar'î :
----- A.b.a) soit parce que le Shâri' a orienté notre façon de percevoir l'action : le Shâri' a voulu nous dire que dans le réel, la 'illa est toujours présente dans cette action, même si un groupe de personnes pensent le contraire ;
----- A.b.b) soit parce que cela relève de l'invisible (al-ghayb).
Exemple de A.a.a : Anas ibn Mâlik relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "إذا سلم عليكم أهل الكتاب فقولوا: وعليكم" : "Lorsque les Gens du Livre vous adressent le salâm, dites-leur : "Wa 'alaykum"" (al-Bukhârî, 5903, Muslim, 2163). Ce hukm est dû au fait que, à Médine, certaines personnes parmi les Gens du Livre, feignant d'employer la formule "As-salâmu 'alaykum" ("Que la paix soit sur vous"), disaient en fait : "As-sâmu 'alaykum" (ce qui signifie : "Que la mort soit sur vous") (عن عائشة رضي الله عنها زوج النبي صلى الله عليه وسلم قالت: دخل رهط من اليهود على رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقالوا: السام عليكم، قالت عائشة: ففهمتها فقلت: وعليكم السام واللعنة، قالت: فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: مهلا يا عائشة، إن الله يحب الرفق في الأمر كله. فقلت: يا رسول الله، أولم تسمع ما قالوا؟ قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: قد قلت: وعليكم) (rapporté par al-Bukhârî, 5678, Muslim, etc.). C'est ce qui explique que le Prophète a enseigné de leur dire simplement "Wa 'alaykum", ce qui signifie : "Et sur vous !". Par contre, si on est certain que la personne a bien dit "As-salâmu 'alaykum", il n'y a aucun empêchement à lui répondre par la formule complète : "Wa 'alaykum us-salâm". Ibn ul-Qayyim a écrit cela, avant d'ajouter : "و الاعتبار وإن كان لعموم اللفظ، فإنما يعتبر عمومه في نظير المذكور، لا في ما يخالفه" (Ahkâm ahl idh-dhimma, p. 200).
Exemple de A.a.b : La croix est un symbole du christianisme. Si le musulman doit bien sûr faire preuve de tolérance vis-à-vis du choix de ceux qui sont chrétiens, et ne doit pas faire de tort à leur symbole, en revanche, lui ne doit jamais porter sur ses vêtements ce symbole d'une autre religion que la sienne. Nous parlons ici de toute croix ayant été tracée ou dessinée comme expression de cette religion (et non pas des croix utilisées pour l'addition ou la multiplication, ni des croix constituées des montants des fenêtres). Or la croix était, est et demeure un symbole du christianisme.
Exemple de A.b.a : Le Prophète a interdit le qaza' (le fait de se raser une partie de la tête seulement) (al-Bukhârî). Ibn Hajar relate que l'une des 'illa proposées par des ulémas quant à cette règle (hukm) est que cela constitue un enlaidissement (tashwîh ul-khilqa) (FB 10/448). La 'illa (constituer un enlaidissement) de la règle (l'interdiction) est toujours présente dans l'action (le qaza'), car sa présence dans cette action relève elle-même d'un hukm shar'î stipulé par le Prophète (sur lui soit la paix), ce qui entraîne que nous avons comme perception et croyance que le qaza' constitue de la laideur, partout et toujours.
Exemple de A.b.b : Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Et qu'aucun d'entre vous ne mange jamais par le moyen de sa main gauche. Car le Diable mange par le moyen de sa main gauche" (al-Bukhârî). La 'illa de la règle a ici été donnée par le Prophète. Et cette 'illa (être une imitation du Diable) de la règle (l'interdiction) est toujours présente dans l'action (manger par le biais de sa main gauche), car cette présence relève d'un hukm shar'î, d'une information concernant l'invisible, donnée par le Prophète (sur lui soit la paix). Dès lors, l'obligation d'utiliser sa main droite s'applique dès lors que l'on se met à manger (ce qui est la cause, sabab, de cette obligation).
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Ce sont les cas A.a.a où la présence de la 'Illa est variable ('âridh) : la 'Illa est parfois présente mais d'autres fois absente de l'action.
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Et ce sont les cas A.a.b, A.b.a etA.b.b où la présence de la 'Illa est inhérente à l'action ('Illa lâzima) : Dieu nous a donc éclairé quant à la réalité de telle et telle action, pour notre propre bien.
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Les règles de type A.a.a sont telles que, même lorsque la cause (sabab) qui la commande et que les conditions (sharâ'ït) auxquelles la règle est liée sont présentes, si le principe motivant ('illa) est absent de l'action, la règle est inapplicable.
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Par contre, les règles des types A.a.b, A.b.a et A.b.b, de même que les règles de type B, sont applicables dès que la sabab qui les commande et que les conditions (sharâ'ït) auxquelles elles sont liées sont présentes.
Pour les règles de ces types A.a.b, A.b.a, A.b.b, on dit que la présence de la sabab entraîne systématiquement la présence de la 'illa, et qu'il suffit donc de vérifier la présence de la sabab pour que la règle soit applicable.
Ainsi, le fait de commencer à manger est la cause (sabab) entraînant l'interdiction d'utiliser sa main gauche pour porter les aliments à sa bouche.
De même, le fait de vouloir se raser la tête entraîne l'applicabilité de l'interdiction du qaza'. Enfin, le fait de vouloir s'habiller entraîne l'interdiction de porter un vêtement comportant une croix chrétienne.
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En résumé :
La plupart des règles (hukm) que les textes des sources ont communiquées à propos d'une action donnée, sont liées à une 'illa qui est présente dans cette action :
– soit cette 'illa y est parfois présente et parfois absente, et l'applicabilité de la règle est alors liée à cela (cela est vérifié pour les règles du type A.a.a) ;
– soit cette 'illa y est toujours présente, et la règle est donc applicable dès lors que sa sabab et ses shurût sont présentes (cela est vérifié dans le cas des règles des types A.a.b, A.b.a, A.b.b, et B).
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Selon qu'elle soit stipulée dans les Textes en même temps que la règle, ou pas, la Ratio Legis / 'Illa est de plusieurs types. Attribuer telle 'Illa à tel hukm, cela s'appelle : "Ta'lîl" :
Il existe ainsi :
– 1) la 'Illa qui a été explicitement stipulée dans le Texte en même temps que la règle (علة منصوصة) ;
– 2) la 'Illa qui n'a pas été stipulée avec la règle en question, cependant il existe dans les Textes une question où la même propriété a été érigée comme 'illa d'une règle qui est comparable à cette règle-ci car appartenant à la même catégorie qu'elle (as-sifat ullatî thabata anna-sh-shâri'a ja'ala 'ayna-hâ 'illatan li nazîri hâdha-l-hukm, ay fî naw'i hâdha-l-hukm) (علة مناسبة ملائمة مؤثرة) (toute 'illa est mu'atthira ; ce type de 'illa n° 2 est nommé "mu'atthira" seulement parce que le mujtahid a trouvé un cas semblable où le ta'thîr de cette propriété est avéré) ;
– 3) la 'Illa qui n'est pas stipulée avec la règle en question, cependant il existe dans les Textes une question où une propriété appartenant à la catégorie supérieure (l'espèce ou le genre) a été érigée comme 'illa d'une règle (as-sifat ullatî thabata anna-sh-shâri'a ja'ala 'naw'a-hâ aw jinsa-hâ 'illatan li nazîri hâdha-l-hukm, ay fî naw'i hâdha-l-hukm) (علة مناسبة ملائمة) ;
– 4) la 'Illa qui n'est pas stipulée avec la règle en question mais qui a été pensé par le mujtahid sans qu'il ait trouvé une règle voisine où la même propriété est effectivement une 'illa (علة مناسبة غريبة).
Le fait de trouver dans les textes un "témoin" de la prise en considération de ce principe s'appelle : "I'tibâr" (pour : "I'tibâr ut-ta'thîr"), et est à l'œuvre pour les 'Illa des types 2 et 3, mais pas 4.
Ces types 1, 2, 3 et 4 ont été cités et explicités dans At-Talwîh, 2/163, 166, 162.
Seuls les 1, 2 et 4 ont été cités et explicités dans Iqtidhâ' us-sirât il-mustaqîm, pp. 262-264.
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Quelques exemples d'explication de la règle par exposition de la 'illa :
– Un exemple :
– Cracher dans la direction de la Kaaba a été interdit dans la Sunna (échelon III) (d'après l'un des avis, celui auquel Ibn Hajar, as-San'ânî et al-Albânî adhèrent) ; car cela constitue de l'irrespect vis-à-vis de la Kaaba ;
– Or tout ce qui constitue de l'irrespect vis-à-vis de la Kaaba est mauvais (échelon II) ; car cela constitue de l'irrespect vis-à-vis du Dîn ;
– Or tout ce qui constitue de l'irrespect vis-à-vis du Dîn est mauvais ; car cela nuit au Dîn (échelon I).
Cracher dans la direction de la Kaaba constitue de l'irrespect vis-à-vis de la Kaaba (d'après cet avis) : l'irrespect vis-à-vis de la Kaaba, cela est la Ratio Legis de la règle, hukm (l'interdiction) touchant l'action de cracher vers la Kaaba (hâdhâ 'illat ul-hukm ish-shar'î, wa huwa al-hurma). Avoir appliqué à cette action ("cracher dans la direction de la Kaaba") cette propriété ("l'irrespect vis-à-vis de la Kaaba"), cela constitue lui-même un hukm, second.
Et pourquoi cracher dans la direction de la Kaaba a-t-il été décrété (hukm) "constituant de l'irrespect vis-à-vis de celle-ci" ? Ce second hukm renferme à son tour une 'illa : il s'agit de la particularité que cracher renferme et qui est la Raison (Ratio Legis) pour laquelle cracher face à quelque chose constitue un irrespect à son égard.
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– Un autre exemple :
– Accomplir la prière à l'intérieur du cimetière a été interdit dans la Sunna (échelon IV) ; car le cimetière est un lieu de prédilection de démons (ma'wa-sh-shayâtîn) (c'est là un des avis quant à la 'illa de de ce hukm) ;
– Or tout lieu de prédilection de démons ne convient pas pour la prière rituelle (échelon III) ; car cela est un lieu où des choses mauvaises se trouvent ;
– Or tout lieu de choses mauvaises ne convient pas pour l'accomplissement de la prière (échelon II) ; car un tel lieu contredit la noblesse de la prière ;
– Or tout ce qui nuit à la qualité de la prière est mauvais (échelon I) ; car cela nuit au Dîn.
Le cimetière est un lieu de prédilection de démons (ma'wa-sh-shayâtîn) (d'après l'un des avis) : "lieu de prédilection de démons", cela est la Ratio Legis de la règle, hukm (l'interdiction) touchant l'action de prier dans le cimetière (hâdhâ 'illat ul-hukm ish-shar'î, wa huwa al-hurma aw il-karâhiyya). Avoir appliqué à ce lieu ("le cimetière") cette propriété ("un lieu de prédilection de démons (ma'wa-sh-shayâtîn)"), cela constitue lui-même un hukm, second.
Et pourquoi le cimetière a-t-il été décrété (hukm) : "un des lieux de prédilection de démons" ? Ce second hukm renferme à son tour une 'illa : il s'agit de la particularité que le cimetière possède et qui est la Raison (Ratio Legis) pour laquelle il est "un des lieux de prédilection de démons". Quelle est cette particularité, la Sunna ne l'a pas précisé.
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– Un autre exemple encore :
– Le fait que l'homme ou la femme laisse découverte sa 'awra devant respectivement des femmes ou des hommes ajânib, cela a été interdit dans le Coran et la Sunna (échelon III) ; car cela est une dharî'a vers des regards de délectation (nazaru-ltidhâdh) ;
– Or les regards de délectation vers une personne n'étant pas licite pour la personne, cela est une mafsada (échelon II) ; car cela nuit au Dîn (ici dans le sens de spiritualité) au niveau de la société toute entière ;
– Or la préservation du Dîn constitue un Objectif Supérieur (échelon I).
Le fait de laisser découvert sa 'awra devant des personnes qui sont de l'autre sexe et sont ajânib, cela est une dharî'a vers des regards de délectation (nazaru-ltidhâdh) : "le regard de délectation", cela est la Ratio Legis du hukm de l'interdiction touchant l'action de laisser découvert sa 'awra devant des personnes ajânib. Avoir appliqué à cette action ("laisser sa 'awra découverte") la propriété ("dharî'a vers les regards de délectation"), cela constitue lui-même un hukm, second.
Et pourquoi ce second hukm ? En fait ce second hukm renferme à son tour une 'illa : il s'agit de la particularité que l'exposition de certaines parties du corps d'une personne est susceptible de produire sur une autre personne lorsqu'elle est vue.
Ensuite, bien qu'il soit interdit à l'homme comme à la femme de découvrir leur 'awra devant des personnes autres que leur conjoint(e), qu'est-ce qui appartient à la 'awra, cela relève de l'Echelon IV.
Les parties intimes (as-saw'atân) des deux sexes sont 'awra (Tahrîr ul-mar'a, 4/301). Mais pour le reste, la 'awra de l'homme est moins étendue que celle de la femme (du moins devant autre que d'autres femmes d'après l'un des avis) (Ibid., 4/22). Et, pour l'homme comme pour la femme, il existe une gradation dans la gravité de se découvrir différentes parties de cette 'awra. Cela à cause de la différence de grandeur du trouble (fitna) que cela est susceptible d'entraîner, de même que de la différence de probabilité de cet entraînement. Enfin, le visage de la femme ne fait pas partie de la 'awra bien qu'il puisse être d'une grande beauté, car une attirance saine doit pouvoir malgré tout s'exprimer au niveau de la société (Ibid., 4/156).
Lire : Eduquer son esprit et son regard ; et S'habiller de façon pudique.
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Quelques versets du Coran :
– "الَّذِينَ يَتَّبِعُونَ الرَّسُولَ النَّبِيَّ الأُمِّيَّ الَّذِي يَجِدُونَهُ مَكْتُوبًا عِندَهُمْ فِي التَّوْرَاةِ وَالإِنْجِيلِ: يَأْمُرُهُم بِالْمَعْرُوفِ وَيَنْهَاهُمْ عَنِ الْمُنكَرِ وَيُحِلُّ لَهُمُ الطَّيِّبَاتِ وَيُحَرِّمُ عَلَيْهِمُ الْخَبَآئِثَ وَيَضَعُ عَنْهُمْ إِصْرَهُمْ وَالأَغْلاَلَ الَّتِي كَانَتْ عَلَيْهِمْ. فَالَّذِينَ آمَنُواْ بِهِ وَعَزَّرُوهُ وَنَصَرُوهُ وَاتَّبَعُواْ النُّورَ الَّذِيَ أُنزِلَ مَعَهُ أُوْلَئِكَ هُمُ الْمُفْلِحُونَ" : "ceux qui suivent le messager prophète illettré, qu'ils trouvent mentionné auprès d'eux dans la Torah et l'Evangile : il leur ordonne (l'action) qui est reconnue et les empêche de (l'action) qui est réprouvée ; il déclare licites pour eux (les choses) qui sont bonnes et déclare illicites pour eux (les choses) qui sont mauvaises ; il enlève d'eux la charge, et les jougs qui étaient sur eux..." (Coran 7/157).
– "وَعَسَى أَن تَكْرَهُواْ شَيْئًا وَهُوَ خَيْرٌ لَّكُمْ وَعَسَى أَن تُحِبُّواْ شَيْئًا وَهُوَ شَرٌّ لَّكُمْ وَاللّهُ يَعْلَمُ وَأَنتُمْ لاَ تَعْلَمُونَ" : "Et il se peut que vous n'aimiez pas une chose alors qu'elle est bonne pour vous. Et il se peut que vous aimiez une chose alors qu'elle est mauvaise pour vous. Dieu sait et vous ne savez pas" (Coran 2/216).
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Quelques exemples de restriction de la règle (Takhsîs) par Ta'lîl :
Dans les 3 articles dont les liens suivent, vous pourrez consulter plusieurs exemples de règles de type A.a.a (où la connaissance de la 'Illa entraîne la restriction de l'applicabilité de la règle par rapport au seul libellé de celle-ci dans les Textes, eu égard au fait que cette 'Illa est, dans le Réel, parfois présente mais parfois absente de l'action) :
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Un exemple d'extension de l'aptitude du moyen à réaliser la règle (Ta'diyatu salâhiyyat il-adâ') par Ta'lîl :
Il est ici question de remplacer (istibdâl) un des éléments (ajzâ') ta'abbudî stipulés dans les textes comme entrant dans la constitution d'une action des 'ibâdât ou bien des 'âdât, par un autre élément nous semblant en être l'équivalent parce que permettant d'atteindre le même objectif ; de sorte qu'ensuite l'action puisse être pratiquée par le premier OU le second éléments ("تعدية الحكم الوضعي (وهو الصلاحية لأداء الحكم) من الوسيلة المنصوص عليها إلى وسيلة أخرى")...
Un exemple :
– Utiliser des pierres a été ordonné dans le hadîth (échelon IV) ; car la pierre est un moyen permettant de se purifier après avoir fait ses besoins ;
– or se purifier après avoir fait ses besoins constitue une maslaha pour l'homme (échelon III) ; car cela fait partie de la fit'ra ;
– or la réalisation de la fit'ra est une maslaha (échelon II) ; car cela contribue à la réalisation du nafs ;
– or la réalisation du nafs est une maqsad parmi les maqâssid ush-shar'îa (échelon I).
Cependant :
– utiliser des pierres a été ordonné dans le hadîth parce que (ma'lûl bi) la pierre est un moyen permettant de se purifier après avoir fait ses besoins (c'est la 'illa) ;
– tout autre moyen qui permet d'atteindre cet objectif (se purifier après avoir fait ses besoins) fait lui aussi entièrement l'affaire ;
– ainsi, le papier toilette, qui recèle cette 'illa ("moyen efficace pour se purifier") fait entièrement l'affaire. Le recours à la pierre n'est pas nécessaire : c'est la réalisation de l'objectif de la règle qui est essentielle.
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Lire : Exemples d'équivalents ou "presque équivalents" Universels (4/5) (تعدية الصلاحية).
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Quelques exemples d'extension de la règle (Ta'diyat ul-hukm ish-shar'î) par Ta'lîl :
Un premier exemple :
– Cracher dans la direction de la Kaaba a été interdit dans la Sunna (échelon III) (d'après l'un des avis, celui auquel Ibn Hajar, as-San'ânî et al-Albânî adhèrent, avis selon lequel l'interdiction de faire cela vaut que ce soit pendant qu'on prie ou pas, et que l'on soit à l'intérieur de la mosquée ou à l'extérieur) ; car cela constitue de l'irrespect vis-à-vis de la Kaaba ;
– Or tout ce qui constitue de l'irrespect vis-à-vis de la Kaaba est mauvais (échelon II) ; car cela constitue de l'irrespect vis-à-vis du Dîn ;
– Or tout ce qui constitue de l'irrespect vis-à-vis du Dîn est mauvais ; car cela nuit au Dîn (échelon I).
– Echelon III : Cracher dans la direction de la Kaaba constitue de l'irrespect vis-à-vis de la Kaaba (d'après l'un des avis) : l'irrespect vis-à-vis de la Kaaba, cela est la Ratio Legis de la règle, hukm (l'interdiction) touchant cette action (hâdhâ 'illat ul-hukm ish-shar'î, wa huwa al-hurma), parce que l'action "cracher face à quelque chose" a été décrétée "constituant de l'irrespect à l'égard de cette chose".
Avoir appliqué à cette action ("cracher dans la direction de la Kaaba") cette propriété ("l'irrespect vis-à-vis de la Kaaba"), cela constitue lui-même un hukm. Or ce second hukm renferme à son tour une 'illa : il s'agit de la particularité que cracher renferme et qui est la Raison (Ratio Legis) pour laquelle cracher face à quelque chose constitue un irrespect à son égard.
Est-ce que le premier hukm (l'interdiction) sera exportable à une autre action liée au même objet ("تعدية الحكم الشرعي (الحرمة) من الفعل المحكوم عليه إلى فعل آخر، متعلقٍ بنفس الموضوع"), par exemple au fait d'allonger ses pieds dans la direction de la Qibla ? Oui si cette autre action est considérée comme renfermant elle aussi cette 'illa (qui a motivé l'interdiction de cracher dans la direction de la Kaaba) (cette 'illa est : l'irrespect). Sinon, non.
Maintenant comment déterminer si le fait d'allonger ses pieds vis-à-vis de quelque chose constitue de l'irrespect, ou pas ? En établissant la 'illa que renferme le fait de cracher dans la direction de quelqu'un, et en analysant si cette 'illa se retrouve dans le fait d'allonger ses pieds dans la direction de quelqu'un : en analysant ce que ce geste a de signification dans l'usage universel et/ou régional.
--- Certains juristes (Hanafites) ont procédé à l'analogie et ont donc interdit d'allonger ses pieds vers la Qibla.
--- D'autres juristes (parmi lesquels les Hanbalites) n'ont pas procédé à cette analogie (du moins quand on ne se trouve pas face à la Kaaba : Ibn Muflih), et ont fait valoir cela d'autant plus que, d'après les hanafites, le malade ne pouvant pas se tenir assis peut prier les pieds allongés dans la direction de la Kaaba : si cela était un irrespect, la prière n'aurait pas été possible dans cette posture.
– Echelon II : Ce qui constitue de l'irrespect vis-à-vis de la Kaaba constitue de l'irrespect vis-à-vis du Dîn ; l'irrespect vis-à-vis du Dîn, cela est la Ratio Legis de la règle touchant cette action (hâdhâ 'illat ul-hukm ish-shar'î, wa huwa al-hurma), parce que l'action "faire preuve d'irrespect vis-à-vis de la Kaaba" a été décrétée "constituant de l'irrespect vis-à-vis du Dîn".
Avoir appliqué à cette action (faire preuve d'irrespect vis-à-vis de la Kaaba) cette propriété (l'irrespect vis-à-vis du Dîn), cela constitue lui-même un hukm. Ce second hukm renferme à son tour une 'illa : il s'agit de la particularité que la Kaaba renferme et qui est la raison pour laquelle lui manquer de respect constitue un irrespect à l'égard du Dîn. Et cette particularité est que la Kaaba est un symbole du Dîn.
Est-ce que le premier hukm (l'interdiction) sera exportable à un autre objet de la même action ("تعدية الحكم الشرعي (الحرمة) من موضوع الفعل المحكوم عليه إلى موضوع آخر لنفس الفعل"), par exemple au fait de d'allonger ses pieds dans la direction du Coran ?
Oui, car les textes ont établi que le Coran aussi était un symbole du Dîn.
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Un second exemple :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a interdit le qaza' :
- "عن ابن جريج، قال: أخبرني عبيد الله بن حفص، أن عمر بن نافع أخبره، عن نافع مولى عبد الله، أنه سمع ابن عمر رضي الله عنهما يقول: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم ينهى عن القزع. قال عبيد الله: قلت: وما القزع؟ فأشار لنا عبيد الله قال: إذا حلق الصبي، وترك ها هنا شعرة وها هنا وها هنا، فأشار لنا عبيد الله إلى ناصيته وجانبي رأسه. قيل لعبيد الله: فالجارية والغلام؟ قال: لا أدري، هكذا قال: الصبي. قال عبيد الله: وعاودته، فقال: أما القصة والقفا للغلام فلا بأس بهما، ولكن القزع أن يترك بناصيته شعر، وليس في رأسه غيره، وكذلك شق رأسه هذا وهذا" (al-Bukhârî, 5576) ;
- "عن عبيد الله، أخبرني عمر بن نافع، عن أبيه، عن ابن عمر: أن رسول الله صلى الله عليه وسلم نهى عن القزع. قال: قلت لنافع: وما القزع؟ قال: يحلق بعض رأس الصبي ويترك بعض" (Muslim 2120).
L'action nommée "qaza'" consiste à se raser une partie de la tête tout en laissant les cheveux sur une autre partie, à l'instar des coupes à l'iroquoise, ou de la tonsure pratiquée par des moines. (Par contre, le fait de laisser des cheveux sur toute sa tête et de se raser seulement la nuque, pour enlever les quelques cheveux irréguliers s'y trouvant, cela n'est pas concerné par cette interdiction : c'est apparemment ce que 'Umar ibn Nâfi' ou Nâfi' a expliqué à 'Ubaydullâh ibn Hafs : c'est apparemment ce que al-Bukhârî a voulu montrer en citant le propos de ce personnage juste après ce hadîth 5576 dans son Jâmi' Sahîh.)
En tous cas nous avons ici la règle (hukm) : l'interdiction (et, d'après certains autres ulémas : le caractère déconseillé) de pratiquer le qaza'. Et cette règle de l'interdiction du qaza' pourrait avoir comme 'illa le fait qu'il constitue un enlaidissement volontaire (c'est l'un des avis : FB 10/448).
– Le Qaza' a été interdit par la Sunna (échelon IV) ; car cela constitue un cas d'enlaidissement volontaire ;
– or tout enlaidissement volontaire est une mafsada (échelon III) ; car cela contredit la fit'ra ;
– or tout qui contredit la fit'ra est une mafsada (échelon II) ; car cela nuit au nafs ;
– or la préservation du nafs fait partie des objectifs supérieurs (échelon I).
– Le Qaza' constitue de l'enlaidissement volontaire : ce hukm entre "Qaza'" et "enlaidissement volontaire", quelle est la propriété que le Qaza' renferme et qui est la 'Illa de ce hukm :
--- est-ce le fait de raser une partie et pas une autre (ce qui implique que seul le rasage d'une partie de la tête et pas une autre est interdit, et pas le raccourcissement de la chevelure sur une partie plus que sur une autre) ?
--- ou bien est-ce le fait de raccourcir une partie beaucoup plus qu'une autre (ce qui englobe mais dépasse le rasage d'une partie et pas de l'autre, élargissant l'interdiction au raccourcissement d'une partie de la chevelure plus qu'une autre) ?
Les deux avis existent chez les juristes :
--- le premier avis (qui restreint l'interdiction au seul rasage de seulement une partie de la chevelure) est celui de certains ulémas et est visible ici, ici et ici ;
--- le second avis (qui, par analogie, élargit l'interdiction au raccourcissement sur une partie plus que sur une autre) est celui d'autres ulémas.
Par ailleurs : est-ce que d'autres actions humaines existent dont le résultat constitue lui aussi d'autres cas d'enlaidissement volontaire, auxquels le même hukm (l'interdiction, ou le caractère déconseillé) s'applique ?
Oui.
Cependant, comment juger le résultat d'une action : "enlaidissement volontaire" ? Toute la difficulté est là : on ne peut pas laisser à chaque personne, le soin de déterminer cela, car les goûts sont trop divergents. Cela ne pourra être déterminé qu'à la lumière de ce que la saine fit'ra perçoit, et cela par référence aux cas tels que le qaza' et à ce qu'ils contiennent, qui a fait qu'ils ont été classés "enlaidissement volontaire".
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Un troisième exemple :
– Le port de la soie a été interdit à l'homme dans la Sunna (échelon IV) ; car la soie est un vêtement spécifiquement féminin ;
– or l'adoption, par l'homme, d'un vêtement spécifiquement féminin, est une mafsada (échelon III) ; car cela est une dhar'îa vers la féminisation de l'homme ;
– or la féminisation de l'homme, comme la masculinisation de la femme, sont deux mafsada (échelon II) ; car cela nuit au nafs et à la famille ;
– or la préservation / le développement du nafs et celle / celui de la famille sont deux objectifs supérieurs (échelon I).
– Echelon IV : "La soie" est "un vêtement spécifiquement féminin" : ce hukm entre "soie" et "vêtement spécifiquement féminin" (qui est la 'illa du hukm d'interdiction) possède lui-même une 'illa. En effet, si la soie a été qualifiée de "spécifiquement féminin", c'est (d'après l'une des propositions de ulémas) parce que la soie est trop moelleuse, et son port efféminerait l'homme (ومنها: الجنس المستغرب الناعم من الثياب. قال صلى الله عليه وسلم: "من لبس الحرير في الدنيا لم يلبسه يوم القيامة" : Hujjat ullâh il-bâligha, 2/513). Dès lors, tout autre vêtement dans lequel se retrouve cette 'illa ("être trop moelleux") sera déclaré "spécifique à la femme".
Le fait est que du-delà des éléments vestimentaires évoqués dans la Sunna tels que soie, vêtement teint au carthame, bijoux en or, la totalité des vêtements et des éléments de l'apparence extérieure qui doivent être réservés aux femmes ou au contraire réservés aux hommes, n'ont pas été spécifiés une fois pour toutes dans les textes des sources : "وليس الضابط في ذلك لباسا معينا من جهة نص النبي صلى الله عليه وسلم، أو من جهة عادة الرجال والنساء على عهده، بحيث يقال: إن ذلك هو الواجب، وغيره يحرم" (MF 22/147). Car dans les pays froids, la femme a besoin de porter certains vêtements dont le besoin ne se faisait pas ressentir dans un pays chaud : "وكذلك المرأة لو لبست جبة وفروة لحاجتها إلى ذلك إلى دفع البرد، لم تنه عن ذلك. فلو قال قائل: لم يكن النساء يلبسن الفراء! قلنا: فإن ذلك يتعلق بالحاجة! فالبلاد الباردة يحتاج فيها إلى غلظ الكسوة وكونها مدفئة" (MF 22/148).
Et cette détermination est certes fonction de l'usage du pays dans lequel le musulman et la musulmane vivent [comme Ibn Hajar l'écrira : "فأما هيئة اللباس فتختلف باختلاف عادة كل بلد؛ فرب قوم لا يفترق زي نسائهم من رجالهم في اللبس، لكن يمتاز النساء بالاحتجاب والاستتار" (FB)], mais pas seulement : "ومن هنا يظهر الضابط في نهيه صلى الله عليه وسلم عن تشبه الرجال بالنساء وعن تشبه النساء بالرجال وأن الأصل في ذلك ليس هو راجعا إلى مجرد ما يختاره الرجال والنساء ويشتهونه ويعتادونه" (MF 22/147). Egalement : "فكيف الأمر في لباس الرجال والنساء! وليس المقصود به مجرد الفرق، بل لا بد من رعاية جانب الاحتجاب والاستتار. وكذلك أيضا ليس المقصود مجرد حجب النساء وسترهن، دون الفرق بينهن وبين الرجال؛ بل الفرق أيضا مقصود؛ حتى لو قدر أن الصنفين اشتركوا فيما يستر ويحجب بحيث يشتبه لباس الصنفين، لنهوا عن ذلك" (MF 22/153).
En fait, il s'agit d'appliquer les 2 principes suivants :
--- a) d'abord considérer qu'est-ce qui correspond davantage à ce qui a été institué dans les textes pour l'homme (travail pour entretenir sa famille, etc.), et qui correspond d'ailleurs plus à sa nature (force) ? et qu'est-ce qui correspond davantage à ce qui a été institué dans les textes pour la femme (en public : couvrir ses atours ; de façon privée : se parer davantage que l'homme, et c'est pourquoi le port de bijoux en or lui a été autorisé, de même que le port de la soie) (porter des couleurs qui expriment la féminité, telle que le rouge, le rose), et qui correspond d'ailleurs plus à sa nature ? "فالفارق بين لباس الرجال والنساء يعود إلى ما يصلح للرجال وما يصلح للنساء؛ وهو ما يناسب ما يؤمر به الرجال وما تؤمر به النساء" (MF 22/148) ;
--- b) ensuite, tant que cela ne transgresse pas cette correspondance, considérer qu'est-ce que l'usage (i'tiyâd, 'urf) pratiqué en un lieu donné à un moment donné, a réservé à l'homme et qu'est-ce qu'il a réservé à la femme.
En un mot, si l'usage, le code social, du pays dans lequel le musulman se trouve fait que l'homme porte tel vêtement, cela est à considérer, mais seulement après avoir vérifié que ce vêtement n'est pas tel qu'il correspond plutôt à la nature féminine. Et vice-versa. ("وإذا تبين أنه لا بد من أن يكون بين لباس الرجال والنساء فرق يتميز به الرجال عن النساء، وأن يكون لباس النساء فيه من الاستتار والاحتجاب ما يحصل مقصود ذلك، ظهر أصل هذا الباب وتبين أن اللباس إذا كان غالبه لبس الرجال، نهيت عنه المرأة، وإن كان ساترا؛ كالفراجي التي جرت عادة بعض البلاد أن يلبسها الرجال دون النساء؛ والنهي عن مثل هذا يتغير بتغير العادات؛ وأما ما كان الفرق عائدا إلى نفس الستر، فهذا يؤمر به النساء بما كان أستر" : MF 22/154-155.)
C'est ici qu'il s'agit d'établir qu'est-ce qui fait les spécificités de la soie, de l'or, des bijoux, etc., pour étendre cela aux autres vêtements.
Il existe aussi ce hadîth : ":عن محمد بن علي، قال: سألتُ عائشة: أكان رسول الله صلى الله عليه وسلم يتطيب؟ قالت: نعم، بذكارة الطيب: المسك والعنبر" : "Le Prophète", raconte Aïcha, "utilisait comme parfum" : "le parfum masculin : le musc et l'ambre" (an-Nassâ'ï, 5116, cependant qualifié de dha'îf par al-Albânî). As-Sindî écrit ainsi : "قوله "بذكارة الطيب" هو بكسر الذال المعجمة وراء: ما يصلح للرجال، كالمسك والعنبر والعود والكافور؛ وهي جمع ذكر").
Il existe certes l'explication selon laquelle ce qui a été décrit ici comme "parfum d'homme" étaient des parfums qu'on n'utilise pas en tant que substance colorée, destinée à embellir l'épiderme ("ما يصلح للرجال، كالمسك والعنبر والعود والكافور؛ وهي جمع ذكر؛ وهو ما لا لون له. والمؤنث طيب النساء، كالخلوق والزعفران". Il dit aussi : "قوله "ما ظهر لونه" أي ما يكون له لون مطلوب لكونه زينة؛ والا، فالمسك وغيره من طيب الرجال له لون. ثم هذا إذا أرادت الخروج؛ والا، فعند الزوج تتطيب بما شاءت" : Hâshiyat us-Sindî 'alâ Sunan in-Nassâï, 8/151). Par ailleurs, la femme ne doit pas mettre de parfum qui se sente à distance lorsqu'elle sort de chez elle.
Cependant, est-ce que d'autres ulémas auraient proposé qu'il s'agit de parfums aux notes masculines ? Je ne sais pas (لا أدري), mais si de telles interprétations existent, il y aurait là une piste intéressante. Il faudrait alors établir quelle est la 'Illa de l'application, aux musc et ambre, du hukm : "des parfums masculins"...
A ce qu'il paraît, les parfums masculins se doivent de souligner la puissance et la virilité, alors que les parfums féminins se doivent de souligner la délicatesse et la sensualité. (Rappel : l'islam demande à la femme de ne pas porter de parfum qui se sente à distance excepté devant son mari.)
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Ce qu'il ne faut pas négliger ici c'est de se référer, en sus des Textes du Coran et de la Sunna, aux travaux que les ulémas ont réalisés durant ces 14 siècles d'Islam, et ce afin de se préserver d'attribuer n'importe quelle 'Illa à une règle (hukm), en arrivant ainsi à relativiser (Takhsîs) de façon erronée des règles de l'islam :
Ainsi, on a vu des gens - apparemment de bonne foi - attribuer, à la règle de devoir se couvrir les cheveux pour la musulmane, la 'Illa que la chevelure était à l'époque un argument de séduction, susceptible d'attirer les regards masculins ; et que cette 'Illa ne serait plus présente aujourd'hui.
Or c'est ce point qui est discutable : le fait que cette 'Illa aurait disparu aujourd'hui.
On en a vu d'autres attribuer, à la règle de la nécessité de l'égorgement de l'animal pour pouvoir en consommer la chair, la 'Illa que l'écoulement du sang permettait de préserver la viande de s'avarier rapidement. Or, poursuivent-ils, vu que cette 'Illa pouvait être réalisée aujourd'hui par d'autres moyens, wassîla (tels que la congélation), l'antique moyen n'a plus lieu d'être.
Ici c'est la 'Illa avancée qui est erronée.
La 'Illa correcte est de débarrasser la chair de trace importante de sang, car la présence de celui-ci est nocive pour l'homme, soit sur le plan physique, soit sur le plan moral /spirituel.
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Tout ce qui précède concernait le principe motivant, Ratio Legis ('illa) de la règle (hukm shar'î). Et qu'est-ce donc que la sagesse (hikma) de la règle (hukm sharî') ?
On trouve sous la plume de nombreux ulémas le rappel du fait que l'applicabilité de la règle est liée à la présence ou à l'absence de la 'illa dans l'action, et non à la présence ou à l'absence de la hikma dans l'action – auquel cas la règle reste toujours applicable.
Cela est vrai, mais cet aspect des choses concerne uniquement l'applicabilité de la règle. Et différent de cela est le fait (lorsque d'une action non spécifiée dans les textes on recherche le hukm (règle, telle qu'une obligation ou une interdiction)) d'établir comme principe motivant ce hukm ('illat ul-hukm) un élément qui est présent dans cette action mais qui n'a pas été extrait comme 'illat ul-hukm d'une autre action, spécifiée dans les textes (juz'î mansûs 'alayh) (c'est ce qu'on appelle le takhrîj ul-manât) ; mais qui, simplement, contribue à protéger ou au contraire met en danger un des objectifs supérieurs de l'islam (c'est ce qu'on appelle respectivement une maslaha et une mafsada shar'iyya). Ainsi, recherchant le hukm de l'action de fumer la cigarette, des ulémas ont trouvé que celui-ci était l'interdiction, cette dernière étant liée au qualificatif "ce qui fait du tort à la santé physique" : ce qualificatif (sifa) étant présent dans l'action de fumer la cigarette, il y a "apporté avec lui" le hukm d'interdiction. Or nous avons là une 'illa mursala, établie de façon "libre" dans la mesure où elle n'a pas été extraite d'un cas particulier auquel une règle s'applique.
Par ailleurs, on trouve sous le nom de "hikma" 3 réalités différentes :
– i) la raison ayant motivé l'énonciation de cette règle ; à savoir la nécessité d'acquérir l'avantage (maslaha) ou de repousser le désavantage (mafsada) ;
– ii) l'avantage (maslaha) résultant de l'application de cette règle (mâ yatarattabu 'alâ mubâsharat il-'amal). Ensuite cet avantage est de 2 types :
--- ii.i) soit il est l'exact pendant de la 'illa ;
--- ii.ii) soit il est un avantage que la raison trouve d'elle-même.
J'adhère, sur ce point, à la possibilité ii.i.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).