L'individu qui vit dans un pays et en possède la citoyenneté est aujourd'hui plus que jamais détenteur d'une identité multiple : il y a l'aspect lié à sa citoyenneté, mais aussi l'aspect lié à la région du pays dans laquelle il habite (différentes régions ayant, au sein d'un même pays, certains aspects culturels différents). Il y a éventuellement l'aspect lié à son pays d'origine (si ses grands-parents, par exemple, sont immigrés). Il y a encore le fait qu'il soit un homme ou une femme (ce qui constitue incontestablement un aspect de l'identité de chacun). Il y a également le fait qu'il soit de telle religion ou de telle autre, ou n'ait pas de religion.
Or qu'est-ce que le citoyen peut exprimer, ou ne peut pas exprimer personnellement dans son pays, qu'est-ce qu'il peut souhaiter voir s'exprimer publiquement, qu'est-ce qu'il ne peut pas souhaiter voir s'exprimer publiquement dans son pays... Ce sont là des questions récurrentes, qui concernent tous les pays de la planète.
– Aux Etats-Unis, où règne le modèle communautariste, les particularismes culturels sont acceptés dans la vie privée, mais aussi reconnus et en quelque sorte institutionnalisés dans la vie sociale – c'est-à-dire dans l'espace public –, voire dans la vie politique : il y existe la discrimination positive, des quotas dans les universités pour "les minorités", la possibilité de faire du lobbying pour faire avancer la cause de son groupe, etc.
– En France, c'est le modèle dit "universaliste républicain" (relevant du "jacobinisme") qui est considéré comme l'idéal par un certain nombre de personnes. Ce modèle cherche à confiner les particularismes à l'espace privé, et à les gommer de l'espace des institutions publiques (écoles, bâtiments publics, etc.) et a fortiori de la vie politique.
Dans une excellente recherche et synthèse, un chercheur rappelle : "il ne peut y avoir, dans ce type d'approche, que des individus-citoyens" (la recherche était auparavant visible à cette adresse et je l'avais imprimée, mais elle a par la suite disparu ; ci-après, je désignerai cette recherche sous le nom : "Recherche"). Ce chercheur affirme également que le fait que, en France, la laïcité de l'Etat, lequel "ne reconnaît ni ne salarie aucun culte" et ne procède donc à aucune cérémonie religieuse (au sens classique du terme "religieux"), cela ne constitue qu'une seule des expressions de la philosophie sous-tendant ce modèle : "S'il apparaît impensable de voir [en France] se constituer politiquement des identités religieuses, il en est de même des identités à bases ethnique, sexuelle ou liées à un mode de vie particulier" (Recherche, op. cit.) Cette philosophie s'exprime en fait par le terme "égalité", pensé par réaction aux différences institutionnalisées qui existaient entre les 3 Ordres de la société française de l'Ancien Régime ; compris, donc, comme un effort visant à faire disparaître toute particularité culturelle ; et ayant manifestement primauté sur l'application du terme : "liberté".
Dès lors : "Toute manifestation publique d'une particularité autre que celle du modèle dominant est ainsi perçue comme une menace pour la culture politique nationale" (Recherche, op. cit.).
Mais de quoi parle-t-on quand on dit : "espace public" ?
Et quand on dit : "manifestation publique d'une particularité culturelle" ?
Je pense que pour cerner correctement et de façon plus précise ce dont on parle, il importe de distinguer différents aspects, et ce au sein de 2 grandes perspectives :
– la perspective I (avec la I'), qui parle de la possibilité / l'impossibilité de voir des particularismes culturels coexister avec le modèle culturel dominant ;
– enfin la perspective II, qui parle de l'aspect religieux spécifiquement.
Tout au long du développement de ces aspects, j'ai posé des questions, sans toujours en écrire aussi la réponse...
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I) "L'impossibilité / la possibilité de voir coexister plusieurs groupes au sein de la Nation" : "Communautarisme ? Pluriculturalisme ? ou bien Jacobinisme ?"
– A) Il y a la communauté nationale, la Nation.
– D) Et il y a les individus qui composent la Nation.
– C) A un niveau intermédiaire, il y a les familles / foyers, lesquel(le)s constituent des petits groupes constitués et structurés (parents /enfants), reconnus au sein de l'ensemble de la Nation.
– B) Mais peut-il exister, à un échelon supérieur à celui des foyers mais inférieur au grand groupe de la Nation, des groupes auxquels ceux des individus qui le veulent peuvent se rattacher ? Peut-on ainsi parler de "communautés bretonne, corse, basque, etc.", au sein de la grande communauté des citoyens français ? Peut-on, de même, parler de "communautés catholique, musulmane, juive, etc.", au sein de la grande communauté des citoyens français ?
Cette question se couple avec les 2 autres questions suivantes, dont elle est distincte mais dont elle n'est pas totalement isolée :
--- "Que veut-on / peut-on autoriser à un individu donné d'exprimer qui ne correspond pas au modèle culturel dominant ?" ;
--- "Que veut-on / peut-on autoriser à un ensemble d'individus donnés d'exprimer, de sorte que des sortes de "groupe" deviennent pour ainsi dire "visibles" au sein de la grande communauté nationale ?" C'est ici que s'intègre la question que l'on ressent émerger de la part de nombreux français n'étant pas musulmans : "Si de nombreuses femmes portent le foulard parce qu'elles le conçoivent comme étant une obligation religieuse, est-ce que le port de ce vêtement ainsi que cette conception n'iraient pas à l'encontre de l'égalité hommes-femmes ?"
Pour pouvoir aborder ces 2 questions de façon satisfaisante, le lecteur devra aborder différents aspects de ce qu'elles recouvrent. C'est ce qui est proposé au point suivant...
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I') "L'individu / le groupe d'individus, et ce qu'il(s) peu(ven)t exprimer dans la sphère autre que privée" : "Insérer ? Intégrer ? ou bien Assimiler ?"
– 1) Il y a bien sûr la sphère privée : dans l'intimité des foyers, chaque individu est censé être libre de vivre sa culture comme il l'entend, tant que cela ne nuit à personne (pas de violence physique sur autrui, pas de violence psychique sur sa famille, pas de nuisance sonore gênant le voisinage). S'il veut ainsi déambuler sans vêtements chez lui, sans que cela ne soit visible par ses enfants ni depuis la rue, la loi du pays n'est pas censée en dire quoi que soit, vu qu'elle est supposée ne pas exercer de contrôle sur les intimités (contrairement au fameux Big Brother is watching you). S'il veut manger en s'asseyant par terre et pas sur une table, libre à lui. S'il veut manger avec ses doigts et non pas avec une cuillère ou une fourchette, c'est son choix. Etc.
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– 2) Ensuite il y a la sphère personnelle de l'individu, mais alors que l'individu se trouve ailleurs que chez lui :
–--- 2.1) cet individu se trouve dans l'espace public, c'est-à-dire dans l'espace commun : par exemple la rue, ou un jardin public : un homme peut-il arborer une tenue qui montre qu'il est homosexuel, alors qu'il marche dans la rue ? un autre homme peut-il porter une djellaba alors qu'il marche dans la rue (sachant que, en France, la djellaba est perçue comme exprimant que son porteur est adepte de la religion islamique, alors même que dans des pays arabes, ce vêtement est porté par tous : musulmans, chrétiens ou juifs) ? Oui. (Au-delà de cette réponse donnée selon la seule dimension juridique, personnellement et humblement je recommande d'agir en tenant compte de la sensibilité du public : En France, faisons, dans les éléments 'adî, conformément avec la culture française.)
–--- 2.2) cet individu est usager d'un service public (administratif) (à l'intérieur de la mairie, ou alors que l'individu se trouve sur les bancs de l'université en tant qu'élève). Cet individu peut-il alors arborer une tenue qui montre qu'il est homosexuel ? peut-il porter une djellaba ? Oui.
–--- 2.3) cet individu, qui est un citoyen lambda, est amené à prendre la parole dans une institution de la République telle que le Parlement. Cet individu peut-il alors arborer une tenue qui montre qu'il est homosexuel ? peut-il porter une djellaba ? Même question pour un élu (alors même qu'il n'est pas en train d'exercer une mission du service public)...
La réponse à cette question est : Oui. Ainsi, c'était en soutane que l'abbé Pierre et le chanoine Félix Kir siégeaient à l'Assemblée Nationale. Cela vaut en théorie ; car en 2018 un changement a été effectué dans le Règlement Intérieur de l'Assemblée nationale française : le port de signes par lesquels on reconnaît la religion de quelqu'un y est interdit.
–--- 2.4) cet individu est un fonctionnaire (c'est-à-dire employé de la res publica) et qu'il est dans l'exercice de ses fonctions : peut-il porter un vêtement qui montre qu'il est de telle orientation sexuelle ? ou bien de telle religion ?
En France, la réponse à cette question est : Non.
–--- 2.5) Il y a la sphère personnelle, mais alors que l'individu est détenteur de quelque chose de l'autorité publique, et qu'il est dans l'exercice de ses fonctions : il est maire d'une ville, ou bien il est ministre, ou est président du pays : peut-il porter un vêtement qui montre qu'il est de telle orientation sexuelle ? ou bien de telle religion ?
Au Royaume-Uni, la réponse à cette question est : Oui.
En France, la réponse à cette question est : Non.
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– 2.2') Par rapport à la sphère personnelle de l'individu, mais alors que l'individu est usager d'un service public, et que la norme à laquelle il adhère, il n'invite pas le fonctionnaire à l'appliquer lui, en faisant d'elle la norme applicable à tout son service ; non, il demande seulement à ce fonctionnaire qu'il puisse, lui l'usager, la respecter : par exemple cet individu est usager d'un hôpital public, il ne se trouve pas dans un cas d'urgence (vu que, en cas d'urgence, la règle est que la nécessité fait loi), et il a une affection sur une partie qu'il juge, lui, assez intime : peut-il exprimer désirer, personnellement, être ausculté par une personne du même sexe que lui (notez bien que cet usager ne demande pas à l'hôpital d'adopter comme règle que tous les hommes ne seront désormais auscultés que par des hommes, et toutes les femmes par des femmes : il demande seulement à pouvoir, lui, être ausculté par une personne du même sexe que lui, afin de rester individuellement fidèle à sa conviction personnelle... Cela demeure-t-il dans le cadre de l'égalité stipulée dans la constitution française) ? ou bien est-ce que cela va à l'encontre de l'égalité de tous les citoyen(ne)s (égalité comprise comme signifiant : "plus aucune distinction entre tel individu et tel autre") ?
Oui, hors des cas d'urgence, chacun peut choisir un médecin du même sexe que lui pour l'examen (même en France, à la date où cet article est écrit).
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– 3) Enfin, il y a la sphère du groupe : peut-il y avoir des règles, certes pas appliquées par une force publique, ni par une milice, mais des règles que tout un groupe se met d'accord à respecter quand ses membres sont entre eux ? par exemple que tout groupe des femmes doit, dans un parc public, se couvrir la poitrine, alors que tout groupe des hommes peut laisser la leur dénudée : bien que cela semble aller à l'encontre de l'égalité homme-femme dont la République française se réclame, la jurisprudence française considère l'exhibition des seins féminins comme relevant de l"'exhibition sexuelle" (exception faite des plages et des spectacles en lieu fermé : là il y a tolérance).
Un autre exemple : dans une salle privée, les hommes d'un groupe peuvent-ils dire qu'ils s'assoiront de tel côté de la pièce, alors que les femmes de ce même groupe se mettent d'accord pour s'asseoir de l'autre côté ? cela est-il contraire à l'égalité de tous les citoyens ?
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II) "Dans l'espace public d'un pays, y a t-il impossibilité / possibilité de voir le fait religieux s'exprimer ?" : ""Religionisation" ? ou bien Sécularisation / Laïcisation ?" :
– Un signe de l'adhésion à telle religion peut-il être présent sur une personne alors que celle-ci se trouve dans l'espace public (soit, au point précédent - I' -, les degrés 2.1 à 2.5) ?
– Une conviction d'origine religieuse peut-elle être respectée par un service public par rapport à l'usager de ce service public, qui en fait la demande poliment et expressément (soit, au point précédent - I' -, le degré 2') ?
– Une conviction d'origine religieuse peut-elle être respectée par tout un groupe de personnes alors que ce groupe se trouve ailleurs que dans leur lieu religieux (par exemple une pièce appartenant à l'Etat, mais ayant été réservé pour l'occasion par ce groupe) (soit, au point précédent - I' -, le degré 3) ?
– Le fait religieux peut-il être présent dans l'espace public (l'espace commun), mais provenant de lieux privés ?
Ainsi, le tintement de la cloche de l'église peut-il se faire entendre dans la rue ? Même question en ce qui concerne l'appel du muezzin, provenant de l'intérieur d'une mosquée ? La promotion de telle religion peut-elle s'afficher dans des lieux de l'espace public, mais sur des supports publicitaires privés (on le voit aujourd'hui avec les Témoins de Jéhovah, par exemple) ?
En France : Oui.
– Un certain fait religieux peut-il être présent dans certaines institutions de la res publica ?
En Italie, les tribunaux et des écoles publiques affichent un crucifix sur leur mur. Aux Etats-Unis, le Président prête serment sur la Bible.
En France, cela est impossible (sauf en ce qui concerne la présence de crèches de Noël dans les mairies : si cela a une dimension plus culturelle, alors : Oui ; par contre si cela n'a qu'une dimension religieuse, alors : Non).
– Les lois régissant la marche de la société peuvent-elles reproduire les normes figurant dans des livres religieux ?
Dans les pays laïcisés (ce qui inclut les pays de tradition anglo-saxonne, adeptes du secularism), la réponse à cette dernière question est bien sûr : "Non : dans ces pays, aucun livre religieux ne sert de référent en matière de législation". Ce qui n'empêche pas que les hommes faisant la loi dans ces pays étant eux-mêmes influencés par des normes de toutes sortes, certaines lois votées rationnellement par ces hommes dans ces pays sont en fait le prolongement des valeurs chrétiennes faisant autorité antan : "L'interdiction de l'euthanasie active, en France, me disait un concitoyen agnostique diplômé en Droit, n'est que l'ombre portée de la règle biblique : "Tu ne tueras point !"".
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Pour rappel : en France, c'est l'Etat qui est laïque, ce qui n'implique nullement que la totalité des citoyens français doivent être laïques !
Il semble important ici de clarifier une certaine confusion à laquelle on assiste parfois, au sujet du nom "France". Quand on dit : "La France est laïque", cela est vrai, mais de quoi parle-t-on ?
En fait, on désigne sous le nom "la France" :
--- tantôt le territoire, c'est-à-dire l'espace géographique bien connu ;
--- tantôt les hommes et femmes qui sont les habitants permanents de ce territoire ;
--- tantôt l'Etat, au sens de la res publica, "l'institution dotée de la personnalité morale de droit public qui exerce son autorité souveraine sur ce territoire et ses habitants" ; l'Etat est l'institutionnalisation du pouvoir ; c'est une organisation mais aussi une abstraction : on dit ainsi que "le gouvernement (= les personnes physiques le constituant) change, mais l'Etat demeure".
Dès lors, quand on dit : "La France est laïque", cela est vrai seulement pour le troisième sens de "France" : ce propos ne concerne que la personne morale qui gère la France, et pas ses citoyens (qui, eux, sont des personnes physiques). Car parmi ses citoyens, si tous doivent respecter le caractère laïque de l'Etat (au sens où ils respectent tous que l'Etat ne salarie ni ne reconnaît, ni se réfère à, aucune religion), en revanche certains sont laïques (au sens de : "partisans de la limitation des normes d'origine religieuse à leur sphère privée), alors que d'autres ne sont pas laïques (au sens où ils croient devoir appliquer les normes de leur religion dans leur sphère privée mais aussi dans leur sphère familiale et leur sphère communautaire). Et la loi applicable sur le sol de la France prévoit cette diversité au sein de ses citoyens.
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Ce sont là, à mon sens, quelques-uns des aspects de la problématique qui émerge aujourd'hui plus que jamais dans certains pays occidentaux (parmi lesquels la France).
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Un mot supplémentaire à propos des deux modèles suscités :
L'auteur de la recherche et synthèse plus haut évoquée écrit, mettant en évidence ce qu'il présente comme une carence du modèle dit "universaliste républicain" :
"A tant vouloir prôner une citoyenneté totalement déliée des particularismes culturels, on en vient ainsi à des exemples où les individus ne se sentent plus citoyens : ni individus-citoyens, ni citoyens appartenant à une communauté" (Recherche, op. cit.).
"Peut-être serait-il possible de corriger quelque peu les tendances centripètes de la société française en lui injectant quelques doses de multiculturalisme ; tandis que la société américaine souffrirait d'un tropisme centrifuge inverse, et gagnerait peut-être à s'inspirer de notre propre tradition républicaine" (Recherche, op. cit.).
"La plupart des auteurs s'accordent à affirmer qu'il est nécessaire de rendre les différences culturelles visibles, plus qu'elles ne le sont en France [métropolitaine], tout en se gardant de les institutionnaliser comme cela est souhaité aux Etats-Unis. C'est dans la vie sociale [aussi] - pas dans la sphère politique, mais pas seulement dans l'espace privé - que doivent s'exprimer les différences" (Recherche, op. cit.).
Un autre auteur, dans un article paru dans Le Figaro du 14 février 2005, relève que l'île de La Réunion a réalisé un tel modèle : "Pas à pas, au fil d'une histoire qui a certes connu quelques heurts, mais globalement sereine, ils ont construit leur propre modèle d'intégration, à mi-chemin entre le communautarisme britannique et celui, assimilationniste, prôné en métropole" (Le Figaro du 14 février 2005).
Il revient aux Réunionnais de faire leur possible pour ne pas perdre ces acquis.
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Du modèle communautariste et du modèle universaliste jacobin :
Dans ses entretiens avec Aziz Zemouri, alors que ce dernier fait les éloges du modèle de société américaine, communautariste, Tariq Ramadan lui répond :
"On y reconnaît comme un fait qu'il existe des "communautés", que l'on laisse s'organiser et vivre selon leur mode d'existence propre.
Pour les nouveaux immigrants, il y a là quelque chose de séduisant, car cela correspond à leur premier réflexe : se mettre ensemble, se retrouver entre personnes de même origine, préserver les codes culturels, la langue, etc.
Sur le long terme, les choses sont plus compliquées : on s'aperçoit que ces "communautés" bien préservées sont totalement marginalisées par rapport à la société dans laquelle elles vivent. On ne vit pas vraiment ensemble, on vit dans ses espaces clos et distincts. Surtout, ces communautés ne participent pas à la vie politique du pays, elles sont loin des centres de décisions et donc loin de participer à la vie du pays... Ainsi, on laisse les gens vivre en minorités, pour peu qu'ils ne perturbent en rien l'équilibre politique, lequel reste le privilège d'une autre minorité politique et/ou économique" (Faut-il faire taire Tariq Ramadan ?, L'Archipel, 2005, p. 155).
"Vivre ensemble, ce n'est pas uniquement : avoir le droit de vivre "selon ses choix personnels", sans embêter personne. Cette vision produit des ghettos juxtaposés (...)" (p. 158).
Parlant de la France, Tariq Ramadan dit : "Ce n'est pas le "communautarisme" religieux qui crée ces clivages, mais un processus exactement inverse : ces nouveaux types de ségrégations sociales par l'économique et le géographie se voient amplifiés - et non pas induits - par les appartenances religieuses ou culturelles. Les récents travaux de l'économiste Eric Maurin sur le "ghetto français" confirment ces réalités sur lesquelles j'insiste depuis des années. Le discours politique commun fait un diagnostic erroné de la réalité française et entretient des images fantasmatiques sur les "banlieues-ghettos", qui ne correspondent pas aux tensions qui traversent toute la société française" (p. 157).
A quelques questions de Zemouri quant au référentiel de l'engagement de chaque citoyen, Tariq Ramadan répond ceci :
"Chaque individu s'engage dans sa société sur la base de deux paramètres : au nom de son appartenance à une collectivité donnée, dont il respecte le cadre et les règles (la Constitution, la législation, etc.), en tant que citoyen ou en tant que résidant. Et cela, par ailleurs, avec le souci de rester cohérent avec ses convictions personnelles, ses valeurs, son éthique, qu'elles soient religieuses, philosophiques, athées ou agnostiques. (...)
Les univers du privé et du public ne sont pas si étanches, et pour aucun esprit ! Qu'est-ce qui fait qu'un citoyen devient socialiste, écologiste, libéral ou fasciste, si ce n'est, en amont, qu'il se réfère à une philosophie construite ou choisie, ou encore à une idéologie spécifique qui influencera son agir parmi les hommes en tant que français, belge ou américain ? L'appartenance citoyenne ne circonscrit pas tout le donné de notre humanité et de notre engagement, et les musulmans, de ce point de vue, n'ont rien d'original. (...)
Chacun de nous se réfère à un univers de sens qui lui est propre et qu'il a choisi. Pour certains, cet univers est d'abord religieux ; pour d'autres, il est lié à une idéologie ou une philosophie particulière ; pour d'autres encore, c'est la tradition humaniste qui les inspire ; pour la plupart, enfin, c'est un mélange de ces différentes sources sans claire perception de ce qui précisément les inspire. (...)
On ne sait pas toujours à quoi les uns et les autres se réfèrent, mais on sait avec certitude qu'ils n'agissent pas sans une certaine philosophie de la vie. Au fond, la question n'est pas de savoir quelle est la nature de cette philosophie (religieuse, humaniste, athée ou autre), mais bien comment on s'y réfère et comment on s'en inspire sur la champ public. (...)
On peut s'appuyer sur un enseignement religieux et s'engager de façon très ouverte et démocratique dans les débats de société. A l'inverse, on peut être athée ou ne s'inspirer d'aucune philosophie particulière, être sûr du bien-fondé de sa pensée et vouloir l'imposer à autrui sans respecter les autres sensibilités qui composent sa société. la source d'inspiration n'est pas le problème, lequel se situe davantage dans l'esprit et le comportement de celui qui s'y réfère. C'est à ce niveau que s'articule à mon sens le débat" (pp. 176-178).
"Sur un plan plus général, je veux pas qu'on m'impose de prôner l'homosexualité pour prouver que je suis un "bon intégré", dans le vent. On assiste à un véritable renversement des dogmatismes : hier, il était religieux ; aujourd'hui, il s'agit d'imposer une certaine idée du "progressisme" : hors de ce "progressisme", point de salut, et les campagnes inquisitoriales contre les "conservateurs" et les "réactionnaires" n'ont plus de limites" (p. 180).
- Lire aussi : En France, faisons, dans les éléments 'âdî, conformément avec la culture française.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).