Quand j'étudiais en Inde, est arrivé un moment où il a fallu que je renouvelle mon passeport. Pour cela je me suis rendu au consulat de France à Bombay (aujourd'hui Mumbay). Alors, sur mon nouveau passeport figurait désormais comme adresse personnelle celle de la Madrassa où j'étudiais, au Gujarat, dans la ville de Tadkeswar. Moi, un réunionnais, sur mon passeport était marqué comme adresse : un lieu de l'Inde. Chaque fois que je voyais cela, cela me faisait un peu bizarre.
Car je me sentais toujours "d'ailleurs" : j'avais toujours espéré n'être que de passage en Inde, avec le rêve de retourner un jour à La Réunion.
Mon coeur s'était bien sûr attaché au lieu où je me trouvais. Dans la chambre de l'internat où je vivais (et que je partageais avec d'autres étudiants), le coin où j'étais, j'avais essayé de l'arranger un petit peu à ma convenance : quelque chose d'utile ici, un petit quelque chose de décoratif par là...
Mais sans plus.
Sans plus, parce que je savais ne pas être de là-bas. Et que j'espérais un jour repartir.
J'espérais regagner ma terre natale, mon "île intense". Là où je suis né et dont les paysages et le climat n'avaient - et n'ont - jamais quitté mon esprit.
Ce n'est pas que je me sentais mal à l'aise en Inde (au contraire).
C'est que j'espérais que (bi idhnillâh) je n'y resterais pas toujours. Nul ne sait ce qui peut arriver (la mort surgit à tout âge), mais en tous cas j'espérais rentrer.
Le fait est que là-bas j'étais un Etranger. J'étais en fait un Réunionnais se trouvant en Inde. Je n'étais pas un indien.
Al-hamdu lillâh un jour cet espoir a pu se réaliser : ayant complété le cursus dans cette Madrassa, le temps étant venu, j'ai regagné La Réunion. Quittant l'Inde j'avais quelques regrets (plusieurs années, des amitiés, des affections, des professeurs en 'ulûm dîniyya, cela ne s'oublie pas), mais j'avais également la joie de retourner dans ma patrie...
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Tu vis sur cette Terre depuis 20 ans... ou depuis 30 ans... ou 40 ans , ou depuis 50, 60, 70 ans... ou plus encore.
Tu n'y es cependant que de passage.
Tu ne fais que passer. Je ne fais que passer. Nous ne faisons que passer.
Comme tant d'humains ont passé avant toi, avant moi, qui ne sont plus là aujourd'hui. Ils ont passé ici : ils ont fait un bout de chemin ici, un autre là-bas, ont laissé des traces ici et là...
Toute une génération vivaient, avec leurs joies et leurs peines, avec leurs activités elles aussi très intenses. Toute cette génération a passé.
Tant de générations ont passé...
Le temps passe...
Le temps s'en va, le temps s'en va... Las ! Le temps, non, mais nous nous en allons...
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Ton adresse est celle de ta maison ou de ton appartement, dans ta ville, dans ton pays.
Mais ta vraie patrie, ma vraie patrie, notre vraie patrie, c'est les Jardins d'Eden.
C'est le Paradis, là où nos ancêtres Adam et Eve (que la paix soit sur eux) vivaient, et là d'où ils ont dû partir.
N'espères-tu pas un jour rentrer à la Maison ?
Il ne s'agit pas de vivre sur cette Terre dans le mal-être, comme des gens se sentant "pas à leur place".
Mais il ne s'agit pas non plus de vivre sur cette Terre comme si on ne partira plus d'ici. Ou sans préparer notre demeure éternelle.
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Quand es-tu arrivé sur cette Terre, tu le sais...
Mais quand tu en repartiras pour l'autre lieu, tu ne le sais pas...
Et en quel lieu espères-tu être admis là-bas ?
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Le prophète Muhammad (que Dieu le bénisse et le salue) a dit un jour à Abdullâh ibn Omar (que Dieu les agrée) :
"كن في الدنيا كأنك غريب أو عابر سبيل" :
"Sois en ce monde comme si tu étais un étranger. Ou un voyageur, de passage" (al-Bukhârî, 6053).
Chacun "est", de toute façon, ici un étranger, un passant.
Ici, en disant "sois comme si", le Prophète demandait en fait de se percevoir ainsi et de se comporter ainsi.
Abdullâh ibn Omar disait ensuite (entre autres) : "وخذ من صحتك لمرضك، ومن حياتك لموتك" : "Et profite de la période où tu es en bonne santé (avant) la période où tu seras malade. Et de ta vie (avant) ta mort" (Ibid.).
Et c'est comme si c'est à chacun de nous que le Prophète avait dit ces perles de sagesse : "Sois en ce monde comme si tu étais un étranger. Ou un voyageur, de passage".
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Avons-nous profité de ces années que Dieu nous a donné de vivre jusqu'à présent ?
Les avons-nous consacrées à obtenir une bonne place dans notre vraie patrie ?
Oh, il a bien fallu que nous mangions, que nous ayons un toit, que nous nous déplacions, que nous fondions une famille... Tout cela demande de l'argent, des biens matériels... Et cet argent ne pousse pas sur des arbres, il a fallu faire des études, parfois de longues études, et ensuite exercer un métier, pour gagner cet argent à la sueur de son front (ou à l'effort de ce qui se trouve derrière ce front)... Il a fallu aussi que nous nous reposions (sur le plan physique comme sur le plan mental). Il a fallu encore que nous nous soignions (lorsque nous sommes tombés malades).
Tout cela bien sûr, il faut le faire, et il a donc fallu que nous le fassions.
Mais avons-nous fait aussi quelque chose pour que ces activités-là soient des moyens supplémentaires pour obtenir une place dans notre vraie patrie ? Et avons-nous consacré aussi de notre temps, de nos pensées, de notre énergie, à faire d'autres actions, spirituelles quant à elles et ayant pour seul objectif l'obtention de cette place là-bas ?
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Que Dieu nous garde sur le droit chemin et qu'Il nous mène jusqu'au but de notre voyage sans détour.
Amîne.