Suite de : "La dérivation d'un mot arabe (avec modification de sa forme) à partir d'un autre - الاشتقاق".
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I) Ce qui est essentiel, c'est de distinguer, à l'instant T, quel est le sens premier du terme :
– Ce sens premier du terme (المعنى الأول لللفظ), c'est le sens qui vient en premier à l'esprit de l'interlocuteur (celui qui entend). Cela par opposition à un sens secondaire (المعنى الثاني لللفظ) du terme : lui est un autre sens, également connu et reconnu par l'usage, mais qui n'est pas le sens qui vient en premier à l'esprit de l'interlocuteur.
– Le sens voulu par le locuteur (المعنى المراد للمتكلم من اللفظ) peut être ce sens premier, comme il peut être un sens autre.
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II) Mais en fait il existe (parfois) 3 Sens :
--- a) le sens premier du terme (المعنى الأول لللفظ) : il s'agit du sens qui vient en premier à l'esprit de l'interlocuteur (celui qui entend). Et ce par opposition au sens secondaire (المعنى الثاني لللفظ) du terme (lui est un autre sens, également connu et reconnu par l'usage, mais qui n'est pas le sens qui vient en premier à l'esprit de l'interlocuteur) ;
--- b) le sens voulu par le locuteur (celui qui a prononcé le terme) (المعنى المراد للمتكلم من اللفظ) : lui peut vouloir, en employant ce terme, signifier son sens premier, ou son sens secondaire ;
--- c) le sens originel du terme (المعنى الأصلي لللفظ).
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III) Quand un terme :
--- a plusieurs sens ;
--- ou bien n'avait qu'un seul sens mais a vu ce sens se modifier ;
--- ou bien avait pour sens premier (a) son sens originel (c), mais a ensuite connu un déplacement de son sens premier (a), lequel n'est plus ce sens originel (c) (ce sens originel étant désormais soit un sens possible, soit un sens secondaire, soit un sens délaissé) :
– Voici ce qu'on lit sur le sujet dans At-Talwîh : "أن اللفظ إذا تعدد مفهومه فإن لم يتخلل بينهما نقل فهو المشترك؛ وإن تخلل، فإن لم يكن النقل لمناسبة فـمرتجل؛ وإن كان فإن هجر المعنى الأول فـمنقول؛ وإلا ففي الأول حقيقة وفي الثاني مجاز" (At-Talwîh, pp. 155-156). "والمراد بوضع اللفظ: تعيينه للمعنى بحيث يدل عليه من غير قرينة؛ أي يكون العلم بالتعيين كافيا في ذلك. فإن كان ذلك التعيين من جهة واضع اللغة فوضع لغوي، وإلا فإن كان من الشارع فوضع شرعي، وإلا فإن كان من قوم مخصوص كأهل الصناعات من العلماء وغيرهم فوضع عرفي خاص، ويسمى اصطلاحيا، وإلا فوضع عرفي عام. وقد غلب العرف عند الإطلاق على العرف العام. فالمعتبر في الحقيقة هو الوضع بشيء من الأوضاع المذكورة، وفي المجاز عدم الوضع في الجملة [اي عدم وضع اللفظ لهذا المعنى كمدلول أوّليّ]" (Ibid., pp. 153-154).
– Personnellement je formulerais les choses ainsi :
"إن اللفظ إذا تعدد مفهومه: فإن كان هذا التعدد من الوضع الأصلى، أو كان لللفظ معنى أصلي ثم استعمل في معنى آخر ولكن لم يعرف التمييز بين المعنى الأصلىّ والمعنى الآخر، فاللفظ: مشترك؛ وإن لم يكن الأمر هكذا بل عُرِف لللفظ معنى أصلي ومعنى آخر استعمل فيه بعدُ: فإن لم يغلب المعنى الآخر على المعنى الأصلي، فهو لفظ له معنيان ما زال المعنى الأصلي هو المعنى الأول؛ وإن غلب المعنى الآخر على المعنى الأصلي، فهو نقل: فإن كان النقل لمناسبة فاللفظ يسمى: منقول؛ وإن لم يكن لمناسبة فاللفظ مرتجل. وكل نقل: كوضع جديد" (ce qui est manqûl istilâhî est désormais, en son sens devenu premier : haqîqa ; mais, dans la même période, il peut également être employé en tant que majâz ; les deux ne sont donc pas opposés).
Voici comment les choses sont...
– A) Tout d'abord il y a le terme qui ne possède qu'un seul sens, et dont le champ sémantique est réduit : il n'a même pas de sens figuré.
– B) Ensuite il y a le terme qui possède plusieurs sens.
–--- B.A) D'un côté il y a le terme qui possède plusieurs sens, soit dès l'origine, soit sans qu'on puisse distinguer un sens originel (c) d'un sens apparu par la suite : ce terme est appelé : Mushtarak, polysémique.
Le terme "'ayn" est ainsi, signifiant à la fois "oeil", "source" et "être".
Le terme "qar'", présent dans le Coran est également ainsi (pour sa part ce terme signifie même deux choses totalement opposées).
–--- B.B) De l'autre côté il y a le terme qui, à l'origine (c), ne possédait qu'un seul sens, et, par la suite, s'est mis à être employé pour désigner un ou plusieurs autre(s) sens (voir en IV, plus bas, les possibles relations entre le sens originel et cet autre sens).
----- B.B.A) La règle normale est que, dans l'usage,
c'est ce sens originel (المعنى الأصلي) (c) du terme qui demeure le sens premier de ce terme (المعنى الأول) (a). Et que c'est seulement de façon secondaire que ce terme désigne l'un de ses autres sens (soit son sens figuré, معنى مجازيّ, soit autre). En un mot : le sens originel demeure le sens premier et normal du terme, alors que le sens apparu par la suite est secondaire.
----- B.B.B) Cependant, parfois, dans l'usage, le terme ne véhicule plus, au moins en tant que son sens premier (a), son sens originel (c).
En effet, le sens apparu par la suite :
------- soit va devenir à égalité avec le sens originel (B.B.B.A) ;
------- soit, dans la probabilité d'être signifié, va dépasser le sens originel, mais sans le supplanter (B.B.B.B) ;
------- soit va le dépasser au point de le supplanter (B.B.B.C) ;
------- soit va le supplanter au point de le rendre "oublié" (B.B.B.D)...
------- B.B.B.A) ... Parfois, le terme est autant utilisé pour désigner (en tant que sens premier, a) : le sens apparu par la suite, que le sens originel (c) : il y a alors les deux possibilités quand l'interlocuteur l'entend du locuteur : soit ce dernier a voulu signifier le sens d'origine, soit il a voulu signifier le sens qui est apparu secondairement.
Ainsi, le mari disant à son épouse : "Rejoins les tiens" peut vouloir lui dire de se rendre momentanément chez ses parents ; comme il peut vouloir lui dire sa volonté de mettre fin à leur mariage (le fait de rejoindre les siens étant le lâzim, corollaire, du divorce, et le divorce étant le malzûm du fait de rejoindre les siens).
------- B.B.B.B) ... D'autres fois, le terme est davantage utilisé pour désigner (en tant que sens premier, a) le sens qui est apparu par la suite que pour désigner le sens originel, bien que le terme continue à être employé pour désigner tantôt le sens originel (c) et tantôt le sens apparu ensuite.
Le terme qui est un "Haqîqa Musta'mala wa Majâz Muta'âraf" (المجاز الغالب الاستعمال) s'insère ici : c'est-à-dire que le terme est plus connu en tant que véhicule de son sens majâzî qu'en tant que véhicule de son sens haqîqî ; cependant, il est également employé pour véhiculer son sens originel (le sens haqîqî). "ومن حلف لا يأكل من هذه الحنطة لم يحنث حتى يقضمها ولو أكل من خبزها لم يحنث عند أبي حنيفة رحمه الله. وقالا إن أكل من خبزها حنث أيضا، لأنه مفهوم منه عرفا. ولأبي حنيفة رحمه الله أن له حقيقة مستعملة فإنها تقلى وتغلى وتؤكل قضما، وهي قاضية على المجاز المتعارف على ما هو الأصل عنده" (Al-Hidâya).
(Ce genre de terme n'est apparemment pas un "Manqûl" ; la raison en est que le terme est toujours employé pour désigner son sens originel, et cela sans indice, qarîna ; c'est d'ailleurs pourquoi on peut toujours désigner ce sens originel comme étant : "le sens propre" du terme. (Car si ce n'était pas le cas, ce serait le sens qui était auparavant secondaire qui deviendrait : "le sens propre du terme", comme pour les cas à venir, B.B.B.C et B.B.B.D).)
------- B.B.B.C) ... Parfois encore, dans l'usage, le terme n'est plus utilisé (autrement que dans un sens figuré) pour désigner le sens d'origine (Mat'rûk fi-l-ma'na-l-aslî) (متروك في المعنى الأصلي). On parle alors de ce terme comme étant un "Manqûl" (منقول) : c'est le sens apparu par la suite (le sens autre que le c) qui est devenu son sens premier (a), celui qui vient immédiatement à l'esprit (بحيث يتبادر منه المعنى الآخر إذا أطلق مجردا عن القرائن) : le terme a vu son sens "être déplacé".
C'est le cas du terme Dâbba pour signifier "Hashara" (animal rampant) ; c'en était le sens originel, mais ce terme est devenu délaissé pour désigner ce sens originel : il désigne désormais : "animal à quatre pattes". C'est là un Manqûl 'Urfî (منقول عرفي).
Quant au terme "Salât", à l'origine en langue arabe il avait pour sens : celui de "du'â" (simple prière) ; or, dans l'usage du Dîn ul-islâm, son sens propre est devenu : "prière rituelle" ; ce n'est plus qu'au sens figuré qu'il signifie : "du'â" (At-Talwîh, p. 156). C'est là un Manqûl Shar'î (منقول شرعي).
Le terme qui est "Haqîqa Mahjûra" s'insère ici : "حلف (لا يضع قدمه في دار فلان: حنث بدخولها مطلقا) ولو حافيا أو راكبا، لما تقرر أن الحقيقة متى كانت متعذرة أو مهجورة صير إلى المجاز؛ حتى لو اضطجع ووضع قدميه لم يحنث" (Ad-Durr ul-mukhtâr) (voir aussi Muntakhab al-Hussâmî, p. 16).
------- B.B.B.D) ... Enfin, parfois le terme n'est plus du tout utilisé pour désigner son sens originel (Mansî fi-l-ma'na-l-aslî) (منسي في المعنى الأصلي). Ce sens originel, à partir de ce terme, est non seulement délaissé mais même complètement oublié dans l'usage, n'étant plus exposé que dans les dictionnaires étymologiques. Ce genre de terme est lui aussi un "Manqûl 'Urfî" (منقول عرفي).
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IV) Appréhender un terme dans un sens autre que son sens premier, cela inclut :
--- appréhender ce terme en un sens figuré (haml ul-lafzi 'alâ ma'nâ-hu-l-majâzî) ; lire : Quand un terme possède un Sens Propre (معنى حقيقي), et un ou plusieurs Sens Figuré(s) (معنى جازي) ;
--- considérer que le terme / la formule est un euphémisme/ une périphrase (haml ul-lafzi 'alâ ma'nâ-hu-l-kinâ'ï) ;
--- comprendre, d'un terme de portée générale, une réalité plus restreinte (itlâqu lafzin 'âmm wa irâdatu ma'nan khâss) ;
--- comprendre d'un terme de portée restreinte, une réalité plus générale (ta'mîm) ;
--- comprendre la phrase en considérant qu'un autre terme, non présent dans le texte, est sous-entendu (taqdîru lafzin).
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Dans tous ces cas, il faut la présence d'un indice (qarîna) pour que, du terme, on comprenne autre chose que son sens qui, dans le moment et dans le lieu où se déroule la conversation, est son sens premier (a).
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Quand on cherche à établir si le terme est utilisé en son sens propre ou bien en son sens figuré, il s'agit de considérer le sens premier (a) que ce terme a lorsqu'il est considéré isolément.
Car, sinon, lorsqu'un terme est placé aux côtés de certains autres termes précis, le sens qui en vient le premier à l'esprit de l'interlocuteur (a) s'en trouve parfois modifié. Ainsi :
– le terme individuel "cité" veut dire en son sens premier (a) : "un ensemble d'habitations regroupées" ;
– mais lorsque mis aux côtés du verbe "demander à", dans la phrase : "Demande à la cité", ce terme "cité" veut dire : "les habitants de cet ensemble d'habitations" : vu que tout interlocuteur comprend comme sens premier (a), de ce terme "cité" présent dans cette phrase, ce sens-là ("habitants de la cité"), on pourrait dire que ce sens-là étant le sens évident de ce terme dans cette phrase, il n'y a pas à distinguer haqîqa et majâz. Mais en fait, il s'agit du sens que chacun comprend de ce terme lorsque celui-ci est placé après le verbe "demander à". Sinon, lorsque ce terme est considéré isolément, ce n'est pas là le sens que chacun comprend de lui. C'est là la différence entre "lemme simple" et "lemme complexe".
Dès lors, le terme "cité" est bel et bien, dans cette phrase "Demande à la cité", un majâz : la raison en est que le sens premier qu'a alors ce terme au contact de ce groupe est autre que le sens premier qu'il a lorsque considéré individuellement ; or c'est le sens du terme lorsque considéré individuellement qui est à considérer pour établir si ce terme a été employé en son sens propre ou bien en son sens figuré.
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V) C'est l'USAGE (soit dans l'Absolu, soit uniquement chez le groupe de ceux qui conversent) qui fait loi pour déterminer quel est, à l'instant T, le sens premier et normal (a) du terme :
Même lorsque ce sens premier (a) est autre que le sens originel (c) du terme, c'est en fait l'usage qui a rendu ce sens originel (c) soit secondaire (cas B.B.B.B) ; soit complètement délaissé (cas B.B.B.C & cas B.B.B.D)).
"والمراد بوضع اللفظ: تعيينه للمعنى بحيث يدل عليه من غير قرينة؛ أي يكون العلم بالتعيين كافيا في ذلك.
فإن كان ذلك التعيين من جهة واضع اللغة فوضع لغوي، وإلا فإن كان من الشارع فوضع شرعي، وإلا فإن كان من قوم مخصوص كأهل الصناعات من العلماء وغيرهم فوضع عرفي خاص، ويسمى اصطلاحيا، وإلا فوضع عرفي عام. وقد غلب العرف عند الإطلاق على العرف العام.
فالمعتبر في الحقيقة هو الوضع بشيء من الأوضاع المذكورة، وفي المجاز عدم الوضع في الجملة" (At-Talwîh, pp. 153-154).
"وأما المنقول فمنه ما غلب في معنى مجازي للموضوع الأول حتى هجر الأول. وهو حقيقة في الأول مجاز في الثاني من حيث اللغة؛ وبالعكس) أي حقيقة في الثاني مجاز في الأول (من حيث الناقل، وهو إما الشرع أو العرف أو الاصطلاح" (At-Tawdhîh, pp. 155-156).
Ainsi, le terme "Salât" :
--- a, à l'origine en langue arabe, pour sens premier (et donc pour sens propre), celui de "Du'â" (simple prière) ;
--- or, dans l'usage du Dîn ul-islâm, ce sens de "simple prière" est son sens figuré, car son sens propre y est : "prière rituelle" (At-Talwîh, p. 156). Ce terme est donc un Manqûl Shar'î. Et quand ce sont deux musulmans qui conversent, ce terme "Salât" est haqîqa quand il signifie : "prière rituelle", et est majâz quand il signifie : "simple prière".
On voit que ce qui est à prendre en considération pour déterminer ce que sont le sens premier (a) et le sens second d'un terme, c'est l'ensemble des 2 choses suivantes :
--- primo le moment où la conversation se fait (cela car le sens de certains termes change dans le temps) ;
--- secundo la terminologie que les deux interlocuteurs partagent (cela car les terminologies confèrent des sens différents au même terme : le terme "opération" n'a pas le même sens chez les mathématiciens que chez les chirurgiens).
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A lire ensuite :
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).