Il faut rappeler ici que les noms "حقيقة" et "مجاز" renvoient aux termes (ألفاظ) utilisés par le locuteur :
– Le terme (لفظ) que le locuteur utilise, si ce dernier lui confère le sens (معنى) pour lequel il a été forgé (بالوضع اللغوي) ou pour lequel il est normalement employé dans l'usage des deux locuteurs (بحسب عرف المتخاطبين), alors ce terme (لفظ) est dit : "حقيقة" ou "تحقيق".
– Et le terme (لفظ) que le locuteur utilise, si ce dernier lui confère un sens (معنى) qui est autre que celui pour lequel il a été forgé (بالوضع اللغوي) ou pour lequel il est normalement employé dans l'usage des deux locuteurs (بحسب عرف المتخاطبين) mais qui présente un lien avec ce sens (معنى) normal, alors ce terme (لفظ) est dit : "مجاز".
Il faut toujours un indice (soit dans le texte, soit dans le contexte) montrant que le terme en question n'est pas à appréhender dans son sens premier.
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Par rapport maintenant au sens (معنى) que le locuteur confère au terme qu'il utilise, on emploie 2 termes voisins mais différents :
– Le sens (معنى) que le locuteur a conféré à un terme (لفظ) donné, si ce sens est bien le sens pour lequel ce terme a été forgé (بالوضع اللغوي) ou pour lequel il est normalement employé dans l'usage des deux locuteurs (بحسب عرف المتخاطبين), alors ce sens est dit : "معنى حقيقيّ".
– Et le sens (معنى) que le locuteur a conféré à un terme (لفظ) donné, si ce sens est autre que le sens pour lequel ce terme a été forgé (بالوضع اللغوي) ou pour lequel il est normalement employé dans l'usage des deux locuteurs (بحسب عرف المتخاطبين) mais est apparenté à ce sens originel, alors ce sens est dit : "معنى مجازيّ".
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At-Taftâzânî écrit :
"والمراد بوضع اللفظ: تعيينه للمعنى بحيث يدل عليه من غير قرينة؛ أي يكون العلم بالتعيين كافيا في ذلك. فإن كان ذلك التعيين من جهة واضع اللغة فوضع لغوي؛ وإلا، فإن كان من الشارع فوضع شرعي؛ وإلا، فإن كان من قوم مخصوص كأهل الصناعات من العلماء وغيرهم فوضع عرفي خاص، ويسمى اصطلاحيا؛ وإلا، فوضع عرفي عام. وقد غلب العرف عند الإطلاق على العرف العام. فالمعتبر في الحقيقة هو الوضع بشيء من الأوضاع المذكورة، وفي المجاز عدم الوضع في الجملة [اي عدم وضع اللفظ لهذا المعنى كمدلول أوّليّ]" (Ibid., pp. 153-154).
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Règles de sémantique arabe à propos des termes ayant un sens figuré, avec des exemples issus du Coran :
Il existe 3 choses (et parfois 3 + 1 choses) :
– d'un côté il y a le terme (lafz) que le locuteur emploie ;
– de l'autre côté il y a la réalité (haqîqa khârija) que ce terme cherche à désigner ;
– entre les deux se trouve le sens (ma'nâ) que ce terme (lafz) évoque dans l'esprit humain (celui du locuteur et celui de l'interlocuteur) ;
----- si l'humain a déjà, de ses yeux, vu la réalité que ce terme cherche à désigner, il y a, couplée à ce sens : l'image mentale (sûra dhih'niyya) de cette réalité ; sinon il n'y en a que le sens.
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Il y a ensuite :
– A) la Dalâla haqîqiyya : le fait qu'un terme (lafz) désigne le sens (ma'nâ) pour lequel il a été forgé ou pour lequel il est normalement employé dans l'usage des deux locuteurs ;
– B) la Dalâla majâziyya : le fait qu'un terme ou un groupe de termes (lafz) désigne un sens (ma'nâ) autre que celui pour lequel il a été forgé ou pour lequel il est normalement employé dans l'usage des deux locuteurs, mais qui a malgré tout un rapport avec ce sens-là.
Dans le cas d'une Dalâla de ce second type (B, Dalâla majâziyya), il existe, dans la réalité (al-haqîqa al-khârija), 2 choses :
--- une première chose du réel est ce à quoi correspond le sens originel de ce terme ou groupe de termes (lafz), c'est-à-dire le sens pour lequel ce terme a été forgé ou pour lequel il est normalement employé dans l'usage des deux locuteurs (al-ma'na-l-awwal). ;
--- une seconde chose existant dans la réalité (al-haqîqa al-khârija) est ce à quoi correspond le sens (ma'nâ) que le locuteur, en employant ce terme ou groupe de termes (lafz), veut signifier (al-ma'na-l-murâd li-l-mutakallim, wa huwa-l-ma'na-l-majâzî).
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Ensuite, dans le cas d'un مجاز لُغَوي :
– B.A) Soit il s'agit d'un seul terme (مفرد), considéré isolément ; on considère le sens de ce terme pris isolément : il a tel sens premier, et il a tel sens "dérivé", qui est son sens figuré.
– B.B) Soit il s'agit d'un ensemble de termes, considérés comme un tout (مركب) ; on considère l'ensemble : cet ensemble a tel sens premier (qui est son sens normal) même lorsque considéré comme un tout ; mais il a, lorsque considéré comme un tout (et non plus lorsque chaque terme est considéré isolément) tel sens "dérivé", qui est son sens figuré. Exemple : "أراك تقدم رجلًا وتؤخر أخرى". On parle alors de "تمثيل".
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En même temps, dans le cas du مجاز لُغَوي :
– B.1) Soit la relation existant entre la première chose (= la chose que le terme en question désigne normalement) et la seconde chose (celle que l'émetteur veut désigner en employant ce terme) est une relation de comparaison (تشبيه), mais seul le comparant (مشبَّه به) est mentionné, et pas le comparé (مشبَّه) ; ou bien le comparé (مشبَّه) est mentionné, et, avec lui, le corollaire du comparant (لازم المشبَّه به).
On a alors affaire à une "استعارة", une "métaphore directe".
– B.2) Soit la relation existant entre la première chose (= la chose que le terme en question désigne normalement) et la seconde chose (celle que l'émetteur veut désigner en employant ce terme) n'est pas une relation de comparaison.
On a alors affaire à un "مجاز مرسل", une "métonymie".
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Quelle est alors cette relation existant en B.A.2 ?
Tout dépend de ce que la première chose (celle que le terme désigne normalement) constitue par rapport à la seconde chose (celle que l'émetteur veut, lui, désigner en employant ce terme).
En effet, dans le réel, cette première chose (الواقع المطابق للمعنى الذي وُضِع هذا اللفظ له) constitue, par rapport à cette seconde (الواقع المطابق للمعنى المراد للمتكلم من اللفظ الذي استعمله، وهو المجاز) :
--- soit son tout : on lit dans le Coran : "Ils se mettent les doigts dans les oreilles à cause des foudres" ("يجعلون أصابعهم في آذانهم من الصواعق") pour signifier : "le bout des doigts" (cela est dit : "emploi du tout pour la partie", ou "'alâqatuhû : al-kulliyya" ; on dit également : "tasmiyat us-shay' b'ismi juz'i-hî") ;
--- soit, au contraire, sa partie seulement : on lit dans le Coran la formule : "libération d'un cou" ("تحرير رقبة"), pour signifier : "libération d'un esclave" ("emploi de la partie pour le tout", ou "'alâqatuhû : al-juz'iyya") ;
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--- soit son contenant / le lieu où cette seconde chose se trouve : on lit dans le Coran : "Demande à la cité" ("واسأل القرية"), pour dire : "aux gens de la cité". Un autre exemple dans le Coran en est le terme "ka's", "verre" ("إِنَّ الْأَبْرَارَ يَشْرَبُونَ مِن كَأْسٍ كَانَ مِزَاجُهَا كَافُورًا" : Coran 76/5), pour dire : "vin" ("يشربون من كأس} هو إناء شرب الخمر، وهي فيه؛ والمراد: "من خمر"، تسمية للحال باسم المحل. و"من" للتبعيض" : Tafsîr ul-Jalâlayn). Un autre exemple est : "an-nahar" ("النهر"), pour désigner "l'eau qui coule dans une longue crevasse" (alors que le sens originel de ce terme est : "le lit de cette rivière") ("emploi du contenant pour le contenu", "tasmiyat ul-hâll bism il-mahall", ou "'alâqatuhû : al-mahalliyya") ;
--- soit le contenu de cette seconde chose / la chose qui se trouve en cette seconde chose : on lit dans le Coran : "Ils seront dans la Miséricorde de Dieu, dans laquelle ils demeureront éternellement" ("ففي رحمة الله هم فيها خالدون"), pour désigner : "le Paradis, lieu où se manifeste l'Attribut de Miséricorde de Dieu". Un autre exemple est : "al-wâdî" ("الوادي"), pour désigner : "le lieu où l'eau coule" (alors que le sens originel de ce terme est : "ce qui coule") ("emploi du contenu pour le contenant", ou "'alâqatuhû : al-hâlliyya") ;
--- soit ce qui se trouve dans l'immédiate proximité (mujâwir) de cette seconde chose : "harth" pour désigner : "ce qui est cultivé" ("والحرث في اللغة شق الأرض للزراعة. ويسمى الزرع حرثا للمجاورة والتناسب. ويدخل سائر الشجر والغراسات في ذلك حملا على الزرع، ومنه قول عز وجل {إذ يحكمان في الحرث}، وهو كرم على ما ورد في التفاسير" : Tafsîr Ibn 'Atiyya). "Haqw" (والأصل في الحقو معقد الإزار، وجمعه أحق وأحقاء. ثم سمي به الإزار للمجاورة" : An-Nihâya fî gharîb il-hadîthi wa-l-athar). "Huma" ("الحمة بالتخفيف: السم، وقد يشدد، وأنكره الأزهري. ويطلق على إبرة العقرب للمجاورة، لأن السم منها يخرج. وأصلها حمو، أو حمي بوزن صرد، والهاء فيها عوض من الواو المحذوفة أو الياء" : Ibid.). "Dhab'" ("الضبع بسكون الباء: وسط العضد. (...). ويقال للإبط الضبع، للمجاورة" : Ibid.). "Nabîdh" ("وصار النبيذ في العرف العام اسمًا للشراب المسكر، وإن كان النبيذ في الأصل إنما هو للشيء الملقى في الماء كالتمر والفضيح ونحوهما، ثم أطلق على ذلك الماء الذي ألقي فيه مجازًا للمجاورة، ثم غلب على المسكر" : 'Umdat ul-huffâz fî tafsîri ashraf il-alfâz, N-B) ("emploi du nom qui désigne ce qui est dans le voisinage immédiat de la chose", ou "'alâqatuhû : al-mujâwara") ;
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--- soit ce que cette seconde chose était dans le passé (mâ kâna) alors qu'elle ne l'est plus maintenant) : on lit dans le Coran, s'adressant aux hommes de la famille, à propos de leurs parentes divorcées : "Ne les empêchez pas de se marier avec leurs époux s'ils sont d'accord entre eux, selon la bienséance" ("فلا تعضلوهن أن ينكحن أزواجهن"), pour dire : "de se remarier avec ceux qui étaient auparavant leurs époux et qui ont divorcé d'elles" ("emploi du nom que la chose était", ou "'alâqatuhû : i'tibâru mâ kâna") ;
--- soit ce que cette seconde chose deviendra bientôt dans le futur (mâ yakûnu) (alors qu'elle ne l'est pas encore pour l'instant) : on lit dans le Coran : "L'un des deux dit : "Je me suis vu (en rêve) pressant du vin"" ("قَالَ أَحَدُهُمَآ إِنِّي أَرَانِي أَعْصِرُ خَمْرًا"), pour signifier : "pressant du raisin") ("emploi du nom désignant ce que la chose va devenir", ou "'alâqatuhû : i'tibâru mâ yakûn") ;
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--- soit la cause (sabab mu'aththir) de cette seconde chose : c'est ainsi que Jésus fils de Marie a été qualifié de "parole provenant de Dieu" ("كلمة من الله"), pour signifier non pas que Jésus serait une parole de Dieu s'étant matérialisée, mais seulement qu'il est la conséquence directe d'une parole de Dieu ("emploi de la cause pour le résultat", ou "'alâqatuhû : as-sababiyya") ;
--- soit le moyen / l'instrument (âlah / wassîla) pour que cette seconde chose voit le jour (cet instrument cause l'effet mais est appelé "moyen" par égard pour le tiers, qui l'utilise) : c'est ainsi qu'on lit dans le Coran : "Et suscite pour moi une langue de bien parmi ceux qui viendront après" : "وَاجْعَل لِّي لِسَانَ صِدْقٍ فِي الْآخِرِينَ" (Coran 26/84), pour signifier : "une parole de bien" ("emploi du moyen pour l'effet", ou "'alâqatuhû : al-âliyya") ;
--- soit, au contraire, l'effet (athar) / la conséquence (mussabbab) de cette seconde chose : on lit dans le Coran : "de ce que Dieu a fait descendre du ciel comme subsistance, puis Il a par son moyen fait revivre la terre" ("وَفِي خَلْقِكُمْ وَمَا يَبُثُّ مِن دَابَّةٍ آيَاتٌ لِّقَوْمٍ يُوقِنُونَ وَاخْتِلَافِ اللَّيْلِ وَالنَّهَارِ وَمَا أَنزَلَ اللَّهُ مِنَ السَّمَاء مِن رِّزْقٍ فَأَحْيَا بِهِ الْأَرْضَ بَعْدَ مَوْتِهَا وَتَصْرِيفِ الرِّيَاحِ آيَاتٌ لِّقَوْمٍ يَعْقِلُونَ"), pour signifier seulement : "comme pluie" ("emploi de la conséquence pour la cause", ou "'alâqatuhû : al-mussabbabiyya") ;
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--- soit l'équivalent (mu'âdil) de cette seconde chose, dans un(e) autre lieu, époque ou groupe : dans la Sunna, il y a un hadîth dans lequel le terme "Qur'ân" désigne en fait : "les Psaumes" ("emploi d'un nom pour son équivalent ailleurs", ou "'alâqatuhû : al-mu'âdala").
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Un exemple de terme مجاز présent dans le Coran :
--- Dieu relate dans le Coran que l'un des deux compagnons de prison du prophète Joseph dit à ce dernier, lui relatant son rêve dont il voulait l'interprétation : "قَالَ أَحَدُهُمَآ إِنِّي أَرَانِي أَعْصِرُ خَمْرًا" : "Je me vois (en rêve) pressant du khamr" (Coran 12/36).
Le terme "khamr" (خمر) désigne une boisson alcoolique (soit le vin précisément, soit toute boisson alcoolique : lire notre article).
Or c'était en réalité de "raisin" – et non de "vin" – que cet homme parlait : il voulait dire qu'il s'était vu en rêve pressant du raisin.
Le fait est qu'il est impossible (ou insensé) de presser du vin : c'est là l'indice, qarîna, que le terme "khamr" n'est pas à appréhender, ici, en son sens propre.
Pourtant, et bien que le terme "khamr" ne désigne pas de façon originelle "le raisin", Dieu a bien cité cette phrase où il y a ce terme "khamr" qui y désigne le raisin (au lieu que s'y trouve le terme "'inab", qui, lui, désigne de façon normale : "le raisin").
En fait si cette opération a été possible, c'est parce que ce que ce terme "khamr" désigne originellement – à savoir "le vin" – (et c'est là son sens propre), cela présente une relation ('alâqa) avec "le raisin" : "le vin" était du "raisin" ("al-khamru kâna 'inaban") ; en fait il est le résultat d'une transformation complète du raisin. C'est ce qui a fait qu'il a été possible d'employer le terme qui signifie à l'origine "vin" pour signifier en fait : "raisin".
Dans ce verset, le terme "خمر" est donc bel et bien un "مجاز", eu égard à ce qu'il y signifie ("raisin"), ce qui représente un "معنى مجازي" par rapport à ce terme.
Pour signifier la même chose, c'est le terme "عنب" qui est "حقيقة" ou "تحقيق" : le sens "raisin" est un "معنى حقيقيّ" par rapport à ce terme.
On a ainsi, dans ce verset du Coran, la présence d'un terme qui est à appréhender au sens figuré : il désigne originellement quelque chose, mais a été employé dans cette phrase pour désigner ce à partir de quoi cette chose est faite.
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D'autres exemples de termes "majâz" présents dans le Coran et la Sunna ont été présentés dans ces deux autres articles :
- Y a-t-il ou non des termes à appréhender au sens figuré (مجاز) dans le Coran et la Sunna ?
- Comment comprendre les "épée", "lance" et "arc" que les hadîths évoquent pour l'époque du retour de Jésus fils de Marie ?
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).