Des mots auraient-ils été rajoutés au texte du Coran, puisqu'ils sont d'origine non-arabe, alors que le Coran se présente comme un "Coran (en langue) arabe claire" ?

"Le Coran contient des mots non-arabes : n'est-ce pas une preuve qu'il a été retouché au contact de populations non-arabes converties à l'islam ?"

Cette objection revient souvent sous la plume d'orientalistes et d'universitaires européens spécialistes en arabe et en islamologie. D'ailleurs, le Dr. Puin, universitaire allemand qui propage actuellement ses recherches cherchant à mettre en doute l'authenticité des copies coraniques, reprend notamment et à peu de choses près cette ancienne objection.

L'objection porte sur la présence, dans le texte coranique, de mots d'origine non-arabe : "qintâr" (Coran 3/14), d'origine rûmî (= grecque ? ou latine ?) ; "surâdiq" (75/51), d'origine abyssinienne ; "sundus" (18/31), d'origine persane ; etc. Or, disent ces universitaires, le Coran se prétend lui-même être "en arabe pur" (voir le texte coranique).

La conclusion s'impose donc : "Ces mots non-arabes ont été rajoutés au texte originel, qui était "en arabe pur", lors de la conquête de territoires perses et byzantins par les Arabes, après la mort du Prophète."

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Ce raisonnement est cependant très discutable. Il est même étonnant venant d'universitaires, réputés pour leur rigueur dans la recherche.

Premièrement parce que les références coraniques auxquelles il a été fait allusion (Coran 12/2 ; 39/28 ; 42/7 ; 43/3) ne disent pas que le Coran serait "en arabe pur" mais "en arabe clair" ("lisânin 'arabiyyin mubîn"). La différence est de taille. Et le changement de terme est étonnant venant de spécialistes, car chacun sait que "pur" se dit "mah'dh" en arabe, et non "mubîn"...

Deuxièmement parce que ces mots, certes d'origine non-arabe, faisait déjà partie de la langue arabe avant la période de la révélation du Coran, lequel demeure donc bien un texte intégralement "en langue arabe". Or, l'objection qui est faite ici à propos du texte du Coran reviendrait à dire, parlant de la littérature française, que tel texte classique a été retouché après qu'il ait été écrit par son auteur, simplement parce qu'il contient des mots comme "verdict" (d'origine anglaise), "leitmotiv" (d'origine allemande), "sacoche" (d'origine italienne), "savane" (d'origine espagnole) ou "chiffre" (d'origine arabe). Pourtant, tous ces mots, bien que d'origine étrangère, appartiennent bien à la langue française. Et leur présence dans un texte en français n'indique pas que celui-ci ait été retouché.

De la même façon, les mots du Coran cités ci-dessus sont certes d'origine persane, byzantine ou autre, mais faisaient déjà partie du vocabulaire de la langue arabe avant la venue de l'islam.
C'est ce qu'ont écrit depuis fort longtemps déjà des ulémas tels que Abû Ubayd al-Qâsim ibn Salâm (al-Jawâlîqî, Ibn ul-Jawzî et d'autres encore penchent vers le même avis).
As-Suyûtî écrit : "وقال أبو عبيد القاسم بن سلام بعد أن حكى القول بالوقوع عن الفقهاء والمنع عن العربية: "والصواب عندي مذهب فيه تصديق القولين جميعا، وذلك أن هذه الأحرف أصولها أعجمية - كما قال الفقهاء -، لكنها وقعت للعرب فعربتها بألسنتها وحولتها عن ألفاظ العجم إلى ألفاظها فصارت عربية. ثم نزل القرآن وقد اختلطت هذه الحروف بكلام العرب. فمن قال إنها عربية فهو صادق؛ ومن قال أعجمية فصادق". ومال إلى هذا القول الجواليقي وابن الجوزي وآخرون" (Al-Itqân fî 'ulûm il-qur'ân, as-Suyûtî, chapitre 38 : Les mots d'origine non-arabe dans le Coran).

Qu'y a-t-il d'étonnant à l'assimilation, par la langue arabe, de mots de langues étrangères, quand on sait qu'avant la venue de l'islam, les Arabes étaient, de par leur commerce caravanier, en contact depuis longtemps déjà avec les populations voisines (Perses, Byzantins, Abyssiniens, etc.) ; et qu'emprunts et assimilations de mots étrangers sont phénomènes on ne peut plus courants dans l'histoire des langues.

Ash-Shâtibî rappelle pour sa part que les textes des sources de l'islam sont en langue arabe et pas en une autre langue ("إلى غير ذلك مما يدل على أنه عربي وبلسان العرب، لا أنه أعجمي ولا بلسان العجم. فمن أراد تفهمه، فمن جهة لسان العرب يفهم. ولا سبيل إلى تطلب فهمه من غير هذه الجهة. هذا هو المقصود من المسألة").
Puis il écrit :
"وأما كونه جاءت فيه ألفاظ من ألفاظ العجم، أو لم يجئ فيه شيء من ذلك، فلا يحتاج إليه إذا كانت العرب قد تكلمت به، وجرى في خطابها، وفهمت معناه. فإن العرب إذا تكلمت به، صار من كلامها.
ألا ترى أنها لا تدعه على لفظه الذي كان عليه عند العجم، إلا إذا كانت حروفه في المخارج والصفات كحروف العرب، وهذا يقل وجوده، وعند ذلك يكون منسوبا إلى العرب. فأما إذا لم تكن حروفه كحروف العرب، أو كان بعضها كذلك دون بعض، فلا بد لها من أن تردها إلى حروفها، ولا تقبلها على مطابقة حروف العجم أصلا" :

"Quant au fait (de savoir) s'il s'y trouve des mots des non-Arabes ou si rien de cela ne s'y trouve, c'est (un débat) dont on n'a pas besoin, du moment que les Arabes avaient utilisé ces (mots), qu'ils étaient en usage dans leur conversation et qu'ils en comprenaient le sens. Car du moment que les Arabes les ont utilisés, ils se sont mis à faire partie de leur langue. Ne vois-tu pas qu'ils ne laissent pas (ces mots) demeurer sur la prononciation qu'ils ont chez les non-Arabes ? Sauf quand les lettres de (ces mots non-arabes) sont, par rapport à leur lieu d'articulation et de leurs modes d'articulations semblables aux lettres (prononcées par) les Arabes – (mais) ceci est rare – ; à ce moment, (pareil mot non-arabe) est attribué (aussi) aux Arabes. Mais lorsque les lettres de (un mot non-arabe) ne sont pas semblables aux lettres (prononcées par) les Arabes, ou que certaines de ces lettres ne le sont pas, alors nécessairement les (Arabes) les font correspondre à leurs lettres, et ne les acceptent absolument pas (telles quelles), correspondant aux lettres (prononcées par) les non-Arabes" (Al-Muwâfaqât 1/375-376).

On voit ici nettement apparaître le fait que au moment où Dieu a prononcé le texte arabe du Coran devant l'ange Gabriel (à destination du prophète Muhammad (sur lui soit la paix), de façon incréée (ghayr makhlûq wa lâkin hâdith), ces mots d'origine non-arabe avaient déjà été assimilés linguistiquement par les Arabes et étaient donc devenus arabes à part entière.

La même chose a été formulée par Ibn 'Atiyya en ces termes : "وقال ابن عطية: "بل كان للعرب العاربة التي نزل القرآن بلغتهم بعض مخالطة لسائر الألسن بتجارات وبرحلتي قريش وبسفر مسافرين - كسفر أبي عمرو إلى الشام وسفر عمر بن الخطاب وكسفر عمرو بن العاص وعمارة بن الوليد إلى أرض الحبشة وكسفر الأعشى إلى الحيرة وصحبته لنصاراها مع كونه حجة في اللغة -؛ فعلقت العرب بهذا كله ألفاظا أعجمية غيّرت بعضها بالنقص من حروفها وجرت في تخفيف ثقل العجمة، واستعملتها في أشعارها ومحاوراتها حتى جرت مجرى العربي الفصيح ووقع بها البيان. وعلى هذا الحد نزل بها القرآن. فإن جهلها عربي، فكجهله الصريح بما في لغة غيره وكما لم يعرف ابن عباس معنى "فاطر" إلى غير ذلك." قال: "فحقيقة العبارة عن هذه الألفاظ أنها في الأصل أعجمية، لكن استعملتها العرب وعربتها، فهي عربية بهذا الوجه". قال: "وما ذهب إليه الطبري من أن اللغتين اتفقتا في لفظه، فذلك بعيد؛ بل إحداهما أصل والأخرى فرع في الأكثر، لأنا لا ندفع أيضا جواز الاتفاقات إلا قليلا شاذا" (cité dans Al-Bur'hân fî 'ulûm il-qur'ân, az-Zarkashî, 1/221).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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