I) Dans un précédent article, nous avons vu que la Ta'lîl ul-Hukm il-mansûs 'alayh, cela a 2 incidences :
– A) la Takhsîs ul-hukm : restreindre l'applicabilité du Hukm à certains de tous les cas auxquels la lettre du texte semblait appliquer ce Hukm ;
– B) la Ta'diyat ul-hukm : transmettre l'applicabilité du Hukm à d'autres cas que ceux auxquels la lettre du texte appliquait ce Hukm.
-
II) Ici nous allons voir, par rapport à la Takhsîs ul-Hukm (A), qu'il existe plusieurs cas, selon la détermination de ce dont il s'agit de faire la Takhsîs ; c'est-à-dire selon la détermination du Hukm qu'il s'agit de restreindre aux cas dans lesquels la 'Illat ul-hukm est présente :
Il y a 2 types principaux de Takhsîs, et ce parce qu'il existe 2 types de Hukm :
– A.A) "تخصيص الحكم التكليفي" ;
– A.B) "تخصيص الحكم الوضعي".
-
– A.A) "تخصيص الحكم التكليفي" :
Il y a ici plusieurs sous-cas, dont les 2 suivants, selon la détermination de la nature de la chose à laquelle ce hukm tak'lîfî se rapporte et à laquelle s'agit d'exporter ce hukm (lire sur le sujet mon article plus détaillé) :
--- A.A.A) "تخصيص الحكم التكليفي (مثلًا الوجوب، أو الحرمة) بـفعل هو أخصّ من الفعل المحكوم عليه والمتعلق بشيء، والمنصوص عليه" ;
--- A.A.B) "تخصيص الحكم التكليفي (مثلًا الوجوب، أو الحرمة) بـمتعلّق هو أخصّ من متعلّق الفعل المحكوم عليه والمنصوص عليه".
-
--- A.A.A) "تخصيص الحكم التكليفي (مثلًا الوجوب، أو الحرمة) بـفعل أخصّ من الفعل المحكوم عليه والمتعلّق بشيء، والمنصوص عليه" :
Dans les textes il y a une règle (hukm) qui concerne une action donnée (fi'l mahkûm fîh) et qui a été stipulée pour cette action en relation avec un objet, ou une action, donné(e) (muta'allaq) : cela confère un statut légal (mahkûm bihî, dit communément : "hukm") s'appliquant à cette action.
Cependant, cette règle est en réalité applicable à une action plus particulière que celle que le libellé du texte pouvait le laisser croire, et ce parce que le principe ayant motivé ('illa) la règle (hukm) n'est présent que dans l'action plus particulière que celle stipulée.
C'est donc l'applicabilité du caractère légal (hukm tak'lîfî) relatif à une action / objet donné(e) qui a été restreinte à une action (fi'l) plus particulière que celle ayant été mentionnée dans les textes.
-
Un premier exemple : Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Dieu n'acceptera, de la part de quelqu'un qui était polycultiste et qui s'est converti à l'islam, aucune action jusqu'à ce qu'il se sépare des polycultistes" : "عن بهز بن حكيم، يحدث عن أبيه، عن جده، قال: قلت: "يا نبي الله ما أتيتك حتى حلفت أكثر من عددهن - لأصابع يديه - ألا آتيك ولا آتي دينك. وإني كنت امرأ لا أعقل شيئا، إلا ما علمني الله ورسوله. وإني أسألك بوجه الله عز وجل بما بعثك ربك إلينا؟ قال: "بالإسلام" قال: قلت: "وما آيات الإسلام؟" قال: "أن تقول: "أسلمت وجهي إلى الله عز وجل، وتخليت"، وتقيم الصلاة، وتؤتي الزكاة. كل مسلم على مسلم محرم أخوان نصيران. لا يقبل الله عز وجل من مشرك بعدما أسلم عملا أو يفارق المشركين إلى المسلمين" (an-Nassâ'ï, 2528). "Je désavoue tout musulman qui réside parmi les Polycultistes" : : "أنا بريء من كل مسلم يقيم بين أظهر المشركين". قالوا: "يا رسول الله، ولم؟" قال: "لا تراءى ناراهما"" (at-Tirmidhî, 1604, Abû Dâoûd, 2645) ; etc.
- La règle (hukm) est ici : l'interdiction.
- L'action (fi'l) visée par cette interdiction est : "habiter dans un pays non-musulman".
- La personne concernée par cette règle (mahkûm 'alayh) est : "le musulman".
- La cause entraînant (sabab) le caractère interdit de cette action pour cette personne est : "être vivant".
- L'empêchant (mâni') du caractère interdit de cette action est liée est : "ne pas avoir les capacités d'émigrer en pays musulman".
Certains ulémas ont exposé que cette règle de l'interdiction de continuer à habiter ne s'applique en fait qu'à une action (fi'l) plus particulière que l'action stipulée dans ces textes : il s'agit du pays non-musulman où le musulman ne peut pas pratiquer ouvertement ses obligations religieuses : c'est là le pivot (manât / 'illa) de la règle énoncée dans le hadîth. Le fait est que Ja'far ibn Abî Tâlib est demeuré en Abyssinie même après l'émigration du Prophète à Médine. A la lumière de ce hadîth-ci, la propriété motivant ('allala) la règle d'interdiction d'habiter en pays non-musulman (qu'expriment les 2 hadîths suscités), c'est la persécution du musulman, ou le fait de lui interdire de pratiquer une action qui est obligatoire en islam, ou encore le fait de le contraindre à faire une action qui est interdite en islam. Les 2 autres hadîths, bien qu'inconditionnels, sont donc à comprendre comme concernant (mahmûl 'alâ) les terres non-musulmanes où le musulman est persécuté ou bien où il ne peut pas pratiquer (cf. Fat'h ul-bârî 6/48 ; 7/285). Lire notre article sur le sujet.
-
Un second exemple : Abdullâh ibn Omar (que Dieu l'agrée) relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "لا تتركوا النار في بيوتكم حين تنامون" : "Ne laissez pas de feu allumé dans votre maison quand vous dormez" (al-Bukhârî, 5935).
- La règle (hukm) est ici : le caractère déconseillé.
- C'est une action précise (fi'l wa maf'ûl bihî) qui est visée par cette règle : "laisser un feu allumé"...
- C'est un lieu (makân) précis qui est visé par cette règle : "dans la maison".
- La cause (sabab) entraînant cette règle est : "aller dormir".
Des ulémas ont exposé que cette règle de l'interdiction (ou du caractère déconseillé) de laisser une flamme dans la maison ne s'applique en fait qu'à une action (fi'l) plus particulière : il s'agit des feux se trouvant dans des lampes ou âtres à partir desquels il y a le risque que le feu se propage : c'est là le pivot (manât / 'illa) de la règle énoncée dans le hadîth. La preuve : Jâbir relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "وأطفئوا المصابيح عند الرقاد، فإن الفويسقة ربما اجترت الفتيلة فأحرقت أهل البيت" : "... et éteignez les lampes au moment de (vous) endormir, car le petit mauvais [= le rat] tire parfois la mèche et brûle les gens de la maisonnée" (al-Bukhârî). Et Abû Mûssâ relate que, depuis un foyer, le feu s'était propagé à toute la maison dans une habitation de Médine, et ses habitants avaient tous péri ainsi : "عن أبي موسى رضي الله عنه، قال: احترق بيت بالمدينة على أهله من الليل، فحدث بشأنهم النبي صلى الله عليه وسلم، قال: إن هذه النار إنما هي عدو لكم، فإذا نمتم فأطفئوها عنكم" (al-Bukhârî, Muslim).
Dès lors, si la lampe est telle qu'elle ne présente pas le risque de mettre le feu à la maison, il n'y pas de mal à la laisser allumée dans la maison la nuit. Ibn Daqîq il-'Îd a explicitement dit ce que nous venons d'exposer :
"إذا كانت العلة في إطفاء السراج الحذر من جر الفويسقة الفتيلة، فمقتضاه أن السراج إذا كان على هيئة لا تصل إليها الفأرة، لا يمنع إيقاده؛ كما لو كان على منارة من نحاس أملس لا يمكن الفأرة الصعود إليه، أو يكون مكانه بعيدا عن موضع يمكنها أن تثب منه إلى السراج.
وأما ورود الأمر باطفاء النار مطلقا - كما في حديثي ابن عمر وأبي موسى - وهو أعم من نار السراج فقد يتطرق منه مفسدة أخرى غير جر الفتيلة كسقوط شيء من السراج على بعض متاع البيت وكسقوط المنارة فينثر السراج إلى شيء من المتاع فيحرقه؛ فيحتاج إلى الاستيثاق من ذلك؛ فإذا استوثق بحيث يؤمن معه الإحراق، فيزول الحكم بزوال علته" (FB 11/103-104).
-
Un troisième exemple : Abû Hurayra (que Dieu l'agrée) relate que le Messager de Dieu (sur lui soit la paix) a dit : "Ce qui du pagne dépasse les chevilles sera dans le feu" : "عن أبي هريرة رضي الله عنه، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "ما أسفل من الكعبين من الإزار ففي النار (al-Bukhârî, 5787).
- La règle (hukm) est ici : l'interdiction.
- L'action (fi'l wa maf'ûl bihî) interdite est : "porter un pagne - ou des pantalons - qui dépassent les chevilles".
- La personne concernée par cette règle (mahkûm 'alayh) est : le musulman.
- La cause (sabab) entraînant le statut de cette action est, selon la littéralité du hadîth : "s'habiller".
Certains ulémas ont exposé que cette règle de l'interdiction (ou du caractère déconseillé) de porter, pour l'homme, des pantalons qui dépassent les chevilles, cela ne s'applique en fait qu'à une action (fi'l) plus particulière : il s'agit de porter de tels pantalons pour exprimer l'orgueil : c'est là le pivot (manât / 'illa) de la règle énoncée dans le hadîth. La preuve en est que le Prophète ayant dit une fois : "Celui qui, par fierté, laisse traîner son vêtement [en le portant], Dieu ne le regardera pas le jour du jugement", Abû Bakr lui fit part de son problème à ce sujet : lorsqu'il marchait, son pagne (izâr) se relâchait légèrement et dépassait alors ses chevilles. Le Prophète (sur lui soit la paix) lui dit qu'il ne faisait pas partie de ceux qui font cela par fierté : "عن سالم بن عبد الله، عن أبيه رضي الله عنه عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "من جر ثوبه خيلاء لم ينظر الله إليه يوم القيامة." قال أبو بكر: "يا رسول الله، إن أحد شقي إزاري يسترخي، إلا أن أتعاهد ذلك منه؟" فقال النبي صلى الله عليه وسلم: "لست ممن يصنعه خيلاء" (al-Bukhârî, 5447).
-
--- A.A.B) "تخصيص الحكم التكليفي (مثلًا الوجوب، أو الحرمة) بـمتعلّق أخصّ من متعلّق الفعل المحكوم عليه والمنصوص عليه" :
Dans les textes il y a une règle (hukm), un caractère légal (soit "interdit", soit "déconseillé", soit "autorisé", soit "recommandé", soit "obligatoire") s'appliquant à une action donnée (fi'l mahkûm 'alayh), par rapport à un objet (mawdhû') mentionné dans ces textes (mansûs 'alayh). Cependant, cette règle est en réalité applicable à un objet plus particulier que celui que le libellé du texte pouvait le laisser croire, et ce parce que le principe ayant motivé ('illa) la règle (hukm) n'est présent que dans l'objet plus particulier que celui stipulé.
C'est donc l'applicabilité du caractère légal (hukm tak'lîfî) concernant une action donnée en relation avec un objet donné) qui a été restreinte à un objet (mawdhû') plus particulier que celui ayant été mentionné dans les textes.
De nombreux hadîths du Prophète ont dit que la musulmane ne doit pas voyager sans être accompagnée de son mari ou d'un proche parent (mahram) : "Il n'est pas permis à une femme qui croit en Dieu et au jour dernier de voyager la distance d'un jour et d'une nuit sans qu'elle soit accompagnée d'un mahram" ; d'autres versions disent : "la distance de deux jours", ou encore : "la distance de trois nuits" (rapporté par Muslim). Un autre hadîth dit : "Une femme ne doit accomplir le pèlerinage qu'accompagnée d'un mahram" (Fath ul-bârî 4/98).
- La règle (hukm) est ici : l'interdiction.
- La personne concernée par cette règle (mahkûm 'alayh) est : "la femme".
- L'action (fi'l wa hâl ul-fâ'ïl) visée par cette interdiction est : "voyager seule".
- Le lieu (makân) concerné par cette règle touchant cette action est : "dans une contrée, quelle qu'elle soit".
- La cause entraînant (sabab) le caractère interdit de cette action est : "vouloir entreprendre un voyage".
Certains ulémas shafi'ites ont cependant émis l'avis que cette règle ne s'applique en fait qu'à un objet (makân) plus particulier que ce que le texte laisse à penser de par son caractère inconditionnel : il s'agit, selon eux, en fait de "la contrée où règne l'insécurité". C'est là le pivot ('illa) ayant entraîné l'interdiction mentionnée dans les hadîths suscités ; ces derniers, bien qu'inconditionnels, sont donc à comprendre comme se rapportant à (mahmûl 'alâ) la situation prévalant alors en Arabie : l'insécurité. Le fait est que le Prophète (sur lui soit la paix), répondant un jour à quelqu'un qui se plaignait de l'insécurité des chemins en Arabie, a parlé d'une époque qui viendrait où la musulmane voyagerait sans la protection de quelqu'un de al-Hîra [alors dans l'empire perse, actuellement en Iraq] jusqu'à la Mecque [en Arabie] (rapporté par al-Bukhârî 3400, mais sans les termes "sans la protection de quelqu'un", qui figurent dans la version rapportée par Ahmad, 17796 ; cf. Fath ul-bârî 6/749).
Les ulémas sus-évoqués ont alors émis comme avis que si le pays connaît une sécurité parfaite, semblable à celle que ce second hadîth mentionne, la musulmane peut voyager seule ; et que c'est lorsque le pays n'est pas dans ce cas qu'elle doit impérativement être accompagnée de son mari ou d'un proche parent (mahram) pour voyager.
-
Le Prophète a interdit de pratiquer le khadhf : il s'agit d'un jeu qui consistait à lancer un caillou après l'avoir posé sur le doigt. Il a mentionné le principe qui sous-tend cette interdiction en soulignant que cela ne servait pas à s'entraîner contre un ennemi ni à capturer un animal de chasse, et pouvait (au contraire) briser une dent ou crever un œil (le hadîth est bien connu).
- La règle (hukm) est ici : l'interdiction.
- La personne concernée par cette règle (mahkûm 'alayh) est : le musulman.
- L'action (fi'l) interdite est : "pratiquer le jeu du khadhf".
- Le lieu (makân) de cette action visée par cette règle est : "un lieu, quel qu'il soit".
- La cause (sabab) entraînant le statut de cette action est, selon la littéralité du hadîth : "vouloir jouer".
Certains mujtahids ont cependant restreint l'applicabilité (dawrân) de l'interdiction à un lieu (makân) plus particulier que celui auquel la littéralité de ce hadîth laisse à penser : il s'agit en fait des zones d'habitations ou de passage de gens ; ces mujtahids ont donc dit que cette règle d'interdiction est inapplicable si on se trouve dans un lieu désert (cf. Fat'h ul-bârî 9/753). Cet avis se fonde apparemment lui aussi sur le principe ('illa) explicité par le Prophète : le motif de l'interdiction est le risque de blesser quelqu'un. Plus encore, cet avis a établi que tel lieu constitue présomption de l'absence de ce motif (mazinnatu 'adami wujûd il-'illa), et le fait de se trouver dans ce lieu devient lui-même la cause entraînant la non-applicabilité de l'interdiction.
-
– A.B) "تخصيص الحكم الوضعي" :
--- A.B) "تخصيص الحكم الوضعي (وهو السببية) بشيء أخص من ما نص عليه".
Dans les textes il y a une règle (hukm), un caractère légal (soit "interdit", soit "déconseillé", soit "autorisé", soit "recommandé", soit "obligatoire") s'appliquant à une action donnée (fi'l mahkûm fîh) en relation avec un objet donné (mawdhû'), lorsque telle situation (sabab) - mentionnée dans ces textes (mansûs 'alayh) - est présente.
Or en fait ce caractère légal est applicable dans une situation (sabab) plus particulière que la situation qui semble émerger des textes, et ce parce que c'est seulement cette situation particulière qui renferme le principe ayant motivé ('illa) la règle (hukm) par rapport à l'action liée à cet objet.
C'est donc l'application du caractère légal (hukm tak'lîfî) relatif à une action donnée qui est commandée par une situation (sabab) plus restreinte que celle ayant été mentionnée dans les textes.
-
III) Reste maintenant la Ta'diyat ul-Hukm (B) : l'exportation de la règle à un autre cas, dans lequel la 'Illat ul-Hukm est présente :
Lire à ce sujet :
– La Ta'diya (B) est de 2 types principaux de Ta'diya, et ce parce qu'il existe 2 types de Hukm : – B.A) "تعدية الحكم التكليفي" ; – B.B) "تعدية الحكم الوضعي" ;
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).