A lire au préalable :
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L'important est de se soucier du Bâtin aussi ; ce qui est important n'est pas le terme "soufisme" :
Abu-l-Hassan 'Alî an-Nadwî écrit :
"Les terminologies et les termes en usage ont parfois fait un tort considérable aux réalités [qu'ils étaient sensés désigner]. (...) Parfois, ces terminologies ont donné naissance à une nouvelle représentation mentale ; de nouveaux types de questions et d'objections sont nées à leur sujet ; une série interminable de divergence et de désaccords a vu le jour ; des écoles de pensée différentes en sont nées ; des arguments ont été échangés lors d'assises, avec confrontation des idées ; et les gens se sont divisés en groupe séparés.
Si, délaissant ces terminologies et des noms d'usage, nous nous tournions vers l'époque où, pour désigner ces réalités, des termes simples et accessibles à tous étaient utilisés, et où ces sens étaient exprimés de façon simple, et si nous choisissions les mots qui étaient en vigueur chez nos prédécesseurs, le problème serait alors résolu, et tous les groupes (sus-évoqués) s'apaiseraient.
Parmi les terminologies de ce type, il y a celle du "soufisme" : (ce terme) est très répandu chez les gens, et à son sujet toutes sortes de questions sont soulevées, et une longue série de débats s'est mise en place.
La première question qui est née (à son sujet) a été : "Quelle est la réalité que ce terme désigne ?"
Et : "Quelle est la racine de ce terme ? est-il dérivé de "صوف", ou de "صفاء" ? est-il extrait de "صفو", ou de "صفة" ? ou alors est-ce un terme d'origine grecque, ayant été (arabisé) à partir de "sophia", qui signifie "sagesse" ?" D'où provient donc ce terme, et comment son usage s'est-il répandu, sachant qu'il ne setrouve ni dans le Coran, ni dans la Sunna, ni dans les paroles de Sâhâba et des Tâbi'ûn, des Khayr ul-qurûn, et que chaque chose dont l'historique n'est pas déterminé mérite le qualificatif de "bid'a" ?
En résumé, une véritable bataille verbale et écrite s'est mise en place entre les défenseurs et entre les contempteurs du soufisme, ce qui a donné naissance à toute une littérature, dont le compte-rendu lui-même est ardu.
Si nous délaissons cette terminologie - qui a vu le jour vers le 2ème siècle de l'hégire -, nous tournons vers le Coran, les Hadîths et l'époque des Sahâba et des Tâbi'ûn, et étudions le Coran et la Sunna de cet angle-là, il nous apparaîtra que le Coran attire l'attention vers une branche du Dîn et vers une importante mission du Prophétat : ce qu'on appelle "la Tazkiya". (Le Coran) inclut cela dans les quatre piliers pour la réalisation desquels le Prophète - que Dieu l'élève et le salue - a été suscité : "هُوَ الَّذِي بَعَثَ فِي الْأُمِّيِّينَ رَسُولًا مِّنْهُمْ يَتْلُو عَلَيْهِمْ آيَاتِهِ وَيُزَكِّيهِمْ وَيُعَلِّمُهُمُ الْكِتَابَ وَالْحِكْمَةَ وَإِن كَانُوا مِن قَبْلُ لَفِي ضَلَالٍ مُّبِينٍ" : "Il est Celui qui a envoyé chez les Ummiyyûn un messager issu d'eux-mêmes, qui leur récite Ses signes, les purifie et leur enseigne le Livre et la sagesse – alors qu'auparavant ils étaient dans un égarement évident" (Coran 62/2).
Par le terme "Tazkiya", nous voulons dire : "le fait d'embellir les intérieurs humains par les traits les plus élevés, et de les purifier des traits mauvais". En des termes concis : le modèle de Tazkiya dont nous voyons les splendides exemples dans la vie des Sahâba - que Dieu les agrée - et qui sont les reflets de leur Ikhlâs - sincérité - et de leur Akhlâq - comportement.
Cette Tazkiya qui a donné comme résultat cette société pieuse et idéale dont l'histoire n'a pas produit de semblable, et ce système de gouvernance juste et étant au service de la vérité, dont le semblable n'a été trouvé nulle part ailleurs sur la surface de la Terre.
Nous verrons (aussi) que dans la bouche du Prophète (sur lui soit la paix), en sus du Îmân et du Islâm, un degré particulier a également été évoqué qui s'appelle Ihsân : il s'agit de cet état de certitude et de présence pour lequel chaque croyant devrait faire des efforts et dont l'envie devrait s'agiter dans le coeur de chaque croyant. Il a été demandé au Messager de Dieu - que Dieu l'agrée et le salue - : "Qu'est-ce que l'Ihsân ?", et il a alors répondu : "C'est que tu adores Allah comme si tu Le voyais ; car si tu ne le vois pas, alors Lui te voit" (al-Bukhârî, Muslim).
Lorsque nous considérons la Shar' et les paroles et états du Messager de Dieu - que Dieu l'agrée et le salue -, il nous apparaît qu'ils parlent de deux domaines :
--- l'un est en relation avec les gestes visibles ; par exemple le fait de se tenir debout et de s'assoir ; la génuflexion et la prosternation ; la récitation du Coran et le Tasbîh ; les Adhkâr et les Ad'iya ; les Ahkâm et les Rites du pèlerinage... La discipline du Hadîth s'est occupée de codifier cela, et la discipline du Fiqh s'est attelée à extraire les règles détaillées (juz'iyyât) en relation (avec les actions de ce domaine). Les Muhaddithûn et les Fuqahâ' ont ainsi préservé le Dîn, rendant aisé pour la Umma de pratiquer et d'agir selon (les règles régissant ce domaine) - qu'Allah leur accorde la meilleure récompense pour cette oeuvre grandiose ;
--- l'autre domaine est en relation avec les états intérieurs qui doivent être inhérents aux actions et gestes visibles, et qui apparaissent à chaque moment de la vie du Messager de Dieu - que Dieu l'agrée et le salue - : lors de sa stature debout et de sa posture assise ; lors de sa génuflexion et de sa prosternation ; lorsqu'il faisait le Dhikr et le Du'â ; lorsqu'il adressait des Sermons et des Conseils ; lorsqu'il était dans sa maison et lorsqu'il était sur le champ de bataille. Ces états, nous les désignons par : Ikhlâs wa Ihtissâb ; Sab'r wa Tawakkul ; Zuhd wa Istighnâ' ; Îthâr wa Sakhâwa ; Adab wa Hayâ' ; Khushû' wa Khudhû' ; Inâba wa Tadharru' ; humilité au moment d'adresser des Supplications à Allah ; donner préférence à la vie dernière sur la vie basse ; envie de satisfaire Allah et de le contempler ; et autres états intérieures et traits liés au Îmân (akhlâq îmâniyya), qui ont le même statut que l'âme par rapport au corps, et l'intérieur par rapport à l'extérieur. Sous ces généralités se trouvent ensuite des règles détaillées (juz'iyyât) et des ahkâm, lesquels ont pris la forme d'une discipline à part entière.
Si la discipline qui est en relation avec le premier (domaine) peut être appelée "Fiqh uz-Zâhir", alors la discipline qui traite des états intérieurs et parle de la façon d'acquérir (les états corrects), on peut l'appeler : "Fiqh ul-Bâtin". Le mieux aurait été d'appeler cette discipline, qui traite de Tazkiyat un-Nufûs et de Tah'dhîb ul-Akhlâq (...) : "'Ilm ut-Tazkiya" et "'Ilm ul-Ihsân". Au moins (qu'on l'eusse nommée) : "Fiqh ul-Bâtin".
Si les choses avaient été ainsi, alors peut-être qu'il n'y aurait pas eu l'occasion de se diviser, et il n'y aurait pas eu toute cette discorde : les deux groupes se seraient entendus, eux qu'une simple terminologie a dressé l'un contre l'autre. Le Ihsân et le Fiqh ul-Bâtin (traitent de) règles reconnues, établies dans le Coran et la Sunna.
(...)
En sus de cela, le second facteur ayant gâché cette branche du Dîn a été l'existence de ces soufis qui sont des chercheurs de gloire et vendeurs de fausseté, et qui ont des croyances erronées ; qui ont pris le soufisme comme outil pour falsifier le Dîn, égarer les musulmans, troubler la société et promouvoir le "Tout est autorisé", et qui se sont présentés comme les gardiens du soufisme. Cela a eu comme résultat qu'un groupe important de gens attachés au Dîn ont mal vu cela.
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(Il y a eu aussi) des soufis n'étant pas Muhaqqiq, qui n'étaient pas au fait de la réalité de cette branche du Dîn et de ses véritables objectifs ; eux n'ont pas su faire la distinction entre "objectif" et "moyen", ayant parfois donné beaucoup d'importance aux moyens et oublié l'objectif (...)" (Tazkiya wa Ihsân, pp. 13-18).
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"Si les gens du Tassawwuf n'insistaient pas sur une voie et des moyens particuliers pour l'acquisition de cet objectif que l'on exprime par les termes "Tazkiya" et "Ihsân" (...) et se focalisaient davantage sur l'objectif que sur le moyen, alors tous les musulmans parleraient aujourd'hui d'une même voix (sur ce sujet), et la base même de la discorde (existant à ce sujet) disparaîtrait" (Tazkiya wa Ihsân, p. 17).
"Je n'insiste pas sur une forme particulière de Tazkiya, ni ne considère les porteurs du soufisme comme exempts d'erreurs et de déviances. Mais ce que je dis c'est qu'il est nécessaire de combler ce vide qui se trouve dans nos vies et nos sociétés, et que nous redonnions vie à la Tazkiya wa Ihsân, au Fiqh ul-Bâtin. Et que tout cela soit conforme au Minhâj un-Nubuwwa, au Coran et aux Hadîths" (Tazkiya wa Ihsân, pp. 23-24).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).