I) Dans un précédent article, nous avons vu que la Ta'lîl ul-hukm il-mansûs 'alayh, cela a 2 incidences :
– A) la Takhsîs ul-hukm ;
– B) et la Ta'diyat ul-hukm.
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II) Puis, dans un autre article encore, nous avons vu que la Ta'diya (B) est de 2 types, selon le degré d'évidence de cet "élargissement" :
– B.a) Qiyâs Jalî ;
– B.b) Qiyâs Zannî.
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III) Dans un troisième article, nous avons vu que cette Ta'diya (B) se fait par l'utilisation de l'un des 3 outils suivants :
– i) le Tahqîq ul-manât ;
– ii) le Tanqîh ul-manât ;
– iii) le Takhrîj ul-manât.
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IV) Ici nous allons voir, toujours par rapport à la Ta'diya (B), qu'il existe plusieurs cas, selon la détermination de ce dont il s'agit de faire la Ta'diya ; c'est-à-dire selon la détermination du hukm qu'il s'agit d'exporter :
Il y a 2 types principaux de Ta'diya, et ce parce qu'il existe 2 types de Hukm :
– B.A) "تعدية الحكم التكليفي" ;
– B.B) "تعدية الحكم الوضعي".
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– B.A) "تعدية الحكم التكليفي" :
Il y a ici plusieurs sous-cas, dont ces 2 ci, selon la détermination de la nature de la chose à laquelle ce hukm tak'lîfî se rapporte et à laquelle s'agit d'exporter ce hukm :
--- B.A.A) "تعدية الحكم التكليفي (مثلًا الوجوب، أو الحرمة) من الفعل المحكوم عليه إلى فعل آخر، متعلقٍ بنفس الموضوع" ;
--- B.A.B) "تعدية الحكم التكليفي (مثلًا الوجوب، أو الحرمة) من موضوع الفعل المحكوم عليه إلى موضوع آخر لنفس الفعل".
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--- B.A.A) "تعدية الحكم التكليفي (مثلًا الوجوب، أو الحرمة) من الفعل المحكوم عليه إلى فعل آخر، متعلقٍ بنفس الموضوع", que l'on peut également formuler ainsi : "قياس فعل على الفعل المحكوم عليه والمنصوص عليه" :
Dans les textes il y a une règle (hukm) (un statut légal) qui s'applique à une action donnée (fi'l mahkûm 'alayh) et qui a été stipulée en relation avec un objet, ou une action, donné(e) (muta'allaq). Il s'agit alors d'exporter cette règle à une autre action (fi'l âkhar) relative (muta'alliq) à la même action ou au même objet (muta'allaq), et ce parce que cette autre action renferme elle aussi le principe ayant motivé ('illa) la règle (hukm) par rapport à la première action. C'est donc l'applicabilité du caractère légal (hukm tak'lîfî) relatif à une action / objet donné(e) qui est élargie à une autre action (fi'l) que celle ayant été mentionnée dans les textes : ce caractère légal s'applique dès lors à la première ET à la seconde actions.
Le Prophète (sur lui soit la paix) a interdit de boire et de manger dans une vaisselle en or ou en argent (les références sont bien connues).
- La règle (hukm) est donc : l'interdiction.
- C'est une action (fi'l) lorsque faite par un moyen (wassîla) précis qui est visée par cette règle : manger ou boire dans un ustensile en or ou en argent.
- L'objet (mawdhû') auquel cette règle est reliée (muta'alliq) est pour sa part général (c'est-à-dire qu'il n'est pas dit que ce serait le pain seulement, et pas la viande, ou le jus seulement, et pas l'eau, qu'il serait interdit de manger et de boire dans cet ustensile ; non : c'est tout aliment et toute boisson).
Des ulémas ont exposé que cette règle est exportable à d'autres actions (fi'l) qui sont liées au même type de moyen : en or ou en argent. Le principe motivant ('illa) est donc ici : "constituer une utilisation directe d'un objet en or ou en argent".
Dès lors, ces ulémas ont dit qu'il était également interdit :
--- d'utiliser des fioles à parfum en or ou en argent pour se parfumer ;
--- d'utiliser des fioles à khôl en or ou en argent pour s'enduire de khôl ; etc. (Fat'h ul-bârî 10/121 ; A'lâm ul-muwaqqi'în 1/158 ; Al-Mughnî 1/89) ;
--- d'utiliser un stylo en or ou en argent pour écrire.
Par contre, la règle n'a pas été exportée à un autre moyen pour réaliser l'action (fi'l) mentionnée dans les textes. C'est-à-dire que les ulémas n'ont pas dit que l'utilisation de vaisselle faite en platine est interdite pour manger, et ce par analogie avec l'or et l'argent. (Si une telle analogie avait vu le jour, le principe motivant ('illa) aurait été : "être un ustensile précieux, dans lequel on mange ou boit".)
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Un autre exemple : L'appel à la prière du vendredi entraîne (huwa sabab li) comme règle : l'interdiction (hurma) d'une action (fi'l) précise, stipulée dans le Coran : la vente (al-bay').
- La règle (hukm) est donc : l'interdiction.
- L'action (fi'l) visée par cette interdiction est : la vente.
- La cause entraînant (sabab) le caractère interdit de cette action est une séquence de temps (zamân) : le temps qui débute avec l'appel à la prière et se termine avec la fin de la prière.
Cette règle (l'interdiction), des ulémas l'ont exportée à d'autres actions (fi'l) qu'ils ont trouvées être semblables à la vente par rapport au principe qu'ils ont trouvé constituer le motif ('illa) de cette règle : toute transaction (mu'âmala) ; voire toute action qui contredit le fait de se diriger vers la prière (kullu 'amalin yunâfi-i-sa'ya ila-l-masjid).
Et nous verrons plus bas que les ulémas hanafites ont exporté ce hukm à une autre séquence de temps (sabab), qu'ils ont pensée semblable à celle mentionnée dans le texte : celle qui débute avec l'appel à la prière institué plus tôt par 'Uthmân ibn 'Affân (que Dieu l'agrée) lors de son califat.
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--- B.A.B) "تعدية الحكم التكليفي (مثلًا الوجوب، أو الحرمة) من موضوع الفعل المحكوم عليه إلى موضوع آخر لنفس الفعل", que l'on peut également formuler ainsi : "قياس موضوع على موضوع الفعل المحكوم عليه والمنصوص عليه" :
Dans les textes il y a une règle (hukm), un caractère légal (soit "interdit", soit "déconseillé", soit "autorisé", soit "recommandé", soit "obligatoire") s'appliquant à une action donnée (fi'l mahkûm 'alayh), par rapport à un objet (mawdhû') mentionné dans ces textes (mansûs 'alayh) ; il s'agit alors d'exporter ce caractère légal à un autre objet (mawdhû') auquel la même action est reliée, et ce parce que cet autre objet renferme lui aussi le principe ayant motivé ('illa) la règle (hukm) par rapport au premier objet. C'est donc l'applicabilité du caractère légal (hukm tak'lîfî) relatif à une action donnée qui est élargie à un autre objet (mawdhû' ul-fi'l il-mahkûm 'alayh) que celui ayant été mentionné dans les textes : ce caractère légal s'applique dès lors au premier ET au second objets.
Le Prophète (sur lui soit la paix) a interdit, lors du troc de l'un des 6 produits suivants contre le même produit : or, argent, blé, orge, dattes ou sel, que les quantités échangées ne soient pas égales ou que les produits soient échangés à crédit et non au comptant (les références des hadîths exposant cela sont bien connues).
- La règle (hukm), dans cet exemple, est : l'interdiction (hurma).
- L'action (fi'l) que cette règle touche est : laisser un surplus du côté de l'une des deux parties, lorsque celles-ci échangent un bien contre un bien de même nature (al-fadhl fi-l-bay').
- L'objet (mawdhû') auquel cette règle est reliée (muta'alliq) et qui a été stipulé dans les textes est : chacun des six biens susmentionnés (al-asnâf us-sitta).
Et l'analogie a concerné un autre objet (mawdhû') de la même action : les autres biens qui sont semblables à ces six biens par rapport au principe motivant ('illa) : --- soit être un produit vendu à le pesée ou à la mesure ; et le fait qu'une marchandise soit vendue contre une marchandise de même nature ;
--- soit être une monnaie ou un aliment.
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– B.B) "تعدية الحكم الوضعي" :
Il y a ici encore plusieurs sous-cas, dont ces 2 ci, selon la détermination de la nature de la chose à laquelle ce hukm wadh'î se rapporte et à laquelle s'agit d'exporter ce hukm, cette détermination ayant une incidence sur la détermination du hukm wadh'î à exporter :
--- B.B.A) "تعدية الحكم الوضعي (وهو الصلاحية لأداء الحكم) من الوسيلة المنصوص عليها إلى وسيلة أخرى" ;
--- B.B.B) "تعدية الحكم الوضعي (وهو السببية) من الشيء المنصوص عليه إلى شيء آخر".
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--- B.B.A) "تعدية الحكم الوضعي (وهو الصلاحية لأداء الحكم) من الوسيلة المنصوص عليها إلى وسيلة أخرى", que l'on peut également formuler ainsi : "قياس وسيلة على وسيلة أداء العمل، المنصوص عليها" :
Il s'agit du fait de considérer la règle applicable à une action, et c'est l'aptitude de tel moyen (ayant été mentionné dans les textes) à réaliser cette action qui est élargie à un autre moyen ; en d'autres termes : c'est l'aptitude à réaliser telle action (as-salâhiyya li adâ' il-fi'l il-mahkûm fîh) qui est élargie à un autre moyen (wassîla / âla) que celui ayant été mentionné dans les textes ; la règle pourra dès lors être pratiquée par le premier OU par le second moyens.
Le Prophète (sur lui soit la paix) a mentionné l'eau comme moyen de purification de la partie du corps ou du vêtement qui a été souillée par une impureté rituelle (najâssa hissiyya) (les références sont bien connues).
- La norme est ici : la capacité (salâhiyya).
- Le moyen est : l'eau.
- L'action à laquelle ce moyen est reliée est : réaliser la purification.
Abû Hanîfa et Abû Yûssuf ont procédé à une analogie : la norme est ici la capacité (salâhiyya) de l'eau à réaliser cette purification ; et il y a un principe ('illa / manât) qui commande cette légalité, c'est que l'eau est un moyen (wassîla) capable de faire disparaître l'impureté rituelle. Cette norme s'exporte donc à tout autre liquide qui est rituellement pur (tâhir) et qui est capable de faire disparaître l'impureté rituelle.
Al-Marghînanî souligne qu'il s'agit bien d'une analogie (il a employé le terme "'illa" : Al-Hidâya 1/56). Cela a été fait :
--- soit par qiyâs ut-tamthîl (c'est l'avis de al-Bâbartî : Al-'Inâya, 1/76),
--- soit par dalâlat un-nass (c'est ce qui ressort de ce que al-Hussâmî a écrit : Muntakahab ul-Hussâmî, pp. 93-95).
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--- B.B.B) "تعدية الحكم الوضعي (وهو السببية) من الشيء المنصوص عليه إلى شيء آخر", que l'on peut également formuler ainsi : "قياس سبب على سبب الحكم الشرعي، المنصوص عليه" :
Dans les textes il y a une règle (hukm), un caractère légal (soit "interdit", soit "déconseillé", soit "autorisé", soit "recommandé", soit "obligatoire") s'appliquant à une action donnée (fi'l mahkûm fîh), lorsque telle situation (sabab), mentionnée dans ces textes (mansûs 'alayh), est présente ; il s'agit alors d'exporter ce caractère légal à une autre situation (sabab), et ce parce que cette autre situation renferme elle aussi le principe ayant motivé ('illa) la règle (hukm) par rapport à la première situation. C'est donc l'applicabilité du caractère légal (hukm tak'lîfî) relatif à une action donnée qui est élargie à une autre situation (sabab) que celle ayant été mentionnée dans les textes : ce caractère légal s'applique dès lors à cette action lors de la première ET lors de la seconde causes.
Le Prophète (sur lui soit la paix) a interdit au juge de rendre un jugement lorsqu'il est en colère.
- La règle est ici : l'interdiction.
- L'action (fi'l) interdite est : rendre le jugement.
- La cause entraînant (sabab) le caractère interdit de cette action (fi'l) est un état (hâl) : la colère.
Certains ulémas ont transposé ce caractère de causalité (sababiyya) à d'autres états, qui ont en commun avec la colère ce qu'ils pensent être le principe ayant motivé ('illa) cette interdiction : être perturbant au point de gêner le minimum de sérénité nécessaire à l'analyse d'un cas judiciaire. Ces ulémas disent donc que le juge ne doit pas non plus rendre un jugement s'il a très faim, etc.
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De même, l'interdiction (hurma) de l'action (fi'l) de vendre (al-bay'), a comme cause l'entraînant (sabab) : l'appel à la prière du vendredi.
A l'époque du Prophète (sur lui soit la paix) et de ses deux premiers califes, il y avait un appel à cette prière, donné juste avant le sermon (khutba).
Uthmân (que Dieu l'agrée), constatant que la ville s'était agrandie et que les habitations étaient donc plus étalées et les fidèles plus éloignées de la mosquée, instaura (sanna) que l'on donne plus tôt un autre appel à la prière. D'après les ulémas de l'école hanafite uniquement, la causalité de l'interdiction de la vente et de l'obligation de se diriger vers la mosquée a été exportée à ce second appel à la prière aussi.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).