Dans le Coran et la Sunna figurent des termes tels que "Yadâhu", "Waj'hu rabbika", "Thumma-s'tawâ 'ala-l-'arsh", etc.
Doit-on :
- appréhender ces termes en leur sens premier ?
- ou bien en faire une ta'wîl et en comprendre un sens figuré ?
- ou bien dire qu'on ne sait rien du tout du sens que ces termes ont ?
Ce qui est certain c'est qu'on trouve au sujet de ces termes les dires suivants :
- At-Tirmidhî a dit : "وقد ذكر الله عز وجل فى غير موضع من كتابه اليد والسمع والبصر؛ فتأولت الجهمية هذه الآيات ففسَّروها على غير ما فسَّر أهل العلم، وقالوا: إن الله لم يخلق آدم بيده. وقالوا: إن معنى اليد ها هنا القوة" : "Et Dieu a mentionné en plus d'un endroit de Son Livre : al-Yad, as-Sam', al-Bassar. Les Jahmites ont alors fait une interprétation de ces versets, et les ont commentés d'une façon autre que les Gens du 'Ilm les ont commentés. Ils ont dit : "Dieu n'a pas créé Adam par Sa Yad". Et ils ont dit : "Le sens de "Yad", ici, est : "Force""" (Jâmi' ut-Tirmidhî, commentaire du hadîth n° 662).
- Lorsque quelqu'un a questionné Mâlik ibn Anas en ces termes : "Comment (Dieu) S'est-Il istawâ ?", il a fait cette réponse devenue célèbre : "الاستواء غير مجهول، والكيف غير معقول، والإيمان به واجب، والسؤال عنه بدعة" : "L'istiwâ' n'est pas inconnu. Le kayf n'est pas compris par la raison. Y apporter foi est obligatoire. Questionner à son sujet constitue de l'innovation" (c'est l'une des deux versions rapportées par al-Bayhaqî : Al-Asmâ' wa-s-sifât, relation n° 867, p. 561 ; également cité dans Fat'h ul-bârî 13/498).
- Sufyân ibn 'Uyayna a dit : "أمروها كما جاءت بلا كيف" : "Faites passer ces (textes) comme ils sont venus, sans kayf".
- Sufyân ibn 'Uyayna a dit aussi : "كل شيء وصف الله به نفسه في القرآن فقراءته تفسيره لا كيف ولا مثل" : "Tout ce par quoi Dieu S'est qualifié dans le Coran, c'est le fait de lr éciter qui est son commentaire : pas de "comment", ni de "semblable [à...]".
- "وَالسَّمَاءَ بَنَيْنَاهَا بِأَيْدٍ" : "Et le ciel, Nous l'avons créé avec "أيْدٍ"" (Coran Adh-Dhâriyât/47) : Ibn Abbâs a traduit "بِأَيْدٍ" par : "بقوة" (Tafsîr ut-Tabarî).
- "كُلُّ شَيْءٍ هَالِكٌ إِلَّا وَجْهَهُ" : "Toute chose est périssable, sauf Sa Face" (Coran 28/88) : Adh-Dhahhâk et Abû 'Ubayda ont fait de ce verset le commentaire suivant : "أي إلا هو" : "C'est-à-dire : "Sauf Lui".
- "فَأَيْنَمَا تُوَلُّواْ فَثَمَّ وَجْهُ اللّهِ" (Coran 2/115) : Mujâhid et ash-Shâfi'î ont interprété les termes "وَجْهُ اللّهِ" s'y trouvant comme signifiant : "قبلة الله".
- "يَوْمَ يُكْشَفُ عَن سَاقٍ وَيُدْعَوْنَ إِلَى السُّجُودِ فَلَا يَسْتَطِيعُونَ" : "Le jour où un "سَاقٍ" sera découvert et qu'ils seront appelés à la prosternation puis ne pourront pas" (Coran 68/42). Ibn Abbâs a dit que "ساق" signifie ici : "شدّة" (Al-Asmâ' was-sifât, p. 485 ; Tafsîr Ibn Kathîr ; Fat'h ul-bârî 13/524).
- "أَنْ تَقُولَ نَفْسٌ يَا حَسْرَتَى عَلَى مَا فَرَّطْتُ فِي جَنْبِ اللهِ" : Mujâhid a commenté ces deux derniers mots par : "في أمر الله" (Tafsîr ut-Tabarî).
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Comment appréhender tout cela : faire Ta'wîl ou pas ? faire Tafwidh ul-ma'nâ ou pas ?
Il y a ici 3 choses (parfois : 3 + 1 choses) :
– le Terme ("اللفظ") ayant été employé par Dieu ou Son Messager (sur lui soit la paix) ;
– le Sens que ce terme évoque dans notre esprit quand nous l'entendons ("المعنى") ;
----- si nous avons déjà, de nos yeux, vu la réalité que ce terme cherche à désigner, il y a dans notre esprit, couplée à ce Sens : l'Image Mentale ("الصورة الذهنية") de cette réalité ; sinon, il n'y a que le Sens ("المعنى") ;
– la Réalité à laquelle ce Sens correspond ("الحقيقة الخارجة" / "الكنه").
Parmi tous les termes (اللفظ) présents dans le Coran ou la Sunna et communiquant des Sifât ullâh (Qualifications de Dieu), nous allons surtout citer, ci-après, la formule "يد الله" et aussi, parfois : "اسْتَوَى"...
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I) La posture des Salaf ; la posture des Jahmites ; et la posture de certains Acharites et Maturidites :
– A) La posture correcte : Al-hamlu 'ala-l-ma'na-l-haqîqî, ma Tafwîdh il-kayf :
Quand on dit qu'on connaît le sens de ces termes ("يدا الله" ainsi que d'autres), cela veut dire que ces termes qualifiant Dieu (et présents dans le Coran ou la Sunna), on ne les appréhende ni en l'un de leur sens figurés (ma'nâ majâzî) ni après considération de quelque chose qui serait sous-entendu avant (taqdîr) : on les appréhende donc sans ta'wîl (au sens particulier de ce terme, comme nous l'avons exposé dans un autre article). Ces termes qualifiant Dieu (et présents dans le Coran ou la Sunna), "on les fait passer comme ils sont venus dans le Coran et la Sunna", en les laissant revêtir dans notre esprit le sens premier (mutabâdir) qu'ils ont : leur sens habituel : il s'agit du sens qui vient le premier à l'esprit quand on entend le terme : et c'est ce qu'on appelle le sens propre du terme (ma'nâ haqîqî).
Par contre, ce qu'on ne connaît pas c'est la réalité ("kun'h" / "haqîqa khârija") de ce que ces termes désignent à propos de Dieu. Les Deux Mains de Dieu ont une réalité, un "comment" ; mais nous humains ne connaissons pas et ne pouvons pas connaître cette réalité, ne pouvons pas connaître "comment" sont ces Mains.
Cheikh Thânwî expose cette posture ainsi : "مراد تو معنى حقيقي هيں، مگر اس کی کنه معلوم نهیں، پس تفویض نفسِ معنى مين نهیں بلکہ صرف كنه مين هے" (Bawâdir un-nawâdir, p. 756).
Dès lors, "يد الله" :
-- a le "معنى حقيقي" (sens propre) de : "يد الله" : c'est-à-dire que ce terme "Yad", lorsque employé en rapport d'annexion avec le Nom "Allâh", signifie donc ce qu'il signifie premièrement quand on l'entend. Il ne signifie pas Quwwah ni Qud'rah ni Ni'mah ni autre chose.
On affirme donc bien : "إنّ الله خَلَقَ آدمَ بيديه" (bien que cette phrase ne soit pas présente dans le Coran, ayant seulement été extraite de la formule coranique : "مَا خَلَقْتُ بِيَدَيّ" - Coran 38/75 - où on a appréhendé le terme "يَدَيّ" en son sens propre).
Et on traduit donc bien ce terme "يد الله" en français par : "La Main de Dieu".
Cependant, on ne connaît pas comment (كيف) sont les Deux Mains d'Allah. "Dieu a Deux Mains, mais comment sont les Deux Mains de Dieu, nous ne le savons pas et ne pouvons pas le savoir". C'est ce qu'on appelle : "taf'wîdh ul-kayf".
Il faut donc que notre esprit parvienne à la fois :
- à employer au sujet de Dieu les termes ayant été employés à Son Sujet dans le Coran ou la Sunna, sans penser qu'ils pourraient signifier alors autre chose que leur sens propre ("المعنى الحقيقيّ") ;
- tout en se décentrant des créatures chez qui elle voit la réalité à laquelle ce sens correspond, pour ne pas imaginer ("صورة ذهنية") cette même réalité chez Dieu.
Ce petit exercice de la raison est ce qui ressort des célèbres propos des grands ulémas cités par at-Tirmidhî (parmi tant d'autres) :
- "أمِرُّوها بلا كيف"
- "يؤمن بها ولا يتوهم ولا يقال كيف".
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– C) Or les Jahmites et les Mutazilites ont traité ces termes en les comprenant selon un sens forcément autre que le sens premier : Ta'wîl wâjib :
Ils ont dit que partout où, dans le Coran, ce "لفظ" (terme) "يد" est utilisé en rapport d'annexion avec le nom "الله", il est nécessaire d'appréhender ce terme (لفظ) dans un sens (معنى) autre que son sens premier, en d'autres termes : de faire sa ta'wîl (au sens particulier de ce terme, conformément à ce que nous avons exposé dans un autre article).
Dès lors, les termes "يد الله" :
-- ont forcément comme "معنى" (sens) : soit "قوّة الله" (Force de Dieu), soit : "قدرة الله" (Puissance de Dieu), soit "نعمة الله" (Bienfait de Dieu), soit autre chose encore... pourvu que ce soit l'un des sens figurés qui sont attachés au terme "Yad" en langue arabe. Car le terme "يد" ne peut pas, lorsque en rapport d'annexion avec le Nom "الله", avoir le sens premier et habituel qui est le sien, car dire cela ce serait de l'anthropomorphisme (tajsîm).
La preuve des Mutazilites est la suivante : "Les Falâssifa disent que l'univers existe depuis toujours (Qadîm) (قديم، بمعنى: غير مسبوق بالعدم), même ayant été créé par Dieu (و إن كان محتاجًا إلى الله في وجوده). Ils ont tout faux : l'univers est apparu à un moment donné (Hâdith) (حادث، بمعنى: مسبوق بالعدم). Et quelle preuve a-t-on du caractère Hâdith de l'univers ? c'est qu'il est composé (murakkab) / qu'il est un corps (jism)."
C'est cet argument, destiné à contrer l'avis des Falâssifa, qui, appliqué sans discernement, a amené les Mutazilites à continuer ainsi sur leur lancée :
"Puisque Dieu est le Qadîm (le contraire du Hâdith), tout ce qui, de près ou de loin, rejoint ce qui "fait" le Hâdith (c'est-à-dire tout ce qui est interprété comme entraînant le fait d'"être composé, murakkab" / est interprété comme entraînant le fait d'"avoir un corps (jism)"), tout ce qui est ainsi, il est impossible que Dieu en soit qualifié. "Yad", au sens de "Main", implique le fait d'être composé, d'avoir un corps, donc d'être Hâdith. "Yad ullâh" signifie donc nécessairement autre chose que "Main de Dieu" : cela signifie soit "Force", soit "Puissance", soit "Bienfait de Dieu", etc.".
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Sur quoi se fonde-t-on pour dire que c'est la posture A qui est correcte ? Et sur quoi se base-t-on pour dire que c'est la posture mentionnée en C qui est la posture des Jahmites ?
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--- On se fonde sur le célèbre propos de Mâlik ibn Anas (déjà cité en début d'article) :
Lorsque quelqu'un lui a demandé : "Comment (Dieu) S'est-Il istawâ ?", il a fait cette réponse : "الاستواء غير مجهول، والكيف غير معقول، والإيمان به واجب، والسؤال عنه بدعة" : "L'istiwâ' n'est pas inconnu. Le kayf n'est pas compris par la raison. Y apporter foi est obligatoire. Questionner à son sujet constitue de l'innovation" (c'est l'une des deux versions rapportées par al-Bayhaqî : Al-Asmâ' wa-s-sifât, relation n° 867, p. 561 ; également cité dans Fat'h ul-bârî 13/498).
Et quand il a dit "الاستواء غير مجهول", Mâlik voulait parler de "ma'nâ" de "al-istiwâ'", et pas de "lafz" en tant que mot présent dans le Coran (nul n'a remis en cause le fait que ce mot fasse partie du texte du Coran, en relation avec le nom "Allâh") : Mâlik ibn Anas voulait dire qu'on connaît le sens premier de "istawâ" lorsque employé au sujet de Dieu.
La preuve que les Salaf Sâlih n'ont pas dit ne rien connaître du sens (ma'nâ) de ce terme lorsque employé à propos de Dieu, c'est qu'on voit certains d'entre eux expliquer ici ce mot "istawâ" par des synonymes (mutarâdif) ou des approchants (mutaqârib) ; al-Bukhârî les a cités ainsi : "باب {وكان عرشه على الماء}، {وهو رب العرش العظيم}. قال أبو العالية: {استوى إلى السماء}: ارتفع، {فسواهن}: خلقهن. وقال مجاهد: {استوى}: علا {على العرش" (Al-Jâmi' us-sahîh, kitâb ut-tawhîd, bâb n° 21).
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- Un propos voisin est rapporté de Rabî'a, le professeur de Mâlik : "سئل ربيعة الرأي عن قول الله تبارك وتعالى: {الرحمن على العرش استوى}؛ كيف استوى؟ قال: الكيف مجهول، والاستواء غير معقول، ويجب عليّ وعليكم الإيمان بذلك كله" : "Le kayf est inconnu. L'istiwâ' n'est pas compris par la raison. Y apporter foi est obligatoire à moi et à vous" (Al-Asmâ' wa-s-sifât, relation n° 868, p. 562). Cela signifie : "الكيف مجهول، والاستواء غير معقول [الحقيقة]، ويجب عليّ وعليكم الإيمان بذلك كله".
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--- On se fonde également sur ce que at-Tirmidhî a écrit : il relate des Jahmites (C) ce qui suit, en le leur reprochant :
"وقد ذكر الله عز وجل فى غير موضع من كتابه اليد والسمع والبصر؛ فتأولت الجهمية هذه الآيات ففسَّروها على غير ما فسَّر أهل العلم، وقالوا: إن الله لم يخلق آدم بيده. وقالوا: إن معنى اليد ها هنا القوة"
"Et Dieu a mentionné en plus d'un endroit de Son Livre : al-Yad, as-Sam', al-Bassar. Les Jahmites ont alors fait une interprétation de ces versets, et les ont commentés d'une façon autre que les gens de science les ont commentés. Ils ont dit : "Dieu n'a pas créé Adam par Sa Yad". Et ils ont dit : "Le sens de "Yad", ici, est : "Force""." (Jâmi' ut-Tirmidhî, commentaire du hadîth n° 662). Cela en commentaire de ce hadîth : "Dieu accepte l'aumône et la prend dans Sa Main Droite, puis la fait grandir (yurabbî-hâ) pour l'un d'entre vous, comme l'un d'entre vous fait grandir son poulain. Au point qu'une bouchée [donnée en aumône] devient comme [le mont] Uhud" (hadîth n° 662).
Ce que at-Tirmidhî reproche ici aux Jahmites, ce n'est pas que ceux-ci auraient supprimé du texte coranique la récitation de ce terme "Yad" en rapport d'annexion avec le Pronom représentant Dieu !
Ce que at-Tirmidhî reproche ici aux Jahmites, c'est d'avoir affirmé que ce terme "Yad" (que Dieu a employé à Son Sujet quand Il a dit qu'Il a créé Adam "par Ses Deux Yad"), ce terme n'est pas, ici, à appréhender au sens premier et habituel qu'il possède, mais au sens de "Quwwat ullâh" ("Force").
Les "Jahmites" disent ainsi : "إن الله لم يخلق آدم بيده! فليست لله يد! ومَن قال لله يد، فقد مثّله بخلقه! وإنما معنى اليد في هذه الآية: القوة؛ فمعنى الآية: أن الله خَلَقَ آدمَ بقُوّته" : "Dieu n'a pas créé Adam de Sa Main ! Car Dieu n'a pas de Main ! Et celui qui dit que Dieu a Main, celui-là l'a rendu semblable à Ses créatures ! Le sens de "yad" dans ce verset est : "Force". Le sens du verset est donc que Dieu a créé Adam par Sa Force".
Et ce à la différence des "gens du 'ilm"...
Ces derniers disent donc bien : "إنّ الله خَلَقَ آدمَ بيديه" : "Dieu a créé Adam de Ses Deux Mains". Cette phrase n'est pas présente telle quelle dans le Coran ni dans la Sunna : elle a seulement été extraite de la formule coranique : "مَا خَلَقْتُ بِيَدَيّ" - Coran 38/75 - où on a appréhendé le terme "Yadayya" en son sens propre.
Par ailleurs, pour ce qui est de ce par quoi "ces gens de 'ilm ont commenté ces (versets et hadîths)", at-Tirmidhî a employé, pour dire : "ont commenté", le terme : "tafsîr". Or celui-ci signifie : "bayân ul-ma'nâ".
La voie des Pieux Prédécesseurs est donc bien d'appréhender ce terme en son sens premier : ils n'ont pas dit de rien connaître du sens (ma'nâ) de ce terme lorsque employé au sujet de Dieu : que ce sens serait autre que le sens propre et tous les sens figurés connus.
D'ailleurs, Sufyân ibn 'Uyayna, qui a dit : "أمروها كما جاءت بلا كيف", parlait là de tout ce par quoi Dieu S'est Qualifié dans le Coran, et pas seulement du terme "istiwâ'" : "كل شيء وصف الله به نفسه في القرآن فقراءته تفسيره لا كيف ولا مثل". Ce principe vaut donc pour le terme "Yad" également.
Ce que at-Tirmidhî veut dire, c'est ceci :
"وقالوا: "إن الله لم يخلق آدم بيده [بمعنى هذا اللفظ المتبادر، أي بمعناه الحقيقيّ]". وقالوا: "إن معنى اليد ها هنا القوة"
"(Les Jahmites) ont dit : "Dieu n'a pas créé Adam par Sa "Yad"" [au sens premier de ce terme]. Ils ont dit : "Le sens de "Yad", ici, est : "Force""."
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- Voici tout le propos de at-Tirmidhî :
"وقد قال غير واحد من أهل العلم فى هذا الحديث وما يشبه هذا من الروايات من الصفات ونزول الرب تبارك وتعالى كل ليلة إلى السماء الدنيا قالوا: "قد تثبت الروايات فى هذا ويؤمن بها ولا يتوهم ولا يقال كيف." هكذا روى عن مالك وسفيان بن عيينة وعبد الله بن المبارك، أنهم قالوا فى هذه الأحاديث: "أمِرُّوها بلا كيف." وهكذا قول أهل العلم من أهل السنة والجماعة. وأما الجهمية فأنكرت هذه الروايات وقالوا: "هذا تشبيه".
وقد ذكر الله عز وجل فى غير موضع من كتابه اليد والسمع والبصر؛ فتأولت الجهمية هذه الآيات ففسَّروها على غير ما فسَّر أهل العلم، وقالوا: "إن الله لم يخلق آدم بيده." وقالوا: "إن معنى اليد ها هنا القوة.
وقال إسحاق بن إبراهيم: "إنما يكون التشبيه إذا قال: "يد كيد" أو "مثل يد" أو "سمع كسمع" أو "مثل سمع". فإذا قال "سمع كسمع" أو "مثل سمع"، فهذا التشبيه. وأما إذا قال كما قال الله تعالى "يد" و"سمع" و"بصر" ولا يقول "كيف" ولا يقول "مثل سمع" ولا "كسمع"، فهذا لا يكون تشبيها؛ وهو كما قال الله تعالى فى كتابه: "ليس كمثله شىء وهو السميع البصير."
"Au sujet de ce hadîth et ce qui est semblable à cela parmi les [autres] relations (riwâyât) (relatives) aux Attributs et à la descente de Dieu – Béni et Elevé soit-Il – chaque nuit jusqu'au ciel le plus bas, plus d'une personne de science a dit : "Les relations sont établies à ce sujet : on y apporte foi et on n'imagine pas, ni on ne dit : "comment"". Ainsi a-t-il été relaté de Mâlik, de Sufyân ibn 'Uyayna et de Abdullâh ibn ul-Mubârak, qu'ils ont dit au sujet de ces hadîths : "Faites-les passer sans dire "comment"". Et ainsi est le propos des gens de science parmi les gens de la Sunna et de la Jamâ'ah. Par contre, les Jahmites ont réfuté ces relations et ont dit : "Cela constitue de la tashbîh".
Dieu a mentionné en plus d'un endroit de Son Livre : la Main, l'Entendement et la Vue. Les Jahmites ont alors fait une interprétation de ces versets, et les ont commentés d'une autre façon que les gens de science les ont commentés. Ils ont dit : "Dieu n'a pas créé Adam par Sa Main" ; et ils ont dit : "Le sens de "al-Yad" ici est : "la Force"".
Is'hâq ibn Ibrâhîm a dit : "Il y a tashbih lorsqu'on dit : "Main comme une main" ou "semblable à une main", "Entendement comme un entendement" ou "semblable à un entendement". Si (quelqu'un) dit : "Entendement comme un entendement" ou "semblable à un entendement", cela est de la tashbih. Par contre, quand on dit comme Dieu Elevé a dit : "Main", "Entendement", "Vue", et qu'on ne dit pas "comment" ni qu'on ne dit "semblable à un entendement" ni "comme un entendement", cela n'est pas de la tashbîh. Cela est comme Dieu Elevé a dit dans Son Livre : "Rien n'est semblable à Lui, et Il est Celui qui Entend, Celui qui voit"" (Jâmi' ut-Tirmidhî, commentaire du hadîth n° 662).
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Sur ce point précis, les Mutazilites ont suivi les Jahmites et ont dit la même chose qu'eux. Or, présentés par certains comme "les rationalistes de l'islam" ou encore "les champions de la raison", les Mutazilites se sont en fait révélés ici "dotés d'une faible amplitude de la raison" : en effet, ils ont été incapables d'amener leur raison à concevoir qu'il puisse exister une ou des réalité(s) différente(s) de ce que les yeux transmettent à cette raison.
C'est pourquoi ils ont affirmé que dire : "Dieu a créé Adam par Sa "Yad"", cela est forcément de l'anthropomorphisme (tashbîh / tamthîl), car "yad", au sens premier du terme, ne peut être que comme la main que nous voyons (chez nous et chez les créatures que nous voyons). Leur raison a été incapable d'appréhender l'idée que le terme "Main", au sens propre, puisse évoquer une réalité différente de celle qu'ils connaissent pour la voir de leurs yeux.
Pourtant, Dieu a dit au sujet des anges : "alors que les anges tendent leurs mains [ou : bras]" (Coran 6/93). On appréhende ici le terme "main" dans son sens propre, en se disant qu'on n'en connaît pas la réalité. Quand employer le terme ne revient pas à renvoyer à la même réalité à propos des anges, qui sont des créatures, que dire alors de Dieu, qui est le Créateur, Lui à qui rien ne ressemble ?
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Et quand at-Tirmidhî dit :
"عن أبي هريرة، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "يمين الرحمن ملأى سحاء لا يغيضها الليل والنهار." قال: "أرأيتم ما أنفق منذ خلق السموات والأرض؟ فإنه لم يغض ما في يمينه، وعرشه على الماء. وبيده الأخرى الميزان يرفع ويخفض." هذا حديث حسن صحيح. وهذا الحديث في تفسير هذه الآية: {وقالت اليهود يد الله مغلولة غلت أيديهم ولعنوا بما قالوا بل يداه مبسوطتان ينفق كيف يشاء}. وهذا حديث قد روته الأئمة، نؤمن به كما جاء، من غير أن يفسر أو يتوهم، هكذا قال غير واحد من الأئمة: الثوري، ومالك بن أنس، وابن عيينة، وابن المبارك أنه تروى هذه الأشياء ويؤمن بها ولا يقال كيف" (Jâmi' ut-Tirmidhî, n° 3045), alors, en faisant ici la négation de "tafsîr", at-Tirmidhî veut désigner par ce terme : le tafsîr du type qu'ont fait les Jahmites, lequel "est différent du tafsîr que les gens du 'Ilm ont fait".
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- L'auteur de Al-Fiqh ul-akbar dit lui aussi :
"وله يد ووجه ونفس كما ذكره الله تعالى في القرآن. فما ذكره الله تعالى في القرآن من ذكر الوجه واليد والنفس: فهو له صفات بلا كيف. ولا يقال: "إن يده قدرته أو نعمته"؛ لأن فيه إبطالَ الصفة، وهو قول أهل القدر والاعتزال" : "Dieu a Main, Visage et Personne, comme Il l'a mentionné dans le Coran. (...) On ne peut pas dire : "Sa Yad est Sa Qud'ra ou Sa Ni'ma", car cela revient à annuler une Qualification. Et c'est là le propos des Qadarites Mutazilites" (Al-Fiqh ul-akbar, pp. 66-67).
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– B) Et puis, entre ces deux postures A et C, il y a la position de certains anciens Acharites et Maturidites : Tafwîdh ul-ma'nâ :
Eux disent qu'on ne connaît pas le sens ("معنى") des termes "يد الله" présents dans le Coran et la Sunna. Ils disent qu'on doit faire : "تفويض المعنى". Et ils disent que la vraie posture des Salaf Sâlih, c'est cette posture B.
Que veulent-ils dire par "تفويض المعنى" ?
Ils veulent dire par là que partout où ce "لفظ" (terme) "يد" est utilisé en rapport d'annexion avec le nom "الله", le sens voulu par Dieu par ce terme (le signifié) n'est pas connu de nous.
Les Maturidites disent : il est possible que ce soit son sens premier (ma'nâ haqîqî), comme il est possible que ce soit l'un de ses sens figurés (ma'nâ majâzî), ou qu'il y ait un terme sous-entendu avant (taqdîru lafz) : nous ne pouvons pas déterminer quel est le sens avec lequel Dieu a employé ces termes à Son sujet.
Cheikh Thânwî expose ainsi cette posture "B" : "يهي متعين نهیں کہ معنى حقيقي مراد هيں، يا مجازي مراد هيں: دونون محتمل هيں، بشرطيکہ ان مين كوئي تنزيه کےمنافي نہ هو" : "C'est cela qui n'est pas déterminé : le signifié est-il le sens propre ou le sens figuré : il y a la possibilité de l'un et de l'autre, à condition qu'aucun d'eux ne contredise le (principe du) Tanzîh" (Bawâdir un-nawâdir, p. 756).
Ce que Cheikh Thânwî a écrit là est exactement ce que Abû Mansûr al-Mâturîdî a écrit à propos de "Istiwâ'" : Abd ur-Rahmân al-Mahmûd relate que al-Maturîdî : "يذكر الأقوال في الاستواء من أنه بمعنى الاستيلاء، أو العلو والارتفاع، أو التمام، ثم يرجح التفويض لاحتماله أحد هذه المعاني أو غيرها فيقول: "فيجب القول بالرحمن على العرش استوى، على ما جاء به التنزيل وثبت ذلك في العقل، ثم لا تقطع تأويله على شيء، لاحتماله غيره مما ذكره، واحتماله أيضاً ما لم يبلغنا مما يعلم أنه غير محتمل شبه الخلق" (Mawqif Ibn Taymiyya min al-Ashâ'ira, pp. 428-429).
Ce que Cheikh Thânwî a écrit là peut également être l'une des deux interprétations d'un célèbre propos de Abu-l-Hassan at-Tabarî, élève direct de Abu-l-Hassan al-Asha'rî. En commentaire du verset 38/75, où Dieu parle de Adam comme étant : "مَا خَلَقْتُ بِيَدَيّ", après avoir cité le sens "jâriha" (c'est apparemment cela qu'il considère comme le sens "zâhir") ainsi que les sens figurés connus du terme "Yad" ("quwwa", "ni'ma", et même "nafs wa dhât"), at-Tabarî dit :
"فإذا بطلت هذه الوجوه بأسرها، لم يرجع تفسيرها إلى غير إطلاق اللفظ فيها كما جاء عن الله سبحانه، من غير تفسيرنا ذلك بالفارسية الموهمة للخطأ.
فإن قيل: كيف يستقيم لك أن تقسم اليد على أوجه ثم تخرج اليد التي تثبتها للقديم [أي لله] من جملتها، من غير أن ترجع في العبارة عنها إلى الفارسية وغيرها من اللغات، ولا تزيد على قولك من أنها يد صفية وهي غير معقولة فيما بيننا؟
قيل له: إن ذلك التقسيم الذي قسمنا إنما فعلنا فيما شاهدناه، ونحن فلم نرتب الباب بيننا
وبين خصومنا، لا لنثبت ما شاهدناه، وعقلناه معاينة حتى يكون قولك هذا قادحا في جملة ما أوردناه في هذا الباب. لأنا قد نثبت فاعلا في الغائب قديما [يعني: الله] ليس بجسم ولا عرض ولا جوهر، وإن كنا في الشاهد لا نعقل موجودا إلا جسما أو جوهرا أو عرضا. فإن صح ذلك كله مع خروجه عن حكم الشاهد، صح لغيرك إثبات اليد القديم من غير رجوع في تفسيرها إلى أكثر من إطلاق اللفظ بها كما جاء في القرآن" (cité dans Mawqif Ibn Taymiyya min al-Ashâ'ïra, p. 456).
L'une des 2 interprétations possibles de ce propos est en effet que ici, c'est la détermination (ta'yîn) de l'un de ces sens dont at-Tabarî fait ici la négation : aucun de ces sens ne peut être déterminé (mu'ayyan). Ce qu'il veut dire est donc ceci : "فإذا بطل [تعيين أيّ مِنْ] هذه الوجوه بأسرها [كمعنى هذه اللفظة]، لم يرجع تفسيرها إلى غير إطلاق اللفظ فيها كما جاء عن الله سبحانه، من غير تفسيرنا ذلك بالفارسية الموهمة للخطأ"
Dès lors, "يد الله" :
-- peut avoir le "معنى حقيقي" (sens propre) de "يد الله" (ce qui donne, en français : "Main de Dieu"),
-- et peut avoir comme "معنى" (sens) : soit "قوّة الله" ("Force de Dieu"), soit : "قدرة الله" ("Puissance de Dieu"), soit : "نعمة الله" ("Bienfait de Dieu"), soit autre chose encore parmi l'ensemble des sens figurés qui sont attachés au terme "Yad" en langue arabe.
Cheikh Thânwî relate d'un 'âlim indien du nom de cheikh Habîb Ahmad que la différence entre la posture "B" et celle des Jahmites ("C"), c'est que :
– les Jahmites ("C") ont pour leur part affirmé qu'il est nécessaire de faire la ta'wîl de ces termes "Yad ullâh", et il est impossible que ceux-ci revêtent leur sens premier ; par ailleurs, la ta'wîl qu'ils ont proposé est déterminée (mu'ayyan), aucune autre n'est acceptable ;
– tandis que, pour les partisans la posture "B" : les termes "Yad ullâh" peuvent effectivement avoir un tel sens, figuré, mais le terme "Yad" y étant présent peut également avoir son sens propre, la formule signifiant alors que Dieu a Deux Yad au sens habituel de ce terme (Bawâdir un-nawâdir, p. 760).
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Ce sont des tenants de cette posture B qui disent que, vu que la langue arabe est très riche, le terme "Yad" y possède plusieurs sens ; dans la formule "Yad ullâh", le terme "Yad" peut donc revêtir son sens propre ou l'un de ses sens figuré : il faut faire tafwîdh ul-ma'nâ ; confier le sens (ma'nâ) de ce terme à Dieu. Dès lors, il ne faut pas traduire cette formule en persan, car ce serait fixer le sens de "Yad ullâh".
C'est ce qui figure dans le propos suscité de Abu-l-Hassan at-Tabarî : "Et dès lors que tous ces sens sont malvenus, expliquer cela ne peut se faire qu'en employant le terme comme cela est venu de la part de Dieu, sans notre commentaire [= traduction] de cela en langue persane, laquelle pourrait faire croire un sens erroné" (cité dans Mawqif Ibn Taymiyya min al-ashâ'ira, p. 456).
En effet, car par exemple en français, le terme "Main" possède lui aussi plusieurs sens (un propre et d'autres figurés), cependant, le champ sémantique de ce terme "Main" n'est pas le même que celui du terme arabe "Yad". Il ne faut donc tout simplement pas traduire dans une autre langue le terme "Yad" quand il est employé au sujet de Dieu.
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– B') Certains ulémas postérieurs, parmi les Acharites et les Maturidites, ont quant à eux eu recours à la Ta'wîl.
Cheikh Thânwî écrit que lorsque ces ulémas postérieurs ont fait cette Ta'wîl de ces textes, ils n'ont en vérité fait que proposer, comme une possibilité, que ce soit un terme ayant un sens figuré ou que ce soit une périphrase (kinâya) : en fait ils n'ont pas exclu, eux non plus, la possibilité du sens propre : "اس لئے متاخرین نے تاویلِ مناسب کی اجازت دیدی، لیکن حقیقی معنی کی نفی نهیں کی، اور یهی فرق هے اِن ماولین اور اهلِ بدعت کے درمیان" : "C'est pourquoi les ulémas postérieurs ont autorisé de faire une Ta'wîl convenable. Cependant, (même alors,) ils n'ont pas fait la négation de (la possibilité que ce soit) le sens propre (qui soit signifié). Et c'est cela la différence entre ces ulémas ayant fait Ta'wîl, et les gens de la Bid'a [= gens du Dhalâl : Jahmites et Mutazilites]" (Bawâdir un-nawâdir, p. 607).
Et cheikh Thânwî d'affirmer que ces ces ulémas postérieurs n'ont fait cela que pour faciliter la compréhension aux musulmans du grand public de leur époque, qui n'arrivaient plus à ailler "sens propre" et "non-similitude de Dieu avec Ses créatures" (Ibid., p. 603).
Il se serait donc toujours agi, chez eux aussi, de 2 possibilités (le sens propre, et le sens faisant suite à une Ta'wîl), mais à la différence des Maturidites et Acharites antérieurs suscités (B) (qui, eux, ne se prononçaient pas et ne proposaient donc rien), ces Maturidites et Acharites postérieurs (B') se sont mis à proposer le sens par Ta'wîl pour faciliter la compréhension de ces textes au grand public ('awâmm) (mais sans pour autant nier la possibilité du sens propre). Il n'y a alors pas grande différence entre les deux tendances, si ce n'est que l'ancienne (B) disait que les 2 sont possibles mais ne présentait rien de ces 2, et la postérieure (B') disait que les 2 sont possibles, mais mettait en avant la 2ème.
Par ailleurs, Cheikh Thânwî relate et approuve de Cheikh Habîb Ahmad que ces Maturidites et Acharites postérieurs (B') ("al-Mutakallimûn") ont proposé plusieurs Ta'wîl, ce qui reste différent des Jahmites [C], qui, eux, insistent sur une seule Ta'wîl possible (Bawâdir un-nawâdir, p. 760). En fait, veut-il dire, cela prouve que pour eux il s'agit bien d'une simple proposition.
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– B'') Enfin, sous la plume de certains ulémas Acharites venant après ces grands Acharites postérieurs (B'), on trouve la formule suivante quant à ce qu'il faut faire vis-à-vis des termes exposant des Sifât ullâh : "إما التفويض وإما التأويل" : "soit le Tafwîdh (ul-ma'nâ), soit la Ta'wîl".
Ont écrit cela notamment : Ibn Hajar (Fat'h ul-bârî), at-Taftâzânî (Shar'h ul-'aqîda an-nassafiyya, p. 42), Shâh Waliyyullâh (Hujjat ullâh, 1/42).
Ces ulémas postérieurs semblent faire ainsi un récapitulatif des deux possibilités évoquées par leurs prédécesseurs Acharites : "soit le Tafwîdh (comme le faisaient nos Mutaqaddimûn), soit la Ta'wîl (comme le faisaient nos Muta'akkhirûn)", semblent-ils vouloir dire.
Voici par exemple ce que Ibn Hajar a écrit :
– D'une part il affirme que "dire qu'il est nécessaire de faire ta'wîl des textes de ce genre", cela est faux (il relate cela d'un auteur ent l'approuvant) : "وقال غيره: لم ينقل عن النبي صلى الله عليه وسلم ولا عن أحد من أصحابه من طريق صحيح، التصريح بوجوب تأويل شيء من ذلك، ولا المنع من ذكره. ومن المحال أن يأمر الله نبيه بتبليغ ما أنزل إليه من ربه وينزل عليه "اليوم أكملت لكم دينكم" ثم يترك هذا الباب فلا يميز ما يجوز نسبته إليه مما لا يجوز، مع حضه على التبليغ عنه بقوله "ليبلغ الشاهد الغائب"، حتى نقلوا أقواله وأفعاله وأحواله وصفاته وما فعل بحضرته. فدل على أنهم اتفقوا على الإيمان بها، على الوجه الذي أراده الله منها، ووجب تنزيهه عن مشابهة المخلوقات بقوله تعالى "ليس كمثله شيء". فمن أوجب خلاف ذلك بعدهم فقد خالف سبيلهم وبالله التوفيق" (Fat'h ul-bârî 13/477).
– D'autre part, par contre il autorise, en tant que deux alternatives, le tafwîdh ul-ma'nâ et le ta'wîl :
--- à propos de "sûrat ullâh" : "وأخرجها بن أبي عاصم أيضا من طريق أبي يونس عن أبي هريرة بلفظ يرد التأويل الأول: قال: "من قاتل فليجتنب الوجه، فإنَّ صورة وجه الإنسان على صورة وجه الرحمن." فتعين إجراء ما في ذلك على ما تقرر بين أهل السنة: من إمراره كما جاء من غير اعتقاد تشبيه، أو من تأويله على ما يليق بالرحمن جل جلاله" (Fat'h ul-bârî 5/226).
--- à propos de "sawt ullâh" : "وحاصل الاحتجاج للنفي: الرجوع إلى القياس على أصوات المخلوقين لأنها التي عهد أنها ذات مخارج. ولا يخفى ما فيه إذ الصوت قد يكون من غير مخارج، كما أن الرؤية قد تكون من غير اتصال أشعة كما سبق. سلمنا لكن تمنع القياس المذكور. وصفات الخالق لا تقاس على صفة المخلوق. وإذا ثبت ذكر الصوت بهذه الأحاديث الصحيحة، وجب الإيمان به؛ ثم إما التفويض وإما التأويل؛ وبالله التوفيق" (Fath' ul-bârî 13/559).
--- et à propos de savoir si on peut ou pas dire : "Allâhu shakhs", il cite al-Kirmânî ainsi : "ومن ثم قال الكرماني: لا حاجة لتخطئة الرواة الثقاة، بل حكم هذا حكم سائر المتشابهات: إما التفويض وإما التأويل" (Fat'h ul-bârî 13/491).
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II) Pourquoi cette posture B ne constitue pas du dhalâl mais une khata' ijtihâdî qat'î ?
– Sur quoi cette posture B se fonde-t-elle ?
Elle se fonde sur une tentative de concilier :
- d'une part le propos de at-Tirmidhî (et tant d'autres) suscité, disant que faire la Ta'wîl de termes exposant des Sifât ullâh, cela est contraire à la posture des Ahl us-Sunna wa-l-Jamâ'ah ; ainsi que le propos de Mâlik ibn Anas également reproduit plus haut ;
- d'autre part les Ta'wîl, relatées de certains Compagnons, Tâbi'ûn et Taba' ut-tâbi'în, de termes coraniques supposés exprimer des Sifât ullâh.
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Car il existe les quelques Ta'wîls suivantes, relatées de Compagnons ou d'élèves de Compagnons (déjà citées en début d'article) :
- Une Ta'wîl faite par Ibn Abbâs : "وَالسَّمَاءَ بَنَيْنَاهَا بِأَيْدٍ" : "Et le ciel, Nous l'avons créé avec "أيْدٍ"" (Coran) : "بِأَيْدٍ" signifie : "بقوة" (Tafsîr ut-Tabarî).
- Une Ta'wîl faite par adh-Dhahhâk et Abû 'Ubayda : "كُلُّ شَيْءٍ هَالِكٌ إِلَّا وَجْهَهُ" : "Toute chose est périssable, sauf Sa Face" (Coran 28/88) : "أي إلا هو" : "C'est-à-dire : "Sauf Lui".
- Une Ta'wîl faite par Mujâhid et ash-Shâfi'î : "فَأَيْنَمَا تُوَلُّواْ فَثَمَّ وَجْهُ اللّهِ" (Coran 2/) : "وَجْهُ اللّهِ" signifient : "قبلة الله".
- Une autre Ta'wîl faite par Ibn Abbâs : "يَوْمَ يُكْشَفُ عَن سَاقٍ وَيُدْعَوْنَ إِلَى السُّجُودِ فَلَا يَسْتَطِيعُونَ" : "Le jour où un "سَاقٍ" sera découvert et qu'ils seront appelés à la prosternation puis ne pourront pas" (Coran 68/42) : "ساق" signifie ici : "شدّة" (Al-Asmâ' was-sifât, p. 485 ; Tafsîr Ibn Kathîr ; Fat'h ul-bârî 13/524).
- Une autre Ta'wîl faite par Mujâhid : "أَنْ تَقُولَ نَفْسٌ يَا حَسْرَتَى عَلَى مَا فَرَّطْتُ فِي جَنْبِ اللهِ" : ces deux derniers mots signifient : "في أمر الله" (Tafsîr ut-Tabarî).
- Etc.
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– Les tenants de la posture B raisonnent alors en ces termes :
"--- D'une part il y a que at-Tirmidhî et tant d'autres ont dénoncé la Ta'wîl que les Jahmites et les Mutazilites ont faites de certains termes exposant des Sifât ullâh ; de même qu'il y a le propos de Mâlik ibn Anas ;
--- D'autre part il y a ces Ta'wîl que Ibn Abbâs et d'autres Salaf ont faites de termes exposant des Sifât ullâh.
Il s'agit donc de :
--- comprendre ce que at-Tirmidhî et tant d'autres ont dénoncé de Ta'wîl de termes exposant des Sifât ullâh (Ta'wîl qu'ils ont qualifiée de "posture des Jahmites"), ainsi que le propos de Mâlik ibn Anas,
--- à la lumière de ces Ta'wîl que Ibn Abbâs et d'autres Salaf ont faites de certains termes exposant des Sifât ullâh.
Et :
--- de fait, les Ta'wîl que Ibn Abbâs et d'autres Salaf ont faites de certains termes exposant des Sifât ullâh montrent que, pour tous les versets et hadîths contenant une Sifat ullâh, il est possible d'en proposer un sens figuré ;
--- dès lors, ce que at-Tirmidhî et tant d'autres ont dénoncé de Ta'wîl et ont qualifié de "posture des Jahmites / Mutazilites", ce qui y est dénoncé c'est le fait de dire qu'il est nécessaire d'appréhender ces termes au sens figuré, car le sens propre est impossible.
Ce qui englobe tout cela, c'est de dire :
--- il est possible que le sens voulu par Dieu de ces termes soit leur sens propre,
--- comme il est possible que le sens voulu par Dieu de ces termes soit un de leur sens figuré.
Car nous humains ne connaissons pas le sens de ces termes quand ils sont employés à propos de Dieu.
Alors :
--- soit nous ne nous prononçons pas, et confions ce sens à Dieu ("إما التفويض"), en disant qu'il peut être le sens propre, ou leur sens figuré ; et c'est ainsi qu'il faut comprendre le propos de Mâlik ibn Anas : "الاستواء غير مجهول، والكيف غير معقول" signifie en fait : "الاستواء غير مجهول [اللفظ]، والكيف [أي المعنى] غير معقول" ; c'est également ainsi qu'il faut comprendre le célèbre propos de Sufyân ibn 'Uyayna : "أمروها كما جاءت بلا كيف" : "Faites passer ces (textes) comme ils sont venus, sans kayf" : c'est-à-dire : "sans connaître le sens de ces termes" ;
--- soit nous proposons un sens figuré ("إما التأويل"), mais nous rappelons alors que ceci n'est rien de plus qu'une possibilité ; et c'est ainsi qu'il faut comprendre ce qu'ont fait Ibn Abbâs et d'autres Salaf : ils n'ont fait alors que proposer ce sens figuré comme signifié possible.
C'est cela, la différence entre nous et les Mutazilites : ces derniers, eux, disent qu'il est impossible que le sens propre soit le sens voulu par Dieu. Eux, quand ils traduisent le terme suite à une Ta'wîl, ils présentent cela comme le sens certain, pas comme une possibilité. Mais nous, nous disons cela être une possibilité."
C'est par ce propos que ces ulémas (B) ont cherché à concilier le propos de at-Tirmidhî qualifiant la Ta'wîl de "Yad ullâh" de "posture des Jahmites", et les Ta'wîl que par exemple Ibn Abbâs a faite de "Aydin" (pluriel de "Yad").
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– Or ce raisonnement est erroné (khata').
En effet, comme l'ont écrit d'autres grands ulémas, les grands ulémas qui sont de la posture B ont fait une khata' (et le principe des Sunnites, à la différence des Chiites, est qu'ils croient que tout mujtahid trouve tantôt l'avis juste, et tantôt fait une khata' ; et dire qu'il a fait une khata' ce n'est pas le dénigrer).
En fait, ces Ta'wîl doivent être gardées uniquement pour les passages à propos desquels ils ont été prononcés par ces Salaf.
Ailleurs, il est impossible de faire des Ta'wîl, et (c'est ce qui ressort explicitement du propos suscité de at-Tirmidhî) les termes doivent donc être appréhendés en leur sens propre.
Et si ces Salaf ont fait ces Ta'wîl à propos de ces versets, cela s'explique ainsi :
--- dans certains de ces versets, le terme en question n'est même pas en rapport d'annexion avec le nom "Allah", et n'évoque donc pas, au moins dans ces versets, une Sifat ullâh ; c'est le cas de "يَوْمَ يُكْشَفُ عَن سَاقٍ" et de "وَالسَّمَاءَ بَنَيْنَاهَا بِأَيْدٍ" (on lit d'ailleurs cet autre verset : "وَاذْكُرْ عَبْدَنَا دَاوُدَ ذَا الْأَيْدِ" : il s'agit bien de "force") ;
---dans d'autres versets, le terme en question est bien en rapport d'annexion avec le nom "Allah", mais il n'évoque pas une Sifat ullâh ; c'est le cas de "جَنْبِ اللهِ" ; et le fait qu'un des Salaf en ait fait la Ta'wîl est un indice supplémentaire nous permettant de comprendre cela ; le reste du passage nous l'indique lui aussi, comme Ibn Taymiyya l'a écrit : "وأما قولهم: (وجنب) فإنه لا يعرف عالم مشهور عند المسلمين، ولا طائفة مشهورة من طوائف المسلمين، أثبتوا لله جنبا نظير جنب الإنسان، وهذا اللفظ جاء في القرآن في قوله: {أن تقول نفس ياحسرتا على ما فرطت في جنب الله}. فليس في مجرد الإضافة ما يستلزم أن يكون المضاف إلى الله صفة له، بل قد يضاف إليه من الأعيان المخلوقة وصفاتها القائمة بها ما ليس بصفة له باتفاق الخلق، كقوله: "بيت الله" و"ناقة الله" و "عباد الله"، بل وكذلك "روح الله" عند سلف المسلمين وأئمتهم وجمهورهم. ولكن إذا أضيف إليه ما هو صفة له وليس بصفة لغيره، مثل كلام الله وعلم الله، ويد الله ونحو ذلك، كان صفة له. وفي القرآن ما يبين أنه ليس المراد بالجنب ما هو نظير جنب الإنسان؛ فإنه قال: {أن تقول نفس ياحسرتا على ما فرطت في جنب الله}؛والتفريط ليس في شيء من صفات الله عز وجل. والإنسان إذا قال: "فلان قد فرط في جنب فلان" أو "جانبه"، لا يريد به أن التفريط وقع في شيء من نفس ذلك الشخص، بل يريد به أنه فرط في جهته وفي حقه. فإذا كان هذا اللفظ إذا أضيف إلى المخلوق لا يكون ظاهره أن التفريط في نفس جنب الإنسان المتصل بأضلاعه، بل ذلك التفريط لم يلاصقه، فكيف يظن أن ظاهره في حق الله - أن التفريط كان في ذاته؟" (Al-Jawâb us-sahîh, 3/116) ;
--- d'autres versets et hadîths sont tels que, malgré qu'ils contiennent un terme qui y est bien en rapport d'annexion avec le nom "Allah" et qui, dans d'autres versets ou hadîths, indique bien une Sifat ullâh, en revanche, dans ces versets et hadîths précis, ce terme n'indique pas une Sifat ullâh.
----- C'est le cas avec : "كُلُّ شَيْءٍ هَالِكٌ إِلَّا وَجْهَهُ" : ici, le terme "وَجْهَهُ" est un majâz, et signifie : "هو" (il y a eu emploi du juz' pour désigner le kull : 'alâqa juz'iyya) : c'est pourquoi la Ta'wîl a été faite par l'un des Salaf.
----- C'est également le cas dans le verset : "أَوَلَمْ يَرَوْا أَنَّا خَلَقْنَا لَهُمْ مِمَّا عَمِلَتْ أَيْدِينَا أَنْعَامًا", où "أَيْدِينَا" est un majâz, et signifie : "نَحْنُ". Dans ce hadîth : "يد الله مع الجماعة" (at-Tirmidhî, 2166 : 'an ibn Abbâs) (également at-Tirmidhî, 2167, 'an Ibn Omar, avec d'autres phrases encore), il y a un kinâya pour dire : "protection" : "وقد اتفق أهل السنة والجماعة على أن المراد بذلك هو رعاية الله لهم، وعنايته بهم، وأنهم في كنفه وحفظه" (islamweb.net). Dans le verset suivant aussi il y a un kinâya pour signifier "possession" : "تَبَارَكَ الَّذِي بِيَدِهِ الْمُلْكُ" : al-Barrâk : "السموات والأرض ومن فيهن وما بينهنّ كلها تحت تصرّفه وقهره؛ وهذا أسلوب معروف في العربية: "هذه الدار بيدي" يعني: تحت تصرّفي وفي ملكي، في ملكي وتحت تصرفي" (sh-albarrak.com).
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Dans le célèbre propos de Mâlik ibn Anas sus-cité, c'est bien le "kayf" dont Mâlik dit qu'il n'est pas accessible à la raison, et pas le "ma'nâ" : "الاستواء غير مجهول، والكيف غير معقول، والإيمان به واجب، والسؤال عنه بدعة".
Et quand il a dit "الاستواء غير مجهول", Mâlik voulait parler du "ma'nâ" de "al-istiwâ'", et non pas de son "lafz" en tant que mot présent dans le Coran (puisque nul n'a remis en cause le fait que ce mot fasse partie du texte du Coran, en relation avec le nom "Allâh").
Al-Qurtubî lui-même expose le propos de Mâlik et la posture des Salaf ainsi : "وقد كان السلف الأول رضي الله عنهم لا يقولون بنفي الجهة ولا ينطقون بذلك، بل نطقوا هم والكافة بإثباتها لله تعالى كما نطق كتابه وأخبرت رسله. ولم ينكر أحد من السلف الصالح أنه استوى على عرشه حقيقة. وخص العرش بذلك لأنه أعظم مخلوقاته، وإنما جهلوا كيفية الاستواء فإنه لا تعلم حقيقته. قال مالك رحمه الله: الاستواء معلوم - يعني في اللغة - والكيف مجهول، والسؤال عن هذا بدعة. وكذا قالت أم سلمة رضي الله عنها. وهذا القدر كاف، ومن أراد زيادة عليه فليقف عليه في موضعه من كتب العلماء" (Tafsîr ul-Qurtubî, 7/219-220, commentaire de Coran 7/54).
Ibn ul-'Arabî écrit de même : "وذهب مالك رحمه الله أن كل حديث منها معلوم المعنى؛ ولذلك قال للذي سأله: الاستواء معلوم والكيفية مجهولة" ('Âridhat ul-ah'wadhî, 3/166).
Le propos de Mâlik signifie donc bien : "الاستواء غير مجهول [المعنى]، والكيف غير معقول، والإيمان به واجب، والسؤال عنه بدعة". Cela rejoint la posture A.
Quant au propos de Sufyân ibn 'Uyayna : "أمروها كما جاءت بلا كيف" : "Faites passer ces (textes) comme ils sont venus, sans kayf", il signifie bien : "Faites passer ces textes comme ils figurent dans les Textes, ayant donc leur sens premier, sans chercher à leur conférer un sens autre que leur sens premier, et sans parler de, ni imaginer le "comment"".
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Cependant, la khata' de ces grands ulémas tenants de la posture B n'est pas du dhalâl : c'est une khata' qat'î ijtihâdî.
En effet, car la nature de l'argumentation fait que celle-ci est considérée "fondée sur un ijtihâd digne de ce nom", bien qu'erroné : cette khata' n'est donc pas plus que de niveau ijtihâdî.
Le fait est que leur argumentation (B) se fonde sur des propos de Salaf Sâlih, mais c'est le fait d'avoir généralisé la portée de ces propos qui a constitué l'erreur.
Cela reste très différent de l'argumentation des Mutazilites (C), qui pour sa part est purement rationaliste : eux disent : "La preuve du caractère hâdith de l'univers est qu'il est composé / qu'il est un corps. Dès lors, a contrario, tout ce qui, de près ou de loin, évoque ce que nous ne considérons que comme un être composé /un corps, il est impossible que Dieu en soit qualifié. "Yad" signifie donc nécessairement autre chose que "Main"".
On voit ici la différence entre les deux argumentations.
Dans la 'Aqîda comme dans le Fiqh, ce n'est pas toute erreur qui est de dhalâl : nous avons démontré cela dans un précédent article.
Et, certes, le Prophète (sur lui soit la paix) a dit que "toute bid'a est de la dhalâla", cependant, cela au sens général du terme "dhalâla" ; car toute bid'a n'est pas forcément de dhalâl au sens istilâhî du terme (lire notre article sur la bid'a, ainsi que notre article sur les 2 termes "dhalâla" et "khata'").
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).