Suite de l'article Ne pas confondre "repousser l'envahisseur d'un des pays formant la Dâr ul-islâm", et "attaquer cet envahisseur sur son territoire à lui".
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– Première précision : Le fait qu'un pays soit Muhârib, cela ne signifie pas que tous ses ressortissants puissent être ciblés :
Certains coreligionnaires ont cru que le fait qu'une cité soit devenue Muhâriba, cela signifie qu'il est autorisé d'attaquer et de viser toute personne de cette cité, sans distinction entre ceux qui sont combattants et ceux qui ne le sont pas (alors que cela constitue une autre règle, cliquez ici).
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– Seconde précision : Qu'un pays non-musulman soit Muhârib d'un pays musulman, cela ne signifie pas que tous les hommes qui sont de la même religion que celle de ce pays non-musulman sont devenus des Harbî :
Un autre malentendu existe ici chez certains coreligionnaires.
Différentes règles ont été lues mais néanmoins pas entièrement comprises.
– Ainsi, une règle dit que si le dirigeant d'une cité Mu'âhida viole les clauses du traité de paix qui était en vigueur, c'est toute la cité qui devient Muhâriba (Ad-Durr ul-mukhtâr 6/217). C'est ce qui explique le cas des Banû Qurayza, dont le dirigeant avait décidé qu'il apporterait son concours à ceux qui étaient venus envahir Médine, et avait, aux deux Compagnons envoyés par le Prophète s'assurer que la nouvelle de leur trahison était fausse, vertement répondu (le récit est bien connu).
– Une autre règle dit que si un groupe constitué (lahum mana'ah), au sein de la population de la cité Mu'âhida, viole les clauses du traité de paix qui était en vigueur, et le fait avec l'autorisation ("idhn") du dirigeant de la cité, toute la cité devient Muhâriba (Al-Hidâya 1/543, contrairement au cas où un tel groupe n'a pas agi sur autorisation de leur dirigeant, toute la cité ne devenant alors pas Muhâriba).
– Une troisième règle dit que si un groupe constitué (lahum mana'ah), au sein de la population de la cité Mu'âhida, viole les clauses du traité de paix qui était en vigueur, et le fait avec l'approbation ("iqrâr") de tous les habitants de la cité, toute la cité devient Muhâriba (Zâd ul-ma'âd, 3/348-349). C'est ce qui explique le cas des Banu-n-Nadhîr : concrètement c'étaient deux individus qui avaient tenté d'assassiner le Prophète (Zâd ul-ma'âd 3/421) ; mais, au lieu de désapprouver leur acte, toute la tribu s'était montrée solidaire d'eux.
Ces 3 règles ont été lues. Mais un malentendu est demeuré à leur sujet chez certains coreligionnaires : ils ont cru que cela englobe, par exemple dans le cas de l'Etat d'Israël, tous les juifs de la planète. Pour eux, si l'Etat d'Israël rompt les clauses de la trêve et agresse les musulmans de Palestine, il est devenu autorisé que, ailleurs dans le monde (par exemple en France, en Belgique, en Tunisie, ou autre), des musulmans attaquent des juifs !
Alors que lorsque la règle citée plus haut dit que toute la cité devient Muhâriba par la violation du traité de paix par le dirigeant, elle parle de l'ensemble de l'entité politique. Elle ne dit pas que tous ceux qui sont de la même religion, ou approuvent ce que le dirigeant de cette cité a fait mais vivent dans une autre entité, tous ceux-là seront combattus par les armes. Au contraire, quand le Prophète a eu à faire face à la première rupture du pacte, par la tribu juive des Banû Qaynuqâ', il n'a pas considéré que la tribu juive des Banu-n-Nadhîr aussi, et celle des Banû Qurayza également, étaient entrés en état de belligérance avec lui. Pourtant, ces trois tribus habitaient dans le voisinage, à Médine même. Mais vu qu'elles constituaient des entités politiques différentes, la rupture du pacte par l'une d'elles n'a pas entraîné que les autres aussi soient devenues Muhâriba. Pareillement, le conflit armé actuel se déroule sur le sol de la Palestine, entre des occupés et des occupants, des envahis et des envahisseurs (malgré tous les sourires officiels, les belles paroles de "volonté de paix" et les grandes invitations à "s'asseoir à la table des négociations") ; il s'agit donc d'un cas B.1. Mais ce n'est pas un conflit entre les musulmans, et les juifs du monde entier.
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– Troisième précision : Tous les musulmans ne se trouvent pas toujours sous l'autorité politique du même dirigeant. Il se peut donc qu'un traité de paix existe entre un pays musulman et un pays non-musulman et qu'il perdure, malgré le fait qu'un autre pays musulman n'ait pas de traité de paix vis-à-vis de ce pays non-musulman et soit en guerre contre lui (guerre de type autre que celui de l'invasion armée) :
Ainsi, à l'époque du Prophète (sur lui soit la paix), un traité de paix d'une durée de 10 ans fut signé entre Médine et la Mecque. Dans le même temps, un groupe de musulmans se constitua qui comportait Abû Jandal et Abû Bassîr et ne se trouvait pas sous l'autorité politique de Médine (lam yakûnû tahta hukmi amîr il-Madîna) mais était indépendant. Ce groupe attaquait les caravanes des Mecquois (attaque de type B.2, mais en territoire neutre, soit B.2.a) (le récit est bien connu).
Ces musulmans ne se trouvaient pas sur le territoire sur lequel l'autorité politique du Prophète s'exerçait ("ومنها: أن المعاهدين إذا عاهدوا الإمام فخرجت منهم [أي من المسلمين] طائفةٌ فحاربتْهم [أي فحاربتْ الكفارَ الذين عاهدوا الإمامَ] وغنمت أموالهم ولم يتحيزوا إلى الإمام، لم يجب على الإمام دفعهم عنهم ومنعهم منهم، وسواء دخلوا في عقد الإمام وعهده ودينه أو لم يدخلوا. والعهد الذي كان بين النبي صلى الله عليه وسلم وبين المشركين لم يكن عهدا بين أبي بصير وأصحابه وبينهم" : Zâd ul-ma'âd 3/308-309).
Sinon, s'ils se trouvaient sur son territoire, il aurait eu le devoir de les empêcher de s'attaquer à la cité Mu'âhida (la règle est connue : "وإذا عقد الهدنة، فعليه حمايتهم من المسلمين وأهل الذمة؛ لأنه آمنهم ممن هو في قبضته وتحت يده، كما أمن من في قبضته منهم. ومن أتلف من المسلمين أو من أهل الذمة عليهم شيئا، فعليه ضمانه" : Al-Mughnî 12/698).
Il faut cependant nuancer la règle énoncée ci-dessus, dans la mesure où il existe par ailleurs la règle bien connue qui dit que si un pays musulman est envahi, ses habitants ont le devoir de se mobiliser face à l'invasion (nous l'avons vu plus haut), et qu'ensuite, s'il apparaît qu'ils ne peuvent faire face efficacement à l'invasion, ceux du pays musulman voisin doivent se mobiliser aussi. Si un tel cas de figure arrivait aujourd'hui, il va de soi que ce pays musulman voisin devrait lui aussi entrer en conflit pour mettre fin à l'invasion, et son dirigeant devrait donc informer le pays Muhârib qu'il met fin au traité de paix et qu'il lui déclare la guerre.
Il faut ici noter que les autorités des pays musulmans d'aujourd'hui ne permettent pas à leurs ressortissants de partir d'eux-mêmes prêter main-forte à un pays musulman voisin qui subit l'invasion, et opposent à cela ce qui constitue un cas reconnu de contrainte (ik'râh, cliquez ici) ; ces ressortissants du pays voisin se contenteront donc aujourd'hui de dénoncer par la plume, la langue et d'autres actions pacifiques, l'invasion qui se passe dans le pays voisin.
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– Quatrième précision : Si un pays non-musulman est Muhârib par rapport à un pays musulman, les musulmans qui sont résidents ou citoyens de ce pays non-musulman n'ont pas le droit de l'attaquer. Mais ils doivent dénoncer par la langue et la plume ce que le pays où ils vivent commet :
En effet, les musulmans qui sont résidents ou citoyens d'un pays Muhârib n'ont pas la possibilité de prendre les armes contre le pays où ils résident. Les ouvrages du droit musulman précisent bien qu'"un musulman qui entre en Dâr ul-harb avec un amân [délivré par les autorités de la Dâr ul-harb], il lui est interdit de s'en prendre à quoi que ce soit : vie, biens" : "باب المستأمن أي الطالب للأمان (هو من يدخل دار غيره بأمان) مسلما كان أو حربيا (دخل مسلم دار الحرب بأمان حرم تعرضه لشيء) من دم ومال وفرج (منهم) إذ المسلمون عند شروطهم" (Ad-Durr ul-mukhtâr 6/275). Ceci "car, en demandant le amân, il a pris l'engagement de ne pas s'en prendre à eux, et la trahison (ghadr) est interdite" : "لأنه ضمن بالاستئمان أن لا يتعرض لهم، والغدر حرام" (Radd ul-muhtâr). Le même propos, en substance, peut être lu dans Al-Mughnî, qui parle de "qui entre dans la terre de l'ennemi avec un amân" : "مسألة؛ قال: من دخل إلى أرض العدو بأمان، لم يخنهم في مالهم، ولم يعاملهم بالربا أما تحريم الربا في دار الحرب، فقد ذكرناه في الربا، مع أن قول الله تعالى: {وحرم الربا} وسائر الآيات والأخبار الدالة على تحريم الربا عامة تتناول الربا في كل مكان وزمان. وأما خيانتهم، فمحرمة؛ لأنهم إنما أعطوه الأمان مشروطا بتركه خيانتهم، وأمنه إياهم من نفسه، وإن لم يكن ذلك مذكورا في اللفظ، فهو معلوم في المعنى، ولذلك من جاءنا منهم بأمان، فخاننا، كان ناقضا لعهده. فإذا ثبت هذا، لم تحل له خيانتهم، لأنه غدر، ولا يصلح في ديننا الغدر" (Al-Mughnî 12/688-689, mas'alah 1674).
Ceci correspond aujourd'hui à celui qui est allé visiter ou s'installer temporairement dans un pays non-musulman (celui-ci fût-il, en même temps que Dawla Muhâriba, par ailleurs : Dâr ul-amn ou Dâr ul-khawf) avec un visa, équivalent contemporain du amân d'autrefois. Et ceci concerne donc à plus forte raison celui qui réside de façon permanente en pareil pays non-musulman avec un contrat de citoyenneté : ils n'ont pas le droit de s'attaquer à ce pays.
Par contre, vu que certains de ces pays sont une Dâr ul-amn pour les musulmans et que ceux-ci y disposent d'une liberté d'expression, les musulmans qui y résident doivent dénoncer par la langue et la plume l'agression que le pays dans lequel ils vivent (et dont ils sont éventuellement citoyens) commet, l'objectif étant de parvenir à créer un mouvement amenant ce pays à cesser son agression. Nous avons évoqué ce point dans un autre article.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).