Uthmân ibn 'Affân face aux épreuves (que Dieu l'agrée)

Uthmân (23-35 a.h. / 644-656 a.g.) (que Dieu l'agrée) :

Omar, le second calife, avait désigné six illustres Compagnons pour qu'ils choisissent parmi eux celui qui deviendrait le troisième calife.
Pourquoi un groupe et non pas une personne ? Parce que, certes, parmi ces six personnes il y avait une qui était plus apte que les autres concernant la fonction califale ; cependant, les six étaient, par rapport à cette aptitude, d'un niveau très proche ; Omar a donc préféré que le choix soit fait par concertation (MS 3/257-261, FB 7/89).

Ce collège s'étant réuni, trois d'entre ses six membres expriment leur accord pour que quelqu'un parmi les autres soit calife : en fait ces trois membres remettent leur possibilité d'être nommé calife aux trois autres. Restent donc Ibn 'Awf, Uthmân et Alî. Ibn 'Awf se désiste lui aussi par rapport à la fonction de calife et propose à Uthmân et à Alî de choisir le calife parmi eux. Ils acceptent. Il se met à consulter trois jours durant les Compagnons présents à Médine. La troisième nuit, il réveille al-Miswar ibn Makhrama, l'envoie appeler az-Zubayr et Sa'd, avec qui il s'entretient. Puis il envoie al-Miswar quérir Alî, avec qui il s'entretient longuement, puis Uthmân avec qui il s'entretient longuement aussi (al-Bukhârî 6781). Il dit notamment à chacun de ces deux personnages : "Fais serment par Dieu que si tu es nommé dirigeant tu seras juste et si l'autre est nommé tu obéiras" : "فأخذ بيد أحدهما فقال: "لك قرابة من رسول الله صلى الله عليه وسلم والقدم في الإسلام ما قد علمت؛ فالله عليك لئن أمرتك لتعدلن، ولئن أمرت عثمان لتسمعن، ولتطيعن". ثم خلا بالآخر فقال له مثل ذلك" (al-Bukhârî 3497).
Arrive l'heure de la prière de l'aube (sub'h). Après l'avoir accomplie, Ibn 'Awf envoie quérir tous les Emigrants et les Auxiliaires présents à Médine, tous les chefs des armées – ils étaient venus accomplir le pèlerinage à la Mecque avec le défunt calife Omar – et tout ce monde se réunit dans la mosquée du Prophète. Ibn 'Awf déclare alors qu'après avoir consulté les gens, il a constaté "qu'ils ne considèrent personne comme étant du même niveau que Uthmân." Il fait alors allégeance à ce dernier, et les responsables présents la lui font eux aussi : "فلما صلى للناس الصبح، واجتمع أولئك الرهط عند المنبر، فأرسل إلى من كان حاضرا من المهاجرين والأنصار، وأرسل إلى أمراء الأجناد، وكانوا وافوا تلك الحجة مع عمر. فلما اجتمعوا تشهد عبد الرحمن، ثم قال: "أما بعد، يا علي إني قد نظرت في أمر الناس، فلم أرهم يعدلون بعثمان، فلا تجعلن على نفسك سبيلا". فقال: "أبايعك على سنة الله ورسوله، والخليفتين من بعده"، فبايعه عبد الرحمن، وبايعه الناس المهاجرون والأنصار وأمراء الأجناد والمسلمون" (al-Bukhârî 6781). Alî aussi lui fait allégeance (al-Bukhârî 3497). Ahmad ibn Hanbal dira : "Aucune allégeance n'aura autant fait l'unanimité que celle faite à Uthmân" (MS 3/261) : les musulmans l'ont désigné comme leur dirigeant après trois jours de consultation, en étant unis, avec affection (MS 3/261).

Au début, tout va bien. Hélas, à partir de la sixième année de son califat (FB 13/264), des intrigues se nouent dans les provinces les plus éloignées de Médine, surtout de l'Irak : on se met à critiquer certaines positions de Uthmân. C'est un homme du nom de Abdullâh ibn Saba' qui joue un grand rôle dans la diffusion de ces rumeurs.
C'est ainsi que débute le trouble que le Prophète avait, de son vivant, décrit comme "l'épreuve ("fitna") qui fera des vagues comme le fait la mer" et dont Hudhayfa avait dit à Omar ibn ul-Khattâb que sa présence était la "porte fermée" l'empêchant de venir à son époque (al-Bukhârî 502, Muslim 144).

On reproche à Uthmân d'avoir nommé à des postes administratifs des gens de sa parenté tels que Mu'âwiya, Abdullâh ibn Kurayz, al-Walîd ibn 'Uqba, Marwân, qui appartiennent tous aux Banû Umayya.
En fait Uthmân n'a fait que garder Mu'âwiya au poste auquel c'est Omar qui l'avait nommé (AMQ p. 95), et s'il a effectivement nommé certains membres de sa famille à des postes administratifs, c'est parce qu'il pense sincèrement qu'ils sont capables d'assumer les charges qui leur sont confiées : chez les Quraysh, c'est dans la famille Banû Umayya que le Prophète a le plus nommé de responsables ; après lui Abû Bakr et Omar ont eux aussi donné des responsabilités à de nombreux membres de cette famille ; Uthmân ne voit sincèrement aucun problème à faire de même (MS 3/276-277).

D'autres personnes disent que Uthmân accorde, dans l'argent du trésor public, des grands dons à certains de ses parents.
Ibn Taymiyya répond : "Où sont les chaînes authentiques prouvant cela ? Uthmân faisait des dons à ses proches mais il en faisait aussi à des gens qui n'avaient pas de lien de parenté avec lui."
Uthmân accordait effectivement des dons à ses parents à partir du trésor public, mais c'est parce qu'il était d'avis que la part qui revenait au Prophète revenait, après lui, au calife ; si la majorité des autres mujtahids n'ont pas eu cet avis, il en est qui, plus tard, ont eu le même avis que Uthmân [voir Bidâyat ul-mujtahid, 2/725-726] ; il y a même un Hadîth du Prophète à ce sujet, mais son authenticité fait l'objet d'avis divergents (MS 3/298) : "عن أبي الطفيل، قال: جاءت فاطمة رضي الله عنها، إلى أبي بكر رضي الله عنه، تطلب ميراثها من النبي صلى الله عليه وسلم، قال: فقال أبو بكر رضي الله عنه: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "إن الله عز وجل إذا أطعم نبيا طعمة، فهي للذي يقوم من بعده" (Abû Dâoûd, 2973). "عن أبي الطفيل، قال: لما قبض رسول الله صلى الله عليه وسلم أرسلت فاطمة إلى أبي بكر: "أنت ورثت رسول الله صلى الله عليه وسلم، أم أهله؟" قال: فقال "لا، بل أهله". قالت: "فأين سهم رسول الله صلى الله عليه وسلم؟" قال: فقال أبو بكر: "إني سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "إن الله عز وجل إذا أطعم نبيا طعمة، ثم قبضه، جعله للذي يقوم من بعده". فرأيت أن أرده على المسلمين". قالت: "فأنت وما سمعت من رسول الله صلى الله عليه وسلم أعلم" (Ahmad, 14). "في لفظ هذا الحديث غرابة ونكارة. ولعله روي بمعنى ما فهمه بعض الرواة، وفيهم من فيه تشيع فليعلم ذلك" (Al-Bidâya wa-n-Nihâya, 5/333).
D'autre part, Uthmân était d'avis que la part que le Prophète avait le droit de donner à ses proches ("dhawi-l-qurbâ"), le calife du Prophète a aussi le droit de la donner à ses proches ; ce fut, après lui, également l'avis d'autres mujtahids (MS 3/298). Telle était la cause ayant conduit Uthmân à agir ainsi ; il était sincère dans son interprétation.
Cependant, l'avis des autres érudits sur le sujet est plus juste ("تأول في الأموال" : MF 35/24). Le fait est que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "عن أبي هريرة رضي الله عنه: أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "لا يقتسم ورثتي دينارا ولا درهما. ما تركت بعد نفقة نسائي ومئونة عاملي فهو صدقة" (al-Bukhârî, 2624, Muslim, 1760). Dans ce hadîth, le Prophète a enseigné que, après son décès, ce que ces terres (qui sont waqf) produisent (ghalla) :
--- une part devrait en être assignée aux besoins d'entretien de ses veuves (mais sans qu'elles aient le droit de devenir propriétaires de ces terres, milk ur-raqaba), et cela parce qu'elles étaient empêchées de se remarier (Mahbûssât 'alayhi) (ce qui relève de la règle générale selon laquelle toute personne retenue à cause de quelqu'un doit être nourrie et logée par lui) ;
--- une part devrait en être assignée à "مئونة عاملي", soit - d'après une des interprétations - : "les besoins de son calife" ("واختلف في المراد بقوله عاملي فقيل: الخليفة بعده، وهذا هو المعتمد وهو الذي يوافق ما تقدم في حديث عمر؛ وقيل: يريد بذلك العامل على النخل وبه جزم الطبري وابن بطال" : FB) ;
--- et le reste de la production serait sadaqa : devrait être dépensé pour les besoins de l'ensemble de la Communauté, selon la Maslaha.
"عن ابن الحنفية، قال: "لو كان علي رضي الله عنه ذاكرا عثمان رضي الله عنه، ذكره يومَ جاءه ناس فشكوا سعاة عثمان. فقال لي علي: "اذهب إلى عثمان، فأخبره أنها صدقة رسول الله صلى الله عليه وسلم، فمر سعاتك يعملون فيها". فأتيته بها، فقال: "أغنها عنا". فأتيت بها عليا، فأخبرته فقال: "ضعها حيث أخذتها". قال الحميدي، حدثنا سفيان، حدثنا محمد بن سوقة، قال: سمعت منذرا الثوري، عن ابن الحنفية، قال: "أرسلني أبي: "خذ هذا الكتاب، فاذهب به إلى عثمان، فإن فيه أمر النبي صلى الله عليه وسلم في الصدقة" (al-Bukhârî, 2944) ("وروى بن أبي شيبة من وجه آخر عن محمد بن سوقة حدثني منذر قال: كنا عند ابن الحنفية، فنال بعض القوم من عثمان، فقال: "مه". فقلنا له: "أكان أبوك يسب عثمان؟" فقال: "ما سبّه. ولو سبّه يوما لسبّه يوم جئته" فذكره" : FB 6/258).

Les cerveaux de l'intrigue n'ont aucun scrupule pour parvenir à leurs objectifs : ils n'hésitent pas à écrire des faux qu'ils signent du nom d'illustres Compagnons et qu'ils envoient à des gens pour les soulever. Ils prétendront ainsi que Alî leur a écrit une lettre critiquant Uthmân.
Alî s'exclamera : "Par Dieu je ne vous ai jamais envoyé de lettre !" (AMQ p. 135, nous y reviendrons plus bas). Pareillement, alors que Masrûq reproche à Aïcha d'avoir écrit aux gens pour les soulever contre Uthmân, elle proteste et dit : "Par Celui en qui les croyants ont foi et que les incroyants renient, je ne leur ai pas écrit une seule lettre !" (AMQ p. 142). Signer des faux sera ainsi une des armes que ceux qui fomentent la rébellion utiliseront de toutes les façons possible (note de bas de page sur AMQ, p. 120). Bientôt les provinces bourdonnent de rumeurs dénigrant le calife.

Or Uthmân est la douceur même ("غلّب الرغبة" : MF 35/24). Il met en place dans chaque grande ville un registre public destiné à recevoir les doléances des administrés, il invite ceux qui ont des plaintes à venir les faire entendre lors du pèlerinage (note de bas de page sur AMQ p. 128). Cependant, il refuse que pour le défendre on entreprenne quelque chose susceptible de faire couler le sang.
- Mu'âwiya lui proposera d'envoyer une petite armée assurer l'ordre à Médine car celle-ci pourrait être la proie de ceux dont on sent bien qu'ils sont en train de faire naître une lame de fond. Uthmân refuse (note de bas de page sur AMQ p. 138).
- Plus tard d'autres Compagnons lui proposeront de le défendre contre les insurgés. Uthmân refusera encore de faire le premier des pas qui feront couler le sang (note de bas de page sur AMQ p. 129, pp. 139-141).

En dhu-l-hijja de l'an 35, les insurgés entrent à Médine (AMQ p. 132). Ils se rendent auprès de Uthmân et lui reprochent de vive voix ce qu'ils disaient jusqu'à présent dans les provinces. Uthmân leur demande : "Que voulez-vous ?" Ils font part de leurs exigences, et Uthmân finit par s'engager à les respecter : il y a notamment le fait de ne plus nommer que les gens que ces insurgés estiment dignes des postes administratifs. Il y a aussi le fait de répartir les recettes fiscales de façon égale. Pour leur part les insurgés prennent l'engagement de reconnaître son autorité en tant que calife (AMQ pp. 132-133).
Ils repartent alors de Médine satisfaits, mais bientôt ils interceptent un cavalier porteur d'une lettre signée de Uthmân qui demande au gouverneur d'Egypte de mettre à mort les insurgés. Ils reviennent alors à Médine (AMQ p. 134). Des insurgés viennent rencontrer Alî et lui disent qu'ils vont se soulever contre Uthmân et qu'il doit les aider dans cette entreprise. Devant son refus, ils lui disent : "Eh bien pourquoi nous as-tu donc envoyé la lettre ? – Par Dieu je ne vous ai jamais envoyé de lettre !" proteste Alî (AMQ p. 135). Les insurgés vont demander des explications au calife Uthmân. Celui-ci jure ne pas être à l'origine de la missive qu'ils ont interceptée. Ils lui demandent alors de leur remettre Marwân ibn ul-Hakam, son secrétaire. Uthmân refuse (AMQ p. 120, p. 136).

Les insurgés assiègent Uthmân dans sa maison.

Quand le Prophète vivait encore, un jour qu'il se trouvait dans un verger de Médine, et que Abû Bakr, puis Omar, enfin Uthmân étaient venus s'asseoir en sa compagnie, il avait dit à Abû Mûssâ – qui ce jour-là était à l'entrée du verger – à propos de Uthmân : "Donne-lui la permission d'entrer et donne-lui la bonne nouvelle du paradis avec une épreuve qui l'atteindra." Uthmân avait dit alors : "C'est à Dieu que l'on demande l'aide !" : "عن أبي موسى رضي الله عنه، قال: كنت مع النبي صلى الله عليه وسلم في حائط من حيطان المدينة. فجاء رجل فاستفتح، فقال النبي صلى الله عليه وسلم: "افتح له وبشره بالجنة"، ففتحت له، فإذا أبو بكر، فبشرته بما قال النبي صلى الله عليه وسلم، فحمد الله. ثم جاء رجل فاستفتح، فقال النبي صلى الله عليه وسلم: "افتح له وبشره بالجنة"، ففتحت له فإذا هو عمر، فأخبرته بما قال النبي صلى الله عليه وسلم، فحمد الله. ثم استفتح رجل، فقال لي: "افتح له وبشره بالجنة، على بلوى تصيبه"، فإذا عثمان، فأخبرته بما قال رسول الله صلى الله عليه وسلم فحمد الله، ثم قال: "الله المستعان" (al-Bukhârî, 3490, Muslim, 2403 ; voir FB 7/47-48).
Un autre jour, le Prophète lui avait également dit que s'il devenait calife et que des hypocrites lui ordonnaient de se défaire de cette fonction il ne devait pas leur obéir : "عن النعمان بن بشير، عن عائشة، قالت: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "يا عثمان، إن ولاك الله هذا الأمر يوما، فأرادك المنافقون أن تخلع قميصك الذي قمصك الله، فلا تخلعه"، يقول ذلك ثلاث مرات. قال النعمان: فقلت لعائشة: "ما منعك أن تعلمي الناس بهذا؟" قالت: "أنسيته" (Ibn Mâja 112).
De même, Ibn Omar raconte : "Le Prophète parla d'une fitna qui surviendrait. Un homme passa, et le Prophète dit alors de lui : "Ce jour-là; celui-là sera tué injustement." Je regardai alors l'homme : c'était Uthmân" : "عن ابن عمر قال: ذكر رسول الله صلى الله عليه وسلم فتنة، فمر رجل، فقال: "يقتل فيها هذا المقنع يومئذ مظلوما". قال: فنظرت، فإذا هو عثمان بن عفان" (Ahmad, 5953, authentifié dans FB 7/48). Murra ibn Ka'b raconte la même chose : "عن أبي الأشعث الصنعاني، أن خطباء قامت بالشام وفيهم رجال من أصحاب رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقام آخرهم رجل يقال له: مرة بن كعب، فقال: لولا حديث سمعته من رسول الله صلى الله عليه وسلم، ما قمت: وذكر الفتن فقربها، فمر رجل مقنع في ثوب فقال: "هذا يومئذ على الهدى"، فقمت إليه فإذا هو عثمان بن عفان. قال: فأقبلت عليه بوجهه، فقلت: هذا؟ قال: "نعم" (at-Tirmidhî, 3704) ; "عن أبي الأشعث، قال: قامت خطباء بإيلياء في إمارة معاوية، فتكلموا وكان آخر من تكلم مرة بن كعب، فقال: لولا حديث سمعته من رسول الله صلى الله عليه وسلم، ما قمت. سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يذكر فتنة فقربها، فمر رجل متقنع، فقال: "هذا يومئذ وأصحابه على الحق والهدى"، فقلت: هذا يا رسول الله؟ وأقبلت بوجهه إليه، فقال: "هذا"، فإذا هو عثمان" (Ahmad, 18068).

La maslaha d'alors était d'employer le sabre pour exécuter ces gens appelant à renverser le calife : "عن حذيفة بن اليمان قال: "إني قلت: "يا رسول الله، أرأيت هذا الخير الذي أعطانا الله، أيكون بعده شر كما كان قبله؟" قال: "نعم" قلت: "فما العصمة من ذلك؟" قال: "السيف". قلت: "يا رسول الله، ثم ماذا يكون؟" قال: "إن كان لله خليفة في الأرض فضرب ظهرك وأخذ مالك، فأطعه؛ وإلا فمت وأنت عاض بجذل شجرة". قلت: "ثم ماذا؟" قال: "ثم يخرج الدجال معه نهر ونار، فمن وقع في ناره، وجب أجره، وحط وزره، ومن وقع في نهره، وجب وزره، وحط أجره". قال: قلت: "ثم ماذا؟" قال: "ثم هي قيام الساعة" (Abû Dâoûd, 4244) (ceci est globalement l'interprétation de al-Gangôhî, relatée in Badhl ul-maj'hûd, 12/277). Défendre l'autorité en place contre les insurgés cherchant à la renverser, al-bughât 'ala-l-amîr, c'est (tant que l'autorité n'a pas apostasié de façon évidente) ce que le Prophète a enjoint de faire dans d'autres hadîths encore, notamment celui de 'Arfaja.

Mais Uthmân n'a pas voulu employer ce moyen, car il ne voulait pas être le premier à faire couler le sang des musulmans. C'est pourquoi il a refusé la proposition qu'on lui a faite d'attaquer les insurgés (ceci étant un droit personnel le concernant) : "عن قيس، عن أبي سهلة، عن عائشة قالت: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "ادعوا لي بعض أصحابي"، قلت: أبو بكر؟ قال: "لا". قلت: عمر؟ قال: "لا". قلت: ابن عمك علي؟ قال: "لا". قالت: قلت: عثمان؟ قال: "نعم"، فلما جاء، قال: "تنحي". فجعل يساره، ولون عثمان يتغير. فلما كان يوم الدار وحصر فيها، قلنا: "يا أمير المؤمنين، ألا تقاتل؟" قال: "لا، إن رسول الله صلى الله عليه وسلم عهد إلي عهدا، وإني صابر نفسي عليه" (Ahmad 24253) ; "عن قيس بن أبي حازم، عن عائشة، قالت: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم في مرضه: "وددت أن عندي بعض أصحابي" قلنا: يا رسول الله، ألا ندعو لك أبا بكر؟ فسكت، قلنا: ألا ندعو لك عمر؟ فسكت قلنا: ألا ندعو لك عثمان؟ قال: "نعم". فجاء، فخلا به، فجعل النبي صلى الله عليه وسلم يكلمه، ووجه عثمان يتغير. قال: قيس، فحدثني أبو سهلة مولى عثمان، أن عثمان بن عفان، قال يوم الدار: "إن رسول الله صلى الله عليه وسلم عهد إلي عهدا، فأنا صائر إليه" وقال علي في حديثه: "وأنا صابر عليه". قال قيس: فكانوا يرونه ذلك اليوم" (Ibn Mâja, 113) : cette recommandation est qu'il ne devra pas se désister de son califat ; il s'agit également peut-être de la promesse qu'il mourra martyr : il n'entreprend donc rien, préférant tomber martyr que faire tuer ceux qui le menacent.
Il y a aussi cette relation : "عن محمد بن عبد الملك بن مروان عن المغيرة بن شعبة أنه دخل على عثمان وهو محصور، فقال: "إنك إمام العامة، وقد نزل بك ما ترى، وإني أعرض عليك خصالا ثلاثا، اختر إحداهن: إما أن تخرج فتقاتلهم، فإن معك عددا وقوة، وأنت على الحق وهم على الباطل؛ وإما أن نخرق لك بابا سوى الباب الذي هم عليه، فتقعد على رواحلك، فتلحق بمكة، فإنهم لن يستحلوك وأنت بها؛ وإما أن تلحق بالشام، فإنهم أهل الشام، وفيهم معاوية". فقال عثمان: "أما أن أخرج فأقاتل، فلن أكون أول من خلف رسول الله صلى الله عليه وسلم في أمته بسفك الدماء. وأما أن أخرج إلى مكة، فإنهم لن يستحلوني بها، فإني سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "يلحد رجل من قريش بمكة، يكون عليه نصف عذاب العالم " فلن أكون أنا إياه. وأما أن ألحق بالشام فإنهم أهل الشام وفيهم معاوية، فلن أفارق دار هجرتي ومجاورة رسول الله صلى الله عليه وسلم" (Ahmad 481, dha'îf).

Uthmân veut malgré tout raisonner une dernière fois ses ennemis : s'il ne fuit pas le martyre, il veut éviter toute effusion de sang qui aura de graves répercussions.
Uthmân rappelle aux insurgés que le Prophète a interdit de verser le sang de l'homme, sacré par nature, sauf dans des cas précis ; or aucun de ces motifs n'est présent en lui ; "Pour quelle raison allez-vous donc me tuer ?" questionne-t-il : "عن أبي أمامة بن سهل بن حنيف، أن عثمان بن عفان أشرف يوم الدار، فقال: أنشدكم الله، أتعلمون أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "لا يحل دم امرئ مسلم إلا بإحدى ثلاث: زنا بعد إحصان، أو ارتداد بعد إسلام، أو قتل نفس بغير حق فقتل به"؟ فوالله ما زنيت في جاهلية ولا في إسلام، ولا ارتددت منذ بايعت رسول الله صلى الله عليه وسلم، ولا قتلت النفس التي حرم الله. فبم تقتلونني" (at-Tirmidhî 2158, Abû Dâoûd 4502, an-Nassâ'ï 4019, Ibn Mâja 2533).
Uthmân leur rappelle aussi que, du temps du Prophète, alors que les musulmans devaient auparavant acheter leur eau, il a, sur la demande du Prophète, acheté et offert aux musulmans le puits de Rûma à Médine et qu'aujourd'hui les insurgés lui interdisent de bénéficier de l'eau de la ville ; qu'il a acheté une parcelle de terrain pour la joindre à celle de la mosquée du Prophète et qu'aujourd'hui ils lui interdisent d'accomplir ne serait-ce qu'une prière dans cette même mosquée ; qu'un jour, alors que le Prophète, Abû Bakr, Omar et lui-même se trouvaient sur une colline de la Mecque, que celle-ci avait eu une secousse et que le Prophète avait alors dit à la colline de se tenir tranquille car elle portait un prophète, un juste et deux martyrs. Ses ennemis ayant reconnu tout ce qu'il leur dit, Uthmân s'exclame : "Allâhu Akbar ! Ils sont témoins, en ma faveur, par le Seigneur de la Kaaba, que je suis martyr !" : "عن ثمامة بن حزن القشيري، قال: شهدت الدار حين أشرف عليهم عثمان، فقال: ائتوني بصاحبيكم اللذين ألباكم علي. قال: فجيء بهما فكأنهما جملان أو كأنهما حماران، قال: فأشرف عليهم عثمان، فقال: أنشدكم بالله والإسلام هل تعلمون أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قدم المدينة وليس بها ماء يستعذب غير بئر رومة فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "من يشتري بئر رومة فيجعل دلوه مع دلاء المسلمين بخير له منها في الجنة؟" فاشتريتها من صلب مالي فأنتم اليوم تمنعوني أن أشرب منها حتى أشرب من ماء البحر. قالوا: اللهم نعم. فقال: أنشدكم بالله والإسلام هل تعلمون أن المسجد ضاق بأهله، فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "من يشتري بقعة آل فلان فيزيدها في المسجد بخير له منها في الجنة؟" فاشتريتها من صلب مالي فأنتم اليوم تمنعوني أن أصلي فيها ركعتين؟ قالوا: اللهم، نعم. قال: أنشدكم بالله وبالإسلام، هل تعلمون أني جهزت جيش العسرة من مالي؟ قالوا: اللهم نعم. ثم قال: أنشدكم بالله والإسلام هل تعلمون أن رسول الله صلى الله عليه وسلم كان على ثبير مكة ومعه أبو بكر وعمر وأنا فتحرك الجبل حتى تساقطت حجارته بالحضيض قال: فركضه برجله وقال: "اسكن ثبير فإنما عليك نبي وصديق وشهيدان؟" قالوا: اللهم، نعم. قال: الله أكبر شهدوا لي ورب الكعبة أني شهيد، ثلاثا" (at-Tirmidhî 3703, an-Nassâ'ï 3608).
Il leur dit : "Si vous me tuez, alors vous ne pourrez plus vous aimer les uns les autres, vous ne prierez plus sous la direction des uns et des autres et vous ne serez plus unis face à vos ennemis" (Târîkh ut-Tabarî, cité dans WK p. 44).

Alors que, en étant de jeûne, il est assiégé dans sa maison par les insurgés, Uthmân voit le Prophète (que Dieu l'élève et le salue) qui lui dit qu'il romprait son jeûne auprès de lui (il ne s'agissait pas d'une vision en état de veille, mais d'un rêve) : "عن نافع، عن ابن عمر رضي الله عنهما، أن عثمان أصبح فحدث، فقال: "إني رأيت النبي صلى الله عليه وسلم في المنام الليلة، فقال: "يا عثمان، أفطر عندنا."" فأصبح عثمان صائما؛ فقتل من يومه رضي الله عنه" (Al-Mustad'rak, al-Hâkim, 4554) ; "عن أم هلال ابنة وكيع، عن امرأة عثمان قالت: "أغفى عثمان، فلما استيقظ قال: "إن القوم يقتلونني!" فقلت: "كلا يا أمير المؤمنين!" فقال: "إني رأيت رسول الله صلى الله عليه وسلم وأبا بكر وعمر؛ قال: فقالوا: "أفطر عندنا الليلة"، أو قالوا: "تفطر عندنا الليلة" (Ibn Abî Shayba, 32048). D'autres versions de ce athar sont visibles dans un article de islamqa.info dédié à ce point.

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Les insurgés assassinent bientôt Uthmân alors qu'il récite le Coran dans sa demeure.
Ce tragique événement se produit le 18 dhu-l-hijja 35.

Le Prophète avait dit : "Il y a trois événements qui sont tels que celui qui échappe [aux troubles] qui apparaîtront alors, celui-là sera vraiment sauvé [= sera chanceux] : ma mort ; la venue du Trompeur ; et l'assassinat d'un calife ferme sur la vérité et offrant cette vérité" : "عن عبد الله بن حوالة، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "من نجا من ثلاث، فقد نجا" - ثلاث مرات -: "موتي، والدجال، وقتل خليفة مصطبر بالحق معطيه" (Ahmad 16973, 17003, 17004, 20355, cité dans MS 3/342).

Par une succession de malentendus entre يes Compagnons et surtout par le fait que des insurgés en tireront tout le profit possible, le meurtre de Uthmân va donner toute sa force à ce que le Prophète avait décrit comme "l'épreuve ("fitna") qui frappera de ses vagues comme le fait la mer" (al-Bukhârî 502, Muslim 144) (voir plus haut).

Hudhayfa ibn ul-Yamân, qui avait expliqué à Omar que cette grande épreuve n'arriverait pas de son vivant (voir également plus haut), avait un jour dit à d'autres Compagnons : "Comment serez-vous lorsque les gens de votre religion se livreront bataille ?" (FB 13/107). Ayant maintenant appris la nouvelle du meurtre de Uthmân, il comprend que l'heure de la grande "fitna" est arrivée ; il meurt 40 jours après (MS 1/214).

Plus tard, questionné quant à sa marche pour réclamer l'application du talion aux assassins de 'Uthmân, az-Zubayr parlera du fait qu'ils se trouvaient face une Fitna (conséquente), dont ils ne pensaient pas qu'elle les toucherait eux : "عن مطرف، قال: قلنا للزبير: "يا أبا عبد الله، ما جاء بكم؟ ضيعتم الخليفة حتى قتل، ثم جئتم تطلبون بدمه؟" فقال الزبير: "إنا قرأناها على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم وأبي بكر وعمر وعثمان: {واتقوا فتنة لا تصيبن الذين ظلموا منكم} خاصة. لم نكن نحسب أنا أهلها، حتى وقعت منا حيث وقعت" (Ahmad, 1414). Il voulait dire que leur marche était pour tenter d'enrayer la renforcement de cette Fitna.

Et de fait, comme l'a écrit Ibn Taymiyya, à la mort de Uthmân, la "fitna" – l'épreuve – va toucher de très nombreuses personnes (MS 3/297).

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Lire la suite ici :

--- Le malentendu entre 'Alî et Mu'âwiya (que Dieu les agrée).

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Signification des sigles :

AMQ : Al-'Awâssim min al-qawâssim, Ibn ul-'Arabî
FB : Fat'h ul-bârî, Ibn Hajar
FMAN : Al-Fissal fi-l-milal wa-l-ahwâ' wa-n-nihal, Ibn Hazm
HB : Hujjat ullâh il-bâligha, Shâh Waliyyullâh
MF : Majmû' ul-fatâwâ, Ibn Taymiyya
MRH : Makânu ra's il-Hussein, Ibn Taymiyya
MT : Muqaddimatu Târîkh-ibn Khaldûn, Ibn Khaldûn
MS : Minhâj us-sunna an-nabawiyya, Ibn Taymiyya
ShAT : Shar'h ul-'aqîda at-tahâwiyya, Ibn Abi-l-'izz
WK : Wâqi'a-é Karbalâ' aur uss kâ pass manzar, eik na'é mutala'é kî rôshnî mein, Cheikh 'Atîq ur-Rahmân as-Sanbhalî.

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