Ibn Taymiyya écrit :
"والناس وإن تنازعوا من اللفظ العامّ الوارد على سبب هل يختص بسببه أم لا، فلم يقل أحد من علماء المسلمين إن عمومات الكتاب والسنة تختص بالشخص المعين. وإنّما غاية ما يقال: إنها تختص بنوع ذلك الشخص فيعمّ ما يُشْبِهُه، ولا يكون العموم فيها بحسب اللفظ. والآية التي لها سبب معين، إن كانت أمراً ونهياً فهي متناولة لذلك الشخص ولغيره ممن كان بمنزلته؛ وإن كان خبراً بمدح أو ذم فهي متناولة لذلك الشخص ولمن كان بمنزلته" :
"(...) "(Ces textes dotés d'un mot général parlant d'une personne particulière) sont particuliers à l'espèce [= la catégorie immédiate] à laquelle appartient cette personne, de sorte que cela concerne tout ce qui ressemble à cette (personne).
La généralité ne se fait pas, à propos de ces textes, selon la seule lettre."
(Dès lors,) le verset qui a une cause précise :
--- s'il contient un impératif ou un impératif négatif, cela englobe cette personne ainsi que ceux qui sont semblables à elle ;
--- et s'il recèle une information - éloge ou blâme -, cela englobe cette personne ainsi que ceux qui sont semblables à elles" (MF 13/339 - également cité dans Al-Itqân p. 98).
Il écrit également :
"ومعرفة "سبب النزول" يعين على فهم الآية؛ فإن العلم بالسبب يورث العلم بالمسبب. ولهذا كان أصح قولي الفقهاء أنه إذا لم يعرف ما نواه الحالف، رجع إلى سبب يمينه وما هيجها وأثارها" :
"La connaissance de "la cause de révélation (du verset coranique)" (sabab un-nuzûl) aide à comprendre le sens de (ce) verset. Car la connaissance de la cause confère la connaissance de ce que (cette cause) a entraîné..." (MF 13/339).
(Il ne faut cependant pas oublier que, comme Ibn Taymiyya l'a également dit :
"وقولهم "نزلت هذه الآية في كذا": يراد به تارة أنه سبب النزول؛ ويراد به تارة أن ذلك داخل في الآية وإن لم يكن السبب، كما تقول: "عنى بهذه الآية كذا" :
"Quand ils disent : "Ce verset a été descendu au sujet de telle chose" :
– tantôt cela indique la cause de révélation ;
– et tantôt cela signifie que le cas qu'ils citent alors est englobé dans le thème du verset, bien qu'il ne s'agisse pas de la cause de sa révélation ; c'est comme si on disait (en fait) : "De ce verset, telle chose a été signifiée"" (MF 13/339 ; également cité dans Al-Itqân, p. 100).
Nous en avons parlé dans l'article : La formule "فأَنْزَلَ الله" / "فنزلَتْ" présente dans les âthâr désigne tantôt réellement la cause de la révélation, tantôt pas (2/4)).
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Quelques exemples de ce cas de figure dans le Coran :
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– Un 1er exemple :
Dieu dit : "فَإِذَا لَقِيتُمُ الَّذِينَ كَفَرُوا فَضَرْبَ الرِّقَابِ حَتَّى إِذَا أَثْخَنْتُمُوهُمْ فَشُدُّوا الْوَثَاقَ فَإِمَّا مَنًّا بَعْدُ وَإِمَّا فِدَاءً حَتَّى تَضَعَ الْحَرْبُ أَوْزَارَهَا" : "Alors, lorsque vous rencontrerez ceux qui ont mécru, tuez-les. Jusqu'à ce que, lorsque vous les aurez affaiblis, alors attachez-les. Ensuite, soit faveur, soit rançon. Jusqu'à ce que la guerre dépose ses fardeaux" (Coran 47/4).
--- Si quelqu'un appréhende ce passage de façon littéraliste, il en déduira que le Coran dit qu'il faut tuer "tous ceux qui sont kâfir", c'est-à-dire ont choisi de ne pas croire en son message. Or cela est bien évidemment faux.
--- En réalité, ce propos (hukm) de tuer concerne uniquement : ceux qui sont non pas seulement : kâfir, mais aussi : a) harbî (ressortissants d'un Etat qui est en situation de belligérance), b) muqâtil (combattants), et le hukm évoqué ici dans ce verset concerne : c) le champ de bataille.
Ibn Jarîr at-Tabarî écrit ainsi : "يقول (تعالى ذكره) لفريق الإيمان به وبرسوله: (فَإِذا لَقِيتُمُ الَّذِينَ كَفَرُوا) بالله ورسوله من أهل الحرب، فاضربوا رقابهم" (Tafsîr ut-Tabarî). Ces qualificatifs supplémentaires, auxquels le propos ici énoncé s'applique, ont été spécifiés dans la Sunna.
Lire notre article : Lors d'un conflit armé, il n'est pas autorisé de viser des non-combattants.
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– Un 2nd exemple :
Dieu dit : "فَإِذَا انسَلَخَ الأَشْهُرُ الْحُرُمُ فَاقْتُلُواْ الْمُشْرِكِينَ حَيْثُ وَجَدتُّمُوهُمْ وَخُذُوهُمْ وَاحْصُرُوهُمْ وَاقْعُدُواْ لَهُمْ كُلَّ مَرْصَدٍ فَإِن تَابُواْ وَأَقَامُواْ الصَّلاَةَ وَآتَوُاْ الزَّكَاةَ فَخَلُّواْ سَبِيلَهُمْ إِنَّ اللّهَ غَفُورٌ رَّحِيمٌ" : "Puis, quand les mois du délai se seront écoulés, tuez les Polythéistes là où vous les trouverez ; capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade" (Coran 9/5).
--- Si quelqu'un appréhende ce passage de façon littéraliste, il en déduira que le Coran dit que sitôt les mois sacrés écoulés, les musulmans doivent tuer tous les polythéistes qu'ils rencontrent. Or cela est bien évidemment faux.
--- En réalité, ce propos (hukm) concernait seulement les Polythéistes de la Péninsule arabique (ou du Hedjaz), et cela à partir du 10 rabi' ul-âkhir de l'an 10 : à compter de cette date, les Polythéistes ne furent plus acceptés sur la terre de la Péninsule (ou, d'après un autre avis : sur la terre du Hedjaz). Cependant, il s'agissait de les faire quitter la Péninsule arabique (ou le Hedjaz) pour s'installer ailleurs (fût-ce ailleurs en Dâr ul-islâm) : ils n'étaient pas contraints à se convertir à l'islam sous menace de mort : Ibn Abbâs relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "أَخْرِجُوا المشركين من جزيرة العرب" : "Faites quitter les Polythéistes la Péninsule arabique" ; cela fut dit, relate Ibn Abbâs, le dernier jeudi de sa vie terrestre [donc : en rabi' ul-awwal de l'an 11] (al-Bukhârî, 2888, Muslim, 1637). D'ailleurs, souligne Faysal al-Mawlawî, une lecture attentive du verset 9/5 montre que celui-ci non plus ne disait pas qu'il faut absolument tuer les Polythéistes [de la Péninsule], puisqu'il évoque la possibilité qu'ils soient faits prisonniers : "capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade" (Coran 9/5). Voyez, dit al-Mawlawî : il est bien dit qu'ils peuvent être faits prisonniers. Or, des prisonniers peuvent être relâchés [comme le dit le verset 47/4] (Al-Ussus ush-shar'iyya li-l-'alâqât bayn al-muslimîn wa ghayr il-muslimîn, pp. 48-50). Cependant, ces prisonniers polythéistes seront alors conduits hors de la Péninsule pour y être relâchés.
Toutes les preuves de ce qui vient d'être dit figurent ici :
- Les versets demandant de tuer les polythéistes (sourate 9) : ne pas considérer ces versets hors de leur contexte ! (Commentaire de Coran 9/1-5) ;
- Le Prophète (sur lui soit la paix) a-t-il dit qu'il lui a été demandé de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils se convertissent à l'islam ? ;
- Pourquoi les shafi'ites ont-ils dit qu'il s'agissait de faire sortir les non-musulmans du Hedjaz seulement, et non pas du reste de la Péninsule arabique, alors que le terme présent dans la Sunna est clair et explicite : "Jazîrat ul-'arab" ?
Par ailleurs, ce hukm n'a été institué (et n'est toujours applicable) que lors d'une situation précise dans le réel (de l'Arabie / du Hedjaz) :
- Réflexions sur différents moments de la mission du Prophète (مراحل السيرة) ;
- Comprendre les différences de situations dans lesquelles se trouvent différentes communautés musulmanes (النَسْء - فقه الأحوال التي تعيشها كل جالية مسلمة) ;
- Quand c'est par rapport à un contexte précis que la mafsada de l'action domine sa maslaha (النَسْء - فقه الأحوال التي تعيشها كل جالية مسلمة).
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– Un 3ème exemple :
Un verset du Coran se lit ainsi : "قَاتِلُواْ الَّذِينَ لاَ يُؤْمِنُونَ بِاللّهِ وَلاَ بِالْيَوْمِ الآخِرِ وَلاَ يُحَرِّمُونَ مَا حَرَّمَ اللّهُ وَرَسُولُهُ وَلاَ يَدِينُونَ دِينَ الْحَقِّ مِنَ الَّذِينَ أُوتُواْ الْكِتَابَ حَتَّى يُعْطُواْ الْجِزْيَةَ عَن يَدٍ وَهُمْ صَاغِرُونَ" : "Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu et au jour dernier, qui ne considèrent pas interdit ce que Dieu et Son messager ont déclaré interdit et qui ne professent pas la vraie religion parmi ceux qui ont reçu l'écriture avant vous, jusqu'à ce qu'ils donnent la jizya en ayant les moyens de le faire et en acceptant [le cadre du droit musulman]" (Coran 9/29).
Au lieu d'appréhender ce verset de façon littéraliste, Faysal al-Mawlawî souligne qu'il faut le comprendre à la lumière du principe motivant, Ratio Legis ('illa) : il s'agit de ceux qui sont agresseurs vis-à-vis des musulmans.
La preuve en est que, d'après Mujâhid, ce verset 9/29 a été révélé au Prophète avant Tabûk (rajab de l'an 9 de l'hégire) et le Prophète l'a mis en pratique justement par le biais de cette campagne de Tabûk. "وأخرج ابن أبي شيبة وابن جرير وابن المنذر وابن أبي حاتم وأبو الشيخ والبيهقي في سننه عن مجاهد رضي الله عنه في قوله {قاتلوا الذين لا يؤمنون بالله} الآية قال: نزلت هذه حين أمر محمد صلى الله عليه وسلم وأصحابه بغزوة تبوك" (Ad-Durr ul-manthûr). "قال مجاهد : نزلت هذه الآية حين أمر رسول الله صلى الله عليه وسلم بقتال الروم، فغزا بعد نزولها غزوة تبوك" (Tafsîr ul-Baghawî).
Or cette campagne de Tabûk a eu lieu parce que les musulmans entendaient dire que les Arabes de Ghassan, chrétiens alliés des Byzantins, projetaient de venir combattre Médine (voir à ce sujet la parole de Omar rapportée par al-Bukhârî, n° 5505, n° 4629 etc., Muslim, etc., voir aussi Zâd ul-ma'âd 3/527-528) (Al-Ussus ush-shar'iyya li-l-'alâqât bayn al-muslimîn wa ghayr il-muslimîn, Faysal al-Mawlawî, pp. 50-51).
La cause B5 est donc présente quand il y a une agressivité ouverte vis-à-vis de la Dâr al-islâm, avec forte probabilité d'une invasion, comme ce fut le cas des Ghassanides qui menaçaient d'envahir Médine : le Prophète prit alors l'initiative (iqdâm) d'une guerre préventive vis-à-vis d'un Etat qui faisait déjà preuve d'agressivité et dont on craignait qu'il envahisse la Dâr ul-islâm.
(Ce qui est différent de la cause B3, où il y a des faits qui constituent clairement une déclaration de guerre.)
Ceci est donc nuancé par rapport à ce que la littéralité du texte pouvait faire croire.
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– Un 4ème exemple :
"Il n'y a pas de mal, pour celui qui accomplit le grand ou le petit pèlerinage à la Maison, à faire le parcours entre (Safâ et Marwa)" : "إِنَّ الصَّفَا وَالْمَرْوَةَ مِن شَعَآئِرِ اللّهِ فَمَنْ حَجَّ الْبَيْتَ أَوِ اعْتَمَرَ فَلاَ جُنَاحَ عَلَيْهِ أَن يَطَّوَّفَ بِهِمَا" (Coran 2/158).
--- 'Urwa se demandait si ce verset ne signifiait pas que le parcours entre les deux monticules Safâ et Marwa était purement facultatif, vu que Dieu y a dit qu'"il n'y a pas de mal à" le faire (al-Bukhârî, 1422).
--- Mais cette formulation est due au fait que, comme Anas ibn Mâlik l'a expliqué à une autre personne, certains musulmans se demandaient si ce parcours n'était pas un élément non abrahamique du pèlerinage, un rite rajouté longtemps après Abraham par des Arabes polythéistes, et que, une fois en islam, il fallait donc délaisser. Et s'ils se demandaient cela, c'est parce qu'ils avaient remarqué que si Dieu avait bien évoqué d'autres rites du pèlerinage dans le Coran, de ce parcours Il n'avait rien dit (al-Bukhârî, 4226).
--- Pour sa part, Aïcha a avancé une autre explication : certaines tribus arabes se demandaient si, maintenant que l'islam était venu, ils devaient, ou pas, accomplir ce parcours, car lorsqu'ils étaient dans la Jâhiliyya, eux, contrairement à d'autres, ne le pratiquaient pas (al-Bukhârî, 1561 etc.).
--- C'est bien pourquoi le verset complet se lit en fait ainsi : "Safa et Marwa font partie des rites (agréés par) Dieu. Dès lors, pour celui qui accomplit le grand ou le petit pèlerinage à la Maison, il n'y a pas de mal à faire le parcours entre (Safâ et Marwa)" : "إِنَّ الصَّفَا وَالْمَرْوَةَ مِن شَعَآئِرِ اللّهِ فَمَنْ حَجَّ الْبَيْتَ أَوِ اعْتَمَرَ فَلاَ جُنَاحَ عَلَيْهِ أَن يَطَّوَّفَ بِهِمَا" (Coran 2/158).
"قال عروة: سألت عائشة رضي الله عنها فقلت لها: "أرأيت قول الله تعالى: {إن الصفا والمروة من شعائر الله فمن حج البيت أو اعتمر فلا جناح عليه أن يطوف بهما}، فوالله ما على أحد جناح أن لا يطوف بالصفا والمروة؟" قالت: بئس ما قلت يا ابن أختي، إن هذه لو كانت كما أولتها عليه، كانت: لا جناح عليه أن لا يتطوف بهما، ولكنها أنزلت في الأنصار، كانوا قبل أن يسلموا يهلون لمناة الطاغية التي كانوا يعبدونها عند المشلل، فكان من أهل [أي لمناة في الجاهلية] يتحرج أن يطوف بالصفا والمروة؛ فلما أسلموا، سألوا رسول الله صلى الله عليه وسلم عن ذلك، قالوا: يا رسول الله، إنا كنا نتحرج أن نطوف بين الصفا والمروة، فأنزل الله تعالى: {إن الصفا والمروة من شعائر الله} الآية. قالت عائشة رضي الله عنها: «وقد سن رسول الله صلى الله عليه وسلم الطواف بينهما، فليس لأحد أن يترك الطواف بينهما.
ثم أخبرت أبا بكر بن عبد الرحمن فقال: إن هذا لعلم ما كنت سمعته، ولقد سمعت رجالا من أهل العلم يذكرون: أن الناس، - إلا من ذكرت عائشة - ممن كان يهل بمناة، كانوا يطوفون كلهم بالصفا والمروة، فلما ذكر الله تعالى الطواف بالبيت ولم يذكر الصفا والمروة في القرآن، قالوا: "يا رسول الله، كنا نطوف بالصفا والمروة [أي في الجاهلية]، وإن الله أنزل الطواف بالبيت فلم يذكر الصفا، فهل علينا من حرج أن نطوف بالصفا والمروة؟" فأنزل الله تعالى: {إن الصفا والمروة من شعائر الله} الآية.
قال أبو بكر: فأسمع هذه الآية نزلت في الفريقين كليهما، في الذين كانوا يتحرجون أن يطوفوا بالجاهلية بالصفا والمروة؛ والذين يطوفون [أي بالصفا والمروة في الجاهلية] ثم تحرجوا أن يطوفوا بهما في الإسلام؛ من أجل أن الله تعالى أمر بالطواف بالبيت ولم يذكر الصفا، حتى ذكر ذلك، بعد ما ذكر الطواف بالبيت" (al-Bukhârî 1561).
"عن عاصم بن سليمان، قال: سألت أنس بن مالك رضي الله عنه عن الصفا والمروة، فقال: "كنا نرى أنهما من أمر الجاهلية، فلما كان الإسلام أمسكنا عنهما." فأنزل الله تعالى: {إن الصفا والمروة من شعائر الله فمن حج البيت أو اعتمر فلا جناح عليه أن يطوف بهما}" (al-Bukhârî 4226).
Dieu leur dit donc dans ce verset que le parcours entre ces deux monticules faisait, tout au contraire, bel et bien partie du rituel du pèlerinage tel que voulu par Dieu (مِن شَعَآئِرِ اللّهِ) et ayant donc été enseigné par Abraham, et qu'il n'y avait par conséquent, dans le fait de le pratiquer, aucune imitation des polythéistes, aucun mal. Voilà la raison de cette formulation ("Il n'y a pas de mal"). Mais cela ne signifie pas qu'effectuer ce parcours serait purement facultatif.
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– Un 5ème exemple :
Dieu a dit : "لاَ تَحْسَبَنَّ الَّذِينَ يَفْرَحُونَ بِمَا أَتَواْ وَّيُحِبُّونَ أَن يُحْمَدُواْ بِمَا لَمْ يَفْعَلُواْ فَلاَ تَحْسَبَنَّهُمْ بِمَفَازَةٍ مِّنَ الْعَذَابِ وَلَهُمْ عَذَابٌ أَلِيمٌ" :
"Ne pense surtout pas ceux qui sont contents de ce qu'ils ont fait et aiment qu'on fasse leurs éloges pour ce qu'ils n'ont pas fait, ne les pense donc surtout pas être à l'abri du châtiment. Et ils auront un châtiment douloureux" (Coran 3/188).
--- Ayant appréhendé ce verset selon sa seule littéralité, Marwân ibn ul-Hakam envoya Râfi' auprès de Ibn Abbâs lui dire ceci par rapport à ce verset : "لئن كان كل امرئ فرح بما أوتي، وأحب أن يحمد بما لم يفعل معذبا، لنعذبن أجمعون" : "Si tout homme qui est content de ce qu'il a reçu et aime qu'on fasse ses éloges pour ce qu'il n'a pas fait sera châtié, nous serons tous châtiés !" Il considérait donc le fait d'être ainsi comme étant la cause (sabab) de l'applicabilité du propos.
--- Mais Ibn Abbâs expliqua alors le sens réel de ce verset : "إنما دعا النبي صلى الله عليه وسلم يهود فسألهم عن شيء فكتموه إياه، وأخبروه بغيره فأروه أن قد استحمدوا إليه بما أخبروه عنه فيما سألهم، وفرحوا بما أوتوا من كتمانهم. ثم قرأ ابن عباس: {وإذ أخذ الله ميثاق الذين أوتوا الكتاب} كذلك حتى قوله: {يفرحون بما أتوا ويحبون أن يحمدوا بما لم يفعلوا}" : Il fit valoir que tout s'expliquait en fait par rapport à la cause de révélation du verset, à l'époque du Prophète (sur lui soit la paix) : le Prophète avait demandé un renseignement à un groupe de Gens du Livre de son époque. Ceux-ci lui dissimulèrent la vérité et lui dirent autre chose. Et ils furent contents de ce qu'ils firent là. C'est cela, le fait d'être contents d'avoir dissimulé la vérité, et le fait, en plus, d'aimer qu'on reçoive des éloges pour en réalité n'avoir pas répondu correctement à la question posée, c'est cela qui est le pivot (manât) de ne pas être à l'abri du châtiment.
Au-delà de la seule cause (sabab), il y a donc ici un principe motivant (manât) : et c'était aux deux que l'applicabilité du propos était attachée.
Ibn Abbâs souligna ensuite que le verset qui précède parle explicitement de Gens du Livre [Ibn Abbâs voulait dire qu'il faut analyser le verset sans le couper du passage dans lequel il s'intégrait] (rapporté par al-Bukhârî, 4292).
Voici donc tout le passage : "وَإِذَ أَخَذَ اللّهُ مِيثَاقَ الَّذِينَ أُوتُواْ الْكِتَابَ لَتُبَيِّنُنَّهُ لِلنَّاسِ وَلاَ تَكْتُمُونَهُ فَنَبَذُوهُ وَرَاء ظُهُورِهِمْ وَاشْتَرَوْاْ بِهِ ثَمَناً قَلِيلاً فَبِئْسَ مَا يَشْتَرُونَ لاَ تَحْسَبَنَّ الَّذِينَ يَفْرَحُونَ بِمَا أَتَواْ وَّيُحِبُّونَ أَن يُحْمَدُواْ بِمَا لَمْ يَفْعَلُواْ فَلاَ تَحْسَبَنَّهُمْ بِمَفَازَةٍ مِّنَ الْعَذَابِ وَلَهُمْ عَذَابٌ أَلِيمٌ" (Coran 3/187-188).
– Le propos (hukm) tenu dans ce verset ("avoir un châtiment douloureux dans l'au-delà") ne sera donc pas considéré "particulier" à seulement ceux à qui le Prophète eut affaire. Au contraire, ce propos sera généralisé : à toute époque il y aura des gens qui seront ainsi, et à qui le propos (hukm) communiqué par ce verset s'appliquera.
– Cependant, ce propos ne peut pas être généralisé aux personnes qui possèdent ces deux caractéristiques comprises selon leur seule littéralité (ce qui leur confère une généralité très accentuée) : "être content de ce qu'on a fait ou reçu, et aimer recevoir des éloges pour ce qu'on n'a pas fait", comme l'avait cru Marwân.
– Ce propos sera généralisé aux personnes qui possèdent ces deux caractéristiques comprises de façon beaucoup plus particulière, correspondant à la cause de révélation : "être content de la dissimulation de la vérité qu'on a faite, et, en plus, aimer recevoir des éloges pour avoir dissimulé cette vérité, ayant fait croire à son interlocuteur qu'on a répondu correctement à sa question".
As-Suyûtî commente ainsi ce propos de Ibn Abbâs : "قلت: أُجِيْبَ على ذلك بأنه لا يخفى عليه أن اللفظ أعَمُُ من السبب، لكنه بيَّن أن المراد باللفظ: خاصّ" : "(Ibn Abbâs) n'ignorait pas que la lettre (de ce verset) est plus générale que la cause de (sa) révélation. Cependant, il a exposé (ici) que ce que la lettre (de ce verset) veut dire est lui-même particulier" (Al-Itqân, p. 97).
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Un 6ème exemple :
- "لَيْسَ عَلَى الَّذِينَ آمَنُواْ وَعَمِلُواْ الصَّالِحَاتِ جُنَاحٌ فِيمَا طَعِمُواْ إِذَا مَا اتَّقَواْ وَّآمَنُواْ وَعَمِلُواْ الصَّالِحَاتِ ثُمَّ اتَّقَواْ وَّآمَنُواْ ثُمَّ اتَّقَواْ وَّأَحْسَنُواْ وَاللّهُ يُحِبُّ الْمُحْسِنِينَ" : "A ceux qui ont apporté foi et fait les bonnes actions, il n'y a pas de problème dans ce qu'ils ont consommé, pourvu qu'ils aient été pieux, aient apporté foi et aient fait les bonnes actions, puis qu'ils aient (continué à) être pieux, à avoir foi et à agir dans la perfection (ihsân). Dieu aime ceux qui agissent dans la perfection" (Coran 5/93).
--- Durant le califat de Omar ibn ul-Khattâb, Qudâma ibn Maz’ûn pensa, se fondant sur la littéralité de ce verset 5/93, que pour les gens pieux (khawâss) la consommation de l'alcool n'était nullement interdite. De même, d'autres musulmans résidant en Syrie exprimèrent la même croyance à cause de la même erreur de compréhension (cf. Al-Mughnî 12/119-120, Fat'h ul-bârî 7/400, 12/85).
--- Alors qu'en fait ce verset fut révélé, comme l'a rapporté Anas ibn Mâlik, quand, suite à l'interdiction de l'alcool, des musulmans s'interrogèrent sur ceux de leurs frères qui étaient morts avant l'interdiction, avec de l'alcool dans le ventre : qu'adviendrait-il d'eux ? Dieu fit alors descendre (فأنزل الله) ce verset (al-Bukhârî, 2332, 4344, Muslim, 1980). Ce verset voulait donc faire la négation de tout problème pour tous ceux qui avaient été pieux en se conformant à ce qui avait été révélé au moment où ils vivaient.
On voit encore ici le problème engendré par le fait de se référer à la seule littéralité de ce texte, sans se référer également au contexte de sa révélation.
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Un 7ème exemple :
Le Coran interdit qu'après l'appel à la grande prière du vendredi on pratique encore le commerce ("la vente") : "يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا إِذَا نُودِي لِلصَّلَاةِ مِن يَوْمِ الْجُمُعَةِ فَاسْعَوْا إِلَى ذِكْرِ اللَّهِ وَذَرُوا الْبَيْعَ ذَلِكُمْ خَيْرٌ لَّكُمْ إِن كُنتُمْ تَعْلَمُونَ" : "O les croyants, lorsque est lancé l'appel pour la prière le jour du vendredi, accourez vers le rappel de Dieu et délaissez la vente" (Coran 62/9).
Il y a eu ici 2 exercices de la raison...
– a) Il y a eu "restriction de l'applicabilité de la règle" aux cas où le principe motivant ('illa) la règle est présent (dawrân, ou takhsîs ul-hukm bi-l-mawdhi' alladhî tûjadu fîhi-l-'illa) : la règle ("interdiction") n'est pas applicable à la vente faite après l'appel à la prière si le principe qui motive cette règle est absent de cette vente. Car, disent les hanafites, ce principe motivant ('illa) est : le fait de retarder le fait d'accourir à la prière. Or imaginez deux musulmans qui sont dans un moyen de locomotion qui se dirige vers la mosquée : ils peuvent, assis dans ce véhicule, conclure une transaction, puisque sa conclusion ne retarde pas leur arrivée à la mosquée (Ussûl ush-Shâshî, p. 31). Ceci ne constitue en aucune façon une abrogation, mais une restriction du champ de l'applicabilité de la règle ("takhsîs").
– b) Par ailleurs, le verset du Coran ne mentionne que l'interdiction de la vente. Mais chez les hanafites, la règle ("interdiction") a été exportée à "tout acte qui retient la personne par rapport au déplacement vers le lieu de la prière du vendredi" ("kullu amal yunâfi-s-sa'y" : Radd ul-muhtâr 3/38). Cela constitue pour sa part une "exportation de la règle" (ta'diyat ul-hukm ilâ maskût 'anh).
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Un 8ème exemple :
"لَيْسَ عَلَى الْأَعْمَى حَرَجٌ وَلَا عَلَى الْأَعْرَجِ حَرَجٌ وَلَا عَلَى الْمَرِيضِ حَرَجٌ وَلَا عَلَى أَنفُسِكُمْ أَن تَأْكُلُوا مِن بُيُوتِكُمْ أَوْ بُيُوتِ آبَائِكُمْ أَوْ بُيُوتِ أُمَّهَاتِكُمْ أَوْ بُيُوتِ إِخْوَانِكُمْ أَوْ بُيُوتِ أَخَوَاتِكُمْ أَوْ بُيُوتِ أَعْمَامِكُمْ أَوْ بُيُوتِ عَمَّاتِكُمْ أَوْ بُيُوتِ أَخْوَالِكُمْ أَوْ بُيُوتِ خَالَاتِكُمْ أَوْ مَا مَلَكْتُم مَّفَاتِحَهُ أَوْ صَدِيقِكُمْ لَيْسَ عَلَيْكُمْ جُنَاحٌ أَن تَأْكُلُوا جَمِيعًا أَوْ أَشْتَاتًا" :
"Il n'y a pas de grief fait à l'aveugle, ni au boiteux, ni au malade ni à vous-mêmes de manger dans votre maison, ou les maisons de vos pères, ou celles de vos mères, ou celles de vos frères, ou celles de vos sœurs, ou celles de vos oncles paternels, ou celles de vos tantes paternelles, ou celles de vos oncles maternels, ou celles de vos tantes maternelles, ou celles dont vous possédez les clefs, ou chez vos amis" (Coran 24/61).
En fait, suite à la révélation d'un précédent verset disant : "Ne mangez pas vos biens entre vous par (un moyen) faux" (Coran 4/29), des musulmans se mirent à faire preuve de tellement de précaution à ce sujet que certains tombèrent dans l'exagération : même chez ceux de leurs proches dont il connaissaient pertinemment le consentement, ils ne mangeaient plus en leur absence et attendaient d'avoir leur consentement explicite pour le faire (Ad-Durr ul-manthûr ; Bayân ul-qur'ân). Ce verset 24/61 fut alors révélé pour dire qu'il est autorisé au musulman de manger quelque chose se trouvant dans la maison de son père, de son frère, de sa sœur ou de son oncle paternel etc., lorsque, en l'absence de celui-ci et disposant des clés de sa maison, on y est entré.
Cheikh Thânwî écrit : "Cependant, si le consentement des gens de ces maisons n'est pas connu, ni par leur propos explicite, ni par l'indication de la situation, là il n'est pas autorisé (de manger)."
Et, plus loin :
"Le principe motivant de cette règle [qui est "la permission de manger de façon raisonnable de quelque chose se trouvant dans la maison de l'une de ces personnes"], c'est le consentement (ridhâ). Aussi, (cette règle) :
– [a] ne s'applique pas systématiquement (ghayr muttarid bi) aux cas explicitement évoqués,
– et : [b] n'est pas non plus restreinte (ghayr munhasir fî) à ces cas.
En effet :
– [a] si (on sait qu')il n'y a pas consentement, alors cette règle ["la permission de manger sans autorisation expresse] ne s'appliquera pas, même pour les cas explicitement mentionnés (dans ce verset).
– Et [b] s'il y a consentement, alors cette règle s'appliquera à d'autres cas encore [que ceux explicitement mentionnés dans ce verset].
(En fait) la mention particulière de ces cas est due à l'usage général : en général dans ces cas il y a consentement. Cela est particulièrement vrai chez les Arabes, car chez eux il n'y a pas, en matière de générosité, la même chose que chez les Indiens" (Bayân ul-qur'ân, commentaire de ce verset).
On retrouve, ici, les 2 exercices...
– a) Il y a eu d'une part "restriction de l'applicabilité de la règle" aux cas où le principe motivant la règle est présent (dawrân, ou takhsîs ul-hukm bi-l-mawdhi' alladhî tûjadu fîhi-l-'illa). De plus, Cheikh Thânwî semble faire valoir qu'il s'agit de considérer le fait de vivre dans la société arabe ou dans la société indienne, comme présomption de la présence ou au contraire de l'absence du principe motivant (mazinnatu wujûd il-'illa / mazinnat 'adami wujûd il-'illa) ;
– b) Et il y a eu d'autre part "exportation de la règle" (ta'diyat ul-hukm ilâ maskût 'anh) à des cas n'ayant pas été mentionnés mais dans lesquels se trouve le principe motivant ('illa).
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– Un 9ème exemple :
"وَمَن لَّمْ يَحْكُم بِمَا أَنزَلَ اللّهُ فَأُوْلَئِكَ هُمُ الْكَافِرُونَ" : "Et celui qui ne juge pas d'après ce que Dieu a fait descendre, ceux-là sont les kâfirûn" (Coran 5/44).
- Si un musulman déclare autorisé ce qui est nécessairement connu (ma'lûm dharûratan) comme ayant été interdit par Dieu, il dit là une parole de kufr akbar.
- Mais qu'en est-il s'il fait l'action de rendre le jugement, par rapport à un litige précis, et rend comme jugement autre chose que ce que Dieu a prescrit dans ce cas de figure ? Ce musulman a-t-il fait là une action de kufr akbar, ou pas systématiquement ? Le propos (hukm, mahkûm bihî) ici communiqué ("être kâfir bi kufr akbar") s'applique-t-il à toute personne qui a rendu un jugement autre que celui voulu par Dieu pour le cas dans lequel elle se trouve ?
Ibn Jarîr at-Tabarî écrit :
"وأولى هذه الأقوال عندي بالصواب: قولُ من قال: نزلت هذه الآيات في كفّار أهل الكتاب، لأن ما قبلها وما بعدها من الآيات ففيهم نزلت، وهم المعنيُّون بها. وهذه الآيات سياقُ الخبر عنهم، فكونُها خبرًا عنهم: أولى.
فإن قال قائل: فإن الله تعالى ذكره قد عمَّ بالخبر بذلك عن جميع منْ لم يحكم بما أنزل الله، فكيف جعلته خاصًّا؟
قيل: إن الله تعالى عَمَّ بالخبر بذلك عن قومٍ كانوا بحكم الله الذي حكم به في كتابه جاحدين، فأخبر عنهم أنهم بتركهم الحكمَ، على سبيل ما تركوه: كافرون. وكذلك القولُ في كل من لم يحكم بما أنزل الله جاحدًا به: هو بالله كافر، كما قال ابن عباس؛ لأنه بجحوده حكم الله بعدَ علمه أنه أنزله في كتابه، نظير جحوده نبوّة نبيّه بعد علمه أنه نبيٌّ" :
"Parmi ces avis, celui qui est plus à même d'être juste d'après moi est celui de qui a dit : "Ces versets ont été révélés au sujet des kuffâr des Gens du Livre, car les versets situés avant et après ont été révélés à leur sujet, et ils sont concernés par eux". Et ces versets-ci, le contexte de l'information [qui y est donnée] se rapporte à eux ; que [ces versets-ci] constitue une information à leur sujet est donc plus juste.
Si quelqu'un objecte à cela ceci : "Dieu – Très élevé soit Son souvenir –, en énonçant ce propos [= "kufr"], a généralisé [celui-ci] ("'amma") à tous ceux qui ne jugent pas d'après ce que Dieu a révélé. Comment en as-tu fait quelque chose de particulier ("khâss") ?", alors on lui répondra ceci : "Dieu – élevé soit-Il –, en énonçant ce propos [= "kufr"], a généralisé [celui-ci] ("'amma") à un groupe de gens qui reniaient ("jâhidîn") le hukm dont Dieu a fait le hukm dans Son livre. Il a donné comme information à leur sujet qu'ils étaient, par le fait qu'ils délaissaient ce hukm de la façon qu'ils le délaissaient, kâfir. La même chose sera dite à propos de toute personne qui ne juge pas d'après ce que Dieu a révélé en le reniant ("jâhidan bihî") : elle est kâfir par rapport à Dieu, comme l'a dit Ibn 'Abbâs, car, en reniant le hukm de Dieu après avoir su qu'Il l'a révélé dans Son Livre, elle est comme [celui qui a] renié le prophétat de Son Prophète après avoir su qu'il est prophète"" (Tafsîr ut-Tabarî).
- Le propos contenu dans ce verset ("être kâfir") sera généralisé à d'autres que les seules personnes au sujet de qui il a été révélé.
- Cependant, il ne sera pas généralisé en fonction de la seule lettre du thème (mahkûm 'alayh), telle que formulée dans le verset ("ne pas rendre le jugement d'après ce que Dieu a révélé").
- Non. En fait il sera généralisé à ceux qui possèdent cette caractéristique comprise de façon plus particulière, correspondant à la situation des personnes au sujet de qui le verset avait été révélé : ne pas rendre le jugement par la règle que Dieu a révélée tout en reniant (juhûd) cette règle que Dieu a révélée.
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– Un 10ème exemple :
Un verset du Coran dit : "فَلاَ وَرَبِّكَ لاَ يُؤْمِنُونَ حَتَّىَ يُحَكِّمُوكَ فِيمَا شَجَرَ بَيْنَهُمْ ثُمَّ لاَ يَجِدُواْ فِي أَنفُسِهِمْ حَرَجًا مِّمَّا قَضَيْتَ وَيُسَلِّمُواْ تَسْلِيمًا" : "Non, par ton Seigneur, ils ne seront pas croyants jusqu'à ce qu'ils te prennent comme arbitre à propos de leurs différends, puis qu'ils n'éprouvent aucune gêne à propos de ce que tu auras rendu comme décision et qu'ils s'y soumettent" (Coran 4/65).
Ce verset rend nécessaire pour les musulmans (comme étant ce qui découle de leur foi même) de prendre comme référentiel ce que le Prophète a apporté (donc le Coran et la Sunna) pour établir ce qui est permis et ce qui est interdit dans leurs affaires.
– Si un musulman a comme croyance qu'il n'est pas nécessaire de se référer aux sources de l'islam, alors à l'unanimité il a là une croyance qui contredit de façon fondamentale les croyances musulmanes.
– S'il exprime cela par sa langue, c'est la même chose : il tient là un proposde kufr akbar.
– Par contre, lorsque le musulman croit bien qu'il est nécessaire de se référer aux Coran et Sunna, mais que c'est dans les faits qu'il se réfère à autre chose qu'eux : fait-il acte de fisq asghar (= kufr asghar / kabîra), ou bien acte de kufr akbar ?
Cheikh Ashraf Alî Thânwî écrit qu'il ne s'agit pas d'un acte de kufr akbar.
En fait ce passage coranique (4/60-65) fait allusion à un incident survenu entre Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) et un Hypocrite (donc en apparence un musulman) nommé Bishr.
Ce dernier avait un litige avec un juif de Médine, et celui-ci, se sachant apparemment dans son bon droit, voulut faire régler le différend par Muhammad (sur lui soit la paix), sachant que celui-ci observe la justice, fût-elle à l'encontre des musulmans. Bishr, sachant qu'il n'était pas dans son droit et qu'il perdrait si c'était le Prophète qui rendait le jugement, refusa, et demanda de porter l'affaire devant Ka'b ibn ul-Ashraf.
Mais il finit par accepter, et tous deux se rendirent donc auprès du Prophète. Ce dernier, ayant eu connaissance du litige, rendit le jugement en faveur du juif.
Une fois dehors, l'Hypocrite exprima son désaccord vis-à-vis du jugement rendu par Muhammad (sur lui soit la paix), et proposa de porter l'affaire devant Omar ibn ul-Khattâb (il pensait - à tort bien sûr - que Omar ne donnerait pas raison à un non-musulman sur un musulman : Bayân ul-qur'ân). Le juif accepta, convaincu pour sa part - à juste titre - que Omar ne donnerait pas raison à un musulman qui n'est pas dans son droit.
Arrivés devant Omar, le juif lui exposa qu'ils avaient un litige, que Muhammad avait déjà jugé mais que le musulman n'était pas d'accord avec le jugement qu'il avait rendu.
A la demande de Omar de confirmer cela, l'Hypocrite confirma explicitement par sa langue qu'il n'était pas d'accord avec le jugement rendu par le Prophète.
("وأخرج الثعلبي عن ابن عباس في قوله {ألم تر إلى الذين يزعمون أنهم آمنوا} الآية قال: نزلت في رجل من المنافقين يقال له بشر، خاصم يهوديا؛ فدعاه اليهودي إلى النبي صلى الله عليه وسلم ودعاه المنافق إلى كعب بن الأشرف. ثم إنهما احتكما إلى النبي صلى الله عليه وسلم؛ فقضى لليهودي. فلم يرض المنافق، وقال: تعال نتحاكم إلى عمر بن الخطاب. فقال اليهودي لعمر: قضى لنا رسول الله صلى الله عليه وسلم، فلم يرض [هذا] بقضائه. فقال [عمر] للمنافق: أكذلك؟ قال [المنافق]: نعم. فقال عمر: مكانكما حتى أخرج إليكما. (...) فنزلت" : Ad-Durr ul-manthûr, 2/320.)
Pareille affirmation par la langue, de la part de cet homme apparemment musulman, a constitué une claire parole de kufr akbar. Il s'est donc agi de sa part d'une parole exprimant la croyance de refus de la loi, et non du seul fait de ne pas s'être référé à cette loi.
Si donc quelqu'un qui se prétend musulman dit une parole semblable ou comparable à celle que cet Hypocrite avait prononcée ("Je réfute cette règle de l'islam") (alors même qu'il s'agit d'une règle qui est ma'lûm min ad-dîn dharûratan), ce verset s'applique à lui dans le sens de 'adamu asl il-îmân ("lâ yu'minûna" : ay : "aslan").
Mais tant qu'il ne dit pas pareille chose, les choses ne sont pas ainsi.
En fait dans ce verset il est demandé à celui qui se prétend croyant de faire 3 choses :
--- 1) tahkîmu shar' ir-rassûl ;
--- 2) 'adamu wujûdi ayyi haraj – fi-n-nafs – min hukm ish-shar' ;
--- 3) at-taslîm li hukm ish-shar'.
Et ces 3 choses existent chacune à 3 niveaux : Cheikh Thânwî explique :
"La tahkîm, la 'adamu [wujûd il-]haraj et la taslîm sont de 3 niveaux :
– [a] par la croyance ;
– [b] par la langue ;
– [c] par l'action.
– "Par la croyance" [a], cela consiste :
--- en le fait d'avoir comme croyance que la Loi de la shar' est la vérité [et la justice] et qu'elle a été instituée pour la tahkîm,
--- en le fait de ne ressentir aucune gêne en la raison [c'est-à-dire que la raison accepte cette Loi comme vraie et juste],
--- et en le fait de faire la taslîm à ce niveau [= celui de la raison, qui accepte cette croyance selon laquelle la Loi est la vérité et la justice].
– "Par la langue" [b], cela consiste :
--- en le fait de reconnaître ces points [que nous venons de voir à propos de la croyance] comme étant la vérité [et de ne jamais proférer de parole, verbale ou écrite, disant que ce n'est pas la vérité ou pas la justice].
– Et "par l'action" [c], cela consiste :
--- en le fait de porter l'affaire,
--- en le fait de ne pas entretenir de gêne [à propos du jugement rendu],
--- et en le fait d'agir conformément au jugement (ayant été rendu)."
Cheikh Thânwî relève ensuite que ne pas avoir le premier niveau [a] de n'importe laquelle de ces 3 choses requises (c'est-à-dire ne pas avoir la croyance requise à propos de l'une de ces trois choses : 1) tahkîm, 2) 'adamu wujûd il-haraj et 3) taslîm), cela constitue du kufr akbar.
De même, dire par sa langue [b] qu'il n'y a pas à se référer à la Loi de Dieu, ou dire que la Loi est injuste ou qu'elle est un fardeau, ou dire : "Je refuse de me soumettre à cette Loi", cela est également du kufr akbar.
Par contre, ne pas faire, au niveau de l'action seulement (sans le renier en son cœur ni par sa langue) [c], une ou plusieurs de ces 3 choses requises, cela consiste en du fisq asghar [ou kufr asghar] seulement.
Par rapport à at-tahkîm (1) 'amalan (c), mentionné dans ce verset : si un musulman accepte au niveau de son cœur (a) ce qui lui est demandé de tahkîm, de 'adamu wujûd il-haraj et de taslîm – et exprime également par sa langue (b) qu'il y adhère totalement, ou, au moins, après avoir exprimé une fois par sa langue qu'il adhère totalement aux enseignements de l'islam, ne dit pas qu'il réfute tel enseignement –, mais en action (c) porte l'affaire devant une autre Loi que celle de Dieu (donc : 'amalan (c) ne pratique pas at-tahkîm), alors il fait de même acte de fisq asghar, et non pas de kufr akbar.
D'ailleurs, le verset, souligne Cheikh Thânwî, parle explicitement d'Hypocrites (verset 61 : "alors tu vois ces Hypocrites" : al-lâmu li-l-'ahd). Or les Hypocrites non seulement se référaient en actes à une autre Loi, mais ne la croyaient pas non plus comme vérité et faite pour que l'on s'y réfère (Bayân ul-qur'ân 2/130-131).
Dès lors :
– s'il est accompagné par le refus, dans le cœur, de la nécessité de se référer à la Loi de la Shar', ou s'il y a refus de considérer que cette Loi est juste (comme c'était le cas des Hypocrites auxquels le verset fait explicitement allusion), alors, le fait de se référer en acte à une autre loi que celle de Dieu est acte de kufr akbar ; si aujourd'hui quelqu'un qui se prétend musulman a la même croyance que ces Hypocrites (et croit donc que la Loi de la Shar' n'est pas la vérité, pas la justice, ou qu'il n'est pas nécessaire de s'y référer), alors ce verset s'applique à lui dans le sens de 'admu asl il-îmân ("lâ yu'minûna" : ay : "aslan") ;
– par contre, si dans le cœur le musulman sait bien que l'autre loi n'est pas la vérité mais qu'il s'y réfère quand même en acte, alors cela n'est pas acte de kufr akbar mais acte de fisq asghar.
Ce qu'il y a dans le cœur, seul Dieu le sait, à l'exclusion de tout humain.
Par contre, il arrive que la langue ou la plume exprime ce qui se trouve dans le cœur ; et cette expression, les humains en prennent bien sûr connaissance ; c'est pourquoi on parle de "parole de kufr akbar".
Pour plus de détails, lire notre article : Le musulman qui se réfère à autre chose que le Coran et la Sunna commet-il systématiquement là acte de Kufr Akbar ? (Commentaire de Coran 4/60-70).
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– Un 11ème exemple :
- "وَكَيْفَ يُحَكِّمُونَكَ وَعِندَهُمُ التَّوْرَاةُ فِيهَا حُكْمُ اللّهِ ثُمَّ يَتَوَلَّوْنَ مِن بَعْدِ ذَلِكَ وَمَا أُوْلَئِكَ بِالْمُؤْمِنِينَ" : "Comment te demandent-ils d'être arbitre alors qu'ils ont auprès d'eux la Torah, dans laquelle se trouve le jugement de Dieu, puis se détournent après cela ?" (Coran 5/43).
--- Considérer le texte tel quel amènerait à considérer qu'aux Gens du Livre vivant à Médine il n'était pas demandé d'apporter foi en Muhammad (sur lui soit la paix) comme étant le dernier prophète de Dieu, et en le Coran et la Sunna comme sources de normes et de lois, puisqu'ils disposaient déjà de la Torah "dans laquelle se trouve le jugement de Dieu".
--- Mais en fait, pour comprendre le sens véritable de ce verset, il faut prendre connaissance de l'événement auquel il renvoie.
Un Qurayzite fut assassiné par un Nadhirite (deux tribus arabes juives de Médine).
Les proches parents de la victime, des Qurayzites, demandèrent que l'on cesse l'inégalité qui avait été jusqu'alors de mise, et réclamèrent la loi du talion. (Mais les Banu-n-Nadhîr refusèrent l'applicabilité même de ce talion, en vertu de l'accord conclu entre eux auparavant, accord selon lequel les Banu-n-Nadhîr ne devaient, en pareil cas, que payer un dédommagement.)
Les Banû Qurayza proposèrent alors de porter l'affaire devant "Abu-l-Qâssim", c'est-à-dire devant le Prophète Muhammad (rapporté par Abû Dâoûd, 4494).
Les Banu-n-Nadhîr envoyèrent alors certains Hypocrites sonder la position du Prophète (Bayân ul-qur'ân). Les Nadhirites leur dirent : "S'il évoque, comme seule possibilité, le versement d'un dédommagement, alors prenez ce qu'il dit. Mais s'il évoque la possibilité du talion aussi, ne prenez pas ce qu'il dit."
On comprend dès lors que ce verset n'a pas reproché à ces Gens du Livre de la tribu Banu-n-Nadhîr leur référence à Muhammad avec l'objectif de prendre connaissance de ce que Dieu a dit dans Sa dernière Loi, qu'Il a remise à celui-ci.
Ce verset a exprimé qu'il y a un certain paradoxe dans le fait d'affirmer ne pas croire en la véracité de Muhammad et de, simultanément, venir se référer à son enseignement en présence d'une ancienne loi divine qu'on sait avoir été préservée dans la Torah, cela avec l'espoir d'obtenir une règle différente de cette loi divine.
Par ailleurs, ce verset a reproché que la référence à Muhammad ait été faite uniquement si cela allait en leur faveur (les Nadhirites), avec la mise en garde : "S'il évoque, comme seule possibilité, le versement d'un dédommagement, alors prenez ce qu'il dit. Mais s'il évoque la possibilité du talion aussi, ne prenez pas ce qu'il dit".
Pour plus de détails, lire notre article : Un verset invitant à ne pas se référer au Coran mais à la Torah ? (Commentaire de Coran 5/41-50).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).