Suivre la Sunna (Ta'abbudiyya) du Prophète (que Dieu le bénisse et le salue), cela se fait parfois de façon inconditionnelle par rapport à l'énoncé.
Cependant, parfois le hukm énoncé dans la Sunna (Ta'abbudiyya) a une Ratio Legis, un principe motivant (manât / 'illa) dans le réel (wâqi'), et c'est par rapport à lui que le Prophète avait prononcé ce Hadîth. Ce qui fait que le hukm concerne un cas plus restreint que ce que la littéralité du texte pouvait laisser croire. Par ailleurs, si dans le réel ce principe motivant n'est pas présent, alors ce que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit n'est tout simplement pas applicable. Or le texte ne dit pas toujours ce principe motivant, d'où, parfois, un manque de compréhension et certaines situations étranges de la part de certains frères et soeurs, pourtant animés des meilleures intentions.
L'une des définitions de la 'Illa / Manât est : "ce qui a une incidence sur la règle, celle-ci lui étant liée" ("المؤثر، والمراد بالمؤثر ما به وجود الشيء، كالشمس للضوء والنار للإحراق" - At-Tawdhîh -, "الموجبة للحكم، على معنى أن الشارع جعلها موجبة بذاتها" - Irshâd ul-fuhûl -).
Il s'agit donc de distinguer, au-delà de la seule lettre du texte, ce qui est réellement incident sur la règle, de sorte que la règle soit reliée à sa présence dans le réel, et reste donc inapplicable quand cet élément incident est, dans le réel, absent de l'action.
Ibn Taymiyya écrit :
"وكثير من أجوبة الإمام أحمد وغيره من الأئمة خرج على سؤال سائل قد علم المسئول حاله أو خرج خطابا لمعين قد علم حاله؛ فيكون بمنزلة قضايا الأعيان الصادرة عن الرسول صلى الله عليه وسلم: إنما يثبت حكمها في نظيرها.
فإن أقواما جعلوا ذلك عاما (...).
وآخرون أعرضوا عن ذلك بالكلية" :
"De nombreuses réponses de l'imam Ahmad et d'autres imams que lui ont été données suite à la question posée par une personne dont [l'imam Ahmad] questionné connaissait la situation, ou ont été données comme propos tenu à une personne précise dont la situation était connue.
Cela est donc comme les jugements émis par le Prophète (que Dieu prie sur lui et le salue) à propos de personnes déterminées (a'yân) : leur règle n'est établie que pour (les affaires) qui leur sont semblables.
- [Or] il y a des gens qui confèrent à cela une généralité (absolue) (...).
- Et d'autres s'en détournement totalement" (MF 28/213).
Ibn Taymiyya veut dire que de tels hukm ne sont pas applicables pour toute affaire relevant de la même littéralité, mais pour toute affaire contenant le même principe motivant ('illa), bien que ce principe motivant ne figure pas dans le texte du hadîth.
-
I) Des exemples où le principe motivant (manât / 'illa) du propos (Hukm) a bien été stipulé dans le texte du Hadîth :
Dans les 2 premiers exemples qui suivent, le principe motivant a été stipulé dans le texte, mais il est systématiquement présent dans le réel de l'action.
Par contre, dans le 3ème exemple qui va suivre, le principe motivant a été stipulé dans le texte, mais il n'est pas systématiquement présent dans le réel de l'action : au contraire, il n'est, depuis le décès du Prophète (sur lui soit la paix), il n'est plus du tout présent dans le réel de l'action.
-
Premier exemple :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Dix (actions) font partie de la fit'ra", et il a énuméré parmi celles-ci : "garder la barbe" (Muslim, 261).
Ce n'est pas, ici, que cet impératif de garder la barbe était en fait motivé par (ma'lûl bi) le fait que les Arabes devaient arborer cet attribut masculin pour telle raison propre à leur culture d'alors. Et donc que le musulman qui n'est pas arabe ne serait pas concerné par cet impératif.
Ici, le principe motivant ('illa) du fait de garder la barbe a été exprimé par le Prophète (sur lui soit la paix) : garder la barbe fait partie des actions humaines de la fit'ra (la nature humaine originelle). Or adopter ce qui relève de la fit'ra est requis du musulman partout et toujours.
En fait :
– garder la barbe constitue une maslaha ; car la barbe est partie intégrante de la beauté et de la plénitude de l'apparence masculine (min jamâl il-fuhûl) ;
– et adopter ce qui est partie intégrante de la plénitude de l'apparence masculine constitue une maslaha ; car la plénitude de l'apparence (masculine et féminine) fait partie de la fit'ra (la nature humaine originelle) ;
– et réaliser la fit'ra constitue une maslaha ; car cela participe de la réalisation complète de la personne humaine (nafs) ;
– et la réalisation du nafs est l'un des objectifs supérieurs de l'islam (maqsad min maqâssid ish-shar').
-
Second exemple :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Et qu'aucun de vous ne mange ni ne boive de la main gauche ; car le Diable mange et boit de la main gauche" (Muslim, 2020).
Ici le Prophète (sur lui soit la paix) a exprimé le principe ayant motivé cette interdiction de manger par sa main gauche : c'est la façon de faire du Diable.
Or devoir se préserver d'imiter la façon de faire du Diable, cela demeure partout et toujours.
En fait nous avons ceci :
– manger avec sa main gauche est une mafsada ; car cela constitue une imitation de la façon de faire du Diable ;
– or l'imitation de la façon de faire du Diable constitue une mafsada ; car l'imitation dans ses actions conduit à (est la dharî'a de) une imitation dans son intérieur ;
– or l'imitation, en son intérieur, du Diable, cela constitue une mafsada ; car cela nuit au Dîn ;
– or la préservation / le développement du Dîn fait partie des objectifs supérieurs.
-
Troisième exemple : un cas différent :
Des Compagnons étant venus accomplir la prière des tarâwîh pendant plusieurs nuits d'affilée sous la direction du Prophète, mais au bout de quelques nuits, ce dernier se retint de sortir pour diriger cette prière, puis leur dit : "Ne m'a empêché de sortir (et de me rendre) auprès de vous [et de diriger cette prière] que la crainte que cela ne soit décrété obligatoire sur vous" (al-Bukhârî 1077, Muslim 761) ; "Faites donc (cette) prière dans vos maisons ; la meilleure prière que l'homme fait est celle (qu'il fait) dans sa maison, exception faite de la prière obligatoire" (al-Bukhârî 698, Muslim 781).
Ici le Prophète (sur lui soit la paix) a exprimé le principe ayant motivé cette interdiction : il craignait que cela devienne obligatoire.
Ce motif étant désormais absent, la règle (l'interdiction d'accomplir cette prière en groupe à la mosquée chaque nuit du ramadan) ne s'applique plus.
Ibn Taymiyya le souligne ainsi : "(Le Prophète) a mentionné le motif ('illa) qui fait qu'il ne soit pas sorti [pour accomplir les tarâwîh en groupe] : il craignait que cela soit décrété obligatoire. On comprend donc par là que le facteur poussant à sortir était présent, et que s'il n'y avait la crainte que cela soit décrété obligatoire, il serait sorti. Lorsque vint l'époque de Omar, celui-ci rassembla (les musulmans) sous la direction d'un seul récitant (qâri'), et la mosquée fut [pour cela] éclairée. (…) La sunna implique qu'il s'agit là d'une action pieuse s'il n'y avait eu la crainte que cela soit décrété obligatoire. Or cette crainte que cela soit décrété obligatoire a disparu avec la mort du Prophète (sur lui la paix). Ce qui empêchait a donc disparu" (Al-Iqtidhâ', p. 256). Omar ibn ul-Khattâb avait dit : "Si je rassemblais ces gens sous la direction d'un seul récitant, ce serait mieux" (al-Bukhârî).
Ibn Hajar relate le commentaire de ce propos ainsi : "Omar a compris cela du fait que le Prophète a approuvé que des gens avaient accompli la prière avec lui pendant ces nuits, et que s'il n'avait pas aimé cela pour eux, c'était seulement par crainte que cela soit décrété obligatoire sur eux (…). Puis, lorsque le Prophète mourut, on fut à l'abri de cela. La majorité des ulémas ont incliné vers le propos de Omar (…). Ibn Battâl dit : "Accomplir le qiyâm du ramadan [en groupe] est sunna, car Omar ne l'a pris que de la façon de faire du Prophète, et le Prophète ne l'a délaissé [à un moment] que par crainte que cela soit décrété obligatoire"" (Fat'h ul-bârî 4/320).
Certes, il y a divergence quant au fait de savoir si, même maintenant, il est préférable d'accomplir cette prière en groupe dans la mosquée, ou bien chez soi.
Cependant, cette divergence porte seulement sur ce qui est mieux (cliquez ici). Mais nul ne peut dire, se fondant sur la littéralité des hadîths suscités, qu'il est contraire à l'enseignement du Prophète que d'accomplir cette prière en groupe à la mosquée.
-
II) Voici maintenant des cas où le propos (Hukm) formulé dans la Sunna Ta'abbudiyya est dû à un principe motivant ('illa / manât) qui n'est pas stipulé dans le texte :
-
Un exemple d'information (khabar) qui relève de ce type :
"عن سهل، قال: مر رجل على رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقال: «ما تقولون في هذا؟» قالوا: حري إن خطب أن ينكح، وإن شفع أن يشفع، وإن قال أن يستمع، قال: ثم سكت، فمر رجل من فقراء المسلمين، فقال: «ما تقولون في هذا؟» قالوا: حري إن خطب أن لا ينكح، وإن شفع أن لا يشفع، وإن قال أن لا يستمع، فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: «هذا خير من ملء الأرض مثل هذا" :
Un homme passa près de l'endroit où le Prophète (sur lui soit la paix) se trouvait avec des Compagnons. Le Prophète demanda à ces derniers ce qu'ils pensaient de cet homme. Ils répondirent que c'était un homme dont la parole était écoutée.
Plus tard un autre homme passa, et le Prophète (sur lui soit la paix) leur demanda ce qu'ils pensaient de cet autre homme. Ils répondirent que c'était un homme dont la parole n'était pas prise en considération.
En fait ce second passant était pauvre, le premier : riche.
Le Prophète, parlant de ce second et premier passants respectivement, fit alors cette remarque : "Celui-ci est meilleur que la Terre entière emplie de celui-là" (al-Bukhârî).
--- S'agit-il d'appréhender ce texte de façon littérale, et en déduire que, à degré égal de piété, un croyant pauvre a un grade supérieur auprès de Dieu que celui qu'ont des centaines de milliers de croyants riches ? Il en résulterait que la pauvreté matérielle est quelque chose à rechercher, et la richesse quelque chose de beaucoup moins bien...
--- Ou bien s'agit-il de se replacer dans le contexte d'énonciation ? Bien que cela ne soit pas relaté dans le récit suscité, en fait le passant pauvre était par ailleurs beaucoup plus pieux que le passant riche (comme l'a révélé Ibn Hajar : FB 11/334-335), et c'est pourquoi le Prophète a tenu ce propos : il voulait en fait dire qu'il ne faut pas faire de la richesse matérielle le critère de référence, car un pieux (fût-il matériellement pauvre) a plus de valeur auprès de Dieu que des centaines de milliers de moins pieux (fussent-ils riches matériellement). Le Prophète n'a pas voulu dire que, à degré égal de piété, un croyant pauvre vaut plus auprès de Dieu que des centaines de milliers de croyants riches.
On voit ici l'élément incident, celui qui a une incidence sur le propos ayant té prononcé par le Prophète (sur lui soit la paix). C'est cela qu'on appelle : "distinguer le principe motivant (manât, 'illa) du hukm (ici, une khabar) ayant été énoncé, au lieu de se contenter de la seule littéralité du texte (zâhir ul-lafz)".
-
Un exemple d'impératif (talabu fi'l) :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit :
"أُمِرْتُ أن أقاتل الناس حتى يشهدوا أن لا إله إلا الله ويؤمنوا بى وبما جئت به. فإذا فعلوا ذلك عصموا منى دماءهم وأموالهم إلا بحقها وحسابهم على الله" :
"Il m'a été ordonné de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils témoignent qu'il n'est de divinité que Dieu et qu'ils croient en moi [en tant que prophète de Dieu] et en ce que j'ai apporté" (Muslim, 21).
--- S'agirait-il d'appréhender de façon littérale ce hadîth, et en déduire que le Prophète a eu pour ordre de contraindre les hommes par le sabre à accepter l'islam ?
--- Absolument pas ! Il s'agit au contraire de se replacer dans le contexte dans lequel le Prophète a prononcé ces mots. En fait le Prophète parlait là seulement des Polythéistes de la Péninsule arabique (ou du Hedjaz), et cela à partir du 10 rabi' ul-âkhir de l'an 10 : à compter de cette date, les Polythéistes ne furent plus acceptés sur la terre de la Péninsule (ou, d'après un autre avis : sur la terre du Hedjaz).
Par ailleurs, ces Polythéistes avaient également le droit de quitter la Péninsule arabique (ou le Hedjaz) pour s'installer ailleurs (fût-ce ailleurs en Dâr ul-islâm) : ils n'étaient pas contraints à se convertir à l'islam : Ibn Abbâs relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "أَخْرِجُوا المشركين من جزيرة العرب" : "Faites quitter les Polythéistes la Péninsule arabique" ; cela fut dit, relate Ibn Abbâs, le dernier jeudi de sa vie terrestre [donc : en rabi' ul-awwal de l'an 11] (al-Bukhârî, 2888, Muslim, 1637).
Toutes les preuves de ce qui vient d'être dit figurent ici :
- Le Prophète (sur lui soit la paix) a-t-il dit qu'il lui a été demandé de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils se convertissent à l'islam ? ;
- Pourquoi les shafi'ites ont-ils dit qu'il s'agissait de faire sortir les non-musulmans du Hedjaz seulement, et non pas du reste de la Péninsule arabique, alors que le terme présent dans la Sunna est clair et explicite : "Jazîrat ul-'arab" ?
Par ailleurs, ce hukm n'a été institué (et n'est toujours applicable) que lors d'une situation précise dans le réel (de l'Arabie / du Hedjaz) :
- Réflexions sur différents moments de la mission du Prophète (مراحل السيرة) ;
- Comprendre les différences de situations dans lesquelles se trouvent différentes communautés musulmanes (النَسْء - فقه الأحوال التي تعيشها كل جالية مسلمة) ;
- Quand c'est par rapport à un contexte précis que la mafsada de l'action domine sa maslaha (النَسْء - فقه الأحوال التي تعيشها كل جالية مسلمة).
-
Un exemple d'impératif négatif (talabu kaff) :
Un hadîth se lit ainsi :
- "عن قتادة، قال: سمعت عقبة بن صهبان، عن عبد الله بن مغفل المزني: "إني ممن شهد الشجر؛ نهى النبي صلى الله عليه وسلم عن الخذف." وعن عقبة بن صهبان، قال: سمعت عبد الله بن مغفل المزني في البول في المغتسل: "يأخذ منه الوسواس" (al-Bukhârî, 4561).
- "عن عبد الله بن مغفل، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "لا يبولن أحدكم في مستحمه ثم يغتسل فيه" :
"Que personne parmi vous n'urine dans le lieu où il se douche, puis il y prendrait sa douche" (Abû Dâoûd, 27, at-Tirmidhî 21, an-Nassâ'ï).
--- S'agit-il d'appréhender ce texte de façon littérale, et en déduire qu'il est strictement interdit d'uriner dans le lieu où plus tard on va prendre une douche ?
--- Ou bien s'agit-il de se replacer dans le contexte de l'époque et de dire que cette règle était liée à la nature des salles où les gens se douchaient : l'urine y stagnait, et il pouvait donc subsister des petites quantités d'urine là où mettait plus tard ses pieds pour se doucher... Si on retient cette seconde possibilité, alors : si les salles de douches sont différentes, le principe motivant cette interdiction n'est plus présent. Et c'est là l'avis de certains ulémas : "رواه أبو داود، وابن ماجه وقال: سمعت علي بن محمد الطنافسي يقول: إنما هذا في الحفيرة. فأما اليوم فمغتسلاتهم الجص والصاروج والقير، فإذا بال وأرسل عليه الماء فلا بأس به" (Al-Mughnî 1/216).
-
D'autres exemples encore :
-
Des animaux ravagent un champ :
Une chamelle appartenant à al-Barâ' ayant occasionné des dégâts dans un verger, le Prophète rendit comme jugement que c'est aux propriétaires de tels biens qu'il incombe de les protéger pendant la journée ; mais que ce que les (animaux) détruisent la nuit engagera la responsabilité de leur propriétaire (Abû Dâoûd, 3569, Mâlik, 1239).
Selon les écoles malikite, shafi'ite et hanbalite, au cas où un animal telle qu'une vache occasionne des dégâts dans un champ alors qu'elle se déplaçait seule, n'étant ni conduite ni accompagnée par son propriétaire ni par le responsable nommé par le propriétaire, alors :
- si cela a eu lieu la nuit, le propriétaire de l'animal devra rembourser les dégâts, car il doit enfermer ses animaux de nuit ;
- mais si cela a eu lieu le jour, sa responsabilité n'est pas engagée, car c'est au propriétaire du champ d'en assurer la protection le jour, car les animaux vont alors et viennent...
----- Selon beaucoup de ulémas de ces écoles, cette règle s'applique de façon inconditionnelle.
----- Cependant, selon un avis présent chez certains ulémas hanbalite et shafi'ites, cette règle est restreinte à (mahmûl 'alâ) un lieu où coexistent des champs aussi bien que des pâturages : l'usage est alors que, de jour, les propriétaires d'animaux envoient ceux-ci aux pâturages, et les propriétaires de champs doivent donc prendre leurs précautions pour protéger leur biens (en fermant leurs portails, etc.). Par contre, la nuit, les animaux n'ont pas à sortir. Dès lors, si des animaux ont ravagé un champ de nuit, c'est par la négligence de leur propriétaire, dont la responsabilité est alors engagée. Tandis que s'ils l'ont fait de jour, c'est par la négligence du propriétaire du champ, qui n'a pas pris les mesures nécessaires pour clôturer son champ.
Par contre, poursuit cet avis, s'il s'agit de villages d'habitation, où il n'y a pas de pâturage mais des champs, les propriétaires d'animaux n'ont pas à laisser ceux-ci en liberté, même de jour, sans quelqu'un pour les accompagner et les empêcher d'entrer dans les champs ; s'ils les laissent en liberté de jour, ils sont alors responsables des dégâts que leurs bêtes auront causés aux champs (cf. Al-Mughnî 12/482).
-
Se déshabiller ailleurs que chez soi :
"دخل نسوة من أهل الشام على عائشة رضي الله عنها، فقالت: ممن أنتن؟ قلن: من أهل الشام. قالت: لعلكن من الكورة التي تدخل نساؤها الحمامات؟ قلن: نعم. قالت: أما إني سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "ما من امرأة تخلع ثيابها في غير بيتها إلا هتكت ما بينها وبين الله تعالى" :
Ayant reçu la visite de dames de Shâm, Aïcha (que Dieu l'agrée) leur dit : "Peut-être êtes-vous de la cité où les femmes se rendent au hammam [le bain public] ?" Ayant reçu une réponse affirmative, elle poursuivit : "Ecoutez, j'ai entendu le Messager de Dieu, qu'Il le bénisse et le salue, dire : "Toute femme qui enlève ses vêtements ailleurs que dans sa maison, elle enlève ce qu'il y a entre elle et Dieu Elevé"" (Abû Dâoûd, 4010 ; at-Tirmidhî, 2803).
--- S'agirait-il d'appréhender de façon littérale ce hadîth, et en déduire (comme certains frères et soeurs l'ont cru) que des vêtements qu'elle envisage d'acheter dans un magasin, la musulmane ne peut pas les essayer dans la cabine d'essayage, même si elle peut aisément s'assurer que personne ne la verra (car son amie vérifie cela devant la porte de la cabine), tout cela parce que "la musulmane ne doit pas enlever ses vêtements ailleurs que dans sa maison" ?
--- Absolument pas ! Il s'agit de comprendre le principe motivant cette parole : ce que ce hadîth interdit c'est d'enlever ses vêtements et découvrir ainsi sa 'awra devant des personnes par rapport à qui cela n'est pas autorisé. C'est pourquoi Aïcha (que Dieu l'agrée) a cité ce hadîth pour dire à ces femmes syriennes que (si elles doivent se rendre par besoin, hâja) au bain public, même en présence d'autres femmes seulement, elles ne doivent pas découvrir ce qui relève de leur 'awra par rapport à ces autres femmes.
Al-Munâwî pense pour sa part que ce wa'îd précis ("enlève ce qu'il y a entre elle et Dieu Elevé") concerne en premier lieu le fait de découvrir sa 'awra pour s'adonner à l'adultère ou à ses prémisses : "قال المناوي: والظاهر أن نزع الثياب عبارة عن تكشفها للأجنبي لينال منها الجماع أو مقدماته؛ بخلاف ما لو نزعت ثيابها بين نساء مع المحافظة على ستر العورة إذ لا وجه لدخولها في هذا الوعيد". C'est bien pourquoi une autre version se lit ainsi : "عن أبي المليح الهذلي، أن نساء من أهل حمص أو من أهل الشام دخلن على عائشة، فقالت: أنتن اللاتي يدخلن نساؤكن الحمامات؟ سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "ما من امرأة تضع ثيابها في غير بيت زوجها إلا هتكت الستر بينها وبين ربها" (at-Tirmidhî, 2803) ; "عن عائشة قالت: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "أيما امرأة نزعت ثيابها في غير بيت زوجها، هتكت ستر ما بينها وبين ربها" (Ahmad 24140).
-
Célébrer une fête nationale non-religieuse :
Anas (que Dieu l'agrée) relate ce qui suit : "عن أنس قال: قدم رسول الله صلى الله عليه وسلم المدينة ولهم يومان يلعبون فيهما، فقال: ما هذان اليومان؟ قالوا: كنا نلعب فيهما في الجاهلية، فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إن الله قد أبدلكم بهما خيرا منهما: يوم الأضحى، ويوم الفطر"" : "Le Prophète arriva à Médine alors qu'ils (y) avaient deux jours de festivités. Il leur demanda : "Que sont ces deux jours ? - Nous jouions lors de ces deux jours dans la Jâhiliyya." Le Messager de Dieu dit alors : "Dieu vous a donné en échange mieux que cela : le jour du sacrifice, et le jour de la fin du jeûne" (Abû Dâoûd, 4137).
Des commentateurs ont dit qu'il s'agissait des deux fêtes du Neyrôz et de Mahrajân (Mirqât ul-mafâtîh), qui sont deux fêtes d'origine persane.
--- Certains ulémas sont d'avis que c'est toute célébration régulière autre que les deux jours annuels de fête de l'islam (al-Fitr et al-Adh'hâ) qui est à proscrire pour le musulman, que cette célébration soit dînî, ou 'âdî. Car ces uélmas distinguent :
----- le simple "ihtifâl", célébration d'un événement ponctuel, comme fêter la réussite à tel examen de son fils : cela se fait une fois seulement, dans les jours qui suivent cette réussite ;
----- et le "'eîd", qui revient à chaque fois, avec une cause (sabab) (c'est la racine étymologique du terme "Eîd", qui provient de "'âda / ya'ûdû", qui signifie : "revenir") ;
--- Cheikh Khâlid Saïfullah est quant à lui d'avis que le hadîth ici cité concerne seulement les célébrations à caractère religieux (dînî) [que la participation du musulman à une célébration religieuse non-musulmane ait lieu de façon régulière, occasionnelle, ou exceptionnelle : cela est interdit].
Dès lors, si la célébration est à la fois :
----- d'ordre temporel ('âdî ou maslahî),
----- fondée sur quelque chose de réel (et non pas sur de la mythologie), qui constitue réellement une cause de joie (comme la commémoration d'une libération nationale, et non pas comme l'entrée du soleil dans telle zone du zodiaque),
----- fondée sur une cause (sabab) partagée par tous, et rationnelle (ma'qûl) (et non pas comme choisir et instituer par exemple un jour fixe pour la fête des amoureux, un autre pour la fête de la maman, etc.),
----- n'entraîne pas de mafsada shar'iyya,
alors il est possible d'y assister par maslaha, à condition qu'il n'y ait rien d'interdit à faire, alors, ni à y assister.
Quant à ce hadîth qui dit que nous n'avons que 2 Eids et interdit tout autre Eid, le manât ul-hukm y est que le Eid ait un fondement religieux ou une teinte religieuse (dînî), ou présente un manquement par rapport à un autre des points suscités.
Cheikh Khâlid a ajouté que de nombreux Ulémas en Inde commémorent la libération de l'Inde en marquant ce jour-là (le 15 août) par l'absence de cours dans leurs madrassas.
(Tout cela est la substance d'une conversation téléphonique entre l'auteur de ces lignes et Cheikh Khâlid Saïfullah de Hyderabad, Inde.)
-
Laisser un feu allumé dans sa maison la nuit :
Abdullâh ibn Omar (que Dieu l'agrée) relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit :
"لا تتركوا النار في بيوتكم حين تنامون" :
"Ne laissez pas de feu allumé dans votre maison quand vous dormez" (al-Bukhârî, 5935).
--- S'agirait-il d'appréhender de façon littérale ces hadîths, et donc en déduire (comme certains frères et soeurs l'ont cru) que, avant de dormir, il faut éteindre tout feu et ne laisser aucune flamme dans la maison ?
--- Non, il s'agit de restreindre le hukm contenu dans ces hadîths aux lampes et aux âtres à partir desquels il y a le risque que le feu se propage : c'est là le pivot (manât / 'illa) de la règle énoncée dans le hadîth.
La preuve : Jâbir relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "وأطفئوا المصابيح عند الرقاد، فإن الفويسقة ربما اجترت الفتيلة فأحرقت أهل البيت" : "... et éteignez les lampes au moment de (vous) endormir, car le petit mauvais [= le rat] tire parfois la mèche et brûle les gens de la maisonnée" (al-Bukhârî).
Abû Mûssâ relate que, depuis un foyer, le feu s'était propagé à toute la maison dans une habitation de Médine, et ses habitants avaient tous péri ainsi : "عن أبي موسى رضي الله عنه، قال: احترق بيت بالمدينة على أهله من الليل، فحدث بشأنهم النبي صلى الله عليه وسلم، قال: إن هذه النار إنما هي عدو لكم، فإذا نمتم فأطفئوها عنكم" (al-Bukhârî, Muslim).
Ibn Daqîq il-'Îd a explicitement dit ce que nous venons d'exposer :
"إذا كانت العلة في إطفاء السراج الحذر من جر الفويسقة الفتيلة، فمقتضاه أن السراج إذا كان على هيئة لا تصل إليها الفأرة، لا يمنع إيقاده؛ كما لو كان على منارة من نحاس أملس لا يمكن الفأرة الصعود إليه، أو يكون مكانه بعيدا عن موضع يمكنها أن تثب منه إلى السراج.
وأما ورود الأمر باطفاء النار مطلقا كما في حديثي ابن عمر وأبي موسى وهو أعم من نار السراج فقد يتطرق منه مفسدة أخرى غير جر الفتيلة كسقوط شيء من السراج على بعض متاع البيت وكسقوط المنارة فينثر السراج إلى شيء من المتاع فيحرقه؛ فيحتاج إلى الاستيثاق من ذلك؛ فإذا استوثق بحيث يؤمن معه الإحراق، فيزول الحكم بزوال علته" (FB 11/103-104).
-
Planter une tige verte sur une tombe :
Passant près des tombes de deux défunts dont il a su qu'ils subissaient le châtiment dans leur tombe, l'un pour avoir colporté les propos des uns et des autres pour provoquer des querelles (namîma), l'autre pour ne s'être pas préservé des éclaboussures lorsqu'il urinait, le Prophète (sur lui soit la paix) a planté, sur chacune de ces deux tombes, une tige de dattier. Et il a précisé : "Peut-être que cela sera allégé d'eux tant que ces deux (tiges vertes) ne sècheront pas" : "عن ابن عباس، قال: خرج النبي صلى الله عليه وسلم من بعض حيطان المدينة، فسمع صوت إنسانين يعذبان في قبورهما، فقال: "يعذبان، وما يعذبان في كبير، وإنه لكبير، كان أحدهما لا يستتر من البول، وكان الآخر يمشي بالنميمة." ثم دعا بجريدة فكسرها بكسرتين أو ثنتين، فجعل كسرة في قبر هذا، وكسرة في قبر هذا، فقال: لعله يخفف عنهما ما لم ييبسا" (al-Bukhârî, version 5708, Muslim, 292). Ces deux personnes étaient mortes avec asl ul-îmân (Fat'h ul-bârî 1/418) (un autre récit, relaté par Jâbir, concerne deux personnes mortes dans le kufr).
--- Cela est-il général, de sorte qu'il soit bien, ou au moins mashrû', de planter une tige verte sur la tombe de n'importe quel défunt musulman, afin d'éviter qu'il subisse le châtiment de la tombe au moins le temps que la tige reste verte ?
Burayda al-Aslamî, un Compagnon du Prophète, a laissé comme recommandation qu'on (plante) deux tiges de dattier sur sa tombe (Sahîh il-Bukhârî ta'lîqan, Kitâb ul-janâ'ïz, bâb 81, avec Fat'h ul-bârî 3/283). Cela semble être l'avis de Ibn Hajar (Fat'h ul-bârî 1/418).
--- Ou bien cela est-il seulement lié au fait que le Prophète a su que son intercession d'allègement du châtiment en leur faveur a été acceptée par Dieu, en la faveur de ces deux personnes, le temps qu'une tige verte prend pour devenir sèche ?
C'est l'avis de al-Khattâbî et d'autres (Fat'h ul-bârî 1/417-418). Etaye cela le fait que le Prophète n'a fait cette action qu'en une ou deux occasions, et non pas à chaque enterrement auquel il a assisté, ni même à chaque fois qu'il est passé près d'une tombe déjà faite.
-
Ne pas jouer au khadhf :
Le Prophète a interdit de pratiquer le khadhf : il s'agit d'un jeu qui consistait à lancer un caillou après l'avoir posé sur le doigt. Il a mentionné le principe qui sous-tend cette interdiction en soulignant que cela ne servait pas à s'entraîner contre un ennemi ni à capturer un animal de chasse, et pouvait (au contraire) briser une dent ou crever un œil (le hadîth est bien connu).
--- Fallait-il appréhender cette règle de façon inconditionnelle ?
--- Ou bien fallait-il retenir le principe motivant ('illa) : constituer le risque de blesser quelqu'un ?
----- a) C'est ce qui a amené certains mujtahids à restreindre l'applicabilité (dawrân) de cette interdiction aux cas de figure où ce principe ('illa) est présent, c'est-à-dire aux zones d'habitations ou de passage de gens, et de dire que cette règle d'interdiction est inapplicable si on se trouve dans un lieu désert (cf. Fat'h ul-bârî 9/753). Cet avis se fonde apparemment lui aussi sur le principe ('illa) explicité par le Prophète : le motif de l'interdiction est le risque de blesser quelqu'un. Plus encore, cet avis a établi que tel lieu constitue présomption de l'absence de ce motif (mazinnatu 'adami wujûd il-'illa), et le fait de se trouver dans ce lieu devient lui-même la cause entraînant la non-applicabilité de l'interdiction.
----- b) Par ailleurs, la mention de ce principe motivant a permis d'une part l'exportation (ta'diya), par certains mujtahids, de cette règle d'interdiction à : tout jeu en qui on retrouve le principe ('illa) (lire notre article parlant des jeux et divertissements).
-
Ne pas saluer le premier un juif ou un chrétien :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit :
"عن أبي هريرة، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: لا تبدءوا اليهود ولا النصارى بالسلام، فإذا لقيتم أحدهم في طريق، فاضطروه إلى أضيقه" :
"N'adressez pas en premier le salâm aux juifs et aux chrétiens. Et lorsque vous rencontrez l'un d'eux dans un chemin, forcez-le à prendre le côté étroit" (Muslim, 2167).
Déjà il faut ici savoir que :
- la lettre de ce hadîth ne dit pas qu'il s'agirait pour le musulman, en voyant un juif ou un chrétien venir face à lui, de bifurquer vers lui pour l'obliger à changer de chemin ;
- la lettre de ce hadîth évoque seulement le cas où le musulman, et en face de lui un juif ou un chrétien, ont tous deux besoin de s'engager à pied dans un chemin qui est étroit au point de permettre le passage d'une seule personne à la fois. Dans ce cas de figure :
--- la lettre de ce hadîth ne dit pas non plus qu'il s'agirait de bousculer ce juif ou ce chrétien ;
--- elle ne dit pas non plus qu'il s'agirait pour le musulman d'obliger ce juif ou ce chrétien à descendre sur le bas-côté du chemin ;
--- la lettre de ce hadîth dit seulement au musulman de ne pas céder le passage, mais de passer le premier. "قال القرطبي في قوله: "وإذا لقيتموهم في طريق فاضطروهم إلى أضيقه": معناه: لا تتنحوا لهم عن الطريق الضيق إكراما لهم واحتراما. وعلى هذا فتكون هذه الجملة مناسبة للجملة الأولى في المعنى. وليس المعنى: إذا لقيتموهم في طريق واسع فألجئوهم إلى حرفه حتى يضيق عليهم، لأن ذلك أذى لهم، وقد نهينا عن أذاهم بغير سبب" (FB 11/49).
Ce rappel effectué :
--- S'agit-il d'appréhender ce texte de façon littérale, ce qui confère au propos (hukm) qu'il communique une applicabilité générale pour tout pays musulman (de toute façon ce genre de hukm ne concerne pas le musulman qui vit en pays non-musulman) ?
--- Ou bien s'agit-il de considérer que le propos (mahkûm bihî) énoncé dans ce texte est en fait lié à un principe motivant (manât) : l'état de guerre ? Si on retient cette autre option, le thème (mahkûm 'alayh) concerné par ce propos est le thème qui renferme ce principe motivant (manât) : les non-musulmans avec qui on est en guerre : ce hukm est à appliquer seulement à ceux qui sont en guerre contre les musulmans (et qu'un musulman viendrait à rencontrer dans le cadre de pourparlers, par exemple, ou lors d'une trêve). C'est l'avis de certains ulémas (Zâd ul-ma'âd, 2/425). Et cet avis correspond à l'un des avis relatifs au fait de leur adresser en premier le salâm : Serait-il interdit à un musulman de saluer un non-musulman ?
-
Répondre au salâm d'un juif ou d'un chrétien en lui disant seulement : "Wa 'alaykum !" :
Anas ibn Mâlik relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "إذا سلم عليكم أهل الكتاب فقولوا: وعليكم" : "Lorsque les Gens du Livre vous adressent le salâm, dites-leur : "Wa 'alaykum"" (al-Bukhârî, 5903, Muslim, 2163).
--- Certains ulémas, parmi lesquels an-Nawawî, ont appréhendé ce hadîth selon sa seule littéralité (zâhir ul-lafz) et ont dit que ce propos, ce hukm ("dire, pour seule réponse : "Wa 'alaykum"") s'applique à tous les non-musulmans qui nous adressent le salâm.
--- Cependant, d'autres ulémas, parmi lesquels Ibn ul-Qayyim, font valoir que le propos contenu dans ce hadîth est dû à sa situation d'énonciation : à Médine, certaines personnes parmi les Gens du Livre, feignant d'employer la formule "As-salâmu 'alaykum" ("Que la paix soit sur vous"), disaient en fait : "As-sâmu 'alaykum" (ce qui signifie : "Que la mort soit sur vous") (عن عائشة رضي الله عنها زوج النبي صلى الله عليه وسلم قالت: دخل رهط من اليهود على رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقالوا: السام عليكم، قالت عائشة: ففهمتها فقلت: وعليكم السام واللعنة، قالت: فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: مهلا يا عائشة، إن الله يحب الرفق في الأمر كله. فقلت: يا رسول الله، أولم تسمع ما قالوا؟ قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: قد قلت: وعليكم) (rapporté par al-Bukhârî, 5678, Muslim, etc.). C'est ce qui explique que le Prophète a enseigné de leur dire simplement "Wa 'alaykum", ce qui signifie : "Et sur vous !". Par contre, si on est certain que la personne a bien dit "As-salâmu 'alaykum", il n'y a aucun empêchement à lui répondre par la formule complète : "Wa 'alaykum us-salâm".
Ibn ul-Qayyim écrit ensuite le principe : "و الاعتبار وإن كان لعموم اللفظ، فإنما يعتبر عمومه في نظير المذكور، لا في ما يخالفه" : "Même si la considération va à la généralité de la lettre, ce qui est à considérer c'est la généralité de la lettre dans ce qui est semblable à ce qui a été évoqué, et non pas dans ce qui en est différent" (Ahkâm ahl idh-dhimma, p. 200).
-
Abattre l'animal à consommer en utilisant non pas un couteau mais un ongle tranchant :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a interdit d'abattre l'animal par le fait de trancher ses carotides en utilisant l'ongle, "parce que ce sont les couteaux des Abyssiniens" : "عن رافع بن خديج، قال: (...) "إنا نرجو - أو نخاف - العدو غدا، وليست معنا مدى، أفنذبح بالقصب؟" قال: "ما أنهر الدم، وذكر اسم الله عليه، فكلوه، ليس السن والظفر. وسأحدثكم عن ذلك: أما السن فعظم، وأما الظفر فمدى الحبشة" (al-Bukhârî, 2356, Muslim, 1968).
--- S'agit-il d'appréhender ce hadîth de façon littérale, ce qui entraîne que c'est le fait d'utiliser l'ongle qui a été interdit ? C'est l'avis des écoles shafiite et hanbalite.
--- D'après l'école hanafite il s'agit des ongles humains qui ne sont pas coupés mais se trouvent sur les doigts de la main : l'animal abattu de la sorte risque de mourir non pas d'avoir été saigné mais d'avoir été étranglé, car les doigts effectuent fatalement une pression sur sa trachée ; à cause de ce doute conséquent, l'animal ainsi abattu n'est pas licite (Al-Hidâya 2/422). Par contre, si l'ongle n'est pas sur les doigts et que c'est par son moyen qu'on tranche les carotides et la trachée de l'animal en prononçant le Nom de Dieu, alors l'animal ainsi abattu sera licite, mais il est déconseillé d'avoir recours à ce moyen, car, l'ongle étant incapable de trancher de façon vive, son utilisation fait souffrir inutilement l'animal. Mais ce n'est pas de ce cas de figure que le hadîth parlait (Ibid.).
-
S'asseoir sur une "mîthara" rouge :
"عن البراء بن عازب، قال: «نهانا النبي صلى الله عليه وسلم عن المياثر الحمر والقسي" :
Le Prophète a interdit l'utilisation des mîthara rouges (al-Bukhârî, Muslim) : il s'agit de petits coussins qu'on plaçait sur les selles de chameaux et sur lesquelles on s'asseyait.
--- S'agit-il d'appréhender ce texte de façon littérale, selon le seul énoncé, ce qui rapporte l'interdit à cette étoffe parce qu'elle est de couleur rouge ; ce qui rend interdit de s'asseoir sur toute étoffe de couleur rouge ?
--- Non, il s'agit de considérer que le propos (mahkûm bihî) énoncé dans ce texte est en fait lié à un motif (manât). Ces "coussins rouges" étaient en fait en soie, comme l'a dit Abû 'Ubayd. Dès lors, le propos (l'interdiction d'utilisation) s'applique uniquement au thème qui contient ce principe motivant (manât, 'illa) : être en soie.
----- De fait, même si le coussin de soie n'est pas de couleur rouge, il est interdit à l'homme de s'asseoir dessus.
----- Certes, certains ulémas comme at-Tabarî sont d'avis que si le coussin est rouge mais n'est pas en soie, il reste légèrement déconseillé de s'asseoir dessus, mais, justement, cela est d'un degré inférieur au statut du coussin de soie (FB 10/378-379).
-
Porter une tamîma, est-ce systématiquement du shirk ?
"عن عقبة بن عامر الجهني، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم أقبل إليه رهط، فبايع تسعة وأمسك عن واحد، فقالوا: يا رسول الله، بايعت تسعة وتركت هذا؟ قال: "إن عليه تميمة!" فأدخل يده فقطعها، فبايعه، وقال: "من علق تميمة فقد أشرك" :
Un groupe composé de 10 hommes se rendit auprès du Prophète (que Dieu le bénisse et le salue). Il accepta allégeance de la part de 9 d'entre eux, et se retint de l'un d'eux. Comme on le lui fit remarquer, il dit : "Celui-là porte une tamîma". L'homme coupa alors sa tamîma, et le Prophète reçut son allégeance. Il ajouta : "Celui qui suspend une tamîma, celui-là a fait shirk" (Ahmad).
La tamîma est un écrit que des personnes portent (au cou, ou au bras) en pensant qu'il les protège du mauvais oeil.
--- S'agit-il de considérer de façon littérale ce terme "tamîma", en déduire que "suspendre n'importe quelle tamîma constitue du shirk", et en déduire que porter sur soi un morceau de papier ne contenant qu'une prière s'adressant explicitement à Dieu, cela constitue du shirk asghar parce qu'on porte cela autour de son cou ?
--- Ou bien s'agit-il de se replacer dans la situation d'énonciation, et de comprendre que cette personne portait une tamîma comportant des paroles de shirk akbar, et c'est pour cette raison que le Prophète a dit cela ?
Ces deux avis existent chez les ulémas.
Voici ce qu'a relaté Sulaymân ibn Abdillâh ibn Muhammad ibn 'Abd il-Wahhâb :
"اعلم أن العلماء من الصحابة والتابعين فمن بعدهم اختلفوا في جواز تعليق التمائم التي من القرآن وأسماء الله وصفاته.
فقالت طائفة: يجوز ذلك، وهو قول عبد الله بن عمرو بن العاص وغيره، وهو ظاهر ما روي عن عائشة، وبه قال أبو جعفر الباقر وأحمد في رواية، وحملوا الحديث على التمائم الشركية، أما التي فيها القرآن وأسماء الله وصفاته، فكالرقية بذلك. قلت: وهو ظاهر اختيار ابن القيم.
وقالت طائفة: لا يجوز ذلك، وبه قال ابن مسعود وابن عباس، وهو ظاهر قول حذيفة وعقبة بن عامر وابن عكيم رضي الله عنهم، وبه قال جماعة من التابعين، منهم أصحاب ابن مسعود، وأحمد في رواية اختارها كثير من أصحابه، وجزم بها المتأخرون، واحتجوا بهذا الحديث وما في معناه: فإن ظاهره العموم لم يفرق بين التي في القرآن وغيرها، بخلاف الرقى فقد فرق فيها" (Tayssîr ul-'Azîz l-Hamîd, p. 137).
Ibn Taymiyya est d'avis qu'il est autorisé que le papier soit attaché au bras de la femme qui va accoucher (MF 19/64-65).
-
Jeûner pendant qu'on voyage, cela est-il systématiquement interdit ?
"عن جابر بن عبد الله رضي الله عنهم قال: كان رسول الله صلى الله عليه وسلم في سفر، فرأى زحاما ورجلا قد ظلل عليه، فقال: ما هذا؟ فقالوا: صائم. فقال: ليس من البر الصوم في السفر" :
Alors qu'il voyageait avec certains de ses Compagnons, le Prophète (sur lui soit la paix) vit un attroupement autour d'un homme qui était épuisé au point que les autres faisaient de l'ombre sur lui. S'étant enquit de ce dont il s'agissait, on lui expliqua : "(Cet homme) jeûne". Le Prophète dit alors : "Ce n'est pas un bien que de jeûner pendant le voyage" (al-Bukhârî, 1844, et Muslim, 1115).
--- Certains ulémas (les zahirites, ainsi que al-Awzâ'ï, Ahmad ibn Hanbal et Is'hâq ibn Râhawayh) ont appréhendé ce hadîth dans sa seule littéralité : "le jeûne", donc "tout jeûne" (al-lâm li-l-istighrâq), ce n'est pas un bien de l'accomplir "pendant le voyage". Ensuite : d'après les zahirites, il est obligatoire pour le voyageur de reporter à plus tard l'accomplissement des jeûnes du ramadan. Par contre, d'après al-Awzâ'ï, Ahmad et Is'hâq, il est seulement mieux, pour le voyageur, de reporter à plus tard l'accomplissement des jeûnes du ramadan.
--- Pour la majorité des ulémas, en revanche, il est mieux, pour le voyageur, d'accomplir les jeûnes du ramadan pendant son voyage même, s'il peut le faire sans trop de difficultés. Quant à ce hadîth, ils disent qu'il parle du jeûne que le voyageur accomplit alors que le voyage présente de grandes difficultés pour lui (al-lâm li-l-'ahd) : ce n'est alors pas un bien de jeûner ce jour-là, car on met alors sa vie ou sa santé en grand danger, alors même que le Coran stipule expressément la possibilité de reporter à plus tard l'accomplissement des jeûnes. C'est bien là ce que révèlent les circonstances lors desquelles le Prophète a prononcé cette phrase : un Compagnon s'était effondré de fatigue et il fallait lui faire de l'ombre. (Ibn ul-'Uthaymîn a lui aussi donné préférence à ce second avis : Shar'hu Muqaddimat it-Tafsîr, pp. 44-45.)
Voici ce que Ibn Daqîq il-'Îd a dit sur le sujet :
"وقال بن دقيق العيد: أُخِذَ مِنْ هذه القصة أنَّ كراهة الصوم في السفر مختصة بمن هو في مثل هذه الحالة، ممن يجهده الصوم ويشق عليه، أو يؤدي به إلى ترك ما هو أولى من الصوم من وجوه القرب؛ فينزل قوله "ليس من البر الصوم في السفر" على مثل هذه الحالة.
قال: والمانعون في السفر يقولون: إن اللفظ عامّ، والعبرة بعمومه لا بخصوص السبب.
قال: وينبغي أن يتنبه للفرق بين دلالة السبب والسياق والقرائن على تخصيص العامّ وعلى مراد المتكلم، وبين مجرد ورود العامّ على سبب؛ فإن بين العامّين فرقا واضحا؛ ومن أجراهما مجرى واحدا لم يصب. فإن مجرد ورود العامّ على سبب لا يقتضي التخصيص به، كنزول آية السرقة في قصة سرقة رداء صفوان؛ وأمّا السياق والقرائن الدالة على مراد المتكلم، فهي المرشدة لبيان المجملات وتعيين المحتملات، كما في حديث الباب" (FB 4/235).
-
L'interdiction de tuer la fourmi et l'abeille :
"عن ابن عباس، قال: "إن النبي صلى الله عليه وسلم نهى عن قتل أربع من الدواب: النملة، والنحلة، والهدهد، والصرد" : Le Prophète "a interdit de tuer 4 animaux : la fourmi, l'abeille, la huppe et la pie-grièche" (Abû Dâoûd, 5267, authentifié par al-Albânî).
--- S'agit-il d'appréhender ce texte de façon littérale, et donc en déduire que la fourmi et l'abeille sont deux insectes qui ne doivent jamais être tués ?
--- Ou bien s'agit-il de considérer que ce hadîth évoque seulement la fourmi courante et l'abeille courante, et que l'interdiction de la tuer est due au fait que cette fourmi et cette abeille ne sont sont dangereux pour l'homme. En effet, sur 8000 espèces de fourmis, la plupart ne sont pas dangereuses. Par contre, les fourmis tueuses (la fourmi sauteuse de Tasmanie ; la fourmi voyageuse de Tanzanie ; la fourmi légionnaire d'Amérique Latine), l'homme peut bien sûr la tuer s'il est menacé. De même, l'abeille tueuse, l'homme peut la tuer s'il est menacé. Tout cela conformément au principe motivant extrait de cet autre hadîth : "5 animaux sont mauvais, et ils peuvent être tués hors du territoire sacré (al-haram) [autour de la Mecque] et à l'intérieur de ce territoire" ; le Prophète cita ensuite 5 animaux qui vivaient en Arabie, parmi lesquels : le serpent, le rat, le chien enragé… (Muslim, 1198). Des ulémas en ont déduit la règle générale concernant la permission du tuer les animaux dangereux ou nuisibles, quels qu'ils soient, lorsqu'il y a une raison de le faire (voir Sharh Muslim par an-Nawawî).
-
S'agirait-il pour chaque père de famille de punir son fils qui néglige la prière pour peu qu'il soit âgé de 10 ans ?
Non.
Le hadîth est bien connu : "مروا أولادكم بالصلاة وهم أبناء سبع سنين؛ واضربوهم عليها وهم أبناء عشر وفرقوا بينهم في المضاجع" (Abû Dâoûd, 495).
--- Et une lecture littéraliste de ce hadîth impliquerait que tout bon père de famille doive appliquer cela tel quel : punir son fils âgé de 10 ans qui néglige la prière.
--- Pourtant le principe général concernant le amr bi-l-ma'rûf et le nah'y 'an il-munkar bi-l-yad est bien connu (et a été repris par Ibn Taymiyya aussi) : Le moyen à employer pour amener la personne à l'idéal, cela dépend de la situation, le tout étant que cela ne doit pas produire (immédiatement ou a terme) l'effet contraire de celui escompté.
C'est à la lumière de ce principe général qu'il faut lire ce hadîth : le Prophète (sur lui soit la paix) s'adressait alors à des Compagnons, toute la société étant musulmane et baignant dans l'atmosphère islamique. C'est là, cette fois, une cause (sabab).
Il ne s'agit donc pas d'appliquer le même hukm sans aucun égard pour la réalité de la situation spirituelle et éducative de la société, de la famille, etc. Car le père qui punirait son fils négligeant la prière, alors même que la situation est très différente de celle de Médine à l'époque du Prophète, ce père ne ferait que faire fuir son enfant, et lui faire encore moins aimer la prière...
Exercer son autorité, cela est nécessaire.
Mais le faire avec clairvoyance est impératif.
Lire également : "Pour résorber une innovation (ou autre munkar) qui est commise, vaut-il mieux la dénoncer, ou gagner les coeurs de ceux qui la commettent ?".
-
Le fils doit-il obéir à son père lorsque celui-ci lui demande de divorcer de son épouse ?
"عن حمزة بن عبد الله بن عمر، عن ابن عمر قال: كانت تحتي امرأة أحبها، وكان أبي يكرهها، فأمرني أبي أن أطلقها. فأبيت، فذكرت ذلك للنبي صلى الله عليه وسلم، فقال: "يا عبد الله بن عمر، طلق امرأتك" : Abdullâh ibn Omar raconte : "Je m'étais marié à une femme que j'aimais beaucoup. Omar ne l'aimait pas. Il me dit de divorcer d'elle. Je refusai. Puis j'évoquai cela devant le Prophète, que Dieu le bénisse et le salue. Il me dit : "Divorce de ta femme"" (at-Tirmidhî, 1189, Abû Dâoûd, 5138, Ibn Mâja, 2088). Dans une autre version : "أطع أباك" : "Obéis à ton père" (Ahmad, 4711).
--- Une lecture littéraliste de ce hadîth impliquerait que tout fils vertueux doive appliquer cela tel quel : dès que son père lui demande de divorcer de sa femme, parce que ce père n'aime pas celle-ci, il doit lui obéir.
--- Pourtant le principe général est qu'il n'est obligatoire au fils et à la fille d'obéir à ses parents qu'au sujet de ce en quoi il y a une maslaha reconnue pour les parents et pas de mafsada reconnue pour lui et elle (Ibn Taymiyya). Or si père ou sa mère ordonne au fils de divorcer de sa femme sans raison prise en considération, il n'est pas tenu de lui obéir mais doit garder de bonnes relations avec lui ou elle.
Quant à ce hadîth, bien que cela n'est pas dit dans sa lettre, ce qu'il y a eu c'est que cette épouse avait quelque chose qui n'allait pas.
(قال السندي: فيه أن طاعة الوالدين متقدمة على هوى النفس إذا كان أمرهما أوفق بالدين، إذ الظاهر أن عمر ما كان يكرهها ولا أمر ابنه بطلاقها إلا لما يظهر له فيها من قلة الدين).
(جاء رجل إلى أحمد رحمه الله فقال: إن أبي يأمرني أن أطلق زوجتي. قال له الإمام أحمد: لا تطلقها. قال: أليس النبي صلى الله عليه وسلم قد أمر ابن عمر أن يطلق زوجته حين أمره عمر بذلك؟ قال: وهل أبوك مثل عمر؟)
Lire à ce sujet :
- Majmû' ul-fatâwâ, 33/112 ;
- Islamqa.
-
L'exception des 'ariyya par rapport à la muzâbana :
La muzâbana est interdite : il s'agit de la vente de dattes déjà cueillies (et sèches) contre des dattes non encore cueillies (et fraîches) (al-Bukhârî, 2254, Muslim, 1540). La raison en est que cela ne permet pas de vérifier si les deux quantités sont égales, d'où un risque important de ribâ.
Cependant, le Prophète a fait exception des gens ayant des "'ariyya" : "أن رسول الله صلى الله عليه وسلم نهى عن المزابنة بيع الثمر بالتمر، إلا أصحاب العرايا، فإنه أذن لهم" (al-Bukhârî, 2254, Muslim, 1540), jusqu'à 5 wasq : "عن أبي هريرة رضي الله عنه أن النبي صلى الله عليه وسلم رخص في بيع العرايا في خمسة أوسق، أو دون خمسة أوسق" (al-Bukhârî, 2078, Muslim, 1541).
--- S'agit-il d'appréhender ce second texte de façon littérale, et donc en déduire que jusqu'à 5 wasq la muzâbana est autorisée, et c'est lorsqu'elle est faite à plus que 5 wasq qu'elle est interdite ?
--- Ou bien s'agit-il de considérer que le pivot est en fait tout autre : être non pas réellement une vente, mais un échange : X offre à Y la production de cette année de tel de ses arbres fruitiers. Cependant, par la suite, dérangé par les allées et venues de Y dans son verger, qui vient regarder régulièrement l'état des fruits de l'arbre en question, X lui propose d'échanger les fruits encore sur l'arbre (et qu'il lui avait offerts) contre la même quantité de fruits, déjà cueillis l'année précédente : cela n'est pas vraiment une vente, car X ne deviendra pleinement propriétaire de ces fruits que lorsqu'il en aura pris possession (or pour le moment ils sont encore sur l'arbre appartenant à Y). Cela constitue un échange, et un tel échange demeure autorisé jusqu'à 5 wasq. Mais pour ce qui est de la vente de dattes déjà cueillies (et sèches) contre des dattes non encore cueillies (et fraîches), elle est interdite pour toute quantité.
C'est là l'interprétation de l'école hanafite :
"قال: "وبيع المزابنة، وهو بيع الثمر على النخيل بتمر مجذوذ مثل كيله خرصا"؛ لأنه عليه الصلاة والسلام "نهى عن المزابنة والمحاقلة": فالمزابنة ما ذكرنا؛ والمحاقلة بيع الحنطة في سنبلها بحنطة مثل كيلها خرصا. ولأنه باع مكيلا بمكيل من جنسه فلا تجوز بطريق الخرص كما إذا كانا موضوعين على الأرض. وكذا العنب بالزبيب على هذا.
وقال الشافعي رحمه الله: يجوز فيما دون خمسة أوسق لأنه عليه الصلاة والسلام "نهى عن المزابنة، ورخص في العرايا"؛ وهو أن يباع بخرصها تمرا فيما دون خمسة أوسق".
قلنا: العرية: العطية لغة، وتأويله أن يبيع المعرى له ما على النخيل من المعري بتمر مجذوذ، وهو بيع مجازا لأنه لم يملكه فيكون برا مبتدأ" (Al-Hidâya 2/36).
-
Quelques exemples où il existe 2 groupes de hadîths parlant du même cas :
-
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit :
- d'une part : "Pas de (sanction pour celui qui vole) un fruit frais, ni un kathar (coeur de dattier)" (at-Tirmidhî, Abû Dâoûd, an-Nassâ'ï).
- d'autre part : "Pas de (sanction pour celui qui vole) un fruit suspendu. (Mais) lorsque le séchoir a accueilli le (fruit), là (la sanction est applicable)" (an-Nassâ'ï).
--- S'agit-il de focaliser sur le 2nd de ces 2 textes, appréhendé de façon littérale ? et alors en déduire que la sanction pour vol est (théoriquement) applicable à celui qui vole un fruit, fût-il frais, pourvu que celui-ci était dans un lieu protégé (muhraz) : c'était le cas du séchoir à l'époque. Par contre, les fruits suspendus à l'extérieur n'étaient pas dans un lieu protégé, et la sanction est donc alors inapplicable... Quant au 1erd hadîth, il veut parler du fruit frais qui n'est pas en en lieu protégé...
--- Ou bien s'agit-il de focaliser sur le 1er de ces hadîths, et considérer que dans le 2nd texte le pivot pour l'applicabilité de la sanction est en fait : être un fruit sec ? Le 1er hadîth est alors à considérer dans sa généralité : il n'y a pas de sanction pour avoir volé un fruit frais, que celui-ci se trouvait à l'extérieur ou bien dans un lieu protégé. Quant au 2nd hadîth, il signifie en fait que, placé dans le séchoir, le fruit devient sec, et c'est pourquoi le Prophète a dit ce qu'il a dit : il voulait parler non pas de "ce que le séchoir accueille", mais de "ce qui est devenu un fruit sec" : c'est là l'interprétation de l'école hanafite : "قلنا: أخرجه على وفاق العادة؛ والذي يؤويه الجرين في عادتهم هو اليابس من الثمر" (Al-Hidâya 1/519).
-
Des Hadîths du Prophète qui parlent de l'interdiction de laisser ses pantalons dépasser ses chevilles :
- Certains ne mentionnent aucune condition (qayd) à l'interdiction :
-- "Ce qui, du pagne, dépasse les chevilles sera dans le feu" (al-Bukhârî).
-- "La façon qu'a le musulman de porter son vêtement inférieur est jusqu'à mi-mollets. Il n'y a pas de mal (à ce que ce vêtement) aie une longueur comprise entre mi-mollets et chevilles. Ce qui dépasse les chevilles sera dans le feu. Et celui qui laisse traîner son vêtement inférieur par fierté, Dieu ne le regardera pas" (Abû Dâoûd, n° 4093, authentifié par al-Arna'ût).
-- à Abû Jurayy Jâbir ibn Sulaym, le Prophète avait dit : "وارفع إزارك إلى نصف الساق، فإن أبيت فإلى الكعبين، وإياك وإسبال الإزار، فإنها من المخيلة، وإن الله لا يحب المخيلة" : "Relève ton pagne jusqu'à mi-mollets. Sinon jusqu'aux chevilles. Et préserve-toi de laisser traîner, car laisser traîner relève de l'orgueil, or Dieu n'aime pas l'orgueil" (Abû Dâoûd, n° 4084).
- D'autres mentionnent, comme condition (qayd) à l'interdiction de laisser ses pantalons dépasser ses chevilles, que celui qui les porte aie de la fierté :
-- "Celui qui, par fierté, laisse traîner son vêtement [en le portant], Dieu ne le regardera pas le jour du jugement" (al-Bukhârî). D'autres Hadîths de ce genre ont été rapportés par Muslim, at-Tirmidhî, Abû Dâoûd, an-Nassaï, etc.
--- S'agit-il d'appréhender les Hadîths du premier groupe sans les rapporter à la condition spécifiée dans ceux du second groupe ? C'est ce qu'ont fait des ulémas hanbalites, beaucoup de ulémas hanafites, de même que Ibn ul-'Arabî et Ibn Hajar. Ils ont dit : le simple fait de laisser ses vêtements dépasser les chevilles est interdit, même si celui qui fait ainsi dit ne pas ressentir de fierté. C'est le fait même de porter pareils vêtements qui est une présomption (mazinna) de fierté (Fat'h ul-bârî, 10/325, 320).
--- Ou bien s'agit-il d'appréhender les Hadîths du premier groupe à la lumière de ceux du second groupe, et de dire que le principe motivant (manât) est de porter ce vêtement ainsi : par fierté ? C'est ce qu'on fait ash-Shâfi'î, an-Nawawî et certains ulémas hanafites.
Cet avis va dans le sens du fait que, chez les Arabes, certains aimaient – et aiment toujours – porter des vêtements qui traînent derrière eux.
Même pour le hadîth de Abû Dâoûd n° 4093, il y a la possibilité de dire :
- la phrase qui parle de celui qui porte par orgueil concerne une punition dans la Plaine du Jugement ;
- et la phrase qui parle de ce qui est en-dessous des chevilles concerne la punition dans le Feu de la Géhenne.
C'est sous cet aspect là (aussi) que les deux phrases, bien que présentes dans le même hadîth, peuvent différer. Mais, de nouveau, la phrase qui parle de ce qui est en-dessous des chevilles serait rapportée à la condition qui figure ailleurs : la fierté.
Et même pour le hadîth de Abû Dâoûd n° 4084, il y a la possibilité de dire : le Prophète (sur lui soit la paix) a ici exprimé ce qui était courant (kharaja makhraj al-ghâlib).
-
D'autres hadîths :
De nombreux hadîths du Prophète ont dit que la musulmane ne doit pas voyager sans être accompagnée de son mari ou d'un proche parent (mahram) : "Il n'est pas permis à une femme qui croit en Dieu et au jour dernier de voyager la distance d'un jour et d'une nuit sans qu'elle soit accompagnée d'un mahram" ; d'autres versions disent : "la distance de deux jours", ou encore : "la distance de trois nuits" (rapporté par Muslim). Un autre hadîth dit : "Une femme ne doit accomplir le pèlerinage qu'accompagnée d'un mahram" (Fath ul-bârî 4/98).
--- S'agit-il de focaliser sur ces textes, appréhendés de façon littérale, et dire que cette règle est inconditionnelle (mutlaq) : la musulmane ne doit en aucun cas effectuer seule un parcours reconnu comme "voyage".
--- Ou bien s'agit-il, comme l'ont fait certains ulémas, d'appréhender les hadîths ci-dessus à la lumière du hadîth où le Prophète (sur lui la paix), répondant un jour à quelqu'un qui se plaignait de l'insécurité des chemins en Arabie, a parlé d'une époque qui viendrait où la musulmane voyagerait sans la protection de quelqu'un de al-Hîra [alors dans l'empire perse, actuellement en Iraq] jusqu'à la Mecque [en Arabie] (rapporté par al-Bukhârî 3400, mais sans les termes "sans la protection de quelqu'un", qui figurent dans la version rapportée par Ahmad, 17796 ; cf. Fath ul-bârî 6/749).
Ces ulémas pensent que, à la lumière de ce hadîth-ci, c'est l'insécurité qui est la propriété ayant motivé ('allala) la règle présente dans les hadîths suscités ; ces derniers, bien qu'inconditionnels, sont donc à comprendre comme se rapportant à (mahmûl 'alâ) la situation prévalant alors en Arabie : l'insécurité.
Ces ulémas ont alors émis comme avis que si le pays connaît une sécurité parfaite, semblable à celle que ce second hadîth mentionne, la musulmane peut voyager seule ; et que c'est lorsque le pays n'est pas dans ce cas qu'elle doit impérativement être accompagnée de son mari ou d'un proche parent (mahram) pour voyager.
Selon ces ulémas, l'insécurité est donc le principe motivant ('illa) de l'interdiction faite à la musulmane de voyager seule. Si principe motivant est absent, cette interdiction ne s'applique plus, comme le montre le second hadîth.
Ibn Muf'lih relate cet avis de Ibn Taymiyya à propos du voyage de la femme pour le pèlerinage, ainsi que pour tout autre acte cultuel. Ibn Muf'lih cite aussi l'avis de certains ulémas shafi'ites, selon qui le voyage commercial est aussi concerné par cette règle (cf. Fatâwâ mu'âssira, al-Qaradhâwî, 1/350-353). (Voir également, pour l'argumentation, ce qu'a écrit Ibn ul-'Arabî et qui est cité dans Nazaryyat ul-maqâssid, pp. 292-293.)
-
Certains hadîths du Prophète se lisent ainsi :
"Dieu n'acceptera aucune action de la part de quelqu'un qui s'est converti du polythéisme à l'islam tant qu'il ne quitte pas les Polythéistes" (an-Nassâ'ï, 2528).
"Je désavoue tout musulman qui réside parmi les Polythéistes" (at-Tirmidhî, 1604, Abû Dâoûd, 2645) ; etc.
--- S'agit-il de focaliser sur ces textes appréhendés de façon littérale, et en déduire que le musulman ne doit vivre (sauf cas d'empêchement majeur) qu'en pays musulman (et qu'il doit émigrer de tout pays polythéiste, et même, par analogie, qiyâs ul-mussâwât, de tout pays non-musulman tout court) ?
--- Ou bien s'agit-il d'appréhender les hadîths ci-dessus à la lumière du hadîth qui se lit ainsi : Abû Mûssâ al-Ach'arî raconte : "Nous avions appris la nouvelle de la sortie du Prophète quand nous habitions le Yémen. Nous émigrâmes et partîmes alors, deux de mes frères et moi, dans un groupe de cinquante-deux personnes des miens. Nous partîmes sur un bateau. Notre bateau nous déposa auprès du Négus en Abyssinie. Nous rencontrâmes là-bas Ja'far ibn Abî Talib et ses compagnons. Ja'far nous dit : "Le Prophète nous a envoyés ici et nous a dit d'y demeurer. Restez-donc avec nous." Nous restâmes donc avec lui jusqu'au moment où nous partîmes tous ensemble. Nous rencontrâmes le Prophète quand il vainquit Khaybar..." (al-Bukhârî, 2967). Le départ de Ja'far pour Médine survint quand le Prophète envoya 'Amr ibn Umayya auprès du Négus pour lui demander de lui renvoyer ses Compagnons (Fat'h ul-bârî 7/607).
A la lumière de ce hadîth-ci, la propriété motivant ('allala) la règle d'interdiction d'habiter en pays non-musulman (qu'expriment les 2 hadîths suscités), c'est la persécution du musulman, ou le fait de lui interdire de pratiquer une action qui est obligatoire en islam, ou encore le fait de le contraindre à faire une action qui est interdite en islam.
Ces 2 hadîths, bien qu'inconditionnels, sont donc à comprendre comme concernant (mahmûl 'alâ) les terres non-musulmanes où le musulman est persécuté ou bien où il ne peut pas pratiquer (cf. Fat'h ul-bârî 6/48 ; 7/285). Lire notre article sur le sujet.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).
Quelques paroles du Prophète (sur lui soit la paix) où ce qu'il a dit (hukm, حكم) au sujet d'une chose X (mahkûm 'alayh, محكوم عليه) est en réalité dû à la présence d'un principe motivant (manât /'illa) (مَناط/ عِلّة) dans la réalité de cette chose X. Ce qui fait que le propos (حكم) concerne en réalité un thème (mahkûm 'alayh, محكوم عليه) plus restreint (أَخَصّ) que ce que la littéralité du texte (ظاهر اللفظ) laissait croire (3/5) (تخصيص)
Suivre la Sunna (Ta'abbudiyya) du Prophète (que Dieu le bénisse et le salue), cela se fait parfois de façon inconditionnelle par rapport à l'énoncé.
Cependant, parfois le hukm énoncé dans la Sunna (Ta'abbudiyya) a une Ratio Legis, un principe motivant (manât / 'illa) dans le réel (wâqi'), et c'est par rapport à lui que le Prophète avait prononcé ce Hadîth. Ce qui fait que le hukm concerne un cas plus restreint que ce que la littéralité du texte pouvait laisser croire. Par ailleurs, si dans le réel ce principe motivant n'est pas présent, alors ce que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit n'est tout simplement pas applicable. Or le texte ne dit pas toujours ce principe motivant, d'où, parfois, un manque de compréhension et certaines situations étranges de la part de certains frères et soeurs, pourtant animés des meilleures intentions.
Ibn Taymiyya écrit :
"وكثير من أجوبة الإمام أحمد وغيره من الأئمة خرج على سؤال سائل قد علم المسئول حاله أو خرج خطابا لمعين قد علم حاله؛ فيكون بمنزلة قضايا الأعيان الصادرة عن الرسول صلى الله عليه وسلم: إنما يثبت حكمها في نظيرها.
فإن أقواما جعلوا ذلك عاما (...).
وآخرون أعرضوا عن ذلك بالكلية" :
"De nombreuses réponses de l'imam Ahmad et d'autres imams que lui ont été données suite à la question posée par une personne dont [l'imam Ahmad] questionné connaissait la situation, ou ont été données comme propos tenu à une personne précise dont la situation était connue.
Cela est donc comme les jugements émis par le Prophète (que Dieu prie sur lui et le salue) à propos de personnes déterminées (a'yân) : leur règle n'est établie que pour (les affaires) qui leur sont semblables.
- [Or] il y a des gens qui confèrent à cela une généralité (absolue) (...).
- Et d'autres s'en détournement totalement" (MF 28/213).
Ibn Taymiyya veut dire que de tels hukm ne sont pas applicables pour toute affaire relevant de la même littéralité, mais pour toute affaire contenant le même principe motivant ('illa), bien que ce principe motivant ne figure pas dans le texte du hadîth.
-
I) Des exemples où le principe motivant (manât / 'illa) du propos (Hukm) a bien été stipulé dans le texte du Hadîth :
Dans les 2 premiers exemples qui suivent, le principe motivant a été stipulé dans le texte, mais il est systématiquement présent dans le réel de l'action.
Par contre, dans le 3ème exemple qui va suivre, le principe motivant a été stipulé dans le texte, mais il n'est pas systématiquement présent dans le réel de l'action : au contraire, il n'est, depuis le décès du Prophète (sur lui soit la paix), il n'est plus du tout présent dans le réel de l'action.
-
Premier exemple :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Dix (actions) font partie de la fit'ra", et il a énuméré parmi celles-ci : "garder la barbe" (Muslim, 261).
Ce n'est pas, ici, que cet impératif de garder la barbe était en fait motivé par (ma'lûl bi) le fait que les Arabes devaient arborer cet attribut masculin pour telle raison propre à leur culture d'alors. Et donc que le musulman qui n'est pas arabe ne serait pas concerné par cet impératif.
Ici, le principe motivant ('illa) du fait de garder la barbe a été exprimé par le Prophète (sur lui soit la paix) : garder la barbe fait partie des actions humaines de la fit'ra (la nature humaine originelle). Or adopter ce qui relève de la fit'ra est requis du musulman partout et toujours.
En fait :
– garder la barbe constitue une maslaha ; car la barbe est partie intégrante de la beauté et de la plénitude de l'apparence masculine (min jamâl il-fuhûl) ;
– et adopter ce qui est partie intégrante de la plénitude de l'apparence masculine constitue une maslaha ; car la plénitude de l'apparence (masculine et féminine) fait partie de la fit'ra (la nature humaine originelle) ;
– et réaliser la fit'ra constitue une maslaha ; car cela participe de la réalisation complète de la personne humaine (nafs) ;
– et la réalisation du nafs est l'un des objectifs supérieurs de l'islam (maqsad min maqâssid ish-shar').
-
Second exemple :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Et qu'aucun de vous ne mange ni ne boive de la main gauche ; car le Diable mange et boit de la main gauche" (Muslim, 2020).
Ici le Prophète (sur lui soit la paix) a exprimé le principe ayant motivé cette interdiction de manger par sa main gauche : c'est la façon de faire du Diable.
Or devoir se préserver d'imiter la façon de faire du Diable, cela demeure partout et toujours.
En fait nous avons ceci :
– manger avec sa main gauche est une mafsada ; car cela constitue une imitation de la façon de faire du Diable ;
– or l'imitation de la façon de faire du Diable constitue une mafsada ; car l'imitation dans ses actions conduit à (est la dharî'a de) une imitation dans son intérieur ;
– or l'imitation, en son intérieur, du Diable, cela constitue une mafsada ; car cela nuit au Dîn ;
– or la préservation / le développement du Dîn fait partie des objectifs supérieurs.
-
Troisième exemple : un cas différent :
Des Compagnons étant venus accomplir la prière des tarâwîh pendant plusieurs nuits d'affilée sous la direction du Prophète, mais au bout de quelques nuits, ce dernier se retint de sortir pour diriger cette prière, puis leur dit : "Ne m'a empêché de sortir (et de me rendre) auprès de vous [et de diriger cette prière] que la crainte que cela ne soit décrété obligatoire sur vous" (al-Bukhârî 1077, Muslim 761) ; "Faites donc (cette) prière dans vos maisons ; la meilleure prière que l'homme fait est celle (qu'il fait) dans sa maison, exception faite de la prière obligatoire" (al-Bukhârî 698, Muslim 781).
Ici le Prophète (sur lui soit la paix) a exprimé le principe ayant motivé cette interdiction : il craignait que cela devienne obligatoire.
Ce motif étant désormais absent, la règle (l'interdiction d'accomplir cette prière en groupe à la mosquée chaque nuit du ramadan) ne s'applique plus.
Ibn Taymiyya le souligne ainsi : "(Le Prophète) a mentionné le motif ('illa) qui fait qu'il ne soit pas sorti [pour accomplir les tarâwîh en groupe] : il craignait que cela soit décrété obligatoire. On comprend donc par là que le facteur poussant à sortir était présent, et que s'il n'y avait la crainte que cela soit décrété obligatoire, il serait sorti. Lorsque vint l'époque de Omar, celui-ci rassembla (les musulmans) sous la direction d'un seul récitant (qâri'), et la mosquée fut [pour cela] éclairée. (…) La sunna implique qu'il s'agit là d'une action pieuse s'il n'y avait eu la crainte que cela soit décrété obligatoire. Or cette crainte que cela soit décrété obligatoire a disparu avec la mort du Prophète (sur lui la paix). Ce qui empêchait a donc disparu" (Al-Iqtidhâ', p. 256). Omar ibn ul-Khattâb avait dit : "Si je rassemblais ces gens sous la direction d'un seul récitant, ce serait mieux" (al-Bukhârî).
Ibn Hajar relate le commentaire de ce propos ainsi : "Omar a compris cela du fait que le Prophète a approuvé que des gens avaient accompli la prière avec lui pendant ces nuits, et que s'il n'avait pas aimé cela pour eux, c'était seulement par crainte que cela soit décrété obligatoire sur eux (…). Puis, lorsque le Prophète mourut, on fut à l'abri de cela. La majorité des ulémas ont incliné vers le propos de Omar (…). Ibn Battâl dit : "Accomplir le qiyâm du ramadan [en groupe] est sunna, car Omar ne l'a pris que de la façon de faire du Prophète, et le Prophète ne l'a délaissé [à un moment] que par crainte que cela soit décrété obligatoire"" (Fat'h ul-bârî 4/320).
Certes, il y a divergence quant au fait de savoir si, même maintenant, il est préférable d'accomplir cette prière en groupe dans la mosquée, ou bien chez soi.
Cependant, cette divergence porte seulement sur ce qui est mieux (cliquez ici). Mais nul ne peut dire, se fondant sur la littéralité des hadîths suscités, qu'il est contraire à l'enseignement du Prophète que d'accomplir cette prière en groupe à la mosquée.
-
II) Voici maintenant des cas où le propos (Hukm) formulé dans la Sunna Ta'abbudiyya est dû à un principe motivant ('illa / manât) qui n'est pas stipulé dans le texte :
-
Un exemple d'information (khabar) qui relève de ce type :
"عن سهل، قال: مر رجل على رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقال: «ما تقولون في هذا؟» قالوا: حري إن خطب أن ينكح، وإن شفع أن يشفع، وإن قال أن يستمع، قال: ثم سكت، فمر رجل من فقراء المسلمين، فقال: «ما تقولون في هذا؟» قالوا: حري إن خطب أن لا ينكح، وإن شفع أن لا يشفع، وإن قال أن لا يستمع، فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: «هذا خير من ملء الأرض مثل هذا" :
Un homme passa près de l'endroit où le Prophète (sur lui soit la paix) se trouvait avec des Compagnons. Le Prophète demanda à ces derniers ce qu'ils pensaient de cet homme. Ils répondirent que c'était un homme dont la parole était écoutée.
Plus tard un autre homme passa, et le Prophète (sur lui soit la paix) leur demanda ce qu'ils pensaient de cet autre homme. Ils répondirent que c'était un homme dont la parole n'était pas prise en considération.
En fait ce second passant était pauvre, le premier : riche.
Le Prophète, parlant de ce second et premier passants respectivement, fit alors cette remarque : "Celui-ci est meilleur que la Terre entière emplie de celui-là" (al-Bukhârî).
--- S'agit-il d'appréhender ce texte de façon littérale, et en déduire que, à degré égal de piété, un croyant pauvre a un grade supérieur auprès de Dieu que celui qu'ont des centaines de milliers de croyants riches ? Il en résulterait que la pauvreté matérielle est quelque chose à rechercher, et la richesse quelque chose de beaucoup moins bien...
--- Ou bien s'agit-il de se replacer dans le contexte d'énonciation ? Bien que cela ne soit pas relaté dans le récit suscité, en fait le passant pauvre était par ailleurs beaucoup plus pieux que le passant riche (comme l'a révélé Ibn Hajar : FB 11/334-335), et c'est pourquoi le Prophète a tenu ce propos : il voulait en fait dire qu'il ne faut pas faire de la richesse matérielle le critère de référence, car un pieux (fût-il matériellement pauvre) a plus de valeur auprès de Dieu que des centaines de milliers de moins pieux (fussent-ils riches matériellement). Le Prophète n'a pas voulu dire que, à degré égal de piété, un croyant pauvre vaut plus auprès de Dieu que des centaines de milliers de croyants riches.
On voit ici l'élément incident, celui qui a une incidence sur le propos ayant té prononcé par le Prophète (sur lui soit la paix). C'est cela qu'on appelle : "distinguer le principe motivant (manât, 'illa) du hukm (ici, une khabar) ayant été énoncé, au lieu de se contenter de la seule littéralité du texte (zâhir ul-lafz)".
-
Un exemple d'impératif (talabu fi'l) :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit :
"أُمِرْتُ أن أقاتل الناس حتى يشهدوا أن لا إله إلا الله ويؤمنوا بى وبما جئت به. فإذا فعلوا ذلك عصموا منى دماءهم وأموالهم إلا بحقها وحسابهم على الله" :
"Il m'a été ordonné de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils témoignent qu'il n'est de divinité que Dieu et qu'ils croient en moi [en tant que prophète de Dieu] et en ce que j'ai apporté" (Muslim, 21).
--- S'agirait-il d'appréhender de façon littérale ce hadîth, et en déduire que le Prophète a eu pour ordre de contraindre les hommes par le sabre à accepter l'islam ?
--- Absolument pas ! Il s'agit au contraire de se replacer dans le contexte dans lequel le Prophète a prononcé ces mots. En fait le Prophète parlait là seulement des Polythéistes de la Péninsule arabique (ou du Hedjaz), et cela à partir du 10 rabi' ul-âkhir de l'an 10 : à compter de cette date, les Polythéistes ne furent plus acceptés sur la terre de la Péninsule (ou, d'après un autre avis : sur la terre du Hedjaz).
Par ailleurs, ces Polythéistes avaient également le droit de quitter la Péninsule arabique (ou le Hedjaz) pour s'installer ailleurs (fût-ce ailleurs en Dâr ul-islâm) : ils n'étaient pas contraints à se convertir à l'islam : Ibn Abbâs relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "أَخْرِجُوا المشركين من جزيرة العرب" : "Faites quitter les Polythéistes la Péninsule arabique" ; cela fut dit, relate Ibn Abbâs, le dernier jeudi de sa vie terrestre [donc : en rabi' ul-awwal de l'an 11] (al-Bukhârî, 2888, Muslim, 1637).
Toutes les preuves de ce qui vient d'être dit figurent ici :
- Le Prophète (sur lui soit la paix) a-t-il dit qu'il lui a été demandé de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils se convertissent à l'islam ? ;
- Pourquoi les shafi'ites ont-ils dit qu'il s'agissait de faire sortir les non-musulmans du Hedjaz seulement, et non pas du reste de la Péninsule arabique, alors que le terme présent dans la Sunna est clair et explicite : "Jazîrat ul-'arab" ?
Par ailleurs, ce hukm n'a été institué (et n'est toujours applicable) que lors d'une situation précise dans le réel (de l'Arabie / du Hedjaz) :
- Réflexions sur différents moments de la mission du Prophète (مراحل السيرة) ;
- Comprendre les différences de situations dans lesquelles se trouvent différentes communautés musulmanes (النَسْء - فقه الأحوال التي تعيشها كل جالية مسلمة) ;
- Quand c'est par rapport à un contexte précis que la mafsada de l'action domine sa maslaha (النَسْء - فقه الأحوال التي تعيشها كل جالية مسلمة).
-
Un exemple d'impératif négatif (talabu kaff) :
Un hadîth se lit ainsi :
- "عن قتادة، قال: سمعت عقبة بن صهبان، عن عبد الله بن مغفل المزني: "إني ممن شهد الشجر؛ نهى النبي صلى الله عليه وسلم عن الخذف." وعن عقبة بن صهبان، قال: سمعت عبد الله بن مغفل المزني في البول في المغتسل: "يأخذ منه الوسواس" (al-Bukhârî, 4561).
- "عن عبد الله بن مغفل، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "لا يبولن أحدكم في مستحمه ثم يغتسل فيه" :
"Que personne parmi vous n'urine dans le lieu où il se douche, puis il y prendrait sa douche" (Abû Dâoûd, 27, at-Tirmidhî 21, an-Nassâ'ï).
--- S'agit-il d'appréhender ce texte de façon littérale, et en déduire qu'il est strictement interdit d'uriner dans le lieu où plus tard on va prendre une douche ?
--- Ou bien s'agit-il de se replacer dans le contexte de l'époque et de dire que cette règle était liée à la nature des salles où les gens se douchaient : l'urine y stagnait, et il pouvait donc subsister des petites quantités d'urine là où mettait plus tard ses pieds pour se doucher... Si on retient cette seconde possibilité, alors : si les salles de douches sont différentes, le principe motivant cette interdiction n'est plus présent. Et c'est là l'avis de certains ulémas : "رواه أبو داود، وابن ماجه وقال: سمعت علي بن محمد الطنافسي يقول: إنما هذا في الحفيرة. فأما اليوم فمغتسلاتهم الجص والصاروج والقير، فإذا بال وأرسل عليه الماء فلا بأس به" (Al-Mughnî 1/216).
-
D'autres exemples encore :
-
Des animaux ravagent un champ :
Une chamelle appartenant à al-Barâ' ayant occasionné des dégâts dans un verger, le Prophète rendit comme jugement que c'est aux propriétaires de tels biens qu'il incombe de les protéger pendant la journée ; mais que ce que les (animaux) détruisent la nuit engagera la responsabilité de leur propriétaire (Abû Dâoûd, 3569, Mâlik, 1239).
Selon les écoles malikite, shafi'ite et hanbalite, au cas où un animal telle qu'une vache occasionne des dégâts dans un champ alors qu'elle se déplaçait seule, n'étant ni conduite ni accompagnée par son propriétaire ni par le responsable nommé par le propriétaire, alors :
- si cela a eu lieu la nuit, le propriétaire de l'animal devra rembourser les dégâts, car il doit enfermer ses animaux de nuit ;
- mais si cela a eu lieu le jour, sa responsabilité n'est pas engagée, car c'est au propriétaire du champ d'en assurer la protection le jour, car les animaux vont alors et viennent...
----- Selon beaucoup de ulémas de ces écoles, cette règle s'applique de façon inconditionnelle.
----- Cependant, selon un avis présent chez certains ulémas hanbalite et shafi'ites, cette règle est restreinte à (mahmûl 'alâ) un lieu où coexistent des champs aussi bien que des pâturages : l'usage est alors que, de jour, les propriétaires d'animaux envoient ceux-ci aux pâturages, et les propriétaires de champs doivent donc prendre leurs précautions pour protéger leur biens (en fermant leurs portails, etc.). Par contre, la nuit, les animaux n'ont pas à sortir. Dès lors, si des animaux ont ravagé un champ de nuit, c'est par la négligence de leur propriétaire, dont la responsabilité est alors engagée. Tandis que s'ils l'ont fait de jour, c'est par la négligence du propriétaire du champ, qui n'a pas pris les mesures nécessaires pour clôturer son champ.
Par contre, poursuit cet avis, s'il s'agit de villages d'habitation, où il n'y a pas de pâturage mais des champs, les propriétaires d'animaux n'ont pas à laisser ceux-ci en liberté, même de jour, sans quelqu'un pour les accompagner et les empêcher d'entrer dans les champs ; s'ils les laissent en liberté de jour, ils sont alors responsables des dégâts que leurs bêtes auront causés aux champs (cf. Al-Mughnî 12/482).
-
Se déshabiller ailleurs que chez soi :
"دخل نسوة من أهل الشام على عائشة رضي الله عنها، فقالت: ممن أنتن؟ قلن: من أهل الشام. قالت: لعلكن من الكورة التي تدخل نساؤها الحمامات؟ قلن: نعم. قالت: أما إني سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "ما من امرأة تخلع ثيابها في غير بيتها إلا هتكت ما بينها وبين الله تعالى" :
Ayant reçu la visite de dames de Shâm, Aïcha (que Dieu l'agrée) leur dit : "Peut-être êtes-vous de la cité où les femmes se rendent au hammam [le bain public] ?" Ayant reçu une réponse affirmative, elle poursuivit : "Ecoutez, j'ai entendu le Messager de Dieu, qu'Il le bénisse et le salue, dire : "Toute femme qui enlève ses vêtements ailleurs que dans sa maison, elle enlève ce qu'il y a entre elle et Dieu Elevé"" (Abû Dâoûd, 4010 ; at-Tirmidhî, 2803).
--- S'agirait-il d'appréhender de façon littérale ce hadîth, et en déduire (comme certains frères et soeurs l'ont cru) que des vêtements qu'elle envisage d'acheter dans un magasin, la musulmane ne peut pas les essayer dans la cabine d'essayage, même si elle peut aisément s'assurer que personne ne la verra (car son amie vérifie cela devant la porte de la cabine), tout cela parce que "la musulmane ne doit pas enlever ses vêtements ailleurs que dans sa maison" ?
--- Absolument pas ! Il s'agit de comprendre le principe motivant cette parole : ce que ce hadîth interdit c'est d'enlever ses vêtements et découvrir ainsi sa 'awra devant des personnes par rapport à qui cela n'est pas autorisé. C'est pourquoi Aïcha (que Dieu l'agrée) a cité ce hadîth pour dire à ces femmes syriennes que (si elles doivent se rendre par besoin, hâja) au bain public, même en présence d'autres femmes seulement, elles ne doivent pas découvrir ce qui relève de leur 'awra par rapport à ces autres femmes.
Al-Munâwî pense pour sa part que ce wa'îd précis ("enlève ce qu'il y a entre elle et Dieu Elevé") concerne en premier lieu le fait de découvrir sa 'awra pour s'adonner à l'adultère ou à ses prémisses : "قال المناوي: والظاهر أن نزع الثياب عبارة عن تكشفها للأجنبي لينال منها الجماع أو مقدماته؛ بخلاف ما لو نزعت ثيابها بين نساء مع المحافظة على ستر العورة إذ لا وجه لدخولها في هذا الوعيد". C'est bien pourquoi une autre version se lit ainsi : "عن أبي المليح الهذلي، أن نساء من أهل حمص أو من أهل الشام دخلن على عائشة، فقالت: أنتن اللاتي يدخلن نساؤكن الحمامات؟ سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "ما من امرأة تضع ثيابها في غير بيت زوجها إلا هتكت الستر بينها وبين ربها" (at-Tirmidhî, 2803) ; "عن عائشة قالت: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "أيما امرأة نزعت ثيابها في غير بيت زوجها، هتكت ستر ما بينها وبين ربها" (Ahmad 24140).
-
Célébrer une fête nationale non-religieuse :
Anas (que Dieu l'agrée) relate ce qui suit : "عن أنس قال: قدم رسول الله صلى الله عليه وسلم المدينة ولهم يومان يلعبون فيهما، فقال: ما هذان اليومان؟ قالوا: كنا نلعب فيهما في الجاهلية، فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إن الله قد أبدلكم بهما خيرا منهما: يوم الأضحى، ويوم الفطر"" : "Le Prophète arriva à Médine alors qu'ils (y) avaient deux jours de festivités. Il leur demanda : "Que sont ces deux jours ? - Nous jouions lors de ces deux jours dans la Jâhiliyya." Le Messager de Dieu dit alors : "Dieu vous a donné en échange mieux que cela : le jour du sacrifice, et le jour de la fin du jeûne" (Abû Dâoûd, 4137).
Des commentateurs ont dit qu'il s'agissait des deux fêtes du Neyrôz et de Mahrajân (Mirqât ul-mafâtîh), qui sont deux fêtes d'origine persane.
--- Certains ulémas sont d'avis que c'est toute célébration régulière autre que les deux jours annuels de fête de l'islam (al-Fitr et al-Adh'hâ) qui est à proscrire pour le musulman, que cette célébration soit dînî, ou 'âdî. Car ces uélmas distinguent :
----- le simple "ihtifâl", célébration d'un événement ponctuel, comme fêter la réussite à tel examen de son fils : cela se fait une fois seulement, dans les jours qui suivent cette réussite ;
----- et le "'eîd", qui revient à chaque fois, avec une cause (sabab) (c'est la racine étymologique du terme "Eîd", qui provient de "'âda / ya'ûdû", qui signifie : "revenir") ;
--- Cheikh Khâlid Saïfullah est quant à lui d'avis que le hadîth ici cité concerne seulement les célébrations à caractère religieux (dînî) [que la participation du musulman à une célébration religieuse non-musulmane ait lieu de façon régulière, occasionnelle, ou exceptionnelle : cela est interdit].
Dès lors, si la célébration est à la fois :
----- d'ordre temporel ('âdî ou maslahî),
----- fondée sur quelque chose de réel (et non pas sur de la mythologie), qui constitue réellement une cause de joie (comme la commémoration d'une libération nationale, et non pas comme l'entrée du soleil dans telle zone du zodiaque),
----- fondée sur une cause (sabab) partagée par tous, et rationnelle (ma'qûl) (et non pas comme choisir et instituer par exemple un jour fixe pour la fête des amoureux, un autre pour la fête de la maman, etc.),
----- n'entraîne pas de mafsada shar'iyya,
alors il est possible d'y assister par maslaha, à condition qu'il n'y ait rien d'interdit à faire, alors, ni à y assister.
Quant à ce hadîth qui dit que nous n'avons que 2 Eids et interdit tout autre Eid, le manât ul-hukm y est que le Eid ait un fondement religieux ou une teinte religieuse (dînî), ou présente un manquement par rapport à un autre des points suscités.
Cheikh Khâlid a ajouté que de nombreux Ulémas en Inde commémorent la libération de l'Inde en marquant ce jour-là (le 15 août) par l'absence de cours dans leurs madrassas.
(Tout cela est la substance d'une conversation téléphonique entre l'auteur de ces lignes et Cheikh Khâlid Saïfullah de Hyderabad, Inde.)
-
Laisser un feu allumé dans sa maison la nuit :
Abdullâh ibn Omar (que Dieu l'agrée) relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit :
"لا تتركوا النار في بيوتكم حين تنامون" :
"Ne laissez pas de feu allumé dans votre maison quand vous dormez" (al-Bukhârî, 5935).
--- S'agirait-il d'appréhender de façon littérale ces hadîths, et donc en déduire (comme certains frères et soeurs l'ont cru) que, avant de dormir, il faut éteindre tout feu et ne laisser aucune flamme dans la maison ?
--- Non, il s'agit de restreindre le hukm contenu dans ces hadîths aux lampes et aux âtres à partir desquels il y a le risque que le feu se propage : c'est là le pivot (manât / 'illa) de la règle énoncée dans le hadîth.
La preuve : Jâbir relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "وأطفئوا المصابيح عند الرقاد، فإن الفويسقة ربما اجترت الفتيلة فأحرقت أهل البيت" : "... et éteignez les lampes au moment de (vous) endormir, car le petit mauvais [= le rat] tire parfois la mèche et brûle les gens de la maisonnée" (al-Bukhârî).
Abû Mûssâ relate que, depuis un foyer, le feu s'était propagé à toute la maison dans une habitation de Médine, et ses habitants avaient tous péri ainsi : "عن أبي موسى رضي الله عنه، قال: احترق بيت بالمدينة على أهله من الليل، فحدث بشأنهم النبي صلى الله عليه وسلم، قال: إن هذه النار إنما هي عدو لكم، فإذا نمتم فأطفئوها عنكم" (al-Bukhârî, Muslim).
Ibn Daqîq il-'Îd a explicitement dit ce que nous venons d'exposer :
"إذا كانت العلة في إطفاء السراج الحذر من جر الفويسقة الفتيلة، فمقتضاه أن السراج إذا كان على هيئة لا تصل إليها الفأرة، لا يمنع إيقاده؛ كما لو كان على منارة من نحاس أملس لا يمكن الفأرة الصعود إليه، أو يكون مكانه بعيدا عن موضع يمكنها أن تثب منه إلى السراج.
وأما ورود الأمر باطفاء النار مطلقا كما في حديثي ابن عمر وأبي موسى وهو أعم من نار السراج فقد يتطرق منه مفسدة أخرى غير جر الفتيلة كسقوط شيء من السراج على بعض متاع البيت وكسقوط المنارة فينثر السراج إلى شيء من المتاع فيحرقه؛ فيحتاج إلى الاستيثاق من ذلك؛ فإذا استوثق بحيث يؤمن معه الإحراق، فيزول الحكم بزوال علته" (FB 11/103-104).
-
Planter une tige verte sur une tombe :
Passant près des tombes de deux défunts dont il a su qu'ils subissaient le châtiment dans leur tombe, l'un pour avoir colporté les propos des uns et des autres pour provoquer des querelles (namîma), l'autre pour ne s'être pas préservé des éclaboussures lorsqu'il urinait, le Prophète (sur lui soit la paix) a planté, sur chacune de ces deux tombes, une tige de dattier. Et il a précisé : "Peut-être que cela sera allégé d'eux tant que ces deux (tiges vertes) ne sècheront pas" : "عن ابن عباس، قال: خرج النبي صلى الله عليه وسلم من بعض حيطان المدينة، فسمع صوت إنسانين يعذبان في قبورهما، فقال: "يعذبان، وما يعذبان في كبير، وإنه لكبير، كان أحدهما لا يستتر من البول، وكان الآخر يمشي بالنميمة." ثم دعا بجريدة فكسرها بكسرتين أو ثنتين، فجعل كسرة في قبر هذا، وكسرة في قبر هذا، فقال: لعله يخفف عنهما ما لم ييبسا" (al-Bukhârî, version 5708, Muslim, 292). Ces deux personnes étaient mortes avec asl ul-îmân (Fat'h ul-bârî 1/418) (un autre récit, relaté par Jâbir, concerne deux personnes mortes dans le kufr).
--- Cela est-il général, de sorte qu'il soit bien, ou au moins mashrû', de planter une tige verte sur la tombe de n'importe quel défunt musulman, afin d'éviter qu'il subisse le châtiment de la tombe au moins le temps que la tige reste verte ?
Burayda al-Aslamî, un Compagnon du Prophète, a laissé comme recommandation qu'on (plante) deux tiges de dattier sur sa tombe (Sahîh il-Bukhârî ta'lîqan, Kitâb ul-janâ'ïz, bâb 81, avec Fat'h ul-bârî 3/283). Cela semble être l'avis de Ibn Hajar (Fat'h ul-bârî 1/418).
--- Ou bien cela est-il seulement lié au fait que le Prophète a su que son intercession d'allègement du châtiment en leur faveur a été acceptée par Dieu, en la faveur de ces deux personnes, le temps qu'une tige verte prend pour devenir sèche ?
C'est l'avis de al-Khattâbî et d'autres (Fat'h ul-bârî 1/417-418). Etaye cela le fait que le Prophète n'a fait cette action qu'en une ou deux occasions, et non pas à chaque enterrement auquel il a assisté, ni même à chaque fois qu'il est passé près d'une tombe déjà faite.
-
Ne pas jouer au khadhf :
Le Prophète a interdit de pratiquer le khadhf : il s'agit d'un jeu qui consistait à lancer un caillou après l'avoir posé sur le doigt. Il a mentionné le principe qui sous-tend cette interdiction en soulignant que cela ne servait pas à s'entraîner contre un ennemi ni à capturer un animal de chasse, et pouvait (au contraire) briser une dent ou crever un œil (le hadîth est bien connu).
--- Fallait-il appréhender cette règle de façon inconditionnelle ?
--- Ou bien fallait-il retenir le principe motivant ('illa) : constituer le risque de blesser quelqu'un ?
----- a) C'est ce qui a amené certains mujtahids à restreindre l'applicabilité (dawrân) de cette interdiction aux cas de figure où ce principe ('illa) est présent, c'est-à-dire aux zones d'habitations ou de passage de gens, et de dire que cette règle d'interdiction est inapplicable si on se trouve dans un lieu désert (cf. Fat'h ul-bârî 9/753). Cet avis se fonde apparemment lui aussi sur le principe ('illa) explicité par le Prophète : le motif de l'interdiction est le risque de blesser quelqu'un. Plus encore, cet avis a établi que tel lieu constitue présomption de l'absence de ce motif (mazinnatu 'adami wujûd il-'illa), et le fait de se trouver dans ce lieu devient lui-même la cause entraînant la non-applicabilité de l'interdiction.
----- b) Par ailleurs, la mention de ce principe motivant a permis d'une part l'exportation (ta'diya), par certains mujtahids, de cette règle d'interdiction à : tout jeu en qui on retrouve le principe ('illa) (lire notre article parlant des jeux et divertissements).
-
Ne pas saluer le premier un juif ou un chrétien :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit :
"عن أبي هريرة، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: لا تبدءوا اليهود ولا النصارى بالسلام، فإذا لقيتم أحدهم في طريق، فاضطروه إلى أضيقه" :
"N'adressez pas en premier le salâm aux juifs et aux chrétiens. Et lorsque vous rencontrez l'un d'eux dans un chemin, forcez-le à prendre le côté étroit" (Muslim, 2167).
Déjà il faut ici savoir que :
- la lettre de ce hadîth ne dit pas qu'il s'agirait pour le musulman, en voyant un juif ou un chrétien venir face à lui, de bifurquer vers lui pour l'obliger à changer de chemin ;
- la lettre de ce hadîth évoque seulement le cas où le musulman, et en face de lui un juif ou un chrétien, ont tous deux besoin de s'engager à pied dans un chemin qui est étroit au point de permettre le passage d'une seule personne à la fois. Dans ce cas de figure :
--- la lettre de ce hadîth ne dit pas non plus qu'il s'agirait de bousculer ce juif ou ce chrétien ;
--- elle ne dit pas non plus qu'il s'agirait pour le musulman d'obliger ce juif ou ce chrétien à descendre sur le bas-côté du chemin ;
--- la lettre de ce hadîth dit seulement au musulman de ne pas céder le passage, mais de passer le premier. "قال القرطبي في قوله: "وإذا لقيتموهم في طريق فاضطروهم إلى أضيقه": معناه: لا تتنحوا لهم عن الطريق الضيق إكراما لهم واحتراما. وعلى هذا فتكون هذه الجملة مناسبة للجملة الأولى في المعنى. وليس المعنى: إذا لقيتموهم في طريق واسع فألجئوهم إلى حرفه حتى يضيق عليهم، لأن ذلك أذى لهم، وقد نهينا عن أذاهم بغير سبب" (FB 11/49).
Ce rappel effectué :
--- S'agit-il d'appréhender ce texte de façon littérale, ce qui confère au propos (hukm) qu'il communique une applicabilité générale pour tout pays musulman (de toute façon ce genre de hukm ne concerne pas le musulman qui vit en pays non-musulman) ?
--- Ou bien s'agit-il de considérer que le propos (mahkûm bihî) énoncé dans ce texte est en fait lié à un principe motivant (manât) : l'état de guerre ? Si on retient cette autre option, le thème (mahkûm 'alayh) concerné par ce propos est le thème qui renferme ce principe motivant (manât) : les non-musulmans avec qui on est en guerre : ce hukm est à appliquer seulement à ceux qui sont en guerre contre les musulmans (et qu'un musulman viendrait à rencontrer dans le cadre de pourparlers, par exemple, ou lors d'une trêve). C'est l'avis de certains ulémas (Zâd ul-ma'âd, 2/425). Et cet avis correspond à l'un des avis relatifs au fait de leur adresser en premier le salâm : Serait-il interdit à un musulman de saluer un non-musulman ?
-
Répondre au salâm d'un juif ou d'un chrétien en lui disant seulement : "Wa 'alaykum !" :
Anas ibn Mâlik relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "إذا سلم عليكم أهل الكتاب فقولوا: وعليكم" : "Lorsque les Gens du Livre vous adressent le salâm, dites-leur : "Wa 'alaykum"" (al-Bukhârî, 5903, Muslim, 2163).
--- Certains ulémas, parmi lesquels an-Nawawî, ont appréhendé ce hadîth selon sa seule littéralité (zâhir ul-lafz) et ont dit que ce propos, ce hukm ("dire, pour seule réponse : "Wa 'alaykum"") s'applique à tous les non-musulmans qui nous adressent le salâm.
--- Cependant, d'autres ulémas, parmi lesquels Ibn ul-Qayyim, font valoir que le propos contenu dans ce hadîth est dû à sa situation d'énonciation : à Médine, certaines personnes parmi les Gens du Livre, feignant d'employer la formule "As-salâmu 'alaykum" ("Que la paix soit sur vous"), disaient en fait : "As-sâmu 'alaykum" (ce qui signifie : "Que la mort soit sur vous") (عن عائشة رضي الله عنها زوج النبي صلى الله عليه وسلم قالت: دخل رهط من اليهود على رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقالوا: السام عليكم، قالت عائشة: ففهمتها فقلت: وعليكم السام واللعنة، قالت: فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: مهلا يا عائشة، إن الله يحب الرفق في الأمر كله. فقلت: يا رسول الله، أولم تسمع ما قالوا؟ قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: قد قلت: وعليكم) (rapporté par al-Bukhârî, 5678, Muslim, etc.). C'est ce qui explique que le Prophète a enseigné de leur dire simplement "Wa 'alaykum", ce qui signifie : "Et sur vous !". Par contre, si on est certain que la personne a bien dit "As-salâmu 'alaykum", il n'y a aucun empêchement à lui répondre par la formule complète : "Wa 'alaykum us-salâm".
Ibn ul-Qayyim écrit ensuite le principe : "و الاعتبار وإن كان لعموم اللفظ، فإنما يعتبر عمومه في نظير المذكور، لا في ما يخالفه" : "Même si la considération va à la généralité de la lettre, ce qui est à considérer c'est la généralité de la lettre dans ce qui est semblable à ce qui a été évoqué, et non pas dans ce qui en est différent" (Ahkâm ahl idh-dhimma, p. 200).
-
Abattre l'animal à consommer en utilisant non pas un couteau mais un ongle tranchant :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a interdit d'abattre l'animal par le fait de trancher ses carotides en utilisant l'ongle, "parce que ce sont les couteaux des Abyssiniens" : "عن رافع بن خديج، قال: (...) "إنا نرجو - أو نخاف - العدو غدا، وليست معنا مدى، أفنذبح بالقصب؟" قال: "ما أنهر الدم، وذكر اسم الله عليه، فكلوه، ليس السن والظفر. وسأحدثكم عن ذلك: أما السن فعظم، وأما الظفر فمدى الحبشة" (al-Bukhârî, 2356, Muslim, 1968).
--- S'agit-il d'appréhender ce hadîth de façon littérale, ce qui entraîne que c'est le fait d'utiliser l'ongle qui a été interdit ? C'est l'avis des écoles shafiite et hanbalite.
--- D'après l'école hanafite il s'agit des ongles humains qui ne sont pas coupés mais se trouvent sur les doigts de la main : l'animal abattu de la sorte risque de mourir non pas d'avoir été saigné mais d'avoir été étranglé, car les doigts effectuent fatalement une pression sur sa trachée ; à cause de ce doute conséquent, l'animal ainsi abattu n'est pas licite (Al-Hidâya 2/422). Par contre, si l'ongle n'est pas sur les doigts et que c'est par son moyen qu'on tranche les carotides et la trachée de l'animal en prononçant le Nom de Dieu, alors l'animal ainsi abattu sera licite, mais il est déconseillé d'avoir recours à ce moyen, car, l'ongle étant incapable de trancher de façon vive, son utilisation fait souffrir inutilement l'animal. Mais ce n'est pas de ce cas de figure que le hadîth parlait (Ibid.).
-
S'asseoir sur une "mîthara" rouge :
"عن البراء بن عازب، قال: «نهانا النبي صلى الله عليه وسلم عن المياثر الحمر والقسي" :
Le Prophète a interdit l'utilisation des mîthara rouges (al-Bukhârî, Muslim) : il s'agit de petits coussins qu'on plaçait sur les selles de chameaux et sur lesquelles on s'asseyait.
--- S'agit-il d'appréhender ce texte de façon littérale, selon le seul énoncé, ce qui rapporte l'interdit à cette étoffe parce qu'elle est de couleur rouge ; ce qui rend interdit de s'asseoir sur toute étoffe de couleur rouge ?
--- Non, il s'agit de considérer que le propos (mahkûm bihî) énoncé dans ce texte est en fait lié à un motif (manât). Ces "coussins rouges" étaient en fait en soie, comme l'a dit Abû 'Ubayd. Dès lors, le propos (l'interdiction d'utilisation) s'applique uniquement au thème qui contient ce principe motivant (manât, 'illa) : être en soie.
----- De fait, même si le coussin de soie n'est pas de couleur rouge, il est interdit à l'homme de s'asseoir dessus.
----- Certes, certains ulémas comme at-Tabarî sont d'avis que si le coussin est rouge mais n'est pas en soie, il reste légèrement déconseillé de s'asseoir dessus, mais, justement, cela est d'un degré inférieur au statut du coussin de soie (FB 10/378-379).
-
Porter une tamîma, est-ce systématiquement du shirk ?
"عن عقبة بن عامر الجهني، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم أقبل إليه رهط، فبايع تسعة وأمسك عن واحد، فقالوا: يا رسول الله، بايعت تسعة وتركت هذا؟ قال: "إن عليه تميمة!" فأدخل يده فقطعها، فبايعه، وقال: "من علق تميمة فقد أشرك" :
Un groupe composé de 10 hommes se rendit auprès du Prophète (que Dieu le bénisse et le salue). Il accepta allégeance de la part de 9 d'entre eux, et se retint de l'un d'eux. Comme on le lui fit remarquer, il dit : "Celui-là porte une tamîma". L'homme coupa alors sa tamîma, et le Prophète reçut son allégeance. Il ajouta : "Celui qui suspend une tamîma, celui-là a fait shirk" (Ahmad).
La tamîma est un écrit que des personnes portent (au cou, ou au bras) en pensant qu'il les protège du mauvais oeil.
--- S'agit-il de considérer de façon littérale ce terme "tamîma", en déduire que "suspendre n'importe quelle tamîma constitue du shirk", et en déduire que porter sur soi un morceau de papier ne contenant qu'une prière s'adressant explicitement à Dieu, cela constitue du shirk asghar parce qu'on porte cela autour de son cou ?
--- Ou bien s'agit-il de se replacer dans la situation d'énonciation, et de comprendre que cette personne portait une tamîma comportant des paroles de shirk akbar, et c'est pour cette raison que le Prophète a dit cela ?
Ces deux avis existent chez les ulémas.
Voici ce qu'a relaté Sulaymân ibn Abdillâh ibn Muhammad ibn 'Abd il-Wahhâb :
"اعلم أن العلماء من الصحابة والتابعين فمن بعدهم اختلفوا في جواز تعليق التمائم التي من القرآن وأسماء الله وصفاته.
فقالت طائفة: يجوز ذلك، وهو قول عبد الله بن عمرو بن العاص وغيره، وهو ظاهر ما روي عن عائشة، وبه قال أبو جعفر الباقر وأحمد في رواية، وحملوا الحديث على التمائم الشركية، أما التي فيها القرآن وأسماء الله وصفاته، فكالرقية بذلك. قلت: وهو ظاهر اختيار ابن القيم.
وقالت طائفة: لا يجوز ذلك، وبه قال ابن مسعود وابن عباس، وهو ظاهر قول حذيفة وعقبة بن عامر وابن عكيم رضي الله عنهم، وبه قال جماعة من التابعين، منهم أصحاب ابن مسعود، وأحمد في رواية اختارها كثير من أصحابه، وجزم بها المتأخرون، واحتجوا بهذا الحديث وما في معناه: فإن ظاهره العموم لم يفرق بين التي في القرآن وغيرها، بخلاف الرقى فقد فرق فيها" (Tayssîr ul-'Azîz l-Hamîd, p. 137).
Ibn Taymiyya est d'avis qu'il est autorisé que le papier soit attaché au bras de la femme qui va accoucher (MF 19/64-65).
-
Jeûner pendant qu'on voyage, cela est-il systématiquement interdit ?
"عن جابر بن عبد الله رضي الله عنهم قال: كان رسول الله صلى الله عليه وسلم في سفر، فرأى زحاما ورجلا قد ظلل عليه، فقال: ما هذا؟ فقالوا: صائم. فقال: ليس من البر الصوم في السفر" :
Alors qu'il voyageait avec certains de ses Compagnons, le Prophète (sur lui soit la paix) vit un attroupement autour d'un homme qui était épuisé au point que les autres faisaient de l'ombre sur lui. S'étant enquit de ce dont il s'agissait, on lui expliqua : "(Cet homme) jeûne". Le Prophète dit alors : "Ce n'est pas un bien que de jeûner pendant le voyage" (al-Bukhârî, 1844, et Muslim, 1115).
--- Certains ulémas (les zahirites, ainsi que al-Awzâ'ï, Ahmad ibn Hanbal et Is'hâq ibn Râhawayh) ont appréhendé ce hadîth dans sa seule littéralité : "le jeûne", donc "tout jeûne" (al-lâm li-l-istighrâq), ce n'est pas un bien de l'accomplir "pendant le voyage". Ensuite : d'après les zahirites, il est obligatoire pour le voyageur de reporter à plus tard l'accomplissement des jeûnes du ramadan. Par contre, d'après al-Awzâ'ï, Ahmad et Is'hâq, il est seulement mieux, pour le voyageur, de reporter à plus tard l'accomplissement des jeûnes du ramadan.
--- Pour la majorité des ulémas, en revanche, il est mieux, pour le voyageur, d'accomplir les jeûnes du ramadan pendant son voyage même, s'il peut le faire sans trop de difficultés. Quant à ce hadîth, ils disent qu'il parle du jeûne que le voyageur accomplit alors que le voyage présente de grandes difficultés pour lui (al-lâm li-l-'ahd) : ce n'est alors pas un bien de jeûner ce jour-là, car on met alors sa vie ou sa santé en grand danger, alors même que le Coran stipule expressément la possibilité de reporter à plus tard l'accomplissement des jeûnes. C'est bien là ce que révèlent les circonstances lors desquelles le Prophète a prononcé cette phrase : un Compagnon s'était effondré de fatigue et il fallait lui faire de l'ombre. (Ibn ul-'Uthaymîn a lui aussi donné préférence à ce second avis : Shar'hu Muqaddimat it-Tafsîr, pp. 44-45.)
Voici ce que Ibn Daqîq il-'Îd a dit sur le sujet :
"وقال بن دقيق العيد: أُخِذَ مِنْ هذه القصة أنَّ كراهة الصوم في السفر مختصة بمن هو في مثل هذه الحالة، ممن يجهده الصوم ويشق عليه، أو يؤدي به إلى ترك ما هو أولى من الصوم من وجوه القرب؛ فينزل قوله "ليس من البر الصوم في السفر" على مثل هذه الحالة.
قال: والمانعون في السفر يقولون: إن اللفظ عامّ، والعبرة بعمومه لا بخصوص السبب.
قال: وينبغي أن يتنبه للفرق بين دلالة السبب والسياق والقرائن على تخصيص العامّ وعلى مراد المتكلم، وبين مجرد ورود العامّ على سبب؛ فإن بين العامّين فرقا واضحا؛ ومن أجراهما مجرى واحدا لم يصب. فإن مجرد ورود العامّ على سبب لا يقتضي التخصيص به، كنزول آية السرقة في قصة سرقة رداء صفوان؛ وأمّا السياق والقرائن الدالة على مراد المتكلم، فهي المرشدة لبيان المجملات وتعيين المحتملات، كما في حديث الباب" (FB 4/235).
-
L'interdiction de tuer la fourmi et l'abeille :
"عن ابن عباس، قال: "إن النبي صلى الله عليه وسلم نهى عن قتل أربع من الدواب: النملة، والنحلة، والهدهد، والصرد" : Le Prophète "a interdit de tuer 4 animaux : la fourmi, l'abeille, la huppe et la pie-grièche" (Abû Dâoûd, 5267, authentifié par al-Albânî).
--- S'agit-il d'appréhender ce texte de façon littérale, et donc en déduire que la fourmi et l'abeille sont deux insectes qui ne doivent jamais être tués ?
--- Ou bien s'agit-il de considérer que ce hadîth évoque seulement la fourmi courante et l'abeille courante, et que l'interdiction de la tuer est due au fait que cette fourmi et cette abeille ne sont sont dangereux pour l'homme. En effet, sur 8000 espèces de fourmis, la plupart ne sont pas dangereuses. Par contre, les fourmis tueuses (la fourmi sauteuse de Tasmanie ; la fourmi voyageuse de Tanzanie ; la fourmi légionnaire d'Amérique Latine), l'homme peut bien sûr la tuer s'il est menacé. De même, l'abeille tueuse, l'homme peut la tuer s'il est menacé. Tout cela conformément au principe motivant extrait de cet autre hadîth : "5 animaux sont mauvais, et ils peuvent être tués hors du territoire sacré (al-haram) [autour de la Mecque] et à l'intérieur de ce territoire" ; le Prophète cita ensuite 5 animaux qui vivaient en Arabie, parmi lesquels : le serpent, le rat, le chien enragé… (Muslim, 1198). Des ulémas en ont déduit la règle générale concernant la permission du tuer les animaux dangereux ou nuisibles, quels qu'ils soient, lorsqu'il y a une raison de le faire (voir Sharh Muslim par an-Nawawî).
-
S'agirait-il pour chaque père de famille de punir son fils qui néglige la prière pour peu qu'il soit âgé de 10 ans ?
Non.
Le hadîth est bien connu : "مروا أولادكم بالصلاة وهم أبناء سبع سنين؛ واضربوهم عليها وهم أبناء عشر وفرقوا بينهم في المضاجع" (Abû Dâoûd, 495).
--- Et une lecture littéraliste de ce hadîth impliquerait que tout bon père de famille doive appliquer cela tel quel : punir son fils âgé de 10 ans qui néglige la prière.
--- Pourtant le principe général concernant le amr bi-l-ma'rûf et le nah'y 'an il-munkar bi-l-yad est bien connu (et a été repris par Ibn Taymiyya aussi) : Le moyen à employer pour amener la personne à l'idéal, cela dépend de la situation, le tout étant que cela ne doit pas produire (immédiatement ou a terme) l'effet contraire de celui escompté.
C'est à la lumière de ce principe général qu'il faut lire ce hadîth : le Prophète (sur lui soit la paix) s'adressait alors à des Compagnons, toute la société étant musulmane et baignant dans l'atmosphère islamique. C'est là, cette fois, une cause (sabab).
Il ne s'agit donc pas d'appliquer le même hukm sans aucun égard pour la réalité de la situation spirituelle et éducative de la société, de la famille, etc. Car le père qui punirait son fils négligeant la prière, alors même que la situation est très différente de celle de Médine à l'époque du Prophète, ce père ne ferait que faire fuir son enfant, et lui faire encore moins aimer la prière...
Exercer son autorité, cela est nécessaire.
Mais le faire avec clairvoyance est impératif.
Lire également : "Pour résorber une innovation (ou autre munkar) qui est commise, vaut-il mieux la dénoncer, ou gagner les coeurs de ceux qui la commettent ?".
-
Le fils doit-il obéir à son père lorsque celui-ci lui demande de divorcer de son épouse ?
"عن حمزة بن عبد الله بن عمر، عن ابن عمر قال: كانت تحتي امرأة أحبها، وكان أبي يكرهها، فأمرني أبي أن أطلقها. فأبيت، فذكرت ذلك للنبي صلى الله عليه وسلم، فقال: "يا عبد الله بن عمر، طلق امرأتك" : Abdullâh ibn Omar raconte : "Je m'étais marié à une femme que j'aimais beaucoup. Omar ne l'aimait pas. Il me dit de divorcer d'elle. Je refusai. Puis j'évoquai cela devant le Prophète, que Dieu le bénisse et le salue. Il me dit : "Divorce de ta femme"" (at-Tirmidhî, 1189, Abû Dâoûd, 5138, Ibn Mâja, 2088). Dans une autre version : "أطع أباك" : "Obéis à ton père" (Ahmad, 4711).
--- Une lecture littéraliste de ce hadîth impliquerait que tout fils vertueux doive appliquer cela tel quel : dès que son père lui demande de divorcer de sa femme, parce que ce père n'aime pas celle-ci, il doit lui obéir.
--- Pourtant le principe général est qu'il n'est obligatoire au fils et à la fille d'obéir à ses parents qu'au sujet de ce en quoi il y a une maslaha reconnue pour les parents et pas de mafsada reconnue pour lui et elle (Ibn Taymiyya). Or si père ou sa mère ordonne au fils de divorcer de sa femme sans raison prise en considération, il n'est pas tenu de lui obéir mais doit garder de bonnes relations avec lui ou elle.
Quant à ce hadîth, bien que cela n'est pas dit dans sa lettre, ce qu'il y a eu c'est que cette épouse avait quelque chose qui n'allait pas.
(قال السندي: فيه أن طاعة الوالدين متقدمة على هوى النفس إذا كان أمرهما أوفق بالدين، إذ الظاهر أن عمر ما كان يكرهها ولا أمر ابنه بطلاقها إلا لما يظهر له فيها من قلة الدين).
(جاء رجل إلى أحمد رحمه الله فقال: إن أبي يأمرني أن أطلق زوجتي. قال له الإمام أحمد: لا تطلقها. قال: أليس النبي صلى الله عليه وسلم قد أمر ابن عمر أن يطلق زوجته حين أمره عمر بذلك؟ قال: وهل أبوك مثل عمر؟)
Lire à ce sujet :
- Majmû' ul-fatâwâ, 33/112 ;
- Islamqa.
-
L'exception des 'ariyya par rapport à la muzâbana :
La muzâbana est interdite : il s'agit de la vente de dattes déjà cueillies (et sèches) contre des dattes non encore cueillies (et fraîches) (al-Bukhârî, 2254, Muslim, 1540). La raison en est que cela ne permet pas de vérifier si les deux quantités sont égales, d'où un risque important de ribâ.
Cependant, le Prophète a fait exception des gens ayant des "'ariyya" : "أن رسول الله صلى الله عليه وسلم نهى عن المزابنة بيع الثمر بالتمر، إلا أصحاب العرايا، فإنه أذن لهم" (al-Bukhârî, 2254, Muslim, 1540), jusqu'à 5 wasq : "عن أبي هريرة رضي الله عنه أن النبي صلى الله عليه وسلم رخص في بيع العرايا في خمسة أوسق، أو دون خمسة أوسق" (al-Bukhârî, 2078, Muslim, 1541).
--- S'agit-il d'appréhender ce second texte de façon littérale, et donc en déduire que jusqu'à 5 wasq la muzâbana est autorisée, et c'est lorsqu'elle est faite à plus que 5 wasq qu'elle est interdite ?
--- Ou bien s'agit-il de considérer que le pivot est en fait tout autre : être non pas réellement une vente, mais un échange : X offre à Y la production de cette année de tel de ses arbres fruitiers. Cependant, par la suite, dérangé par les allées et venues de Y dans son verger, qui vient regarder régulièrement l'état des fruits de l'arbre en question, X lui propose d'échanger les fruits encore sur l'arbre (et qu'il lui avait offerts) contre la même quantité de fruits, déjà cueillis l'année précédente : cela n'est pas vraiment une vente, car X ne deviendra pleinement propriétaire de ces fruits que lorsqu'il en aura pris possession (or pour le moment ils sont encore sur l'arbre appartenant à Y). Cela constitue un échange, et un tel échange demeure autorisé jusqu'à 5 wasq. Mais pour ce qui est de la vente de dattes déjà cueillies (et sèches) contre des dattes non encore cueillies (et fraîches), elle est interdite pour toute quantité.
C'est là l'interprétation de l'école hanafite :
"قال: "وبيع المزابنة، وهو بيع الثمر على النخيل بتمر مجذوذ مثل كيله خرصا"؛ لأنه عليه الصلاة والسلام "نهى عن المزابنة والمحاقلة": فالمزابنة ما ذكرنا؛ والمحاقلة بيع الحنطة في سنبلها بحنطة مثل كيلها خرصا. ولأنه باع مكيلا بمكيل من جنسه فلا تجوز بطريق الخرص كما إذا كانا موضوعين على الأرض. وكذا العنب بالزبيب على هذا.
وقال الشافعي رحمه الله: يجوز فيما دون خمسة أوسق لأنه عليه الصلاة والسلام "نهى عن المزابنة، ورخص في العرايا"؛ وهو أن يباع بخرصها تمرا فيما دون خمسة أوسق".
قلنا: العرية: العطية لغة، وتأويله أن يبيع المعرى له ما على النخيل من المعري بتمر مجذوذ، وهو بيع مجازا لأنه لم يملكه فيكون برا مبتدأ" (Al-Hidâya 2/36).
-
Quelques exemples où il existe 2 groupes de hadîths parlant du même cas :
-
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit :
- d'une part : "Pas de (sanction pour celui qui vole) un fruit frais, ni un kathar (coeur de dattier)" (at-Tirmidhî, Abû Dâoûd, an-Nassâ'ï).
- d'autre part : "Pas de (sanction pour celui qui vole) un fruit suspendu. (Mais) lorsque le séchoir a accueilli le (fruit), là (la sanction est applicable)" (an-Nassâ'ï).
--- S'agit-il de focaliser sur le 2nd de ces 2 textes, appréhendé de façon littérale ? et alors en déduire que la sanction pour vol est (théoriquement) applicable à celui qui vole un fruit, fût-il frais, pourvu que celui-ci était dans un lieu protégé (muhraz) : c'était le cas du séchoir à l'époque. Par contre, les fruits suspendus à l'extérieur n'étaient pas dans un lieu protégé, et la sanction est donc alors inapplicable... Quant au 1erd hadîth, il veut parler du fruit frais qui n'est pas en en lieu protégé...
--- Ou bien s'agit-il de focaliser sur le 1er de ces hadîths, et considérer que dans le 2nd texte le pivot pour l'applicabilité de la sanction est en fait : être un fruit sec ? Le 1er hadîth est alors à considérer dans sa généralité : il n'y a pas de sanction pour avoir volé un fruit frais, que celui-ci se trouvait à l'extérieur ou bien dans un lieu protégé. Quant au 2nd hadîth, il signifie en fait que, placé dans le séchoir, le fruit devient sec, et c'est pourquoi le Prophète a dit ce qu'il a dit : il voulait parler non pas de "ce que le séchoir accueille", mais de "ce qui est devenu un fruit sec" : c'est là l'interprétation de l'école hanafite : "قلنا: أخرجه على وفاق العادة؛ والذي يؤويه الجرين في عادتهم هو اليابس من الثمر" (Al-Hidâya 1/519).
-
Des Hadîths du Prophète qui parlent de l'interdiction de laisser ses pantalons dépasser ses chevilles :
- Certains ne mentionnent aucune condition (qayd) à l'interdiction :
-- "Ce qui, du pagne, dépasse les chevilles sera dans le feu" (al-Bukhârî).
-- "La façon qu'a le musulman de porter son vêtement inférieur est jusqu'à mi-mollets. Il n'y a pas de mal (à ce que ce vêtement) aie une longueur comprise entre mi-mollets et chevilles. Ce qui dépasse les chevilles sera dans le feu. Et celui qui laisse traîner son vêtement inférieur par fierté, Dieu ne le regardera pas" (Abû Dâoûd, n° 4093, authentifié par al-Arna'ût).
-- à Abû Jurayy Jâbir ibn Sulaym, le Prophète avait dit : "وارفع إزارك إلى نصف الساق، فإن أبيت فإلى الكعبين، وإياك وإسبال الإزار، فإنها من المخيلة، وإن الله لا يحب المخيلة" : "Relève ton pagne jusqu'à mi-mollets. Sinon jusqu'aux chevilles. Et préserve-toi de laisser traîner, car laisser traîner relève de l'orgueil, or Dieu n'aime pas l'orgueil" (Abû Dâoûd, n° 4084).
- D'autres mentionnent, comme condition (qayd) à l'interdiction de laisser ses pantalons dépasser ses chevilles, que celui qui les porte aie de la fierté :
-- "Celui qui, par fierté, laisse traîner son vêtement [en le portant], Dieu ne le regardera pas le jour du jugement" (al-Bukhârî). D'autres Hadîths de ce genre ont été rapportés par Muslim, at-Tirmidhî, Abû Dâoûd, an-Nassaï, etc.
--- S'agit-il d'appréhender les Hadîths du premier groupe sans les rapporter à la condition spécifiée dans ceux du second groupe ? C'est ce qu'ont fait des ulémas hanbalites, beaucoup de ulémas hanafites, de même que Ibn ul-'Arabî et Ibn Hajar. Ils ont dit : le simple fait de laisser ses vêtements dépasser les chevilles est interdit, même si celui qui fait ainsi dit ne pas ressentir de fierté. C'est le fait même de porter pareils vêtements qui est une présomption (mazinna) de fierté (Fat'h ul-bârî, 10/325, 320).
--- Ou bien s'agit-il d'appréhender les Hadîths du premier groupe à la lumière de ceux du second groupe, et de dire que le principe motivant (manât) est de porter ce vêtement ainsi : par fierté ? C'est ce qu'on fait ash-Shâfi'î, an-Nawawî et certains ulémas hanafites.
Cet avis va dans le sens du fait que, chez les Arabes, certains aimaient – et aiment toujours – porter des vêtements qui traînent derrière eux.
Même pour le hadîth de Abû Dâoûd n° 4093, il y a la possibilité de dire :
- la phrase qui parle de celui qui porte par orgueil concerne une punition dans la Plaine du Jugement ;
- et la phrase qui parle de ce qui est en-dessous des chevilles concerne la punition dans le Feu de la Géhenne.
C'est sous cet aspect là (aussi) que les deux phrases, bien que présentes dans le même hadîth, peuvent différer. Mais, de nouveau, la phrase qui parle de ce qui est en-dessous des chevilles serait rapportée à la condition qui figure ailleurs : la fierté.
Et même pour le hadîth de Abû Dâoûd n° 4084, il y a la possibilité de dire : le Prophète (sur lui soit la paix) a ici exprimé ce qui était courant (kharaja makhraj al-ghâlib).
-
D'autres hadîths :
De nombreux hadîths du Prophète ont dit que la musulmane ne doit pas voyager sans être accompagnée de son mari ou d'un proche parent (mahram) : "Il n'est pas permis à une femme qui croit en Dieu et au jour dernier de voyager la distance d'un jour et d'une nuit sans qu'elle soit accompagnée d'un mahram" ; d'autres versions disent : "la distance de deux jours", ou encore : "la distance de trois nuits" (rapporté par Muslim). Un autre hadîth dit : "Une femme ne doit accomplir le pèlerinage qu'accompagnée d'un mahram" (Fath ul-bârî 4/98).
--- S'agit-il de focaliser sur ces textes, appréhendés de façon littérale, et dire que cette règle est inconditionnelle (mutlaq) : la musulmane ne doit en aucun cas effectuer seule un parcours reconnu comme "voyage".
--- Ou bien s'agit-il, comme l'ont fait certains ulémas, d'appréhender les hadîths ci-dessus à la lumière du hadîth où le Prophète (sur lui la paix), répondant un jour à quelqu'un qui se plaignait de l'insécurité des chemins en Arabie, a parlé d'une époque qui viendrait où la musulmane voyagerait sans la protection de quelqu'un de al-Hîra [alors dans l'empire perse, actuellement en Iraq] jusqu'à la Mecque [en Arabie] (rapporté par al-Bukhârî 3400, mais sans les termes "sans la protection de quelqu'un", qui figurent dans la version rapportée par Ahmad, 17796 ; cf. Fath ul-bârî 6/749).
Ces ulémas pensent que, à la lumière de ce hadîth-ci, c'est l'insécurité qui est la propriété ayant motivé ('allala) la règle présente dans les hadîths suscités ; ces derniers, bien qu'inconditionnels, sont donc à comprendre comme se rapportant à (mahmûl 'alâ) la situation prévalant alors en Arabie : l'insécurité.
Ces ulémas ont alors émis comme avis que si le pays connaît une sécurité parfaite, semblable à celle que ce second hadîth mentionne, la musulmane peut voyager seule ; et que c'est lorsque le pays n'est pas dans ce cas qu'elle doit impérativement être accompagnée de son mari ou d'un proche parent (mahram) pour voyager.
Selon ces ulémas, l'insécurité est donc le principe motivant ('illa) de l'interdiction faite à la musulmane de voyager seule. Si principe motivant est absent, cette interdiction ne s'applique plus, comme le montre le second hadîth.
Ibn Muf'lih relate cet avis de Ibn Taymiyya à propos du voyage de la femme pour le pèlerinage, ainsi que pour tout autre acte cultuel. Ibn Muf'lih cite aussi l'avis de certains ulémas shafi'ites, selon qui le voyage commercial est aussi concerné par cette règle (cf. Fatâwâ mu'âssira, al-Qaradhâwî, 1/350-353). (Voir également, pour l'argumentation, ce qu'a écrit Ibn ul-'Arabî et qui est cité dans Nazaryyat ul-maqâssid, pp. 292-293.)
-
Certains hadîths du Prophète se lisent ainsi :
"Dieu n'acceptera aucune action de la part de quelqu'un qui s'est converti du polythéisme à l'islam tant qu'il ne quitte pas les Polythéistes" (an-Nassâ'ï, 2528).
"Je désavoue tout musulman qui réside parmi les Polythéistes" (at-Tirmidhî, 1604, Abû Dâoûd, 2645) ; etc.
--- S'agit-il de focaliser sur ces textes appréhendés de façon littérale, et en déduire que le musulman ne doit vivre (sauf cas d'empêchement majeur) qu'en pays musulman (et qu'il doit émigrer de tout pays polythéiste, et même, par analogie, qiyâs ul-mussâwât, de tout pays non-musulman tout court) ?
--- Ou bien s'agit-il d'appréhender les hadîths ci-dessus à la lumière du hadîth qui se lit ainsi : Abû Mûssâ al-Ach'arî raconte : "Nous avions appris la nouvelle de la sortie du Prophète quand nous habitions le Yémen. Nous émigrâmes et partîmes alors, deux de mes frères et moi, dans un groupe de cinquante-deux personnes des miens. Nous partîmes sur un bateau. Notre bateau nous déposa auprès du Négus en Abyssinie. Nous rencontrâmes là-bas Ja'far ibn Abî Talib et ses compagnons. Ja'far nous dit : "Le Prophète nous a envoyés ici et nous a dit d'y demeurer. Restez-donc avec nous." Nous restâmes donc avec lui jusqu'au moment où nous partîmes tous ensemble. Nous rencontrâmes le Prophète quand il vainquit Khaybar..." (al-Bukhârî, 2967). Le départ de Ja'far pour Médine survint quand le Prophète envoya 'Amr ibn Umayya auprès du Négus pour lui demander de lui renvoyer ses Compagnons (Fat'h ul-bârî 7/607).
A la lumière de ce hadîth-ci, la propriété motivant ('allala) la règle d'interdiction d'habiter en pays non-musulman (qu'expriment les 2 hadîths suscités), c'est la persécution du musulman, ou le fait de lui interdire de pratiquer une action qui est obligatoire en islam, ou encore le fait de le contraindre à faire une action qui est interdite en islam.
Ces 2 hadîths, bien qu'inconditionnels, sont donc à comprendre comme concernant (mahmûl 'alâ) les terres non-musulmanes où le musulman est persécuté ou bien où il ne peut pas pratiquer (cf. Fat'h ul-bârî 6/48 ; 7/285). Lire notre article sur le sujet.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).