Question :
Chaque année pendant le ramadan j'entends des frères dire que s'acquitter de la zakât ul-fitr en monnaie, selon l'avis de Abû Hanîfa, cela n'est pas valable, car contraire à la Sunna du Prophète (sallallâhu 'alayhi wa sallama) ?
Chaque année il y a ce débat chez nous.
L'avis de Abû Hanîfa qui autorise de s'acquitter de la zakât ul-fitr en monnaie, ces frères disent que c'est un avis isolé (shâdhdh).
Et, de toute façon, poursuivent-ils, la parole d'un mujtahid ne peut pas prévaloir sur la parole du Prophète, vu qu'il n'est qu'un mujtahid, alors que le Prophète est shâri'. Or, ce que le Prophète a dit dans sa Sunna, c'est de donner la zakât ul-fitr et de donner pour cela une mesure de tel ou tel aliments. Il n'a pas dit de donner de la monnaie. Donc, si le Prophète a pris la peine de mentionner dans la Sunna ces aliments, alors même que la monnaie aussi existait à Médine, c'est qu'il se trouve, dans le fait de donner ces aliments, une raison qui n'existe pas dans la monnaie. Comment donner alors préférence à la parole d'un savant sur celle du Prophète ?, disent-ils.
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Réponse :
Tout d'abord cet avis n'est pas seulement, parmi les Pieux Prédécesseurs (as-Salaf us-Sâlih), celui de Abû Hanîfa.
Sufyan ath-Thawrî a lui aussi affirmé la même chose.
De même que Omar ibn 'Abd il-Azîz.
Cela est également relaté de al-Hassan al-Basrî.
Cela est établi, et normalement connu et reconnu.
Cette question du moyen par lequel on s'acquitte de zakât ul-fitr n'est donc pas du même niveau que la question de savoir si on peut recourir au moyen des calculs astronomiques pour établir le début des mois lunaires : là, l'avis autorisant cela est réellement isolé, et encore, cela parmi les ulémas venus ensuite, car parmi les Pieux Prédécesseurs personne ne l'avait émis.
Pour en revenir à la question qui nous occupe ici, à savoir le moyen par lequel on s'acquitte de zakât ul-fitr, le résumé de ce que je peux dire à son sujet est ce qui suit :
- En soi, l'avis qui dit qu'il est nécessaire que ce soit par le moyen de la denrée qui constitue l'aliment de base du pays où l'on vit (même si cette denrée n'a pas été évoquée dans la Sunna) que l'on s'acquitte de la zakât ul-fitr, cet avis paraît être plus proche de ce qui figure dans les textes de la Sunna, vu que, effectivement, ce sont des denrées alimentaires que celle-ci a évoquée.
Voisin de cela est ce que disent certains ulémas hanafites, qui affirment qu'il est autorisé que ce soit en nature ou par le moyen de la monnaie, mais mieux que ce soit en nature (en l'occurrence du blé) que l'on s'acquitte de la zakât ul-fitr, car cela correspond (de façon plus proche) à ce qui figure dans la Sunna : "قوله على المذهب المُفتَى به) مقابله ما في المضمرات، من أن دفع الحنطة أفضل في الأحوال كلها سواء كانت أيام شدة أم لا، لأنّ في هذا موافقة السنة؛ وعليه الفتوى منح؛ فقد اختلف الإفتاء ط" (Radd ul-muhtâr, 3/322).
- Cependant, par rapport à une maslaha râjiha engendrée par un contexte particulier, il devient mieux d'avoir recours à l'avis disant qu'il est mieux que ce soit par le moyen de la monnaie que l'on s'acquitte de la zakât ul-fitr. Le fait est que le contexte particulier, très urbanisé, des villes d'aujourd'hui engendre des difficultés évidentes, mafsada, pour le bénéficiaire (comme pour le collecteur) quand ils reçoivent la zakât ul-fitr sous forme de nourriture.
Proche de cela est l'avis d'autres ulémas hanafites qui disent qu'il est mieux de donner en numéraire qu'en nourriture (sauf en période de disette, où le mieux est de donner alors en nature) : "(ودفع القيمة) أي الدراهم (أفضل من دفع العين على المذهب) المفتى به جوهرة وبحر عن الظهيرية؛ وهذا في السعة؛ أما في الشدة فدفع العين أفضل كما لا يخفي" (Ad-Durr ul-mukhtâr, 3/321-322), ce sur quoi ash-Shâmî écrit : "لأن العلة في أفضلية القيمة كونها أعون على دفع حاجة الفقير" (Radd ul-muhtâr, 3/322).
Voici maintenant le détail de ce résumé...
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I) Ce que les frères dont vous parlez disent, c'est en fait ce que Ahmad ibn Hanbal a dit (avec, pour sa part, davantage de précaution dans la formulation) :
"قال أبو داود: قيل لأحمد وأنا أسمع: "أَعطَي دراهم - يعني في صدقة الفطر؟" قال: "أخاف أن لا يجزئه؛ خلاف سنة رسول الله صلى الله عليه وسلم!" : Abû Dâoûd relate que, en sa présence, quelqu'un demanda à Ahmad ibn Hanbal : "(Quelqu'un) a donné des pièces de monnaie (il voulait dire : "en sadaqat ul-fitr") ?" Ahmad répondit : "Je crains que cela ne l'en acquitte pas. (Car) cela est contraire à la Sunna du Messager de Dieu, que Dieu prie sur lui et le salue !" (cité dans Al-Mughnî, 4/53-54).
Il y a aussi cet autre propos de lui :
"وقال أبو طالب: قال لي أحمد: "لا يعطي قيمته!" قيل له: "قوم يقولون: عمر بن عبد العزيز كان يأخذ بالقيمة" قال: "يَدَعُون قولَ رسول الله صلى الله عليه وسلم ويقولون قال فلان! قال ابن عمر: فرض رسول الله صلى الله عليه وسلم؛ وقال الله تعالى: أطيعوا الله وأطيعوا الرسول؛ وقال قوم يَرُدُّوْن السنن: قال فلان، قال فلان" (Ibid.).
Il y a, pareillement, au sujet du paiement de la kaffâra pour avoir rompu un serment ou pour autre raison, divergence quant à savoir s'il faut nécessairement fournir aux pauvres de la nourriture (comme cela figure dans le texte du Coran), ou s'il est également possible de leur donner la valeur de repas :
- Mâlik, Ahmad ibn Hanbal et ash-Shâfi'î sont du premier avis ;
- Abû Hanîfa et al-Awzâ'ï sont du second (Al-Mughnî 13/340-341).
Il faut par ailleurs savoir qu'il est relaté de Ahmad ibn Hanbal, par rapport à ce point, une différence entre zakât ul-mâl et zakât ul-fitr. En effet, certes, l'avis le plus connu chez lui est qu'il n'est pas possible de s'acquitter de n'importe quelle zakât par le biais de la monnaie : il faut s'en acquitter par le biais de ce qui figure dans les textes de la Sunna. Cependant, un autre avis relaté de lui est que la zakât ul-mâl (mais pas la zakât ul-fitr), il est possible de s'en acquitter par le biais non pas du bien mentionné dans la Sunna (tel animal, telle quantité de grain) mais de sa valeur, en autre chose (Al-Mughnî 3/54 : "وقد روي عن أحمد مثل قولهم فيما عدا الفطرة. وقال أبو داود: سئل أحمد، عن رجل باع ثمرة نخله. قال: عشره على الذي باعه. قيل له: فيخرج ثمرا، أو ثمنه؟ قال: إن شاء أخرج ثمرا، وإن شاء أخرج من الثمن. وهذا دليل على جواز إخراج القيم. ووجهه قول معاذ لأهل اليمن: ائتوني بخميص أو لبيس آخذه منكم، فإنه أيسر عليكم، وأنفع للمهاجرين بالمدينة. وقال سعيد: حدثنا سفيان عن عمرو، وعن طاوس، قال لما قدم معاذ اليمن، قال: ائتوني بعرض ثياب آخذه منكم مكان الذرة والشعير، فإنه أهون عليكم وخير للمهاجرين، بالمدينة. قال: وحدثنا جرير، عن ليث، عن عطاء، قال كان عمر بن الخطاب يأخذ العروض في الصدقة من الدراهم"). (Al-Bukhârî aussi est de cet avis à propos de zakât ul-mâl : il est possible d'en prendre la valeur en une autre marchandise : cela est dû au fait que cela est relaté de certains Compagnons et de certains Tâbi'ûn. Ibn Hajar écrit : "قوله باب العرض في الزكاة: أي جواز أخذ العرض وهو بفتح المهملة وسكون الراء بعدها معجمة؛ والمراد به ما عدا النقدين. قال ابن رشيد: وافق البخاري في هذه المسألة الحنفية مع كثرة مخالفته لهم، لكن قاده إلى ذلك: الدليل" : Fat'h ul-bârî 3/393.)
Pourquoi donc cet autre avis de Ahmad dit-il que zakât ul-mâl, il est autorisé de s'en acquitter par une chose de même valeur mais différente de ce qui a été mentionné dans les textes, mais pas zakât ul-fitr ?
Parce qu'il pense d'une part que tout ce qui est valable pour la zakât ul-mâl n'est pas forcément valable pour la kaffâra (on peut, d'après cet autre avis, s'acquitter de la zakât ul-mâl par autre chose que ce qui est stipulé dans les textes, pourvu que ce soit de même valeur, mais la kaffâra, il faut absolument que ce soit une nourriture) et vice-versa (on peut donner du pain en kaffâra, car il s'agit de nourrir, mais pas en zakât ul-mâl d'après le premier avis) ("ويفارق [الكفارةُ] الزكاةَ من وجهين؛ أحدهما أن الواجب عليه [في الزكاة] عشر الحب وعشر الحب حب، فاعتبر الواجب؛ وها هنا الواجب الإطعام، والخبز أقرب إليه. والثاني أن دفع الزكاة يراد للاقتيات في جميع العام، فيحتاج إلى ادخاره، فاعتبر أن يكون على صفة تمكن من ادخاره عاما؛ والكفارة تراد لدفع حاجة يومه، ولهذا تقدرت بما الغالب أنه يكفيه ليومه، والخبز أقرب إلى ذلك؛ لأنه قد كفاه مؤنة طحنه وخبزه" : Al-Mughnî 13/338). Et d'autre part que la zakât ul-fitr a plus de points communs avec la kaffâra qu'avec la zakât ul-mâl.
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II) Voici ce que l'on trouve dans les textes de la Sunna au sujet de ce qu'il faut donner en sadaqat ul-fitr :
"عن ابن عمر رضي الله عنهما، قال: "فرض رسول الله صلى الله عليه وسلم زكاة الفطر صاعا من تمر أو صاعا من شعير: على العبد والحر، والذكر والأنثى، والصغير والكبير من المسلمين؛ وأمر بها أن تؤدى قبل خروج الناس إلى الصلاة" : Abdullâh ibn Omar dit : "Le Messager de Dieu, que Dieu prie sur lui et le salue, a déclaré obligatoire / a fixé la zakât ul-fitr : une mesure (sâ') de dattes sèches ou une mesure d'orge : (cela est obligatoire / fixé) sur l'esclave et l'homme libre, l'homme et la femme, l'enfant et l'adulte, parmi les musulmans. Et il a ordonné qu'elle soit donnée avant que les gens partent pour la prière (de la fête)" (al-Bukhârî 1432, Muslim 984).
"عن أبي سعيد الخدري رضي الله عنه قال: "كنا نخرج في عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم يوم الفطر صاعا من طعام." وقال أبو سعيد: "وكان طعامنا الشعير والزبيب والأقط والتمر" :
Abû Sa'îd dit : "A l'époque du Messager de Dieu (que Dieu prie sur lui et le salue), nous emportions, le jour de la fête, une mesure (sâ') de nourriture." Abû Sa'îd ajouta : "Notre nourriture était (alors) :
- l'orge,
- les raisins secs,
- le 'aqit [= sorte de lait séché ou caillé]
- et les dattes sèches" (al-Bukhârî 1439, Muslim 985, les mots ici reproduits sont ceux de la version ayant été rapportée par al-Bukhârî sous ce numéro).
Abû Sa'îd voulait dire que, à l'époque du Prophète, les Compagnons de celui-ci donnaient en aumône de la fête, sadaqat ul-fitr, une mesure de l'un de ces aliments (comme cela est dit explicitement dans les autres versions de son propos rapportées par al-Bukhârî et par Muslim).
Est-ce que le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) avait également évoqué le blé parmi les denrées alimentaires à donner en zakât ul-fitr ?
Ce point fait l'objet d'avis divergents :
- certains ulémas (parmi lesquels al-Khattâbî) pensent que oui,
- d'autres (parmi lesquels Ibn ul-Mundhir) disent que non.
Ce second avis se fonde entre autres sur le fait que Abû Sa'îd a dit : "عن أبي سعيد الخدري رضي الله عنه، قال: كنا نعطيها في زمان النبي صلى الله عليه وسلم صاعا من طعام، أو صاعا من تمر، أو صاعا من شعير، أو صاعا من زبيب. فلما جاء معاوية وجاءت السمراء، قال: أرى مدا من هذا يعدل مدين" (al-Bukhârî 1437),
et que Abdullâh ibn Omar a dit : "عن ابن عمر قال: لم تكن الصدقة على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم إلا التمر والزبيب والشعير؛ ولم تكن الحنطة" (Ibn Khuzayma : Fat'h ul-bârî, 3/470-471).
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III) La question qui se pose maintenant est donc : Doit-on forcément, pour s'acquitter de la zakât ul-fitr, donner une des choses que la Sunna a mentionné ? Ou bien peut-on également donner ce que des ulémas ont présenté comme étant "équivalent" à ce que la Sunna a mentionné ? faire ainsi est-il "contraire à la Sunna", vu qu'"il n'y a pas de "petite" et de "grande" sunnas", et qu'"il ne faut pas faire marcher sa raison face à la Sunna pour en proposer des équivalents" ?
– 1) L'avis retenu de l'école hanbalite (zâhir ul-madh'hab) est qu'on ne se sera acquitté de la zakât ul-fitr que si on donne l'une des 5 choses que l'on trouve dûment mentionnées dans les textes de la Sunna:
---- les dattes sèches,
---- l'orge,
---- le aqit,
---- les raisins secs,
---- le blé.
Et cela, que l'un de ces 5 aliments constitue l'aliment de base dominant du lieu où l'on se trouve, ou que l'aliment de base soit autre (Al-Mughnî 4/48).
C'est seulement si, dans le lieu où l'on se trouve, aucune de ces 5 choses n'est présente qu'on pourra donner autre chose, parmi tout aliment, ou, d'après un autre avis, parmi les grains ou les fruits constituant des aliments (Ibid. 4/42).
– 2) L'école malikite dit qu'on peut s'acquitter de la zakât ul-fitr en donnant l'une des denrées alimentaires ayant été mentionnées par le Prophète, mais aussi d'autres denrées alimentaires leur étant équivalentes. Il faut qu'il s'agisse d'une denrée alimentaire (طعام). L'école malikite mentionne ainsi 9 denrées parmi lesquelles choisir. Elle rajoute simplement une clause supplémentaire : il s'agit de donner celui de ces 9 aliments qui constitue l'aliment de base dominant (ghâlibu qût il-balad) du lieu où l'on se trouve :
---- le blé,
---- l'orge (sha'îr),
---- le sult (une variété d'orge),
---- le sorgho (dhura),
---- le millet (dukhn),
---- le riz,
---- les dattes sèches,
---- les raisins secs,
---- le aqit.
Au cas où aucun de ces 9 aliments n'est consommé dans le lieu où l'on se trouve, que faire ? On donnera de l'aliment qui y est consommé, fût-il autre que ces 9 (Al-Fiqh ul-mâlikî wa adillatuh, 2/60).
Le pivot (manât) du caractère légal d'être donné en zakât ul-fitr est donc, au sein de cette école : consister en un aliment qui est consommé dans le lieu où l'on se trouve.
– 3) L'école hanafite ainsi que Sufyan ath-Thawrî, Omar ibn 'Abd il-Azîz et Hassan al-Basrî sont allés plus loin et ont dit que ce moyen peut être aussi bien les aliments ayant été mentionnés par le Prophète que leur valeur en monnaie. Ensuite au sein de l'école hanafite il y a divergence quant à savoir s'il n'est malgré tout pas mieux de s'en acquitter par le biais d'une denrée alimentaire, nous l'avons vu plus haut (cf. Radd ul-muhtâr 3/322).
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IV) En fait cette question revient à celle de savoir si, quand le Prophète (sur lui soit la paix) a, pour la réalisation d'un objectif donné, mentionné un moyen précis, il est possible, ou pas, d'avoir recours à un autre moyen lui paraissant équivalent, pour réaliser le même objectif ?
Cette question se pose pour bien d'autres choses encore que le seul moyen par lequel on s'acquitte de la zakât ul-fitr.
Elle se pose par exemple par rapport au moyen de comptabiliser les formules d'évocation que l'on récite : le Prophète (sur lui soit la paix) a dit d'opérer cette comptabilisation par le moyen des doigts ; serait-il dès lors impossible d'avoir recours à un chapelet, sub'ha, pour le faire, bien que celui-ci permette globalement de réaliser le même objectif que les doigts ?
Cette question se pose encore pour par exemple au bâtonnet, siwâk, moyen que le Prophète (sur lui soit la paix) utilisait et a dit d'utiliser pour se brosser les dents : serait-il impossible d'avoir recours à la brosse à dents, vu que celle-ci permet globalement de réaliser le même objectif que le bâtonnet "siwâk" ?
Ibn Taymiyya écrit : "وأيضا فالاقتداء به يكون تارة في نوع الفعل، وتارة في جنسه؛ فإنه قد يفعل الفعل لمعنى يعمُّ ذلك النوع وغيره، لا لمعنى يخصُّه؛ فيكون المشروع هو الأمر العام" :
"De plus : Suivre le modèle du (Prophète, sur lui soit la paix) :
- cela se fait parfois par la (pratique de quelque chose relevant de l') espèce [= la catégorie immédiate de laquelle relève] ce que le Prophète a fait ;
- et cela se fait parfois par la (pratique d'un acte appartenant au) genre [= l'ensemble plus général duquel relève] ce que le Prophète a fait. Car parfois, le (Prophète, sur lui soit la paix) a fait ce qu'il a fait à cause d'un principe qui englobe cette catégorie immédiate et telle autre, et non pas à cause d'un principe qui lui est spécifique. Ce qui est alors institué (mashrû') est le principe général" (Majmû' ul-fatâwâ, tome 22 p. 324).
Un peu plus loin Ibn Taymiyya écrit : "وهذا النوع ليس مخصوصا بفعله وفعل أصحابه، بل وبكثير مما أمرهم به ونهاهم عنه. وهذا سمته طائفة من الناس: "تنقيح المناط"؛ وهو أن يكون الحكم قد ثبت في عين معينة وليس مخصوصا بها بل الحكم ثابت فيها وفي غيرها فيحتاج أن يعرف "مناط الحكم" : "Ce type (de pratique par le recours à un moyen relevant de la même catégorie que ce que le Prophète a dûment mentionné), cela n'est pas spécifique à ce que le Prophète a fait, ou ce que ses Compagnons ont fait. Cela concerne aussi beaucoup de ce qu'il a ordonné de faire ou interdit de faire. Cela, un groupe de (juristes) l'ont nommé : "tanqîh ul-manât" : c'est que le hukm est établi par rapport à quelque chose de précis, (mais) ce hukm n'est pas spécifique à cette chose, elle est établie pour cette chose ainsi que pour d'autres choses qu'elles ; il faut alors distinguer le manât (pivot) du hukm" (MF 22/326).
Ibn Taymiyya veut dire ici que, par rapport à l'action que le Prophète (sur lui soit la paix) a faite ta'abbudan ou a dit de faire ta'abbudan, et par rapport à laquelle il faut suivre son modèle ("التأسِّي به" / "الاقتداء به") :
- la règle première et normale est de faire ce qu'il a fait ou dit de faire en ayant recours à la chose individuelle, c'est-à-dire au moyen exact, qu'il a faite ou mentionnée. Et cela constitue : "الاقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم في عين ما فعله أو ذكره", "suivre le modèle du Prophète en faisant la chose exacte qu'il a faite ou dit de faire" ;
- assez souvent, il peut aussi s'agir de suivre le modèle du Prophète (sur lui soit la paix) par le recours à non pas forcément l'exacte action qu'il a faite, mais par le recours à l'une des choses qui relèvent de l'espèce, c'est-à-dire du même ensemble, de la même catégorie immédiate, à laquelle appartient le moyen qu'il a fait ou mentionné. Cette fois il s'agit de "الاقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم في نوع ما فعله أو ذكره" : "suivre le modèle du Prophète en faisant ce qui relève de l'espèce de (c'est-à-dire de la catégorie supérieure à laquelle appartient) ce qu'il a fait ou dit de faire" ;
- plus rarement, et ce à cause d'une raison particulière liée au contexte dans lequel on vit, il se peut que suivre le modèle du Prophète (sur lui soit la paix), cela se fasse par le recours à une chose qui relève du genre, c'est-à-dire de la catégorie plus générale, laquelle est située au-dessus de la catégorie immédiate à laquelle appartient ce qu'il a fait ou mentionné (cette catégorie générale regroupant cette catégorie immédiate ainsi que d'autres catégories du même niveau). Il s'agit alors de "الاقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم في جنس ما فعله أو ذكره" : "suivre le modèle du Prophète en faisant ce qui relève du genre de (c'est-à-dire de la catégorie supérieure à laquelle appartient) ce qu'il a fait ou dit de faire".
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V) Un exemple avec l'impératif, présent dans la Sunna, demandant de se huiler la chevelure avec l'huile d'olive :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "عن عمر بن الخطاب قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: كلوا الزيت وادَّهِنوا به، فإنه من شجرة مباركة" : "Mangez de l'huile (d'olive) et enduisez-vous en, car elle provient d'un arbre béni (= l'olivier)" (at-Tirmidhî, 1851) : il s'agit de s'en enduire la chevelure (Faydh ul-qadîr), mais aussi le corps (Mirqât ul-mafâtîh).
Dès lors :
- Faire ce que le Prophète a dit de faire, en ayant recours au moyen même qu'il a indiqué, cela revient à se huiler la chevelure par le moyen de l'huile d'olive elle-même. Il s'agit alors de "الاقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم في عين ما فعله أو ذكره".
- En Inde, on voit de nombreux ulémas faire ce que le Prophète a dit de faire en employant un moyen différent de celui que le Prophète a indiqué, mais qui appartient à la même espèce (même ensemble immédiat) que le moyen que le Prophète a, lui, utilisé ; et cet ensemble immédiat est : "l'huile" : ils s'enduisent les cheveux d'huile de noix de coco (celle-ci étant davantage disponible en Inde). Il s'agit là de "الاقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم في نوع ما فعله أو ذكره".
- Enfin, si on vit dans un pays humide et que c'est l'hiver, s'enduire les cheveux d'huile fait du tort à la santé ; là, suivre ce que le Prophète a dit se fera par considération pour l'objectif général pour lequel le Prophète avait dit de se huiler la chevelure : il s'agit d'ordonnancer celle-ci, de l'entretenir, d'être dans le bien-être que cela procure, etc. Atteindre cet objectif se fera alors par le recours à d'autres moyens licites que le fait de se huiler la chevelure. Il s'agit cette fois de "الاقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم في جنس ما فعله أو ذكره". C'est ce que Ibn Taymiyya a ainsi expliqué : "وكذلك ادهانه صلى الله عليه وسلم: هل المقصود خصوص الدهن أو المقصود ترجيل الشعر؟ فإن كان البلد رطبا، وأهله يغتسلون بالماء الحار الذي يُغْنِيْهم عن الدهن، والدهن يؤذي شعورهم وجلودهم، يكون المشروع في حقهم ترجيل الشعر بما هو أصلح لهم. ومعلوم أن الثاني هو الأشبه" : "De même, le fait que (le Prophète, que Dieu le bénisse et le salue) se huilait (la chevelure) : l'objectif est-il le fait même de se huiler la chevelure, ou bien est-il de bien ordonner ses cheveux ? Lorsque (des musulmans vivent dans) un pays humide, dont les habitants se baignent à l'eau chaude, qu'ils n'ont alors plus besoin de se huiler la chevelure [pour garder celle-ci en bon état] et qu'au contraire, l'huile fait du tort à leur chevelure et à leur épiderme, ce qui sera institué les concernant sera le fait de bien ordonner leurs cheveux par le moyen qui sera le plus convenable pour eux. Il est connu que ce second avis est le plus pertinent" (MF 22/325-326). Ici on voit qu'il s'est agi non pas seulement de pouvoir avoir recours à un moyen autre que celui que le Prophète a fait ou mentionné et relevant de la catégorie supérieure, mais, de surcroît, de devoir ne pas avoir recours au moyen dûment fait ou mentionné par le Prophète, parce que ce moyen, aussi excellent soit-il de façon générale, entraîne, à cause d'une réalité extérieure certaine (li 'âridh), une mafsada plus grande.
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Est comparable à ce point la question qui nous occupe ici : Est-il possible d'avoir recours à un autre moyen que celui des denrées alimentaires ayant été mentionnées dans les texte de la Sunna, pour réaliser l'objectif de donner aux pauvres quelque chose de supplémentaire à manger (طُعْمَةً للمساكين) le jour de la Fête qui marque la Fin du ramadan ?
Comme nous l'avons vu plus haut :
- Selon l'avis retenu chez ceux qui suivent Ahmad ibn Hanbal, la réponse à cette question est : "Non, il faut nécessairement que la zakât ul-fitr soit donnée par le moyen des 5 denrées alimentaires que le Prophète, sur lui soit la paix, a indiquées (sauf si aucune de ces 5 denrées n'est disponible là où l'on vit)".
Il s'agit là de "الاقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم في عين ما فعله أو ذكره".
- Mâlik dit : "Oui, mais il faut que ce soit malgré tout une denrée alimentaire, et il faut qu'elle soit consommée dans le lieu où l'on se trouve".
Il s'agit là de "الاقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم في نوع ما فعله أو ذكره".
- Abû Hanîfa, Sufyân ath-Thawrî, Omar ibn 'Abd il-'Azîz et Hassan al-Basrî disent : "Oui, il est possible de donner au pauvre de la monnaie, et avec celle-ci il s'achètera les aliments qu'il voudra".
Il s'agit cette fois de "الاقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم في جنس ما فعله أو ذكره".
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VI) L'avis de Abû Hanîfa, de Sufyân ath-Thawrî et de Omar ibn 'Abd il-'Azîz sur ce sujet est-il "complètement erroné" ?
Le principe est bien connu : la parole d'un homme, aussi pieux et érudit soit-il, ne prévaut pas sur la parole du Shâri' thânî, le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue). Cela constitue l'un des principes de Ahl us-Sunna wa-l-Jamâ'ah (à la différence des Chiites, qui considèrent ceux qu'ils nomment "les imams" comme étant infaillibles dans leurs interprétations).
Pourtant, et même si c'est bien un seul des avis en présence qui est correct (swawâb), il faut distinguer :
- les cas où la détermination de l'avis correct (ta'yîn us-swawâb) est possible de façon tranchée (qat'î) : dans ces cas, l'avis contraire est clairement erroné, car contredisant un hadîth clair et univoque sur le sujet, et si un mujtahid a émis un tel avis, c'est seulement parce qu'il ne connaissait pas l'existence d'un hadîth sur le sujet, celui-ci n'étant pas rapporté dans la région où il habitait ;
- et les cas où la détermination de l'avis correct (ta'yîn us-swawâb) n'est possible que de façon supposée (zannî) : par exemple, l'avis du mujtahid est une synthèse entre les différents hadîths existant sur le sujet ; ou bien l'avis du mujtahid est tout simplement un "développement" du hadîth existant sur le sujet, le mujtahid ayant simplement proposé que le moyen que le hadîth présente pour réaliser l'objectif, un autre moyen lui est équivalent pour réaliser le même objectif, et on peut donc y avoir recours.
Ahmad ibn Hanbal a lui aussi affirmé cela. Ibn Taymiyya écrit ainsi :
"وأحمد يُفرِّق في هذا الباب:
فإذا كان في المسألة حديث صحيح لا معارض له، كان من أخذ بحديث ضعيف أو قول بعض الصحابة مخطئا.
وإذا كان فيها حديثان صحيحان، نظر في الراجح فأخذ به، ولا يقول لمن أخذ بالآخر إنه مخطئ.
وإذا لم يكن فيها نص، اجتهد فيها برأيه قال: ولا أدري أصبت الحق أم أخطأته؟
ففرَّق بين أن يكون فيها نص يجب العمل به وبين أن لا يكون كذلك. وإذا عمل الرجل بنص وفيها نص آخر خفيّ عليه، لم يسمه مخطئا؛ لأنه فعل ما وجب عليه. لكن هذا التفصيل: في تعيين الخطأ. فإنّ مِن الناس مَن يقول: لا أقطع بخطأ منازعي في مسائل الاجتهاد؛ ومنهم من يقول: أقطع بخطئه؛ وأحمد فصَّل؛ وهو الصواب. وهو إذا قطع بخطئه بمعنى عدم العلم، لم يقطع بإثمه؛ هذا لا يكون إلا في من علم أنه لم يجتهد" (MF 20/25).
Jamais les mujtahids reconnus comme tels ne se permettaient de contredire sciemment un hadîth du Prophète (Ibn Taymiyya l'a rappelé dans son livret Raf' ul-malâm 'an il-a'ïmmat il-a'lâm).
Et, ici, ces mujtahids ont dit ce qu'ils ont dit tout en ayant eu parfaitement connaissance du hadîth de Ibn Omar et de celui de Abû Sa'îd évoquant les denrées alimentaires à donner. Ceci est la preuve qu'ils ont réfléchi et pensé que donner la valeur en monnaie, cela est équivalent au fait de donner l'une de ces denrées.
Ils n'ont pas rejeté la parole du Prophète (nass), ils ont pensé que donner la valeur de ces aliments sous forme de monnaie, cela est l'équivalent de donner ce que les textes ont mentionnés. Il s'agit de dalâlatu dalâlat in-nass, par tanqîh ul-manât.
Ceci entraîne qu'il est erroné de présenter ceux qui suivent l'avis de Abû Hanîfa en matière de moyen pour payer la zakât ul-fitr comme étant des gens qui donneraient prévalence à son avis sur la parole du Prophète !
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Certes, Ahmad ibn Hanbal n'était pas d'accord avec le résultat de cet ijtihâd ayant été fait par ces mujtahidûn. Il pensait que la monnaie n'est justement pas équivalente aux denrées alimentaires pour ce qui est de la zakât ul-fitr.
Car il est vrai que lorsqu'on cherche à établir quel autre moyen est équivalent au moyen que le Prophète a dûment mentionné, il faut qu'il en soit vraiment équivalent.
Et, justement, en soi, le second avis paraît plus pertinent que le troisième (car ce second avis demeure dans la "الاقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم في نوع ما فعله", vu qu'il dit qu'il est systématiquement nécessaire qu'il s'agisse de nourriture). Différent mais proche de cela est l'avis de ces ulémas hanafites qui disent que la fatwa est qu'il est systématiquement mieux de donner en nature (en blé précisément), justement "afin de correspondre à la Sunna" : "قوله على المذهب المفتى به) مقابله ما في المضمرات، من أن دفع الحنطة أفضل في الأحوال كلها، سواء كانت أيام شدة أم لا، لأنّ في هذا موافقة السنة؛ وعليه الفتوى منح؛ فقد اختلف الإفتاء ط" (Radd ul-muhtâr, 3/322).
Cependant, par rapport à une maslaha râjiha engendrée par le contexte dans lequel on vit, il peut devenir mieux d'avoir recours au troisième avis (car, comme pour la question de se huiler la chevelure, c'est un contexte particulier qui engendre des difficultés par rapport à la catégorie immédiate, et qui peut donc pousser au recours à "الاقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم في جنس ما فعله"). Le contexte très urbanisé dans lequel nous vivons aujourd'hui est différent de celui des villages ou des petites villes traditionnelles. Ce contexte très urbanisé fait que le recours au second avis présente des difficultés évidentes autant pour les collecteurs que pour les bénéficiaires de la zakât ul-fitr.
Et il est notoire de constater que Abû Hanîfa et Sufyân ath-Thawrî vivaient à Kufa, et que Hassan al-Basrî vivait à Bassora, toutes deux en Irak, alors région plus développée que le traditionnel Hedjaz (comme l'a relevé Ahmad Amîn in Fajr ul-islâm, p. 235, pp. 249-250, et in Dhuha-l-islâm, tome 2 pp. 152-153). Idem pour Omar ibn Abd il-'Azîz, qui vivait à Damas, la capitale des Omeyyades, en Syrie. Ne sont-ce pas ce genre de contextes particuliers qui ont amené ces savants à trouver une solution qui va jusqu'à "الاقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم في جنس ما فعله أو ذكره" ?
(Certes, Ahmad ibn Hanbal vivait à Bagdad, la capitale des Abbassides, et qui, à l'époque où il y vivait, était encore plus développée que Kufa et Bassora à l'époque où y vécurent les ulémas que nous venons d'évoquer. Cependant, il était d'une tendance beaucoup plus axée sur le zâhir ul-hadîth.)
Cela semble expliquer l'avis des autres ulémas hanafites, qui disent que la fatwa est qu'il est mieux de donner en numéraire, car cela est plus à même d'aider le pauvre : "ودفع القيمة) أي الدراهم (أفضل من دفع العين على المذهب) المفتى به جوهرة وبحر عن الظهيرية؛ وهذا في السعة؛ أما في الشدة فدفع العين أفضل كما لا يخفي" (Ad-Durr ul-mukhtâr, 3/321-322), sur quoi ash-Shâmî écrit : "لأن العلة في أفضلية القيمة كونها أعون على دفع حاجة الفقير" (Radd ul-muhtâr, 3/322). La différence entre ces deux fatwas présentes au sein de l'école hanafite quant à ce qu'il est mieux de donner, cette différence pourrait alors n'être qu'une divergence liée à deux contextes différents, et non pas liée à des argumentations différentes (اختلاف عُرْف وزمان، لا اختلاف حُجَّة وبُرهان) : la première serait liée à des villes restées rurales, la seconde à des villes plus urbanisées.
En tous cas al-Qaradhâwî cite l'exemple d'une mégalopole musulmane telle que le Caire (près de 10 000 000 d'habitants). Comment feraient ces centaines de milliers de musulmans si on leur demandait d'aller se procurer à tout prix quelques kilos d'orge, ou de blé, ou de riz, ou de dattes, ou chose comparable, pour la donner aux pauvres avant la fête de la fin du Ramadan ? Et même si tous ces musulmans pouvaient, le même jour, tous se procurer ces denrées, quel repas ces pauvres pourraient s'offrir aujourd'hui dans une telle mégalopole avec ces quelques kilos d'orge ou de raisins secs ? Le contexte des mégalopoles d'aujourd'hui n'est pas le même que celui des villes rurales, où les besoins sont simples, où ce qui est produit est consommé avec peu de transformations, où les citadins se connaissent tous les uns des autres, etc. Le contexte des mégalopoles d'aujourd'hui requiert la possibilité de donner cette aumône sous forme numéraire : ces pauvres pourront alors l'utiliser pour s'acheter de quoi améliorer leur ordinaire en ce jour de fête (voir Al-Madhkal li dirassat is-sunna an-nabawiyya, pp. 161-163). Al-Qaradhâwî écrit : "Parfois, demeurer attaché à la lettre (du texte) de la Sunna ne permet pas d'appliquer l'objectif de cette Sunna." (...) "Dans certains pays dont les ulémas interdisent de s'acquitter (de la zakât ul-fitr) en monnaie, des frères vivant là-bas m'ont relaté que celui qui va s'acquitter de la zakât ul-fitr achète (pour cela) le Sâ' de dattes ou de riz à par exemple 10 rials, avant de le remettre au pauvre. Alors ce dernier le revend (parfois) au même marchand pour 1 ou 2 rials moins cher que le prix où celui-ci le (vend). (Parfois) la même denrée est ainsi achetée et revendue plusieurs fois. La réalité est que le pauvre ne prend pas de la nourriture, il prend de la monnaie, mais en quantité inférieure à celle qu'il aurait reçue si celui qui s'acquitte de la zakât ul-fitr la lui avait donnée directement" (Ibid.).
De même, imaginez qu'il y ait suffisamment pour les pauvres de la région où l'on vit, et qu'il faille envoyer la zakât ul-fitr dans une autre région, voire un autre pays : il est clair qu'il vaut mieux, alors, avoir à traiter de la monnaie que des denrées alimentaires.
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VII) L'avis de Ibn Taymiyya sur la question est très proche de ce que venons de relater :
En soi, il faut s'en acquitter par le biais d'un aliment : de façon normale (sans besoin de considérer qu'il y a hâja ou maslaha râjiha à le faire), c'est l'aliment qui constitue l'aliment consommé dans le pays où l'on vit qui sera donné. Il l'a écrit ainsi : "إحداهما: لا يخرج إلا المنصوص. والأخرى: يخرج ما يقتاته، وإن لم يكن من هذه الأصناف؛ وهو قول أكثر العلماء كالشافعي وغيره؛ وهو أصح الأقوال" (MF 25/69). Ailleurs il a écrit que cette question du moyen par lequel on s'acquitte de la zakât ul-fitr (l'aliment mentionné dans les textes, ou bien l'aliment qui est consommé dans le pays où l'on vit, bien que cela ne figure pas dans les textes), cette question relève de la même que celle de l'utilisation d'huile pour ordonnancer sa chevelure. Il écrit :
"وعلى هذا يبنى نزاع العلماء في صدقة الفطر إذا لم يكن أهل البلد يقتاتون التمر والشعير: فهل يخرجون من قوتهم كالبر والرز؟ أو يخرجون من التمر والشعير لأن النبي صلى الله عليه وسلم فرض ذلك؟
فإن في الصحيحين عن ابن عمر أنه قال: "فرض رسول الله صلى الله عليه وسلم صدقة الفطر صاعا من تمر أو صاعا من شعير على كل صغير أو كبير ذكر أو أنثى حر أو عبد من المسلمين." وهذه المسألة فيها قولان للعلماء وهما روايتان عن أحمد؛ وأكثر العلماء على أنه يخرج من قوت بلده؛ وهذا هو الصحيح" (MF 22/326). On voit ici qu'il est sur ce point du second avis plus haut mentionné (qui est aussi l'avis de certains ulémas hanbalites).
Mais peut-on s'acquitter de la zakât ul-fitr en donnant la valeur de cet aliment (en monnaie) ?
La réponse de Ibn Taymiyya semble être : "Non s'il n'y a pas hâja ni maslaha râjiha à le faire ; Oui s'il y a hâja ou bien maslaha râjiha à le faire."
Le fait est que Ibn Taymiyya a écrit à propos de la zakât ul-mâl et de la kaffâra que s'en acquitter en donnant non pas le bien mentionné dans les textes mais sa valeur, cela est autorisé s'il y a hâja ou maslaha râjiha à le faire ; par contre, cela n'est pas autorisé s'il n'y a ni hâja ni maslaha râjiha à le faire : "وأما إخراج القيمة في الزكاة والكفارة ونحو ذلك: فالمعروف من مذهب مالك والشافعي أنه لا يجوز. وعند أبي حنيفة يجوز. وأحمد رحمه الله قد منع القيمة في مواضع، وجوزها في مواضع؛ فمِن أصحابه مَن أقر النص، ومِنهم مَن جعلها على روايتين. والأظهر في هذا: أن إخراج القيمة لغير حاجة ولا مصلحة راجحة ممنوع منه (...)؛ وأما إخراج القيمة للحاجة أو المصلحة أو العدل فلا بأس به" (MF 25/82-83).
Et ce qu'il a écrit là à propos de la zakât ul-mâl et de la kaffâra, cela s'applique à la zakât ul-fitr aussi, puisqu'il a lui-même écrit par ailleurs que la zakât ul-fitr relève plus de la kaffâra que de la zakât ul-mâl, et c'est ce qui explique que (même sans maslaha râjiha) la règle première est que la zakât ul-fitr, on peut s'en acquitter par un autre aliment que ce qui a été mentionné dans les textes dès lors qu'il est consommé dans le lieu où l'on se trouve, tout comme cela est vrai pour la kaffâra (alors que cela n'est pas vrai selon lui pour la zakât ul-mâl) : "والنبي صلى الله عليه وسلم فرض زكاة الفطر صاعا من تمر أو صاعا من شعير لأن هذا كان قوت أهل المدينة. ولو كان هذا ليس قوتهم بل يقتاتون غيره، لم يكلفهم أن يخرجوا مما لا يقتاتونه؛ كما لم يأمر الله بذلك في الكفارات. وصدقة الفطر من جنس الكفارات: هذه معلقة بالبدن وهذه معلقة بالبدن. بخلاف صدقة المال فإنها تجب بسبب المال، من جنس ما أعطاه الله" (MF 25/69).
Ce qu'il a écrit à propos non seulement de la kaffâra mais même de la zakât ul-mâl (qu'on peut s'en acquitter par le biais de leur valeur s'il y a hâja ou maslaha râjiha à le faire), cela s'applique donc semblablement à la zakât ul-fitr aussi.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).