Question :
Que penses-tu de l'avis de ceux qui disent que le calendrier musulman peut être établi sur la base de calculs astronomiques ? Le Prophète (sur lui soit la paix) n'avait-il pas fait dépendre le début de chaque mois lunaire de la vision du croissant ? Il a bien dit : "la vision du croissant", pas le calcul.
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Réponse :
Ce point, je l'avais déjà évoqué au sein de mon article consacré à l'invitation à une uniformisation du calendrier lunaire des musulmans du monde entier. Je le traite désormais de façon séparée.
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En un mot :
Ce point est délicat, car le recours à l'observation du croissant fait l'objet d'un consensus (ou d'un quasi-consensus) de la part des premières générations. C'est peut-être seulement pour une cause temporaire, li 'âridh, que l'on pourrait avoir recours au calcul astronomique.
(J'ai dû rajouter ce résumé préalable à cet article 710 tel qu'il était formulé à l'origine, et ce parce que certains frères n'ont apparemment pas l'habitude de lire attentivement et/ou de comprendre les nuances, ces dernières étant pourtant bien présentes dans l'article 710 originel : il s'y trouve des "peut-être", des "pourrait", et un terme très éloquent : "li 'âridh" : "temporairement".)
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Détail de ce que nous venons de dire :
Le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a effectivement dit de scruter le ciel pour tenter d'apercevoir le fin croissant lunaire (celui qui suit la nouvelle lune). Il a dit :
"عن أبي هريرة رضي الله عنه، أن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "صوموا لرؤيته، وأفطروا لرؤيته، فإن غبى عليكم فأكملوا عدة شعبان ثلاثين" :
"Commencez le (mois de) jeûne en le voyant [= le croissant], et cessez le (mois de) jeûne en le voyant. Si (le croissant) demeure invisible pour vous, rendez complets le nombre de (jours de) Cha'bân : 30" (rapporté par al-Bukhârî, 1810, par Muslim, 1081, etc. ; les termes ici cités sont ceux de al-Bukhârî).
La totalité ou la quasi-totalité des ulémas sunnites d'hier, et la très grande majorité des ulémas sunnites d'aujourd'hui pensent donc que c'est l'observation du croissant qui est déterminante pour faire débuter le mois après 29 jours du mois précédent.
Mais Ahmad Muhammad Shâkir, le célèbre spécialiste de hadîths (lire sa biographie ici et ici, et découvrir quelques-uns de ses ouvrages ici), pense pour sa part qu'il est possible aujourd'hui de s'en remettre aux calculs astronomiques (il a repris en fait l'avis de Mustafâ al-Marâghî).
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A) L'avis de Cheikh Shâkir repose sur le raisonnement suivant :
Le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a clairement explicité la raison pour laquelle il a par ailleurs dit qu'il fallait scruter le ciel et voir le fin croissant pour faire débuter ou non le mois de ramadan après 29 jours de cha'bân. C'est que (les Arabes de l'époque) ne maîtrisaient ni la lecture ni le calcul astronomique. Le Prophète a en effet dit :
"إنا أمة أمية لا نكتب ولا نحسُب؛ الشهر هكذا وهكذا وهكذا - وعقد الإبهام فى الثالثة - والشهر هكذا وهكذا وهكذا؛ يعنى تمام ثلاثين" : "Nous sommes un peuple qui ne connaît pas l'écriture ni le calcul [ = astronomique : cf. Fat'h ul-bârî 4/163] ; le mois est ainsi, ainsi et ainsi" et il a replié son pouce la troisième fois [voulant dire : "est de 29 jours"] ; "et le mois est ainsi, ainsi et ainsi" : il voulait dire : "est de 30 jours" (c'est-à-dire tantôt de 29 jours tantôt de 30 jours) (rapporté par Muslim, 1080, al-Bukhârî, 1814).
Cette parole du Prophète est un indice que le moyen (wassîla) stipulé comme norme, à savoir l'observation du croissant, était lié au contexte de l'époque : la situation des premiers musulmans, qui vivaient au Hedjaz, était qu'ils ne connaissaient ni la lecture ni le calcul astronomique. Il y avait donc un empêchement (mâni') pour le recours au calcul astronomique. Avoir recours à l'observation du croissant pour faire débuter le mois lunaire était donc lié à la réalité de l'époque, et n'est pas ta'abbudî mahdh mais ma'qûl ul-ma'nâ ; de même, cela relève de ce que le Prophète a dit en fonction de la situation qu'il avait devant lui (cliquez ici et ici). Cheikh Shâkir écrit donc qu'un changement dans la réalité peut entraîner le changement dans la règle. Ce calcul étant aujourd'hui parfaitement maîtrisé – comme la lecture et l'écriture sont aujourd'hui généralisées chez les musulmans –, Cheikh Shâkir ne voit pas de mal à adopter les tables de calculs astronomiques pour faire débuter le mois de ramadan et les autres mois de l'année (cf. son livret : "أوائل الشهور العربية، هل يجوز شرعاً إثباتها بالحساب الفلكي؟").
Dans ce hadîth, quand le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a dit : "Nous sommes un peuple qui ne connaît pas l'écriture ni le calcul (astronomique)", il voulait parler, écrit Ibn Hajar, des musulmans qu'il avait devant lui : "والمراد: أهل الإسلام الذين بحضرته عند تلك المقالة؛ وهو محمول على أكثرهم أو المراد نفسه صلى الله عليه وسلم" (Fat'h ul-bârî 4/163).
Puis, plus loin, Ibn Hajar écrit : "ولا يرد على ذلك أنه كان فيهم من يكتب ويحسب؛ لأن الكتابة كانت فيهم قليلة نادرة؛ والمراد بالحساب هنا حساب النجوم وتسييرها، ولم يكونوا يعرفون من ذلك أيضا إلا النزر اليسير. فعلق الحكم بالصوم وغيره بالرؤية لرفع الحرج عنهم في معاناة حساب التسيير. واستمر الحكم في الصوم ولو حدث بعدهم من يعرف ذلك" (Ibid.). On le voit, Ibn Hajar a, dans cette dernière phrase, exprimé que la règle ne changera pas même si la réalité change.
Après avoir cité ce propos de Ibn Hajar, Cheikh Shâkir écrit : "فهذا التفسير صواب في أن العبرة بالرؤية لا بالحساب؛ والتأويل خطأ في أنه لو حدث من يعرف ذلك، استمر الحكم في الصوم؛ لأن الأمر باعتماد الرؤية وحدها جاء معللاً بعلة منصوصة، وهو أن الأمة "أمية لا تكتب ولا تحسب"؛ والعلة تدور مع المعلول وجوداً وعدماً".
Cheikh Shâkir est donc d'avis que, conservant bien sûr le principe présent dans le Coran ("يَسْأَلُونَكَ عَنِ الأهِلَّةِ قُلْ هِيَ مَوَاقِيتُ لِلنَّاسِ وَالْحَجِّ" : Coran 2/189) et la Sunna, à savoir que le calendrier reste lunaire, on peut avoir recours à un autre moyen ("wassîla") que celui ayant été stipulé (mansûs 'alayh) dans la Sunna : la raison en est que cet autre moyen permet la réalisation de l'objectif, alors même que, par ailleurs, ce qui empêchait (al-mâni') le recours à cet autre moyen (à savoir l'absence de maîtrise du calcul astronomique), cela n'est plus présent.
A moins que la situation elle-même qui avait cours à l'époque doive se perpétuer chez les musulmans ? La question est donc de savoir si, quand le Prophète a dit : "Nous sommes un peuple qui ne connaît pas l'écriture ni le calcul (astronomique)", est-ce qu'il faisait un simple constat (ikhbâr) de la situation de l'époque, ou bien est-ce qu'il traçait la ligne de conduite à suivre (amr) pour les musulmans ?
La réponse est que ce ne peut pas être la recommandation d'une ligne de conduite, car sinon cela voudrait dire que les musulmans ne devraient pas chercher à maîtriser non seulement le calcul astronomique mais aussi la lecture et l'écriture ! Or les musulmans se sont alphabétisés – et ils ont eu raison de ne pas rester dans la même situation où les Arabes d'avant l'Islam et du début de l'Islam se trouvaient bien malgré eux –, et c'est même le Prophète (sur lui la paix) qui a cherché à développer la maîtrise de la lecture et de l'écriture chez ses Compagnons (les hadîths sont bien connus). La parole du Prophète en question est donc un simple constat de la situation de l'époque et non une recommandation à garder à toutes les époques (cf. Al-Madkhal li dirâssat is-sunna an-nabawiyya, pp. 177-178).
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B) Cependant, ce seul raisonnement par ta'lîl, proposé par Cheikh Shâkir, ne suffit pas à rendre légal le recours au calcul, en lieu et place de l'observation du croissant :
En effet, car, comme nous l'avons écrit dans un autre article, consacré à l'analogie (à propos de salâhiyya li-l-adâ') :
Remplacer le moyen ayant été mentionné dans les textes par un autre moyen, paraissant être son équivalent, cela est impossible si le moyen ayant été stipulé dans les textes est tel que :
– a) Dieu dans le Coran, ou bien le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) dans la Sunna, a lui-même explicitement affirmé que ce moyen stipulé dans les textes des sources islamiques, ce moyen est la moyen déterminé (al-wassîlat ul-mu'ayyana) pour réaliser l'objectif de la règle. C'est le cas en ce qui concerne la formule de salutation présente dans les textes islamiques : il a été explicitement dit dans le hadîth que c'est cette formule que le musulman doit employer pour saluer son coreligionnaire ;
– b) il n'a pas été dit explicitement dans les textes (Coran et Sunna) que ce moyen est le moyen déterminé, mais :
------- b.1) ce moyen stipulé dans les textes constitue quelque chose de purement cultuel (ta'abbudî mahdh) ; l'analogie ne peut donc pas avoir cours ;
------- b.2) ce moyen stipulé dans les textes n'est pas quelque chose de purement cultuel, il est au contraire ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ, cependant aucun autre moyen n'existe qui soit réellement équivalent au moyen ayant été évoqué dans les textes (lâ yûjadu lahû nazîr) ;
------- b.3) ou bien le moyen figurant dans les textes des sources islamiques constitue le moyen distinctif de l'islam (shi'âr ul-muslimîn). C'est ce qui fait que la salutation par un seul signe de main n'est pas autorisée pour remplacer la salutation par la formule "As-salâmu 'alaykum" (nous avions évoqué ce point dans un autre article) ;
------- b.4) ou bien chacun des autres moyens permettant de réaliser le même objectif est le symbole d'un groupe de kufr akbar (shi'âr li naw'in min al-kufr) ;
------- b.5) ou bien le moyen stipulé dans les textes a été présenté par tous les ulémas sunnites (ijmâ' ul-'ulamâ') comme étant le moyen déterminé (al-wassîlat ul-mu'ayyana) pour réaliser l'objectif qu'a cette règle ;
-------- b.6) (peut-être existe-t-il d'autres indices ?).
(Nous avons évoqué ces cas de figure dans notre article relatif à la question de la tashabbuh : cf. le point 3.2.2.3.)
Or le recours à l'observation du croissant relève justement, d'après ce qu'a écrit Ibn Taymiyya, du cas b.5.
Ibn Taymiyya écrit en effet qu'il y a consensus sur le fait que c'est l'observation du croissant qui est le moyen approprié pour débuter chaque mois islamique : "ما ذكرناه من أن الأحكام مثل صيام رمضان متعلقة بالأهلة لا ريب فيه لكن الطريق إلى معرفة طلوع الهلال هو الرؤية لا غيرها: بالسمع والعقل" (MF 25/146). Et : "فإنا نعلم بالاضطرار من دين الإسلام أن العمل في رؤية هلال الصوم أو الحج أو العدة أو الإيلاء أو غير ذلك من الأحكام المعلقة بالهلال بخبر الحاسب أنه يرى أو لا يرى: لا يجوز. والنصوص المستفيضة عن النبي صلى الله عليه وسلم بذلك كثيرة؛ وقد أجمع المسلمون عليه. ولا يعرف فيه خلاف قديم أصلا؛ ولا خلاف حديث، إلا أنَّ بعض المتأخرين من المتفقهة الحادثين بعد المائة الثالثة زعم أنه إذا غم الهلال جاز للحاسب أن يعمل في حق نفسه بالحساب فإن كان الحساب دل على الرؤية صام وإلا فلا. وهذا القول، وإن كان مقيدا بالإغمام ومختصا بالحاسب، فهو شاذ مسبوق بالإجماع على خلافه. فأمّا اتباع ذلك في الصحو أو تعليق عموم الحكم العام به، فما قاله مسلم" (MF 25/132 ; voir aussi Al-Iqtidhâ, pp. 86-84).
L'avis auquel Ibn Taymiyya fait ici allusion est celui du shafi'ite Ibn Surayj (et peut-être aussi de Ibn Qutayba, voire même de Mutarrif ibn Abdillâh, un tâbi'î). Ibn Hajar écrit ainsi :
"قوله فاقدروا له تقدم أن للعلماء فيه تأويلين. وذهب آخرون إلى تأويل ثالث: قالوا: معناه فاقدروه بحساب المنازل قاله أبو العباس بن سريج من الشافعية، ومطرف بن عبد الله من التابعين، و ابن قتيبة من المحدثين. قال ابن عبد البر: "لا يصح عن مطرف وأما بن قتيبة فليس هو ممن يعرج عليه في مثل هذا." قال: "ونقل بن خويز منداد عن الشافعي مسألة ابن سريج؛ والمعروف عن الشافعي ما عليه الجمهور." ونقل ابن العربي عن ابن سريج أن قوله فاقدروا له خطاب لمن خصه الله بهذا العلم، وأن قوله فأكملوا العدة خطاب للعامة. قال ابن العربي: "فصار وجوب رمضان عنده مختلف الحال: يجب على قوم بحساب الشمس والقمر، وعلى آخرين بحساب العدد." قال: "وهذا بعيد عن النبلاء." وقال ابن الصلاح: "معرفة منازل القمر هي معرفة سير الأهلة؛ وأما معرفة الحساب فأمر دقيق يختص بمعرفته الآحاد." قال: "فمعرفة منازل القمر تدرك بأمر محسوس يدركه من يراقب النجوم وهذا هو الذي أراده ابن سريج وقال به في حق العارف بها في خاصة نفسه." ونقل الروياني عنه أنه لم يقل بوجوب ذلك عليه وإنما قال بجوازه. وهو اختيار القفال وأبي الطيب. وأما أبو إسحاق في المهذب فنقل عن ابن سريج لزوم الصوم في هذه الصورة" (Fat'h ul-bârî 4/157).
Avant Ibn Taymiyya, al-Bâjî avait déjà écrit ce qui suit, que Ibn Hajar relate ainsi : "وقد ذهب قوم إلى الرجوع إلى أهل التسيير في ذلك وهم الروافض؛ ونقل عن بعض الفقهاء موافقتهم.
قال الباجي: "وإجماع السلف الصالح حجة عليهم" (FB 4/163).
Les preuves par lesquelles le musulman établit la présence de ces causes et conditions, et l'absence d'empêchants, ces preuves, al-Qarâfî les appelle : "أدلة وقوع الأسباب والشروط وعدم وقوع الموانع" (Al-Furûq, farq n° 16). Al-Qarâfî souligne que ces preuves peuvent être autres que celles explicitement spécifiées dans les textes : "وأما أدلة وقوعها فهي غير منحصرة. فالزوال مثلا، دليلُ مشروعيته سببا لوجوب الظهر عنده قولُه تعالى {أقم الصلاة لدلوك الشمس}. ودليلُ وقوع الزوال وحصوله في العالم الآلات الدالة عليه وغير الآلات كالأسطرلاب والميزان وربع الدائرة والشكارية والزرقالية والبنكام والرخامة البسيطة والعيدان المركوزة في الأرض وجميع آلات الظلال وجميع آلات المياه وآلات الطلاب كالطنجهارة وغيرها من آلات الماء وآلات الزمان وعدد تنفس الحيوان إذا قدر بقدر الساعات وغير ذلك من الموضوعات والمخترعات التي لا نهاية لها. وكذلك جميع الأسباب والشروط والموانع لا تتوقف على نصب من جهة الشرع. بل المتوقف سببية السبب وشرطية الشرط ومانعية المانع. أما وقوع هذه الأمور فلا يتوقف على نصب من جهة صاحب الشرع ولا تنحصر تلك الأدلة في عدد ولا يمكن القضاء عليها بالتناهي" (Al-Furûq, farq n° 16). Cependant, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de limites à ce genre d'analogie, puisque al-Qarâfî écrit aussi, par ailleurs, au sujet de l'établissement du début des mois lunaires, que cela ne peut pas être établi par calcul : "والفرق وهو المطلوب هاهنا وهو عمدة السلف والخلف أن الله تعالى نصب زوال الشمس سبب وجوب الظهر. وكذلك بقية الأوقات لقوله تعالى {أقم الصلاة لدلوك الشمس} أي لأجله، وكذلك قوله تعالى {فسبحان الله حين تمسون وحين تصبحون} {وله الحمد في السماوات والأرض وعشيا وحين تظهرون} قال المفسرون هذا خبر معناه الأمر بالصلوات الخمس في هذه الأوقات حين تمسون المغرب والعشاء وحين تصبحون الصبح وعشيا العصر وحين تظهرون الظهر والصلاة تسمى سبحة، ومنه سبحة الضحى أي صلاتها؛ فالآية أمر بإيقاع هذه الصلوات في هذه الأوقات وغير ذلك من الكتاب والسنة الدال على أن نفس الوقت سبب؛ فمن علم السبب بأي طريق كان، لزمه حكمه؛ فلذلك اعتبر الحساب المفيد للقطع في أوقات الصلوات. وأما الأهلة فلم ينصب صاحب الشرع خروجها من الشعاع سببا للصوم، بل رؤية الهلال خارجا من شعاع الشمس هو السبب، فإذا لم تحصل الرؤية لم يحصل السبب الشرعي فلا يثبت الحكم. ويدل على أن صاحب الشرع لم ينصب نفس خروج الهلال عن شعاع الشمس سببا للصوم قوله صلى الله عليه وسلم: "صوموا لرؤيته وأفطروا لرؤيته"، ولم يقل: "لخروجه عن شعاع الشمس"، كما قال تعالى {أقم الصلاة لدلوك الشمس}. ثم قال: "فإن غم عليكم" أي خفيت عليكم رؤيته "فاقدروا له" وفي رواية: "فأكملوا العدة ثلاثين"؛ فنصب رؤية الهلال أو إكمال العدة ثلاثين، ولم يتعرض لخروج الهلال عن الشعاع" (Al-Furûq, farq n° 102).
En fait, chez al-Qarâfî aussi, c'est le Ijmâ' qui a rendu l'analogie impossible ("وفيه قولان عندنا وعند الشافعية رحمهم الله تعالى. والمشهور في المذهبين عدم اعتبار الحساب؛ فإذا دل حساب تسيير الكواكب على خروج الهلال من الشعاع من جهة علم الهيئة، لا يجب الصوم؛ قال سند من أصحابنا: فلو كان الإمام يرى الحساب فأثبت الهلال به، لم يتبع، لإجماع السلف على خلافه، مع أن حساب الأهلة والكسوفات والخسوفات قطعي" : Al-Furûq, 2/177), et, de fait, a conduit al-Qarâfî a déterminer la vision comme étant la cause du début du mois (رؤية الهلال خارجا من شعاع الشمس) et non pas la phase de visibilité du croissant (خروج الهلال عن شعاع الشمس). Car, sinon, pour la prière de l'éclipse aussi il y a le terme "vision" qui a été employé dans la Sunna : "إن الشمس والقمر آيتان من آيات الله، لا يخسفان لموت أحد ولا لحياته؛ فإذا رأيتم ذلك، فادعوا الله، وكبروا وصلوا وتصدقوا" (al-Bukhârî), "إن الشمس والقمر لا يكسفان لموت أحد، ولا لحياته، ولكنهما من آيات الله، يخوف الله بهما عباده؛ فإذا رأيتم كسوفا، فاذكروا الله حتى ينجليا" (Muslim 901/6).
Il faut seulement noter ici que certains ulémas, comme as-Subkî hier, al-Qaradhâwî aujourd'hui, disent que c'est bien l'observation du croissant (et non le calcul) qui est déterminant pour faire débuter chaque mois, mais disent des données du calcul astronomique qu'ils sont une des conditions pour l'acceptation d'une affirmation (et, quand cela est nécessaire d'après certaines écoles, d'un témoignage) d'observation : si ces calculs ont établi que le croissant ne pouvait absolument pas être visible, le témoignage est invalidé (cf. Al-Madkhal li dirâssat is-sunna an-nabawiyya, pp. 178-179).
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C) Cependant, un autre principe est ici présent qui pourrait entrer en jeu et appuyer le recours, aujourd'hui, à l'avis de Cheikh Shâkir...
En effet, le même Ibn Taymiyya a écrit par ailleurs que lorsqu'un facteur spécifique apparaît qui n'existait pas auparavant, alors, tant qu'on n'a pas recours à un moyen ou une action en soi illicite, il peut arriver qu'il devienne autorisé d'avoir recours à un nouveau moyen. Il écrit :
"والضابط في هذا والله أعلم أن يقال: إن الناس لا يحدثون شيئا إلا لأنهم يرونه مصلحة، إذ لو اعتقدوه مفسدة لم يحدثوه، فإنه لا يدعو إليه عقل ولا دين.
فما رآه الناس مصلحة، نُظِرَ في السبب المحوج إليه:
فإن كان السبب المحوج إليه أمرا حدث بعد النبي صلى الله عليه وسلم من غير تفريط منا، فهنا قد يجوز إحداث ما تدعو الحاجة إليه.
وكذلك إن كان المقتضي لفعله قائما على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم لكن تركه النبي صلى الله عليه وسلم لمعارض زال بموته.
وأما ما لم يحدث سبب يحوج إليه أو كان السبب المحوج إليه بعض ذنوب العباد، فهنا لا يجوز الإحداث. فكل أمر يكون المقتضي لفعله على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم موجودا، لو كان مصلحة ولم يفعل، يعلم أنه ليس بمصلحة.
وأما ما حدث المقتضي له بعد موته من غير معصية الخالق فقد يكون مصلحة.
ثم هنا للفقهاء طريقان:
أحدهما: أن ذلك يفعل ما لم ينه عنه، وهذا قول القائلين بالمصالح المرسلة.
والثاني: أن ذلك لا يفعل إن لم يؤمر به: وهو قول من لا يرى إثبات الأحكام بالمصالح المرسلة؛ وهؤلاء ضربان:
منهم من لا يثبت الحكم إن لم يدخل في لفظ كلام الشارع أو فعله أو إقراره؛ وهم نفاة القياس.ومنهم من يثبته بلفظ الشارع أو بمعناه؛ وهم القياسيون" (Iqtidhâ' us-sirât il-mustaqîm, p. 258).
Et, justement, alors que, d'une part, les enseignements demandent que, au nom du 'adam ut-tashabbuh, les pays musulmans reviennent à leurs normes culturelles propres, parmi lesquelles figure l'adoption du calendrier islamique pour la marche des affaires du pays ; Ibn ul-'Uthaymîn écrit ainsi : "La plupart des musulmans aujourd'hui ont recours au calendrier non-musulman européen. Alors que nous disposons d'un calendrier islamique ayant été institué par l'un des califes bien guidés, et qui est relié à un grand événement en islam : l'Emigration. Malgré cela, il est délaissé chez beaucoup de gens (musulmans). Au point que certains de ceux qui se rendent dans ce pays [= l'Arabie] disent : "Nous n'avons connu les noms des mois arabes qu'(après être venus) dans ce pays." Cela parce qu'ils ne connaissaient auparavant que "août", etc." (Notes de Ibn ul-'Uthaymîn sur Iqtidhâ' us-sirât il-mustaqîm, note n° 2 p. 15) ; Cheikh Thânwî écrit quant à lui que s'il est autorisé de se référer au calendrier européen, cela "est néanmoins contraire à la sunna des Salaf ; et se référer au calendrier lunaire est sans aucun doute meilleur (afdhal wa ahsan), vu que cela est fardh 'ala-l-kifâya" (voir aussi Bayân ul-qur'ân tome 4 p. 111) ;
... d'autre part le fait de faire dépendre le calendrier lunaire de la vision, chaque mois, du croissant, empêche aujourd'hui son adoption, et pousse automatiquement ces pays musulmans à continuer à se référer au calendrier chrétien. Cela à cause du facteur suivant : nous sommes entrés dans une ère de planifications : chacun établit, au jour et à l'heure près, et ce des mois à l'avance, nombre de ses activités : ses rendez-vous, ses déplacements, etc. Toute la société, tous les pays fonctionnent ainsi aujourd'hui. Or, comment vouloir que les musulmans choisissent le calendrier islamique pour fixer la date de telle et telle de leurs activités quand ils ne peuvent pas savoir, au-delà d'un mois, à quel jour exact cette date correspond-elle ?
Comment réserver, plusieurs mois à l'avance, un billet d'avion depuis par exemple le Caire jusqu'à Jeddah pour le 4 shawwâl quand on ne sait pas si cette date correspondra au mardi ou au mercredi de la première semaine de ce mois ?
"Et je voudrais que la date de départ depuis le Caire soit le 04 shawwâl.
– Eh bien il faudra attendre d'avoir dûment observé le croissant du 1er shawwâl pour déterminer quel jour de la semaine sera ce 04 shawwâl !"
Pareillement, comment vouloir que, en pays musulman, ce soit avec des dates islamiques que le salarié demande à son patron un congé plusieurs mois à l'avance ?
Comment, sur des affiches, annoncer un mois et demi à l'avance qu'il y aura un cours (dars) sur l'islam en tel lieu tel jour, en mentionnant une date islamique, quand il subsiste un flou d'un jour ou deux ?
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Ces deux principes entraînent que...
Le principe cité en B fait que, oui, même si le calcul astronomique a été maîtrisé depuis quelques siècles après l'époque du Prophète (sur lui soit la paix) et donc même si l'empêchement (al-mâni') évoqué dans le hadîth suscité (l'absence de maîtrise, par les Arabes de l'époque, du calcul astronomique) n'est plus présent depuis quelque temps (cela a été cité en A), malgré tout, la simplicité de l'islam et de ses enseignements fait que c'est bien l'observation du croissant qui devrait être gardé comme moyen pour faire débuter les mois lunaires. C'est ce qu'indique le fait que l'avis des ulémas sunnites a toujours été de garder l'observation comme moyen. Cela, c'est la règle normale (al-asl).
Cependant, le principe cité en C fait que aujourd'hui, eu égard à la nécessité (muqtadhî) de planifier des mois à l'avance et donc de disposer d'un calendrier qui puisse remplir cette fonction, on pourrait suivre l'avis de Cheikh Shâkir et avoir recours, à cause de ce réel spécifique (li 'âridh), au moyen du calcul. Car ce muqtadhî n'était pas présent auparavant...
Mais si après-demain la marche de la société redevient simple, sans les planifications actuelles, alors, le 'âridh ayant disparu, c'est de nouveau la règle normale qui est applicable : il faudra de toute façon impérativement retourner au moyen simple de l'observation du croissant, malgré la capacité des musulmans à avoir recours au calcul...
Aujourd'hui, peut-être pourrait-on, dans les pays musulmans, adopter, pour tout ce qui relève de l'usage administratif, un calendrier lunaire fondé sur les calculs astronomiques, et, par ailleurs, pour débuter le ramadan et le mois de dhu-l-hijja (mois du pèlerinage), se référer à l'observation du croissant, "recentrant" ainsi le calendrier pour ces mois. Ce "recentrage" permettrait de corriger d'éventuelles erreurs dans les calculs, car il n'est pas dit qu'il ne peut y en avoir parce que "C'est mathématique !"...
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Ici j'attire votre attention sur un point :
Cet avis de Cheikh Shâkir, je n'ai pas dit y adhérer, je n'ai pas dit non plus le désapprouver. Je me suis contenté de vous relater les arguments sur lesquels il se fonde. Pour moi il s'y trouve une piste que je trouve intéressante par rapport au problème des nécessaires planifications des sociétés contemporaines. Mais de ma part c'est seulement là une "réflexion" (c'est le terme exact que j'avais utilisé lorsque cet avis avait été cité anciennement dans l'article 306).
J'avais fait le même genre de précision dans l'article relatant l'avis de al-'Awwâ au sujet de la sanction pour apostasie.
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Note supplémentaire :
Ibn Taymiyya a également écrit au sujet de choses autres que l'établissement du début des mois lunaires qu'elles n'ont pas à être établies par des moyens autres que les moyens simples et naturels des premiers musulmans. Et il fait la critique de ceux qui, parmi les musulmans postérieurs, disent qu'il est nécessaire d'avoir recours à ce genre de moyens plus sophistiqués (par exemple le calcul par le pôle Nord pour l'établissement de la Qibla).
Parfois, même le seul fait d'avoir recours à ces moyens plus sophistiqués, sans dire qu'il est nécessaire d'y avoir recours, Ibn Taymiyya le traite de complication inutile.
Ainsi en est-il :
– non pas seulement de l'établissement du début de chaque mois lunaire (comme nous l'avons vu plus haut) ;
– mais aussi de :
----- l'établissement de l'apparition de par exemple l'aube (as-sub'h us-sâdiq / ath-thânî), à laquelle sont liés le début de la marge légale de l'accomplissement de la prière de l'aube (salât ul-fajr / us-sub'h) ainsi que le début du jeûne ;
----- l'établissement de la direction de La Mecque, pour l'établissement de la Qibla (direction à prendre pendant les prières rituelles) ;
----- l'établissement de la prière de l'éclipse du soleil et de l'éclipse de lune.
Ibn Taymiyya a ainsi écrit que les calculs ne peuvent servir de seul fondement pour effectuer la prière de l'éclipse, tant qu'on ne constate pas de visu cette dernière :
"ولكن إذا تواطأ خبر أهل الحساب على ذلك، فلا يكادون يخطئون. ومع هذا، فلا يترتب على خبرهم علم شرعي؛ فإن صلاة الكسوف والخسوف لا تصلى إلا إذا شاهدنا ذلك.
وإذا جوز الإنسان صدق المخبر بذلك أو غلب على ظنه، فنوى أن يصلي الكسوف والخسوف عند ذلك، واستعَدَّ ذلك الوقت لرؤية ذلك، كان هذا حثًّا من باب المسارعة إلى طاعة الله تعالى وعبادته" (Majmû' ul-fatâwâ 24/258).
On ne peut donc pas, pour effectuer la prière de l'éclipse solaire partielle, se fonder seulement sur les calculs tels qu'ils sont annoncés des jours à l'avance dans les médias, alors même que dans la réalité, le moment venu, le temps étant nuageux, on ne saurait jamais qu'éclipse il y a. Et ce d'autant plus que, pour le cas de cette prière, il y a aussi la condition de voir ("Lorsque vous les voyez (s'éclipser)") explicitement stipulée dans la Sunna : "إن الشمس والقمر لا ينكسفان لموت أحد. فإذا رأيتموهما، فصلوا" (al-Bukhârî, Muslim).
Voici maintenant ce que Ibn Taymiyya écrit à propos de vérifier la direction de la Qibla par des moyens autres que le seul moyen naturel d'approximation :
"فهذا علم صحيح حسابي يعرف بالعقل. لكن معرفة المسلمين بقبلتهم في الصلاة ليست موقوفة على هذا. بل قد ثبت عن صاحب الشرع صلوات الله عليه أنه قال: "ما بين المشرق والمغرب قبلة"؛ قال الترمذي: "حديث صحيح". وبهذا كان عند جماهير العلماء أن المصلّى ليس عليه أن يستدل بالقطب ولا الجدى ولا غير ذلك، بل إذا جعل من في الشام ونحوها المغرب عن يمينه والمشرق عن شماله، كانت صلوته صحيحة؛ فان الله إنما أمر باستقبال شطر المسجد الحرام؛ وفي الحديث: "المسجد قبلة مكة، ومكة قبلة الحرم، والحرم قبلة الأرض."
ولهذا لم يعرف عن الصحابة أنهم ألزموا الناس في الصلاة أن يعتبروا الجدي. ولهذا أنكر الإمام احمد وغيره من العلماء على من ألزم الناس باعتبار الجدي فضلا عن طول البلاد وعرضها.
بل المساجد التي صلى فيها الصحابة، كمسجد دمشق وغيره، فيه انحراف يسير عن مسامتة عين الكعبة، وكذلك غيره. فكان هذا من الحكمة أن يعرف إجماع الصحابة والتابعين لهم بإحسان، على أن المصلِّى ليس عليه مسامتة عين الكعبة بل تكفيه الجهة التي هي شطر المسجد الحرام" (Ar-Radd 'ala-l-Mantiqiyyîn, pp. 211-212).
Il écrit de même à propos d'établir le moment de l'aube par des calculs :
"واليوم يعرف بطلوع الفجر؛ وهو النور الذي يظهر من جهة المشرق؛ وهو أول نور الشمس المتصل الذي لا ينقطع (بخلاف الفجر الأول فانه يأتي بعده ظلمة والاعتبار في الشرع في الصلاة والصيام وغير ذلك بالثاني). ويعرف بالحس والمشاهدة كما يعرف الهلال؛ ويعرف بالقياس على ما قرب منه تقريبا إذا عرف عند طلوعه مواضع الكواكب من السماء فيستدل في اليوم الثاني بذلك على وقت طلوعه.
وأما تقدير حصة الفجر بأمر محدود من حركة الفلك مساو لحصة العشاء كما فعله طائفة من الموقتين، فغلطوا في ذلك كما غلط من قدر قوس الرؤية تقديرا مطلقًا" (Ar-Radd 'ala-l-Mantiqiyyîn, p. 218).
Voici sa conclusion :
"وقد ذكر كثير من متأخري الفقهاء مسائل وذكروا أنها لا تنحلّ إلا بطريق الجبر والمقابلة.
وقد بيّنّا أنه يمكن الجواب عن كل مسألة شرعية جاء بها الرسول صلى الله عليه وسلم بدون حساب الجبر والمقابلة، وإن كان أيضا حساب الجبر والمقابلة صحيحا. وقد كان لأبِي وجدّي (رحمهما الله فيه) من النصيب ما قد عرف. فنحن قد بيّنّا أن شريعة الإسلام ومعرفتها ليست موقوفة على شيء يتعلم من غير المسلمين أصلا، وإنْ كان طريقًا صحيحًا. بل طريق الجبر والمقابلة: فيها تطويل يغنى الله عنه بغيره، كما ذكرنا في المنطق.
وهكذا كل ما بعث به الرسول صلى الله عليه وسلم مثل العلم بجهة القبلة، والعلم بمواقيت الصلاة، والعلم بطلوع الفجر، والعلم بالهلال، فكل هذا يمكن العلم به بالطرق المعروفة التي كان الصحابة والتابعون لهم بإحسان يسلكونها ولا يحتاج معها إلى شيء آخر، وإن كان كثير من الناس قد أحدثوا طرقا أخر.
وكثير منهم يظن أنه لا يمكن المعرفة بالشريعة إلا بها، وهذا من جهلهم" (Ar-Radd 'ala-l-Mantiqiyyîn, p. 212).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).
Peut-on avoir recours au calcul astronomique pour établir les dates du calendrier musulman ?
Question :
Que penses-tu de l'avis de ceux qui disent que le calendrier musulman peut être établi sur la base de calculs astronomiques ? Le Prophète (sur lui soit la paix) n'avait-il pas fait dépendre le début de chaque mois lunaire de la vision du croissant ? Il a bien dit : "la vision du croissant", pas le calcul.
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Réponse :
Ce point, je l'avais déjà évoqué au sein de mon article consacré à l'invitation à une uniformisation du calendrier lunaire des musulmans du monde entier. Je le traite désormais de façon séparée.
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En un mot :
Ce point est délicat, car le recours à l'observation du croissant fait l'objet d'un consensus (ou d'un quasi-consensus) de la part des premières générations. C'est peut-être seulement pour une cause temporaire, li 'âridh, que l'on pourrait avoir recours au calcul astronomique.
(J'ai dû rajouter ce résumé préalable à cet article 710 tel qu'il était formulé à l'origine, et ce parce que certains frères n'ont apparemment pas l'habitude de lire attentivement et/ou de comprendre les nuances, ces dernières étant pourtant bien présentes dans l'article 710 originel : il s'y trouve des "peut-être", des "pourrait", et un terme très éloquent : "li 'âridh" : "temporairement".)
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Détail de ce que nous venons de dire :
Le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a effectivement dit de scruter le ciel pour tenter d'apercevoir le fin croissant lunaire (celui qui suit la nouvelle lune). Il a dit :
"عن أبي هريرة رضي الله عنه، أن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "صوموا لرؤيته، وأفطروا لرؤيته، فإن غبى عليكم فأكملوا عدة شعبان ثلاثين" :
"Commencez le (mois de) jeûne en le voyant [= le croissant], et cessez le (mois de) jeûne en le voyant. Si (le croissant) demeure invisible pour vous, rendez complets le nombre de (jours de) Cha'bân : 30" (rapporté par al-Bukhârî, 1810, par Muslim, 1081, etc. ; les termes ici cités sont ceux de al-Bukhârî).
La totalité ou la quasi-totalité des ulémas sunnites d'hier, et la très grande majorité des ulémas sunnites d'aujourd'hui pensent donc que c'est l'observation du croissant qui est déterminante pour faire débuter le mois après 29 jours du mois précédent.
Mais Ahmad Muhammad Shâkir, le célèbre spécialiste de hadîths (lire sa biographie ici et ici, et découvrir quelques-uns de ses ouvrages ici), pense pour sa part qu'il est possible aujourd'hui de s'en remettre aux calculs astronomiques (il a repris en fait l'avis de Mustafâ al-Marâghî).
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A) L'avis de Cheikh Shâkir repose sur le raisonnement suivant :
Le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a clairement explicité la raison pour laquelle il a par ailleurs dit qu'il fallait scruter le ciel et voir le fin croissant pour faire débuter ou non le mois de ramadan après 29 jours de cha'bân. C'est que (les Arabes de l'époque) ne maîtrisaient ni la lecture ni le calcul astronomique. Le Prophète a en effet dit :
"إنا أمة أمية لا نكتب ولا نحسُب؛ الشهر هكذا وهكذا وهكذا - وعقد الإبهام فى الثالثة - والشهر هكذا وهكذا وهكذا؛ يعنى تمام ثلاثين" : "Nous sommes un peuple qui ne connaît pas l'écriture ni le calcul [ = astronomique : cf. Fat'h ul-bârî 4/163] ; le mois est ainsi, ainsi et ainsi" et il a replié son pouce la troisième fois [voulant dire : "est de 29 jours"] ; "et le mois est ainsi, ainsi et ainsi" : il voulait dire : "est de 30 jours" (c'est-à-dire tantôt de 29 jours tantôt de 30 jours) (rapporté par Muslim, 1080, al-Bukhârî, 1814).
Cette parole du Prophète est un indice que le moyen (wassîla) stipulé comme norme, à savoir l'observation du croissant, était lié au contexte de l'époque : la situation des premiers musulmans, qui vivaient au Hedjaz, était qu'ils ne connaissaient ni la lecture ni le calcul astronomique. Il y avait donc un empêchement (mâni') pour le recours au calcul astronomique. Avoir recours à l'observation du croissant pour faire débuter le mois lunaire était donc lié à la réalité de l'époque, et n'est pas ta'abbudî mahdh mais ma'qûl ul-ma'nâ ; de même, cela relève de ce que le Prophète a dit en fonction de la situation qu'il avait devant lui (cliquez ici et ici). Cheikh Shâkir écrit donc qu'un changement dans la réalité peut entraîner le changement dans la règle. Ce calcul étant aujourd'hui parfaitement maîtrisé – comme la lecture et l'écriture sont aujourd'hui généralisées chez les musulmans –, Cheikh Shâkir ne voit pas de mal à adopter les tables de calculs astronomiques pour faire débuter le mois de ramadan et les autres mois de l'année (cf. son livret : "أوائل الشهور العربية، هل يجوز شرعاً إثباتها بالحساب الفلكي؟").
Dans ce hadîth, quand le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a dit : "Nous sommes un peuple qui ne connaît pas l'écriture ni le calcul (astronomique)", il voulait parler, écrit Ibn Hajar, des musulmans qu'il avait devant lui : "والمراد: أهل الإسلام الذين بحضرته عند تلك المقالة؛ وهو محمول على أكثرهم أو المراد نفسه صلى الله عليه وسلم" (Fat'h ul-bârî 4/163).
Puis, plus loin, Ibn Hajar écrit : "ولا يرد على ذلك أنه كان فيهم من يكتب ويحسب؛ لأن الكتابة كانت فيهم قليلة نادرة؛ والمراد بالحساب هنا حساب النجوم وتسييرها، ولم يكونوا يعرفون من ذلك أيضا إلا النزر اليسير. فعلق الحكم بالصوم وغيره بالرؤية لرفع الحرج عنهم في معاناة حساب التسيير. واستمر الحكم في الصوم ولو حدث بعدهم من يعرف ذلك" (Ibid.). On le voit, Ibn Hajar a, dans cette dernière phrase, exprimé que la règle ne changera pas même si la réalité change.
Après avoir cité ce propos de Ibn Hajar, Cheikh Shâkir écrit : "فهذا التفسير صواب في أن العبرة بالرؤية لا بالحساب؛ والتأويل خطأ في أنه لو حدث من يعرف ذلك، استمر الحكم في الصوم؛ لأن الأمر باعتماد الرؤية وحدها جاء معللاً بعلة منصوصة، وهو أن الأمة "أمية لا تكتب ولا تحسب"؛ والعلة تدور مع المعلول وجوداً وعدماً".
Cheikh Shâkir est donc d'avis que, conservant bien sûr le principe présent dans le Coran ("يَسْأَلُونَكَ عَنِ الأهِلَّةِ قُلْ هِيَ مَوَاقِيتُ لِلنَّاسِ وَالْحَجِّ" : Coran 2/189) et la Sunna, à savoir que le calendrier reste lunaire, on peut avoir recours à un autre moyen ("wassîla") que celui ayant été stipulé (mansûs 'alayh) dans la Sunna : la raison en est que cet autre moyen permet la réalisation de l'objectif, alors même que, par ailleurs, ce qui empêchait (al-mâni') le recours à cet autre moyen (à savoir l'absence de maîtrise du calcul astronomique), cela n'est plus présent.
A moins que la situation elle-même qui avait cours à l'époque doive se perpétuer chez les musulmans ? La question est donc de savoir si, quand le Prophète a dit : "Nous sommes un peuple qui ne connaît pas l'écriture ni le calcul (astronomique)", est-ce qu'il faisait un simple constat (ikhbâr) de la situation de l'époque, ou bien est-ce qu'il traçait la ligne de conduite à suivre (amr) pour les musulmans ?
La réponse est que ce ne peut pas être la recommandation d'une ligne de conduite, car sinon cela voudrait dire que les musulmans ne devraient pas chercher à maîtriser non seulement le calcul astronomique mais aussi la lecture et l'écriture ! Or les musulmans se sont alphabétisés – et ils ont eu raison de ne pas rester dans la même situation où les Arabes d'avant l'Islam et du début de l'Islam se trouvaient bien malgré eux –, et c'est même le Prophète (sur lui la paix) qui a cherché à développer la maîtrise de la lecture et de l'écriture chez ses Compagnons (les hadîths sont bien connus). La parole du Prophète en question est donc un simple constat de la situation de l'époque et non une recommandation à garder à toutes les époques (cf. Al-Madkhal li dirâssat is-sunna an-nabawiyya, pp. 177-178).
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B) Cependant, ce seul raisonnement par ta'lîl, proposé par Cheikh Shâkir, ne suffit pas à rendre légal le recours au calcul, en lieu et place de l'observation du croissant :
En effet, car, comme nous l'avons écrit dans un autre article, consacré à l'analogie (à propos de salâhiyya li-l-adâ') :
Or le recours à l'observation du croissant relève justement, d'après ce qu'a écrit Ibn Taymiyya, du cas b.5.
Ibn Taymiyya écrit en effet qu'il y a consensus sur le fait que c'est l'observation du croissant qui est le moyen approprié pour débuter chaque mois islamique : "ما ذكرناه من أن الأحكام مثل صيام رمضان متعلقة بالأهلة لا ريب فيه لكن الطريق إلى معرفة طلوع الهلال هو الرؤية لا غيرها: بالسمع والعقل" (MF 25/146). Et : "فإنا نعلم بالاضطرار من دين الإسلام أن العمل في رؤية هلال الصوم أو الحج أو العدة أو الإيلاء أو غير ذلك من الأحكام المعلقة بالهلال بخبر الحاسب أنه يرى أو لا يرى: لا يجوز. والنصوص المستفيضة عن النبي صلى الله عليه وسلم بذلك كثيرة؛ وقد أجمع المسلمون عليه. ولا يعرف فيه خلاف قديم أصلا؛ ولا خلاف حديث، إلا أنَّ بعض المتأخرين من المتفقهة الحادثين بعد المائة الثالثة زعم أنه إذا غم الهلال جاز للحاسب أن يعمل في حق نفسه بالحساب فإن كان الحساب دل على الرؤية صام وإلا فلا. وهذا القول، وإن كان مقيدا بالإغمام ومختصا بالحاسب، فهو شاذ مسبوق بالإجماع على خلافه. فأمّا اتباع ذلك في الصحو أو تعليق عموم الحكم العام به، فما قاله مسلم" (MF 25/132 ; voir aussi Al-Iqtidhâ, pp. 86-84).
L'avis auquel Ibn Taymiyya fait ici allusion est celui du shafi'ite Ibn Surayj (et peut-être aussi de Ibn Qutayba, voire même de Mutarrif ibn Abdillâh, un tâbi'î). Ibn Hajar écrit ainsi :
"قوله فاقدروا له تقدم أن للعلماء فيه تأويلين. وذهب آخرون إلى تأويل ثالث: قالوا: معناه فاقدروه بحساب المنازل قاله أبو العباس بن سريج من الشافعية، ومطرف بن عبد الله من التابعين، و ابن قتيبة من المحدثين. قال ابن عبد البر: "لا يصح عن مطرف وأما بن قتيبة فليس هو ممن يعرج عليه في مثل هذا." قال: "ونقل بن خويز منداد عن الشافعي مسألة ابن سريج؛ والمعروف عن الشافعي ما عليه الجمهور." ونقل ابن العربي عن ابن سريج أن قوله فاقدروا له خطاب لمن خصه الله بهذا العلم، وأن قوله فأكملوا العدة خطاب للعامة. قال ابن العربي: "فصار وجوب رمضان عنده مختلف الحال: يجب على قوم بحساب الشمس والقمر، وعلى آخرين بحساب العدد." قال: "وهذا بعيد عن النبلاء." وقال ابن الصلاح: "معرفة منازل القمر هي معرفة سير الأهلة؛ وأما معرفة الحساب فأمر دقيق يختص بمعرفته الآحاد." قال: "فمعرفة منازل القمر تدرك بأمر محسوس يدركه من يراقب النجوم وهذا هو الذي أراده ابن سريج وقال به في حق العارف بها في خاصة نفسه." ونقل الروياني عنه أنه لم يقل بوجوب ذلك عليه وإنما قال بجوازه. وهو اختيار القفال وأبي الطيب. وأما أبو إسحاق في المهذب فنقل عن ابن سريج لزوم الصوم في هذه الصورة" (Fat'h ul-bârî 4/157).
Avant Ibn Taymiyya, al-Bâjî avait déjà écrit ce qui suit, que Ibn Hajar relate ainsi : "وقد ذهب قوم إلى الرجوع إلى أهل التسيير في ذلك وهم الروافض؛ ونقل عن بعض الفقهاء موافقتهم.
قال الباجي: "وإجماع السلف الصالح حجة عليهم" (FB 4/163).
Les preuves par lesquelles le musulman établit la présence de ces causes et conditions, et l'absence d'empêchants, ces preuves, al-Qarâfî les appelle : "أدلة وقوع الأسباب والشروط وعدم وقوع الموانع" (Al-Furûq, farq n° 16). Al-Qarâfî souligne que ces preuves peuvent être autres que celles explicitement spécifiées dans les textes : "وأما أدلة وقوعها فهي غير منحصرة. فالزوال مثلا، دليلُ مشروعيته سببا لوجوب الظهر عنده قولُه تعالى {أقم الصلاة لدلوك الشمس}. ودليلُ وقوع الزوال وحصوله في العالم الآلات الدالة عليه وغير الآلات كالأسطرلاب والميزان وربع الدائرة والشكارية والزرقالية والبنكام والرخامة البسيطة والعيدان المركوزة في الأرض وجميع آلات الظلال وجميع آلات المياه وآلات الطلاب كالطنجهارة وغيرها من آلات الماء وآلات الزمان وعدد تنفس الحيوان إذا قدر بقدر الساعات وغير ذلك من الموضوعات والمخترعات التي لا نهاية لها. وكذلك جميع الأسباب والشروط والموانع لا تتوقف على نصب من جهة الشرع. بل المتوقف سببية السبب وشرطية الشرط ومانعية المانع. أما وقوع هذه الأمور فلا يتوقف على نصب من جهة صاحب الشرع ولا تنحصر تلك الأدلة في عدد ولا يمكن القضاء عليها بالتناهي" (Al-Furûq, farq n° 16). Cependant, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de limites à ce genre d'analogie, puisque al-Qarâfî écrit aussi, par ailleurs, au sujet de l'établissement du début des mois lunaires, que cela ne peut pas être établi par calcul : "والفرق وهو المطلوب هاهنا وهو عمدة السلف والخلف أن الله تعالى نصب زوال الشمس سبب وجوب الظهر. وكذلك بقية الأوقات لقوله تعالى {أقم الصلاة لدلوك الشمس} أي لأجله، وكذلك قوله تعالى {فسبحان الله حين تمسون وحين تصبحون} {وله الحمد في السماوات والأرض وعشيا وحين تظهرون} قال المفسرون هذا خبر معناه الأمر بالصلوات الخمس في هذه الأوقات حين تمسون المغرب والعشاء وحين تصبحون الصبح وعشيا العصر وحين تظهرون الظهر والصلاة تسمى سبحة، ومنه سبحة الضحى أي صلاتها؛ فالآية أمر بإيقاع هذه الصلوات في هذه الأوقات وغير ذلك من الكتاب والسنة الدال على أن نفس الوقت سبب؛ فمن علم السبب بأي طريق كان، لزمه حكمه؛ فلذلك اعتبر الحساب المفيد للقطع في أوقات الصلوات. وأما الأهلة فلم ينصب صاحب الشرع خروجها من الشعاع سببا للصوم، بل رؤية الهلال خارجا من شعاع الشمس هو السبب، فإذا لم تحصل الرؤية لم يحصل السبب الشرعي فلا يثبت الحكم. ويدل على أن صاحب الشرع لم ينصب نفس خروج الهلال عن شعاع الشمس سببا للصوم قوله صلى الله عليه وسلم: "صوموا لرؤيته وأفطروا لرؤيته"، ولم يقل: "لخروجه عن شعاع الشمس"، كما قال تعالى {أقم الصلاة لدلوك الشمس}. ثم قال: "فإن غم عليكم" أي خفيت عليكم رؤيته "فاقدروا له" وفي رواية: "فأكملوا العدة ثلاثين"؛ فنصب رؤية الهلال أو إكمال العدة ثلاثين، ولم يتعرض لخروج الهلال عن الشعاع" (Al-Furûq, farq n° 102).
En fait, chez al-Qarâfî aussi, c'est le Ijmâ' qui a rendu l'analogie impossible ("وفيه قولان عندنا وعند الشافعية رحمهم الله تعالى. والمشهور في المذهبين عدم اعتبار الحساب؛ فإذا دل حساب تسيير الكواكب على خروج الهلال من الشعاع من جهة علم الهيئة، لا يجب الصوم؛ قال سند من أصحابنا: فلو كان الإمام يرى الحساب فأثبت الهلال به، لم يتبع، لإجماع السلف على خلافه، مع أن حساب الأهلة والكسوفات والخسوفات قطعي" : Al-Furûq, 2/177), et, de fait, a conduit al-Qarâfî a déterminer la vision comme étant la cause du début du mois (رؤية الهلال خارجا من شعاع الشمس) et non pas la phase de visibilité du croissant (خروج الهلال عن شعاع الشمس). Car, sinon, pour la prière de l'éclipse aussi il y a le terme "vision" qui a été employé dans la Sunna : "إن الشمس والقمر آيتان من آيات الله، لا يخسفان لموت أحد ولا لحياته؛ فإذا رأيتم ذلك، فادعوا الله، وكبروا وصلوا وتصدقوا" (al-Bukhârî), "إن الشمس والقمر لا يكسفان لموت أحد، ولا لحياته، ولكنهما من آيات الله، يخوف الله بهما عباده؛ فإذا رأيتم كسوفا، فاذكروا الله حتى ينجليا" (Muslim 901/6).
Il faut seulement noter ici que certains ulémas, comme as-Subkî hier, al-Qaradhâwî aujourd'hui, disent que c'est bien l'observation du croissant (et non le calcul) qui est déterminant pour faire débuter chaque mois, mais disent des données du calcul astronomique qu'ils sont une des conditions pour l'acceptation d'une affirmation (et, quand cela est nécessaire d'après certaines écoles, d'un témoignage) d'observation : si ces calculs ont établi que le croissant ne pouvait absolument pas être visible, le témoignage est invalidé (cf. Al-Madkhal li dirâssat is-sunna an-nabawiyya, pp. 178-179).
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C) Cependant, un autre principe est ici présent qui pourrait entrer en jeu et appuyer le recours, aujourd'hui, à l'avis de Cheikh Shâkir...
En effet, le même Ibn Taymiyya a écrit par ailleurs que lorsqu'un facteur spécifique apparaît qui n'existait pas auparavant, alors, tant qu'on n'a pas recours à un moyen ou une action en soi illicite, il peut arriver qu'il devienne autorisé d'avoir recours à un nouveau moyen. Il écrit :
"والضابط في هذا والله أعلم أن يقال: إن الناس لا يحدثون شيئا إلا لأنهم يرونه مصلحة، إذ لو اعتقدوه مفسدة لم يحدثوه، فإنه لا يدعو إليه عقل ولا دين.
فما رآه الناس مصلحة، نُظِرَ في السبب المحوج إليه:
فإن كان السبب المحوج إليه أمرا حدث بعد النبي صلى الله عليه وسلم من غير تفريط منا، فهنا قد يجوز إحداث ما تدعو الحاجة إليه.
وكذلك إن كان المقتضي لفعله قائما على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم لكن تركه النبي صلى الله عليه وسلم لمعارض زال بموته.
وأما ما لم يحدث سبب يحوج إليه أو كان السبب المحوج إليه بعض ذنوب العباد، فهنا لا يجوز الإحداث. فكل أمر يكون المقتضي لفعله على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم موجودا، لو كان مصلحة ولم يفعل، يعلم أنه ليس بمصلحة.
وأما ما حدث المقتضي له بعد موته من غير معصية الخالق فقد يكون مصلحة.
ثم هنا للفقهاء طريقان:
أحدهما: أن ذلك يفعل ما لم ينه عنه، وهذا قول القائلين بالمصالح المرسلة.
والثاني: أن ذلك لا يفعل إن لم يؤمر به: وهو قول من لا يرى إثبات الأحكام بالمصالح المرسلة؛ وهؤلاء ضربان:
منهم من لا يثبت الحكم إن لم يدخل في لفظ كلام الشارع أو فعله أو إقراره؛ وهم نفاة القياس.ومنهم من يثبته بلفظ الشارع أو بمعناه؛ وهم القياسيون" (Iqtidhâ' us-sirât il-mustaqîm, p. 258).
Et, justement, alors que, d'une part, les enseignements demandent que, au nom du 'adam ut-tashabbuh, les pays musulmans reviennent à leurs normes culturelles propres, parmi lesquelles figure l'adoption du calendrier islamique pour la marche des affaires du pays ; Ibn ul-'Uthaymîn écrit ainsi : "La plupart des musulmans aujourd'hui ont recours au calendrier non-musulman européen. Alors que nous disposons d'un calendrier islamique ayant été institué par l'un des califes bien guidés, et qui est relié à un grand événement en islam : l'Emigration. Malgré cela, il est délaissé chez beaucoup de gens (musulmans). Au point que certains de ceux qui se rendent dans ce pays [= l'Arabie] disent : "Nous n'avons connu les noms des mois arabes qu'(après être venus) dans ce pays." Cela parce qu'ils ne connaissaient auparavant que "août", etc." (Notes de Ibn ul-'Uthaymîn sur Iqtidhâ' us-sirât il-mustaqîm, note n° 2 p. 15) ; Cheikh Thânwî écrit quant à lui que s'il est autorisé de se référer au calendrier européen, cela "est néanmoins contraire à la sunna des Salaf ; et se référer au calendrier lunaire est sans aucun doute meilleur (afdhal wa ahsan), vu que cela est fardh 'ala-l-kifâya" (voir aussi Bayân ul-qur'ân tome 4 p. 111) ;
... d'autre part le fait de faire dépendre le calendrier lunaire de la vision, chaque mois, du croissant, empêche aujourd'hui son adoption, et pousse automatiquement ces pays musulmans à continuer à se référer au calendrier chrétien. Cela à cause du facteur suivant : nous sommes entrés dans une ère de planifications : chacun établit, au jour et à l'heure près, et ce des mois à l'avance, nombre de ses activités : ses rendez-vous, ses déplacements, etc. Toute la société, tous les pays fonctionnent ainsi aujourd'hui. Or, comment vouloir que les musulmans choisissent le calendrier islamique pour fixer la date de telle et telle de leurs activités quand ils ne peuvent pas savoir, au-delà d'un mois, à quel jour exact cette date correspond-elle ?
Comment réserver, plusieurs mois à l'avance, un billet d'avion depuis par exemple le Caire jusqu'à Jeddah pour le 4 shawwâl quand on ne sait pas si cette date correspondra au mardi ou au mercredi de la première semaine de ce mois ?
"Et je voudrais que la date de départ depuis le Caire soit le 04 shawwâl.
– Eh bien il faudra attendre d'avoir dûment observé le croissant du 1er shawwâl pour déterminer quel jour de la semaine sera ce 04 shawwâl !"
Pareillement, comment vouloir que, en pays musulman, ce soit avec des dates islamiques que le salarié demande à son patron un congé plusieurs mois à l'avance ?
Comment, sur des affiches, annoncer un mois et demi à l'avance qu'il y aura un cours (dars) sur l'islam en tel lieu tel jour, en mentionnant une date islamique, quand il subsiste un flou d'un jour ou deux ?
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Ces deux principes entraînent que...
Le principe cité en B fait que, oui, même si le calcul astronomique a été maîtrisé depuis quelques siècles après l'époque du Prophète (sur lui soit la paix) et donc même si l'empêchement (al-mâni') évoqué dans le hadîth suscité (l'absence de maîtrise, par les Arabes de l'époque, du calcul astronomique) n'est plus présent depuis quelque temps (cela a été cité en A), malgré tout, la simplicité de l'islam et de ses enseignements fait que c'est bien l'observation du croissant qui devrait être gardé comme moyen pour faire débuter les mois lunaires. C'est ce qu'indique le fait que l'avis des ulémas sunnites a toujours été de garder l'observation comme moyen. Cela, c'est la règle normale (al-asl).
Cependant, le principe cité en C fait que aujourd'hui, eu égard à la nécessité (muqtadhî) de planifier des mois à l'avance et donc de disposer d'un calendrier qui puisse remplir cette fonction, on pourrait suivre l'avis de Cheikh Shâkir et avoir recours, à cause de ce réel spécifique (li 'âridh), au moyen du calcul. Car ce muqtadhî n'était pas présent auparavant...
Mais si après-demain la marche de la société redevient simple, sans les planifications actuelles, alors, le 'âridh ayant disparu, c'est de nouveau la règle normale qui est applicable : il faudra de toute façon impérativement retourner au moyen simple de l'observation du croissant, malgré la capacité des musulmans à avoir recours au calcul...
Aujourd'hui, peut-être pourrait-on, dans les pays musulmans, adopter, pour tout ce qui relève de l'usage administratif, un calendrier lunaire fondé sur les calculs astronomiques, et, par ailleurs, pour débuter le ramadan et le mois de dhu-l-hijja (mois du pèlerinage), se référer à l'observation du croissant, "recentrant" ainsi le calendrier pour ces mois. Ce "recentrage" permettrait de corriger d'éventuelles erreurs dans les calculs, car il n'est pas dit qu'il ne peut y en avoir parce que "C'est mathématique !"...
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Ici j'attire votre attention sur un point :
Cet avis de Cheikh Shâkir, je n'ai pas dit y adhérer, je n'ai pas dit non plus le désapprouver. Je me suis contenté de vous relater les arguments sur lesquels il se fonde. Pour moi il s'y trouve une piste que je trouve intéressante par rapport au problème des nécessaires planifications des sociétés contemporaines. Mais de ma part c'est seulement là une "réflexion" (c'est le terme exact que j'avais utilisé lorsque cet avis avait été cité anciennement dans l'article 306).
J'avais fait le même genre de précision dans l'article relatant l'avis de al-'Awwâ au sujet de la sanction pour apostasie.
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Note supplémentaire :
Ibn Taymiyya a également écrit au sujet de choses autres que l'établissement du début des mois lunaires qu'elles n'ont pas à être établies par des moyens autres que les moyens simples et naturels des premiers musulmans. Et il fait la critique de ceux qui, parmi les musulmans postérieurs, disent qu'il est nécessaire d'avoir recours à ce genre de moyens plus sophistiqués (par exemple le calcul par le pôle Nord pour l'établissement de la Qibla).
Parfois, même le seul fait d'avoir recours à ces moyens plus sophistiqués, sans dire qu'il est nécessaire d'y avoir recours, Ibn Taymiyya le traite de complication inutile.
Ainsi en est-il :
– non pas seulement de l'établissement du début de chaque mois lunaire (comme nous l'avons vu plus haut) ;
– mais aussi de :
----- l'établissement de l'apparition de par exemple l'aube (as-sub'h us-sâdiq / ath-thânî), à laquelle sont liés le début de la marge légale de l'accomplissement de la prière de l'aube (salât ul-fajr / us-sub'h) ainsi que le début du jeûne ;
----- l'établissement de la direction de La Mecque, pour l'établissement de la Qibla (direction à prendre pendant les prières rituelles) ;
----- l'établissement de la prière de l'éclipse du soleil et de l'éclipse de lune.
Ibn Taymiyya a ainsi écrit que les calculs ne peuvent servir de seul fondement pour effectuer la prière de l'éclipse, tant qu'on ne constate pas de visu cette dernière :
"ولكن إذا تواطأ خبر أهل الحساب على ذلك، فلا يكادون يخطئون. ومع هذا، فلا يترتب على خبرهم علم شرعي؛ فإن صلاة الكسوف والخسوف لا تصلى إلا إذا شاهدنا ذلك.
وإذا جوز الإنسان صدق المخبر بذلك أو غلب على ظنه، فنوى أن يصلي الكسوف والخسوف عند ذلك، واستعَدَّ ذلك الوقت لرؤية ذلك، كان هذا حثًّا من باب المسارعة إلى طاعة الله تعالى وعبادته" (Majmû' ul-fatâwâ 24/258).
On ne peut donc pas, pour effectuer la prière de l'éclipse solaire partielle, se fonder seulement sur les calculs tels qu'ils sont annoncés des jours à l'avance dans les médias, alors même que dans la réalité, le moment venu, le temps étant nuageux, on ne saurait jamais qu'éclipse il y a. Et ce d'autant plus que, pour le cas de cette prière, il y a aussi la condition de voir ("Lorsque vous les voyez (s'éclipser)") explicitement stipulée dans la Sunna : "إن الشمس والقمر لا ينكسفان لموت أحد. فإذا رأيتموهما، فصلوا" (al-Bukhârî, Muslim).
Voici maintenant ce que Ibn Taymiyya écrit à propos de vérifier la direction de la Qibla par des moyens autres que le seul moyen naturel d'approximation :
"فهذا علم صحيح حسابي يعرف بالعقل. لكن معرفة المسلمين بقبلتهم في الصلاة ليست موقوفة على هذا. بل قد ثبت عن صاحب الشرع صلوات الله عليه أنه قال: "ما بين المشرق والمغرب قبلة"؛ قال الترمذي: "حديث صحيح". وبهذا كان عند جماهير العلماء أن المصلّى ليس عليه أن يستدل بالقطب ولا الجدى ولا غير ذلك، بل إذا جعل من في الشام ونحوها المغرب عن يمينه والمشرق عن شماله، كانت صلوته صحيحة؛ فان الله إنما أمر باستقبال شطر المسجد الحرام؛ وفي الحديث: "المسجد قبلة مكة، ومكة قبلة الحرم، والحرم قبلة الأرض."
ولهذا لم يعرف عن الصحابة أنهم ألزموا الناس في الصلاة أن يعتبروا الجدي. ولهذا أنكر الإمام احمد وغيره من العلماء على من ألزم الناس باعتبار الجدي فضلا عن طول البلاد وعرضها.
بل المساجد التي صلى فيها الصحابة، كمسجد دمشق وغيره، فيه انحراف يسير عن مسامتة عين الكعبة، وكذلك غيره. فكان هذا من الحكمة أن يعرف إجماع الصحابة والتابعين لهم بإحسان، على أن المصلِّى ليس عليه مسامتة عين الكعبة بل تكفيه الجهة التي هي شطر المسجد الحرام" (Ar-Radd 'ala-l-Mantiqiyyîn, pp. 211-212).
Il écrit de même à propos d'établir le moment de l'aube par des calculs :
"واليوم يعرف بطلوع الفجر؛ وهو النور الذي يظهر من جهة المشرق؛ وهو أول نور الشمس المتصل الذي لا ينقطع (بخلاف الفجر الأول فانه يأتي بعده ظلمة والاعتبار في الشرع في الصلاة والصيام وغير ذلك بالثاني). ويعرف بالحس والمشاهدة كما يعرف الهلال؛ ويعرف بالقياس على ما قرب منه تقريبا إذا عرف عند طلوعه مواضع الكواكب من السماء فيستدل في اليوم الثاني بذلك على وقت طلوعه.
وأما تقدير حصة الفجر بأمر محدود من حركة الفلك مساو لحصة العشاء كما فعله طائفة من الموقتين، فغلطوا في ذلك كما غلط من قدر قوس الرؤية تقديرا مطلقًا" (Ar-Radd 'ala-l-Mantiqiyyîn, p. 218).
Voici sa conclusion :
"وقد ذكر كثير من متأخري الفقهاء مسائل وذكروا أنها لا تنحلّ إلا بطريق الجبر والمقابلة.
وقد بيّنّا أنه يمكن الجواب عن كل مسألة شرعية جاء بها الرسول صلى الله عليه وسلم بدون حساب الجبر والمقابلة، وإن كان أيضا حساب الجبر والمقابلة صحيحا. وقد كان لأبِي وجدّي (رحمهما الله فيه) من النصيب ما قد عرف. فنحن قد بيّنّا أن شريعة الإسلام ومعرفتها ليست موقوفة على شيء يتعلم من غير المسلمين أصلا، وإنْ كان طريقًا صحيحًا. بل طريق الجبر والمقابلة: فيها تطويل يغنى الله عنه بغيره، كما ذكرنا في المنطق.
وهكذا كل ما بعث به الرسول صلى الله عليه وسلم مثل العلم بجهة القبلة، والعلم بمواقيت الصلاة، والعلم بطلوع الفجر، والعلم بالهلال، فكل هذا يمكن العلم به بالطرق المعروفة التي كان الصحابة والتابعون لهم بإحسان يسلكونها ولا يحتاج معها إلى شيء آخر، وإن كان كثير من الناس قد أحدثوا طرقا أخر.
وكثير منهم يظن أنه لا يمكن المعرفة بالشريعة إلا بها، وهذا من جهلهم" (Ar-Radd 'ala-l-Mantiqiyyîn, p. 212).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).