Dans le Coran et la Sunna, le terme "خير" (Khayr) désigne parfois le "bienfait", et le terme "شرّ" (Sharr) : le malheur ; mais d'autres fois le premier mot désigne le bien moral, et le second le mal moral.
De même, dans le Coran les termes "حَسَنَة" (Hassana) et son antonyme "سَيِّئَة" (Sayyi'a) désignent eux aussi parfois le bienfait et le malheur ; et d'autres fois ils désignent le bien et le mal moraux.
C'est Dieu qui crée ce qui constitue un bienfait comme ce qui constitue un tort, de même qu'Il crée le bien moral comme le mal moral : Les actions de l'homme, est-ce Dieu, ou bien l'homme, qui les crée ? – La différence entre "خَلْق" ("créer quelque chose") et "رضاء" ("aimer cela pour l'homme").
C'est également Dieu qui a voulu que le bienfait et le tort, et le bien moral et le mal moral se réalisent : Le mal moral qui se produit sur Terre, est-ce Dieu qui a voulu qu'il se produise ? – La différence entre "إرادة كونية / تكوينية" : "Volonté divine existentielle", et "إرادة شرعية / تشريعية" : "Volonté divine normative".
Or le prophète Muhammad (que Dieu le bénisse et le salue), dans les invocations qu'il adressait à Dieu, Lui a dit (entre autres choses) ceci : "لبيك وسعديك والخير كله في يديك، والشر ليس إليك" :
"Me voici !
Le bien est tout entier dans Tes Mains.
Le mal n'est pas vers Toi" (Muslim, 771).
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Le bien moral et le mal moral :
Nous croyons bien que le mal moral qui se produit a été voulu par Dieu. Cependant, il s'agit de Sa volonté existentielle (irâda takwîniyya). Et nul ne peut s'appuyer dessus pour se déresponsabiliser et justifier ce qu'il fait, en disant : "C'est Dieu qui a voulu que je boive de l'alcool". C'est pourquoi on dit : "القدر يؤمَن به، ولا يُحتجّ به" : "Que Dieu fait se réaliser les actions et qu'Il les a prédéterminées, on y croit, mais on n'argumente pas à partir de cela".
Même s'il est vrai que toute action que l'on fait se fait suite à la volonté existentielle de Dieu, par respect pour Dieu, on ne dira même pas : "Je reconnais que je suis fautif. C'est Dieu qui a voulu que je boive de l'alcool".
C'est Iblîs qui a fait ainsi : après qu'il ait refusé d'obéir à l'ordre de Dieu de se prosterner devant Adam et qu'il ait réfuté même le bien-fondé de cet ordre, voici ce que (dès après avoir obtenu de Lui la possibilité de vivre jusqu'à la Fin du monde) il dit à Dieu : "قَالَ فَبِمَا أَغْوَيْتَنِي لأَقْعُدَنَّ لَهُمْ صِرَاطَكَ الْمُسْتَقِيمَ ثُمَّ لآتِيَنَّهُم مِّن بَيْنِ أَيْدِيهِمْ وَمِنْ خَلْفِهِمْ وَعَنْ أَيْمَانِهِمْ وَعَن شَمَآئِلِهِمْ وَلاَ تَجِدُ أَكْثَرَهُمْ شَاكِرِينَ" : "(Iblis) dit : "A cause du fait que Tu m'as égaré, je m'assoirai pour eux [= les fils d'Adam] sur le Chemin Droit, puis je viendrai à eux de devant eux, de derrière eux, de leur droite et de leur gauche. Et Tu ne trouveras pas la plupart d'eux reconnaissants (à Toi)"" (Coran 7/16-17).
Ce que les autres font de mal, on croit également que c'est Dieu qui l'a voulu, mais, de plus, on ne peut s'appuyer sur la irâda takwîniyya de Dieu pour dire qu'on ne fait strictement aucun effort pour (à l'échelle de ce qui est mashrû' pour soi, selon la situation dans laquelle on se trouve) résorber ce mal moral et faire émerger le bien moral.
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Le bonheur et le malheur :
Bienfait se dit "نفْع" (Naf'), et méfait (ou tort) se dit : "ضَرّ" (Dharr). On retrouve ces deux termes dans maints versets coraniques, sous la forme nominale que nous venons de voir ou sous la forme verbale (yanfa'u / yadhurru).
Tout comme il ne s'agirait pas, au prétexte que c'est Dieu qui les crée et qui les veut (de irâda takwîniyya), de ne plus arriver à distinguer le bien et le mal moraux, il ne s'agirait pas de ne plus arriver à distinguer le bienfait et le tort. Il s'agit tout au contraire de distinguer le premier du second : on souhaite bénéficier de bienfaits, et on demande à Dieu de nous préserver de ce qui constitue pour nous un tort, un malheur.
Par contre, il s'agit de ne pas attribuer à Dieu, directement et tel quel, le tort qui nous atteint.
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Il faut noter ici les 3 points suivants :
Les 3 points suivants peuvent être en même temps compris de cette parole du Prophète suscitée : "لبيك وسعديك والخير كله في يديك، والشر ليس إليك" : "Me voici ! Le bien est tout entier dans Tes Mains. Le mal n'est pas vers Toi" (Muslim, 771) :
– 1) Même dans les choses créées par Dieu (maf'ûlât ullâh) et recelant des torts pour un humain ou pour un groupe d'humains, ces torts ne sont jamais des torts purs (mah'dh), totaux (kullî) et absolus (mutlaq). Non.
Ce sont des torts pour tel groupe d'hommes.
Mais rapportés à l'ensemble de la création, un tort présent dans une chose créée par Dieu est toujours partiel (juz'î) et relatif (idhâfî) ; à une échelle plus grande (laquelle dépasse notre perception et notre compréhension), ce tort s'avère être un bien.
On le voit bien au travers des trois choses que Dieu fit se réaliser par le moyen de Al-Khidhr devant Moïse (que la paix soit sur eux deux) : bien que constituant des torts pour les propriétaires du bateau, les parents de l'enfant et Al-Khidhr et Moïse eux-mêmes (dans le cas de la réparation du mur dans la cité inhospitalière), il y avait, derrière chacun de ces torts, un bienfait plus grand.
– 2) On comprend dès lors facilement que le tort existe pour certaines personnes dans certaines choses qui sont créées (maf'ûlât ullâh) par les actes de Dieu (af'âl ullâh), mais dans aucun acte de Dieu (fi'lun min af'âl illâh) créant ces choses. Non.
Tout acte de Dieu (fi'l ullâh) est toujours un bien (khayr), car les Décisions de Dieu sont toujours Sages, même si nous n'en percevons pas toujours la Sagesse. L'acte de Dieu créant le mal et le malheur est donc forcément un bien, une perfection.
Ces deux points 1 et 2 ne signifient nullement qu'il ne faille rien entreprendre pour faire disparaître une calamité qui s'est abattue sur soi-même ou sur une autre personne.
Au contraire (et cela justement parce qu'il distingue le bienfait du malheur), l'homme doit faire ce qu'il peut faire (ce qui est en son possible et ce qui est licite) pour soulager sa propre souffrance ainsi que la souffrance des autres créatures. Mais nous ne parlons ici que de la vision que l'homme doit avoir des malheurs et calamités qui s'abattent parfois sur lui ou certains de ses semblables : il ne doit pas percevoir cela comme une injustice de la part de Dieu. Le croyant doit agir face aux calamités et aux malheurs, mais il ne doit pas se révolter intérieurement contre, ni qualifier d'injustice de la part de Dieu, ce qui n'est que l'expression d'une décision et d'un fait de Dieu.
De même, l'homme doit faire ce qu'il peut (à l'échelle de ce qui est mashrû' pour lui, selon la situation dans laquelle il se trouve) pour résorber le mal moral qu'il voit autour de lui, et faire émerger le bien moral.
– 3) Enfin, ce qui constitue un tort (partiel et isolé) par rapport à des créatures, par respect par Dieu on ne le Lui attribue pas tel quel (on ne dit donc pas : "Dieu m'a infligé cela", bien que c'est bien Lui qui l'a créé et qui a décidé que telle créature ('ayn) le subirait).
Non...
Ce qu'on fait plutôt c'est...
--- 3.1) soit on n'attribue pas du tout ce tort à Dieu.
Mais :
----- soit on emploie une formule générale (laquelle englobe toute chose, donc les torts aussi) : "Si un bienfait les touche, ils disent : "Ceci est de la part de Dieu." Et si un malheur les touche, ils disent : "Ceci est à cause de toi." Dis : "Tout est de la part de Dieu"" (Coran ) ;
----- soit on mentionne le tort à la voix passive ; comme l'ont fait les djinns dont Dieu rapporte la parole ainsi : "Et nous, nous ne savons pas si un mal a été voulu pour les gens de la Terre ou si Dieu a voulu un bien pour eux" (Coran 72/10) ;
----- soit on ramène ce tort à sa cause (sabab) immédiate parmi les créatures (et non pas à Dieu le Créateur, qui est la Cause des causes, mussabbib ul-asbâb) : "Dis : "[Je cherche protection de Dieu] contre le mal de ce que Dieu a créé" (Coran 113/1-2) ;
----- soit on attribue ce tort au Diable ; comme l'a fait Josué devant Moïse (sur eux soit la paix) : "Et ne m'a fait oublier de me le rappeler que le Diable" (Coran ) ; comme l'a fait aussi Job (sur lui soit la paix) : "Moi, le Diable m'a touché d'un tort et d'un mal" (Coran ).
--- 3.2) soit on n'attribue pas de façon isolée ce qui constitue ce tort à Dieu.
Mais on le Lui attribue en conjonction avec ce qui constitue un bienfait : Abraham dit : "Celui qui me fera mourir puis me fera (re)vivre" (Coran 26/81) ; Moïse (sur lui soit la paix) dit à Dieu : "Ceci n'est que la tentation que Tu (mets en place). Tu égares par son moyen qui Tu veux, et Tu guides qui tu veux" (Coran ).
Le fait est qu'il est certains Fi'l ou Wasf/Sifa dont la raison humaine constate bien que, malgré qu'ils ont été employés au sujet de Dieu dans le Coran ou la Sunna, ils véhiculent un sens constituant un tort (dharar, sharr) (celui-ci ne pouvant évidemment être que partiel, juz'î, et relatif, idhâfî, par rapport à des créatures).
Mais la Perfection réside dans le fait que ce sont les deux Fi'l que Dieu fait : celui qui constitue pour les créatures un bienfait, et celui qui est son opposé et cause aux créatures un méfait. Ainsi est Dieu...
Cependant, par respect pour Dieu, le Fi'l qui constitue un méfait pour les créatures, on ne l'attribue pas à Dieu de façon isolée, mais on le Lui attribue en conjonction avec ce qui constitue un bienfait. C'est d'ailleurs avec cette mise en opposition, ce parallélisme, que ces Fi'l et Wasf/Sifa ont été employés au sujet de Dieu dans le Coran ou la Sunna : "Car Dieu égare ("يضلّ") qui Il veut et guide ("يهدي") qui Il veut" (Coran 35/8).
Dans le même ordre d'idées, on lit que Abraham (sur lui soit la paix) avait dit, parlant de Dieu : "Il est "Celui qui me fera mourir ("يُميتني") puis me fera (re)vivre ("يُحْيِيني")" (Coran 26/81).
(Pourquoi Abraham n'a-t-il pas dit, alors : "Celui qui me fait tomber malade et me guérit", en Coran 26/80, mais a dit : "Celui qui me nourrit et me donne à boire. Et lorsque je tombe malade, Lui me guérit. Celui qui me fera mourir puis me fera (re)vivre" : Coran 26/79-80 ? Cette question est d'autant plus pertinente que mourir est pourtant malheur plus grand que tomber malade d'une maladie qui est suivie de guérison...
La réponse est : Peut-être parce que la mort est inéluctable comme suite de la vie, alors qu'il n'est pas dit que la maladie est inéluctable. Peut-être aussi parce que ce Messager voulait parler ici seulement des maladies qui sont la conséquence de ce que l'on mange ou boit, car, contrairement aux choses précédentes et suivantes, devant "Et lorsque je tombe malade" Abraham n'a pas répété ici le pronom relatif "Alladhî", ce qui relie cette proposition à la précédente, où il est question de manger et de boire. Cf. Bayân ul-qur'ân.)
Quand nous créatures donnons une information au sujet de Dieu (ikhbâr 'an illâh) en employant des Fi'l de ce genre, il nous faut donc veiller à bien reproduire ce parallélisme, et non pas dire seulement par exemple : "Dieu égare".
Ibn ul-Qayyim a écrit des lignes exposant cela. Il dit : "Car la perfection (kamâl) réside dans la conjonction de chacun de ces Noms avec ce qui lui fait face. Car ce qui est voulu dire c'est que (Dieu) est Seul à gérer les créatures :
- dans le fait de donner et dans celui de retenir ;
- dans le fait de causer du bienfait et dans celui de causer un tort ;
- dans le fait de pardonner et dans celui de punir" (Badâ'ï' ul-fawâ'ïd, p. 144, 17ème point).
Pour plus de détails, se référer à notre article relatif aux termes et aux différentes nuances qu'ils véhiculent par rapport à la Perfection soit absolue, soit nuancée.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).