Suite de l'article : Dieu a créé les choses matériels ainsi que les êtres tels que les anges, mais Il a créé aussi les actions humaines, et même les concepts abstraits (1/4).
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Dans tout ce qui touche l'homme sur Terre, il en est qu'il sait être des "bienfaits" (être en vie, être en bonne santé, avoir de quoi satisfaire ses besoins essentiels, etc.), et d'autres qu'il sait être des "torts" (tomber malade, souffrir de la faim, être en dispute permanente, mourir, etc.).
De même, dans tout ce que l'homme fait d'actions durant sa vie, il en est qu'il sait (ou devrait savoir) être "bonnes" (avoir foi en Dieu et être dans l'Alliance avec Lui, Le prier, agir avec bonté et justice vis-à-vis d'autrui, etc.), et d'autres qu'il sait (ou devrait savoir) être "mauvaises" (ne pas croire en l'existence ou en l'unicité de Dieu, ne pas adhérer au dernier message qu'Il a envoyé, être insouciant par rapport à Lui, être injuste envers autrui, etc.).
Est-ce Dieu qui a créé et qui crée ces torts (la maladie, la souffrance, la mort) ?
Est-ce Lui qui a créé et qui crée les mauvaises croyances (kufr, shirk) et actions (ghaf'la, zulm) que des hommes commettent ?
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I) C'est Dieu qui a créé et qui continue de créer toute chose (عَيْن, 'ayn, plur. a'yân) de l'univers :
Adhèrent à cette croyance : l'ensemble des Ahl ul-qib'la (c'est-à-dire l'ensemble des groupes faisant réellement partie de l'Islam, ce qui englobe les Sunnites mais aussi les tendances déviantes telles que Mutazilites etc.).
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II) C'est également Dieu qui crée les torts (malheurs) qui atteignent les hommes :
Mort et maladie sont elles aussi des créatures de Dieu. "Celui qui a créé la mort et la vie afin de vous mettre à l'épreuve : lequel d'entre vous est meilleur en action. Et Il est le Puissant, le Pardonnant" (Coran /2).
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III) Et c'est aussi Dieu qui Crée les actions (فِعْل, fi'l, plur. af'âl) des djinns et des hommes (lesquelles actions sont des 'aradh, plur. a'râdh, et non pas des 'ayn, plur. a'yân) :
C'est là la croyance correcte : Dieu crée toutes les actions (c'est-à-dire les croyances, les actions de coeur et les actions visibles) des djinns et des hommes. C'est Lui qui a créé par exemple l'incroyance et qui la crée.
Le groupe déviant des Qadarites n'adhère pas à cette croyance.
Oui, ils adhèrent bien à la croyance selon laquelle les constituants de l'univers, de même que les anges, les djinns, les humains, sont créés par Dieu (comme exposé en A plus haut).
En revanche, ils prétendent que les actions que les djinns et les hommes font, ces djinns et ces hommes en sont les créateurs, et pas Dieu. Les Qadarites justifient cela en disant d'une part que Dieu, étant Parfait, ne peut pas créer du mal. Et d'autre part que si on dit que c'est Dieu qui crée les actions (de bien ou de mal) des djinns et des humains, comment ces derniers pourraient-ils ensuite être jugés pour ces actions, alors que c'est Dieu qui a créé celles-ci ?
Les Sunnites répondent à cela en disant :
– primo que, si c'est Dieu qui crée les actions des djinns et des humains, ceux-ci acquièrent (kasb) ces actions ; c'est ce qui fait qu'ils seront jugés pour celles-ci. Et c'est ce que nous évoquerons dans le point III.1 (un peu plus bas) ;
– secundo que commettre (kasb) le mal est un mal, mais que par contre créer le mal relève de la Perfection. La croyance ou l'action de mal, c'est un mal pour les humains, car eux n'ont pas le droit de la faire ; par contre, créer ce mal (au sens métaphysique du terme, pas au sens de "favoriser le mal"), créer ce mal, cela est un bien, car relevant de la Toute-Puissance de Dieu ; par ailleurs, au niveau global l'existence de ce mal constitue un bien et recèle une sagesse ;
– tertio que créer le mal, cela ne signifie pas agréer ce mal. Créer, cela se dit : "takwîn". Agréer, cela se dit : "ridhâ" (le contraire étant : "karâha"). Dieu crée le mal, mais déteste celui-ci pour l'homme et le djinn.
Adhérer à cette croyance relève du monothéisme (ta'lîh ullâh wa tawhîdu-hû).
Et adhérer à la croyance des Qadarites constitue un manquement dans le monothéisme, car elle entraîne que les actions du mal commises par les humains et les djinns sont hors création de Dieu (Sharh ul-'aqîda at-tahâwiyya, p. 358, pp. 321-323).
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III.I) Que l'action de l'homme et du djinn (فعل العبد) est créée par Dieu (مفعول الله), cela ne signifie pas qu'elle en devient "l'action de Dieu" (ليس فعلَ الله) : tout au contraire, elle reste "l'action de cet homme ou de ce djinn" (فعل العبد حقيقةً) :
– L'action que l'homme ou le djinn fait (فعل العبد) est créée par Dieu : cette action est donc Sa créature (مفعولُ الله).
– Mais elle ((فعل العبد)) n'est pas le fait de Dieu (فعلَ الله).
On formule ceci ainsi en arabe : "فعل العبد هو مفعولُ الله، ولكن ليس فعلَ الله. ففَرْقٌ بين الفعل والمفعول".
Ce que Dieu fait, cela est le Fait de Dieu ; comme par exemple : Il parle, et prononce alors des Paroles ; Il crée Adam ; Il crée les actions de l'homme et du djinn, etc. Les Faits de Dieu sont incréés, même s'ils se produisent à un moment donné.
Ce que l'homme fait, cela est la créature de Dieu, c'est-à-dire qu'elle voit le jour suite au fait que Dieu l'a créée. Mais vu que c'est l'homme ou le djinn qui a fait cette action, cette action reste son fait à lui. Dès lors, peut-on, dans certains cas, attribuer à Dieu l'action qu'un ange ou qu'un homme a faite ? Non. Sauf cas exceptionnels.
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III.II) Et qu'en est-il de la chose concrète (عين, 'ayn, plur. a'yân) qui résulte de l'action de l'homme (فعل العبد, fi'l, plur. af'âl) ? En d'autres termes : qu'en est-il de la chose concrète qui a été réalisée par l'homme (مفعول العبد) : est-ce aussi une créature de Dieu (مفعولُ الله) ?
Lorsque, par son action (فعل العبد, fi'l ul-'abd), l'homme fabrique par exemple un bateau, une voiture, ou un repas, c'est là une réalisation de l'homme (مفعول العبد, maf'ûl ul-'abd). Mais est-ce aussi une réalisation de Dieu ?
– C'est, plus précisément, elle aussi une créature de Dieu ("makhlûq ullâh"). Le bateau et la voiture sont deux créatures de Dieu. En effet, car elle voit le jour suite au fait que Dieu l'a créée. Dieu a donc créé l'action de l'homme ayant conduit à la réalisation de cette chose, et Il a créé la chose résultant de cette action. On dira donc que cette chose est une "makhlûq ullâh", ou que cette chose est bel et bien une "maf'ûl ullâh" (مفعولُ الله).
– Par contre, on n'emploiera pas le terme évoquant l'action humaine : on ne dira pas que le résultat de l'action humaine est un "masnû' ullâh", un "manhût ullâh", un "matbûkh ullâh", car cette formulation pourrait laisser croire que c'est là le résultat de l'action de Dieu. Or, comme nous l'avons vu en III.1, l'action que l'homme fait est son action à lui, et non pas celle de Dieu. On dira donc que c'est un "masnu' ul-insân".
Quand, dans sa fatwa relative à l'alchimie (MF 29/368-388), Ibn Taymiyya parle de ce que l'homme a la capacité - qadaran - de fabriquer, et de ce qu'il n'a pas la capacité de fabriquer (même pas par transformation de la matière existante), il utilise pour désigner le premier : "masnû' ul-insân", qu'il distingue de : "makhlûq ullâh" (MF 29/369) : cette fois, ce dernier terme signifie : "makhlûq ullâhi mubâsharatan" : le fait est que le "'ayn qui est masnû' ul-insân" est bien un "makhlûq ullâh" lui aussi, mais n'est pas un "makhlûq ullâhi mubâsharatan" : cette dernière formule est réservée - concernant les 'ayn - aux types A, B, C et D dans l'article suivant : A) Ce que Dieu a créé de Sa Main - B) Ce que Dieu a fait (ou fait, ou fera) se réaliser par Sa Parole "Sois !" - C) Ce que Dieu charge des Anges de faire se réaliser - D) Ce qui se réalise lui aussi selon la Volonté Takwînî de Dieu, mais par le biais des causes naturelles que Dieu a créées et qu'Il gère - E) L'action humaine, qui se réalise par la Volonté de Dieu et par le choix de l'homme.
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La preuve de ces deux points III.I et III.II :
Dieu relate dans Son Livre que le prophète Abraham dit à son peuple : "قَالَ أَتَعْبُدُونَ مَا تَنْحِتُونَ وَاللَّهُ خَلَقَكُمْ وَمَا تَعْمَلُونَ" : "Adorez-vous ce que vous sculptez ? Alors que Dieu vous a créés ainsi que ce que vous faites" (Coran 37/95-96). Ce prophète voulait dire à son peuple, qui était idolâtre : "Ces statues que vous vénérez et auxquelles vous rendez le culte en dehors de Dieu, ce ne sont que des créatures de Dieu ; pourquoi les adorez-vous, alors que vous comme elles sont des créatures du même Être. Vous devriez adorer le Créateur Seul."
Que désigne l'idée développée ici par Abraham : ""ce que vous faites" est lui aussi créé par Dieu" ?
– 1) Abraham (sur lui soit la paix) parlait-il de la matière première, c'est-à-dire le bois et le métal, à partir de laquelle les statues étaient confectionnées ? est-ce cette matière première dont Abraham voulait dire à son peuple que c'est Dieu qui l'a créée ?
– 2) ou bien parlait-il de l'action de ces hommes modelant cette matière première pour en faire ces statues ? est-ce leur action de sculpter cette matière première pour lui donner la forme de statues, dont Abraham disait à son peuple que c'est Dieu qui la crée ?
– 3) ou bien s'agit-il du produit fini, du résultat concret de l'action de ces hommes sur la matière première, c'est-à-dire des statues elles-mêmes ? sont-ce ces statues dont Abraham disait à son peuple que c'est Dieu qu'elles sont des créatures de Dieu ?
Ibn Taymiyya et Ibn ul-Qayyim pensent que c'est la réponse 3 qui est la bonne, mais qu'elle implique cependant le contenu de la réponse 2.
Abraham voulait dire à son peuple que ces statues, en tant que produit fini, sont des créatures de Dieu (3). Cependant, si le produit fini résultant d'une action humaine est une créature de Dieu, l'action humaine l'ayant produite est forcément elle aussi une créature de Dieu (2).
Nous avons donc là la preuve des deux affirmations vues en III.1 et III.2.
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IV) Et est-ce aussi suite à la Volonté de Dieu que toutes les actions (fi'l, plur. af'âl) des djinns et des hommes (actions bonnes, mais aussi actions de mal) voient le jour ?
C'est la question qui est abordée dans l'article suivant : Y a-t-il une action qui voie le jour sans que ce soit Dieu qui l'ait voulu ? La différence entre Volonté divine existentielle (takwîniyya / qadariyya) et Volonté divine normative (shar'iyya).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).