Lorsque le texte présente la règle (Mahkûm bih) et l'action de la personne à qui elle s'adresse (Mahkûm 'alayh), mais y adjoint des nuances :
Dans les textes il y a une règle (mahkûm bih) (un statut légal) qui s'applique à une action donnée (fi'l mahkûm 'alayh). Or :
– parfois cette règle (mahkûm bih) s'applique à cette action donnée (fi'l) seulement pour certains sujets (shakhs mahkûm 'alayh) précis ; en d'autres termes, c'est à un groupe d'humains donnés seulement à qui il est demandé d'appliquer ce mahkûm bih ;
– parfois cette règle s'applique à cette action donnée seulement lorsque celle-ci est en relation avec certains objets précis (parmi tous les objets par rapport auquel l'action se réalise) ; ainsi, toucher quelque chose ibâdatan, cela est institué pour les coins de la Kaaba, et pour rien d'autre ; ainsi encore, l'action de combattre est demandée aux musulmans dans certains versets, mais pas par rapport à tout non-musulman, mais seulement par rapport à certains d'entre eux, eu égard à une spécificité qui est la leur (nous avons détaillé cela dans un autre article) ; le bain froid est prescrit dans le hadîth comme remède pour la fièvre, oui, mais uniquement pour la fièvre provoquée par un coup de chaud du désert ;
– parfois cette règle s'applique à cette action donnée (fi'l) seulement lorsqu'on se trouve dans certains moments précis (parmi tous les moments de la vie de l'homme) ; ainsi, le jeûne est obligatoire depuis la révélation du verset coranique en parlant, mais uniquement pendant le mois de ramadan de chaque année) ;
– parfois cette règle s'applique à cette action donnée seulement par rapport à certains lieux précis : ainsi, se déplacer avec un objectif de pèlerinage, cela est institué uniquement pour la Kaaba.
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Un exemple :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a interdit de boire et de manger dans une vaisselle en or ou en argent (les références de ce hadîth sont bien connues).
- La règle (mahkûm bih) est donc l'interdiction.
- L'action (fi'l) concernée par cette règle est : l'utilisation, pour manger ou boire, d'un ustensile en or ou en argent.
- La personne concernée par cette interdiction est générale : tout musulman et toute musulmane.
- L'objet même de l'action est pour sa part général (c'est-à-dire qu'il n'y a pas que ce serait du pain seulement, ou du jus seulement, qu'il serait interdit de manger et de boire dans cet ustensile).
- Le moment ne connaît par contre pas de restriction ici, il est général : cette règle est applicable à tout moment.
- Le lieu est également général : cette règle est applicable partout.
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Pourtant, d'autres fois, il est primordial de cerner qu'est-ce qui, dans le texte même, constitue réellement le thème qui est concerné par le propos tenu à son sujet. Le fait est que celui-ci est moins général qu'il n'y paraît au premier abord :
Premièrement : Vérifier si l'article défini (al-lâm) est bien "intégraliste" (ce qui constitue la normalité), et non pas anaphorique :
Car il est des textes où l'article défini est bien anaphorique, ce qui restreint la généralité du propos présent dans le texte.
Ainsi, certes le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "أُمِرْتُ أَنْ أُقَاتِلَ النَّاسَ حَتَّى يَشْهَدُوا أَنْ لاَ إِلَهَ إِلاَّ اللَّهُ وَيُؤْمِنُوا بِى وَبِمَا جِئْتُ بِهِ" : "Il m'a été ordonné de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils témoignent qu'il n'est de divinité que Dieu et qu'ils croient en moi [en tant que prophète de Dieu] et en ce que j'ai apporté..." (Muslim, n° 21).
- La règle ici évoquée est : l'obligation.
- L'action concernée par cette règle est : combattre jusqu'à la conversion à l'islam.
- Cependant, l'objet même de cette action n'est pas général : il s'agit non pas de tous les hommes, mais seulement des Polythéistes, et seulement dans le lieu "Arabie", ou bien "Hedjaz".
- Par ailleurs, l'obligation ne concerne pas uniquement cet objectif de conversion à l'islam ; il y a également comme autre possibilité qu'ils quittent l'Arabie (ou le Hedjaz).
Nous avons démontré cela de façon détaillée dans un autre article : Le Prophète (sur lui soit la paix) a-t-il dit qu'il lui a été demandé de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils se convertissent à l'islam ?. L'article défini est ici de type العهد الحضوري.
Ainsi encore, Dieu a dit : "وَقَالَتِ الْيَهُودُ: يَدُ اللّهِ مَغْلُولَةٌ غُلَّتْ أَيْدِيهِمْ وَلُعِنُواْ بِمَا قَالُواْ" : "Les juifs ont dit : "La Main de Dieu est liée". Que leurs mains soient liées et qu'ils soient éloignés de la miséricorde pour ce qu'ils ont dit !" (Coran 5/64).
Or c'étai(en)t seulement 1 – ou 2 – juifs de Médine qui avai(en)t dit cela : Pinhas de Banû Qaynuqâ' – et aussi, d'après d'autres avis, de Nabbâsh ibn Qays – (voir Tafsîr ut-Tabarî et Tafsîr ur-Râzî). La raison de ce propos de leur part est qu'ils subissaient alors quelques difficultés financières, et ils dirent alors que Dieu était devenu regardant à la dépense (voir les ouvrages de Tafsîr). Or plaisanter de la sorte au sujet de Dieu est chose grave. Ce qui nous intéresse ici est que, malgré le libellé apparent de ce verset, c'étaient seulement 2 personnes qui avaient tenu ce propos.
Il s'agit donc de traduire le verset ainsi : "Des juifs ont dit : "La Main de Dieu est liée". Que leurs mains soient liées et qu'ils soient éloignés de la miséricorde pour ce qu'ils ont dit !" (Coran 5/64).
Lire à ce sujet notre article :
- a) Dans le Coran et la Sunna, le nom pluriel précédé de l'article défini "Al-" induit normalement une généralité absolue, mais parfois une généralité seulement relative : "Les hommes" (النَّاس) ; "Les polythéistes" (الْمُشْرِكُونَ) ; "Les juifs" (الْيَهُود) ; "Les chrétiens" (النَّصَارَى) (III - 1/2)
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Deuxièmement : Le verset applique-t-il ce propos à tout nouveau cas de figure relevant de la seule lettre présente dans le texte ? ou bien à tout nouveau cas de figure où est présent ce qui constitue le pivot du propos ?
Dieu a dit : "لاَ تَحْسَبَنَّ الَّذِينَ يَفْرَحُونَ بِمَا أَتَواْ وَّيُحِبُّونَ أَن يُحْمَدُواْ بِمَا لَمْ يَفْعَلُواْ فَلاَ تَحْسَبَنَّهُمْ بِمَفَازَةٍ مِّنَ الْعَذَابِ وَلَهُمْ عَذَابٌ أَلِيمٌ" : "Ne pense surtout pas ceux qui sont contents de ce qu'ils ont fait et aiment qu'on fasse leurs éloges pour ce qu'ils n'ont pas fait, ne les pense donc surtout pas être à l'abri du châtiment. Et ils auront un châtiment douloureux" (Coran 3/188).
Ayant appréhendé ce verset selon sa seule littéralité, Marwân ibn ul-Hakam envoya Râfi' auprès de Ibn Abbâs lui dire ceci par rapport à ce verset : "لئن كان كل امرئ فرح بما أوتي، وأحب أن يحمد بما لم يفعل معذبا، لنعذبن أجمعون" : "Si tout homme qui est content de ce qu'il a reçu et aime qu'on fasse ses éloges pour ce qu'il n'a pas fait sera châtié, nous serons tous châtiés !" Il considérait donc le fait d'être ainsi comme étant la cause (sabab) de l'applicabilité du propos.
Mais Ibn Abbâs expliqua alors le sens réel de ce verset : "إنما دعا النبي صلى الله عليه وسلم يهود فسألهم عن شيء فكتموه إياه، وأخبروه بغيره فأروه أن قد استحمدوا إليه بما أخبروه عنه فيما سألهم، وفرحوا بما أوتوا من كتمانهم. ثم قرأ ابن عباس: {وإذ أخذ الله ميثاق الذين أوتوا الكتاب} كذلك حتى قوله: {يفرحون بما أتوا ويحبون أن يحمدوا بما لم يفعلوا}" : Ibn Abbâs fit valoir que tout s'expliquait en fait par rapport à la cause de révélation du verset, à l'époque du Prophète (sur lui soit la paix) : le Prophète avait demandé quelque chose à un groupe de Gens du Livre de son époque. Ceux-ci lui dissimulèrent la vérité et lui dirent autre chose. Puis ils se réjouirent du "tour" qu'ils lui avaient joué. C'est cela, le fait d'être contents de la dissimulation qu'on a faite, et le fait, en plus, d'aimer qu'on reçoive des éloges pour ce qui revient à ne pas avoir répondu correctement à la question posée, c'est cela qui fait qu'on n'est pas à l'abri du châtiment. Ibn Abbâs souligna ensuite que le verset qui précède parle explicitement de Gens du Livre [Ibn Abbâs voulait dire qu'il faut analyser le verset sans le couper du passage dans lequel il s'intégrait] (rapporté par al-Bukhârî, 4292).
- Le hukm ici mentionné est donc : la menace d'un châtiment dans l'au-delà.
- Mais l'action à laquelle ce hukm était relié était non pas seulement se réjouir pour ce qu'on a fait et être content de recevoir des éloges pour ce qu'on n'a pas fait fait (ce qui constitue une sabab), mais faire ainsi comme l'avaient fait ces gens de l'époque du Prophète (sur lui soit la paix) (ce qui constitue une manât).
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Troisièmement : Il s'agit de cerner le principe motivant (manât) auquel la règle est reliée, puis de vérifier (tahqîq ul-manât) si ce principe est bien présent dans le cas qui nous fait face, ou pas :
En effet, car, en vertu de la Signification par Extraction à partir de la Signification de la Lettre du Texte, ou Dalâla qiyâsiyya, deux opérations sont réalisées :
– D'une part, bien que le terme utilisé dans le texte n'inclut pas une chose x, cette chose x renferme elle aussi la propriété ayant motivé (manât) l'application de la règle (mahkûm bih) à la chose y que le texte a, elle, explicitement mentionnée ; à la chose x aussi s'applique alors le mahkûm bih.
C'est ce qui constitue l'application du propos ayant été stipulé dans le texte, à toute chose semblable au thème (mahkûm 'alayh) mentionné dans le texte, cette chose n'y eût-elle pour sa part pas été évoquée.
Lire à ce sujet les articles suivants :
- a) Faire la Ta'lîl d'une règle (hukm) présente dans les textes des sources ;
- b) Raisonnement par analogie : Qiyâs ul-illa et Qiyâs ul-maslaha
- c) Trois types d'analogie (تعدية الحكم), selon l'évidence de cette analogie.
– Cependant et d'autre part, cette recherche du principe motivant, manât, entraîne parallèlement qu'il existe une chose z qui tombe sous le coup de ce qu'indique le terme présent dans le texte (yatanâwalu-hu-l-lafz ud-dâllu 'ala-l-mahkûmi 'alayh, wa-l-mawjûd fi-n-nass), mais ne recèle pas la propriété ayant motivé l'application de la règle (lâ yûjadu fî-hi manât ul-mahkûm bih) : à cette chose z, la règle (mahkûm bih) ne s'applique alors pas.
Nous vous invitons à lire à ce sujet nos 3 articles :
- a) Faire la Ta'lîl d'une règle (hukm) présente dans les textes des sources ;
- b) La règle est applicable à une chose portant un nom. Or cette chose ('ayn / 'amal) portait ce nom mais ne le porte désormais plus. La règle est-elle toujours applicable à cette chose ('ayn / 'amal) ? ;
- c) Lorsque l'applicabilité d'une règle (mahkûm bih) à une action (mahkûm 'alayh), cela est stipulé dans les textes de façon générale et inconditionnelle, alors qu'en fait l'applicabilité de cette règle à cette action est restreinte, eu égard au principe la motivant (تخصيص حكم النص بالتعليل).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).