1) Les points évoqués dans les textes de l'islam sont de deux types :
– les massâ'ïl i'tiqâdiyya (ou : khabariyya, ou : 'ilmiyya) : les points relatifs à des croyances pures ;
– et les massâ'ïl 'amaliyya : les points relatifs à des actions à réaliser, ou à des actions dont l'homme doit s'abstenir.
Comme exemples de massâ'ïl i'tiqâdiyya / khabariyya / 'ilmiyya, on peut citer : l'existence de Dieu, Son Unicité, l'existence des anges, la véracité de Muhammad (sur lui soit la paix) dans son affirmation d'être le dernier messager de Dieu, savoir quels noms attribuer à Dieu, savoir si Dieu a des attributs ou non, et lesquels, savoir ce qui se passera dans l'au-delà, savoir si les actions des hommes sont prédestinées ou non, savoir en combien de fois l'ange Uriel soufflera-t-il dans la Trompette (le Cor), etc... Ce n'est pas qu'aucune action n'est requise par rapport à ces points, puisque le fait d'y croire constitue déjà une action (comme al-Bukhârî l'a écrit : "باب من قال: إن الإيمان هو العمل") ; c'est qu'il s'agit d'une action d'un type quelque peu particulier :
--- seul le fait d'y croire est requis, et la question de "les mettre en pratique" ne se pose pas.
Différents sont les massâ'ïl 'amaliyya :
--- il s'agit de croire en la justesse de ces prescriptions (obligations ou interdictions) ;
--- mais, de plus, il s'agit de les mettre en pratique (quand il s'agit d'une obligation ou d'une recommandation) ; ou de se préserver de les pratiquer (quand il s'agit d'une interdiction ou d'un caractère déconseillé).
Comme exemples de ces genre de points, on peut citer : aimer concrètement Dieu plus que toute chose, accomplir les cinq prières, donner la zakât, se préserver de boire de l'alcool, pour une musulmane se couvrir, lorsqu'en présence d'hommes autres que son mari et ses proches parents, tout le corps sauf le visage, les mains et les pieds, etc.
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Ceci nous donne 3 choses :
- avoir les bonnes croyances pures : Dieu est Unique ; Muhammad (sur lui soit la paix) est Son dernier Messager ; les Anges et les démons existent ; il y a une vie après la mort ; il y aura une résurrection des corps puis un jugement ; etc.;
- avoir les bonnes croyances liées aux actions :Telle action est obligatoire ; telle autre est recommandée ; telle autre est purement autorisée ; telle action est déconseillée ; et telle autre est interdite - Tel élément est licite, et tel autre est illicite - Telle façon de réaliser telle action est déterminée (mu'ayyan), par contre, telle autre n'est pas déterminée et tout autre moyen permettant de la réaliser est légal - ;
- agir concrètement selon ces bonnes croyances relatives aux actions : donc, concrètement, accomplir les bonnes actions et se préserver des mauvaises...
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2) Ce que certains ulémas ont affirmé :
Voulant exposer ce qui fait la différence entre "erreur ijtihâdî" et "erreur de déviance, dhalâl", certains illustres ulémas ont écrit que la première ne peut concerner que des points de pratique (massâ'ïl 'amaliyya, comme le fait de savoir s'il est recommandé ou pas de lever les mains avant la génuflexion ou non pendant la prière ; pour la femme de devoir se couvrir le visage ou pas), et jamais des points de croyance pure (massâ'ïl i'tiqâdiyya).
Selon ces ulémas, les erreurs d'interprétation qui sont des erreurs ijtihâdî, pour lesquelles celui qui a fait une erreur aura une récompense (contre deux pour celui qui est parvenu à l'avis juste), ne peuvent donc concerner que les points de pratique (massâ'ïl 'amaliyya) et jamais des points de croyance (massâ'ïl i'tiqâdiyya). Car, toujours selon ces ulémas, toute divergence, toute erreur d'interprétation, voyant le jour par rapport à un point du domaine des croyances (massâ'ïl i'tiqâdiyya) constitue de l'égarement, de la déviance, en un mot : de la dhalâl. Ceci car, disent-ils, il n'y a aucune place pour l'ijtihad dans les questions de croyance. Toute erreur dans un point de croyance constitue donc un péché.
C'est ce que d'illustres ulémas ont affirmé.
Certaines personnes ont rajouté à cela ce qui suit : dans les points de pratique (massâ'ïl 'amaliyya), tout avis ayant été émis par un des mujtahids reconnus est juste ("Kullu mujtahid fi-l-massâ'ïl il-'amaliyya : mussîb", disent-ils).
Certains ulémas, eux, sans aller jusqu'à cette dernière affirmation, sont eux aussi partis de l'idée de contrebalancer le fait que selon eux dans les points de croyance (massâ'ïl i'tiqâdiyya) toute divergence est inacceptable car les textes sont toujours qat'î, et ont dit que dans les points de pratique (massâ'ïl 'amaliyya), entre les avis ayant été émis par les mujtahids reconnus, un seul est juste, mais la vérité ne peut jamais être distinguée de façon qat'î ("Layssa fi-l-massâ'ïl il-mukhtalaf fîhâ bayn al-mujtahidîn al-mash'hûrîn qâti'", disent-ils). Par contre, s'il y a un texte qat'î sur un point, il peut arriver qu'un muftî postérieur donne une fatwa différente, et alors il fait erreur et il a un péché (vu que erreur d'interprétation et péché vont de pair selon eux).
Ces affirmations (celle d'illustres ulémas, et les deux autres que nous venons de relater) sont-elles vérifiées ? (La première, celle qui a été émise par d'illustres ulémas, je l'ai moi-même répétée pendant des années.)
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3) Ce que ces ulémas ont dit là est-il juste ? Est-il vrai que dès que dans le domaine des croyances pures (massâ'ïl i'tiqâdiyya) il y a une divergence, tous les avis autres qu'un seul relèvent systématiquement de la déviance (dhalâl) ?
La réponse est : Non, ce que ces ulémas ont dit là est erroné.
Ibn Taymiyya écrit :
"فإن مسائل الدِّقِّ [أي: الدقيقة] في الأصول، لا يكاد يتفق عليها طائفة. إذ لو كان كذلك لما تنازع في بعضها السلف من الصحابة والتابعين. وقد ينكر الشيء في حال دون حال، وعلى شخص دون شخص.
وأصل هذا ما قد ذكرْتُه في غير هذا الموضع: أن المسائل الخبرية قد تكون بمنزلة المسائل العملية. (وإن سميت تلك مسائل أصول وهذه مسائل فروع، فإن هذه تسمية محدثة، قسمها طائفة من الفقهاء والمتكلمين، وهو على المتكلمين والأصوليين أغلب، لاسيما إذا تكلموا في مسائل التصويب والتخطئة.
وأما جمهور الفقهاء المحققين والصوفية، فعندهم أن الأعمال أهم وآكد من مسائل الأقوال المتنازع فيها، فإن الفقهاء كلامهم إنما هو فيها، وكثيرًا ما يكرهون الكلام في كل مسألة ليس فيها عمل، كما يقوله مالك وغيره من أهل المدينة...
بل الحق أن الجليل من كل واحد من الصنفين مسائل أصول، والدقيق مسائل فروع. فالعلم بوجوب الواجبات كمباني الإسلام الخمس، وتحريم المحرمات الظاهرة المتواترة كالعلم بأن الله على كل شيء قدير، وبكل شيء عليم، وأنه سميع بصير، وأن القرآن كلام الله، ونحو ذلك، من القضايا الظاهرة المتواترة؛ ولهذا من جحد تلك الأحكام العملية المجمع عليها كفر، كما أن من جحد هذه كفر.
وقد يكون الإقرار بالأحكام العملية أوجب من الإقرار بالقضايا القولية، بل هذا هو الغالب. فإن القضايا القولية يكفي فيها الإقرار بالجمل، وهو الإيمان بالله وملائكته، وكتبه ورسله، والبعث بعد الموت، والإيمان بالقدر خيره وشره. وأما الأعمال الواجبة، فلابد من معرفتها على التفصيل؛ لأن العمل بها لا يمكن إلا بعد معرفتها مفصلة؛ ولهذا تقر الأمة من يفصلها على الإطلاق، وهم الفقهاء، وإن كان قد ينكر على من يتكلم في تفصيل الجمل القولية، للحاجة الداعية إلى تفصيل الأعمال الواجبة، وعدم الحاجة إلى تفصيل الجمل التي وجب الإيمان بها مجملة).
وقولنا "إنها قد تكون بمنزلتها" يتضمن أشياء
ـ منها: أنها تنقسم إلى قطعيّ وظنّيّ؛
ـ ومنها: أن المصيب وإن كان واحدًا، فالمخطئ قد يكون معفوًا عنه، وقد يكون مذنبًا، وقد يكون فاسقًا، وقد يكون كالمخطئ في الأحكام العملية سواء.
لكن تلك، لكثرة فروعها والحاجة إلى تفريعها، اطمأنت القلوب بوقوع التنازع فيها والاختلاف؛ بخلاف هذه. لأن الاختلاف هو مفسدة لا يحتمل إلا لدرء ما هو أشد منه؛ فلمّا دعت الحاجة إلى تفريع الأعمال وكثرة فروعها، وذلك مستلزم لوقوع النزاع، اطمأنت القلوب فيها إلى النزاع؛ بخلاف الأمور الخبرية، فإن الاتفاق قد وقع فيها على الجمل، فإذا فصلت بلا نزاع فحسن؛ وإن وقع التنازع في تفصيلها فهو مفسدة من غير حاجة داعية إلى ذلك. (ولهذا ذم أهل الأهواء والخصومات، وذم أهل الجدل في ذلك والخصومة فيه؛ لأنه شر وفساد من غير حاجة داعية إليه).
لكن هذا القدر لا يمنع تفصيلها، ومعرفة دِقِّها وجِلِّها، والكلام في ذلك، إذا كان بعلم. ولا مفسدة فيه، ولا يوجب أيضا تكفير كل من أخطأ فيها، إلا أن تقوم فيه شروط التكفير.
هذا لعَمْرِي في الاختلاف الذي هو تناقض حقيقي.
فأما سائر وجوه الاختلاف، كاختلاف التنوع والاختلاف الاعتباري واللفظي ، فأمره قريب؛ وهو كثير أو غالب على الخلاف في المسائل الخبرية"
(MF 6/56-58).
Traduction d'une partie de ce passage :
"(...) Le fondement de cela est ce que j'ai déjà évoqué ailleurs qu'ici : Les massâ'ïl khabariyya sont parfois comme les massâ'ïl 'amaliyya. (...)
Ce propos venant de moi : "Les (massâ'ïl khabariyya) sont parfois comme les (massâ'ïl 'amaliyya)", cela englobe plusieurs choses,
– parmi lesquelles ceci : Les (massâ'ïl khabariyya) se subdivisent en : qat'î et zannî ;
– parmi ces choses il y (aussi) ceci : L'avis juste, même s'il n'est (au sujet des massâ'ïl khabariyya) qu'un seul, celui qui adhère à l'avis erroné est parfois excusé, parfois pécheur, parfois grand pécheur, et parfois comme celui qui a fait une erreur dans les massâ'ïl 'amaliyya. (...)" (MF 6/56-58).
Avec respect, donc, nous dirons que les illustres ulémas qui ont avancé la première affirmation susmentionnée, ces ulémas ont fait là une erreur.
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4) Des exemples concrets prouvant ce que nous venons de relater :
– A) Il existe des points de croyances où il y a latitude à l'ijtihâd ("li-l-ijtihâdi fi-l-mas'alati massâgh"), même si un seul des avis existant est juste ("as-swawâbu wâhid").
Parmi ces points, ensuite :
--- A.a) certains sont tels que la détermination de l'avis juste est possible de façon tranchée (qat'î) ;
--- A.b) d'autres sont tels que la détermination de l'avis juste n'est possible que de façon supposée (zannî).
Les points suivants relèvent de cette catégorie A (certains sont du type A.a, d'autres du type A.b) :
- Le Prophète (sur lui soit la paix) a-t-il vu Dieu lors de la nuit de l'ascension (al-isrâ' wa-l-mi'râj), ou ne l'a-t-il alors pas vu mais a seulement entendu directement Ses Paroles ?
- Les morts entendent-ils directement les propos (soit la salutation seulement, soit d'autres propos aussi) que les vivants leur tiennent devant leur tombe, ou ne les entendent-ils pas ?
- La Trompette (le Cor) retentira-t-elle(il) en tout : 2 fois, 3 fois, ou 4 fois ?
- Ceux qui auront fait telle et telle bonne action seront-ils, le jour du Jugement, dans l'Ombre de Dieu Lui-même, ou dans l'ombre de Son Trône, ou dans une ombre que Dieu créera alors, comme celle d'un nuage particulier ?
- Dieu a-t-Il créé le Trône avant le Calame, ou le Calame avant le Trône ?
- Quelle différence y a-t-il entre un Nabî et un Rassûl ?
- Des humains et des anges, qui ont plus de valeur ?
- De Khadîja et Aïcha, de Khadîja et Fâtima, de Khadîja et Marie la mère de Jésus, qui est la meilleure (afdhal) ?
- Est-ce le cœur, ou bien le cerveau, qui est le siège de la raison ?
- Etc.
Qui a décrété l'un des avis existant à propos de l'un de ces points comme étant de la déviance, dhalâl ?
Personne ! Un seul des avis existant au sujet de chacun de ces points est juste (swawâb), mais ce sont tous des points ijtihâdî : aucun des avis existant sur ces points ne constitue de la déviance (dhalâl), bien que ce soient des points de croyance pure.
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– B) Par contre, il est, c'est vrai, d'autres points de croyance où il n'y a aucune latitude à l'ijtihâd, de sorte que tout avis différent d'une posture précise constitue un cas de déviance (dhalâl ghayru kufr) ; la divergence d'avis est donc inacceptable ici.
Ainsi, sur les points suivants, la première posture est juste, alors que la seconde (et éventuellement la troisième) constitue(nt) de la déviance (dhalâl ghayru kufr) :
- Celui qui a le minimum de foi voulu mais qui commet des actions interdites ou néglige des actions obligatoires (sans en renier le caractère interdit ou obligatoire) : sa foi est-elle diminuée ? ou bien reste-t-elle complète (la foi étant simplement "dans le cœur" et n'étant pas touchée par les actions visibles) ? ou bien encore, tout au contraire, disparaît-elle complètement ?
- Les actions, bonnes et mauvaises, que l'homme aura faites sur Terre seront-elles réellement pesées sur une balance le jour du Jugement, ou est-ce que cela est à comprendre au sens allégorique ?
- Y a-t-il une félicité et un châtiment pour les défunts dans le monde allant de la mort jusqu'à avant la Fin du Monde, ou tout cela est-il à appréhender seulement au sens allégorique ?
- Le mal moral que des hommes font, Dieu le crée-t-Il lui aussi, ou bien n'est-il pas créé par Dieu ?
- Le mal moral que des hommes font, s'est-il produit sur Terre suite au fait que Dieu en a voulu ainsi, ou a-t-il été fait hors volonté de Dieu ?
- La volonté de Dieu est-elle de deux types, takwînî et tashrî'î, ou bien rien n'est à comprendre ainsi, la volonté de Dieu (irâda) étant seulement ce qu'Il agrée (ridhâ) ?
- La Parole de Dieu est-elle incréée (ce qui revient à dire que Dieu parle en Se faisant entendre directement) ? ou bien la Parole de Dieu est-elle créée (ce qui signifie que Dieu crée une voix exprimant exactement ce qu'Il veut dire, et c'est cette voix que l'ange Gabriel, le prophète Moïse et, lors de la nuit de l'ascension, le prophète Muhammad (sur eux soit la paix) ont entendue) ?
- Dieu n'a pas Deux Mains comme les nôtres, cela est certain. Mais a-t-Il Deux Mains dont nous ne connaissons pas comment elles sont mais Dieu le sait, ou bien Dieu n'a-t-Il pas Deux Mains, la formule figurant dans le Coran signifiant seulement : "Puissance" ou "Faveur" ? (Mullâ 'Alî al-Qârî écrit : "ثم رأيتُ السلف أجمعوا على عدم تأويل اليد، و تبعهم الأشعري في ذلك. بخلاف سائر الصفات: فإن فيها خلافًا عنهم بين التأويل [أي تأويل معناها] و التفويض [أي عدم تأويل معناها و تفويض كيفها" : Shar'h ul-fiqh il-akbar, p. 176). Selon 'Alî al-Qarî, donc, sur la Qualification "Deux Mains" aucune divergence n'est acceptable [ce qui revient à dire que tout autre avis constitue de la déviance], alors que sur [certaines ?] autres Qualifications, la question reste ijtihâdî, et celui qui est d'un autre avis fait seulement une erreur ijtihâdî (khata' ijtihâdî : qat'î, aw zannî), mais qui ne va pas jusqu'à la déviance (dhalâl). C'est là en tous cas ce que pense Mullâ 'Alî al-Qârî. (La question du "ساق" : s'agit-il d'un Attribut divin ou pas ?, cela semble en effet être seulement de niveau "ijtihâdî".) Ce qui nous intéresse ici c'est que sur la question de la Qualification "Deux Mains" précisément, il est certain que la divergence n'est pas acceptable et que l'autre avis constitue du dhalâl [cependant apparemment cela relève du cas B.a.b.b. dans notre article traitant de la déviance].
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– C) Enfin, il est d'autres points de croyance où il n'y a non plus aucune latitude à l'ijtihâd et où la divergence d'avis est, là aussi inacceptable ; cependant, ici, tout avis qui diffère d'une posture précise constitue un cas du kufr akbar.
Ainsi, sur les points suivants, la première posture est juste, alors que celle qui vient après constitue du kufr akbar :
- Dieu a-t-Il capacité à rassembler les cendres de quelqu'un ayant été disséminées et à le ressusciter, ou n'a-t-Il pas capacité à faire cela ?
- L'ange Gabriel a-t-il transmis le dernier message divin à son destinataire correct, ou bien s'est-il trompé, ayant confondu Muhammad (sur lui soit la paix) et 'Alî ibn Abî Tâlib (que Dieu l'agrée) ?
- Muhammad (sur lui soit la paix) est-Il le dernier prophète de Dieu, ou Ahmad de Qadian (Inde) est-il lui aussi un prophète de Dieu, son prophétat étant cependant une simple "réflexion" (in'ikâs) de celui de Muhammad ?
- Les juifs et les chrétiens d'aujourd'hui sont-ils sur une religion ayant été abrogée et qui n'est donc plus agréée par Dieu, ou sont-ils sur une religion toujours agréée par Dieu ?
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On voit que, en vertu de ce que nous avons vu en A, il est erroné de dire que toute divergence, tout avis, toute erreur prenant place à propos de n'importe quel point du domaine des croyances (al-'aqâ'ïd) constitue une déviance (dhalâl ghayru kufr) (laquelle déviance constitue, en soi, une action de péché, bien que la personne ayant émis / adopté cet avis de déviance peut être excusée, et ce à cause de son ignorance du texte traitant de ce point, ou de sa mauvaise compréhension de ce texte).
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5) Et à propos des points liés à des actions de pratique (massâ'ïl 'amaliyya) non plus, tous les avis émis par l'ensemble des mujtahidûn reconnus ne sont pas justes : un seul est juste, les autres sont erronés :
Nous avons démontré cela dans deux articles précédents :
- Lorsqu'il y a divergence d'interprétations ou d'opinions entre les mujtahidûn, chaque avis est-il juste (swawâb) ?
- Quand il y a divergence d'interprétations ou d'avis entre les mujtahidûn, l'avis qui est juste (swawâb) peut-il toujours être distingué de façon qat'î ?
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6) A propos des points liés à des actions de pratique (massâ'ïl 'amaliyya), il peut même y avoir des avis de déviance (dhalâl ghayru kufr), voire de kufr akbar :
– Ainsi, sur les points suivants, la première posture est juste, et la seconde constitue du kufr akbar :
- 5 prières rituelles quotidiennes : il y a, sur chaque musulman et chaque musulmane majeur, l'obligation d'accomplir ces 5 prières / il n'y a pas une pareille obligation ;
- la zakât : il y a, sur chaque musulman et chaque musulmane, l'obligation de s'acquitter de la zakât / il n'y a pas pareille obligation ;
- la consommation de vin : cela est interdit à tout musulman et toute musulmane / cela n'est pas interdit pour le musulman qui est très pieux ;
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– Et sur le point suivant, la première posture est juste, et la seconde constitue de la déviance (dhalâl ghayru kufr) :
- Le combat (qitâl) qui est institué (mashrû') dans le Coran, est-ce uniquement du combat purement défensif (difâ' mahdh), ou est-ce que, en sus du combat défensif (difâ'), le Coran parle aussi de combat purement offensif (iqdâm mahdh) ?
Alors, bien sûr, aujourd'hui ce combat offensif (lire notre autre article) ne peut pas être appliqué, vu les accords internationaux de non-agrandissement des territoires (lire notre article).
Par ailleurs, il y a, entre les ulémas, divergence d'avis quant au principe ('illa) entraînant le caractère institué (mashrû') d'entrer en belligérance avec une cité de façon purement offensive (iqdâm mah'dh) : – certains ulémas pensent que c'est le simple fait que cette cité est une Dâr ul-kufr ; – d'autres disent que c'est le fait que cette cité Dâr ul-kufr constitue une puissance de kufr à l'échelle régionale ou mondiale ; – d'autres encore disent que c'est le fait que cette cité Dâr ul-kufr n'accorde pas à ses habitants la liberté de se convertir à l'islam.
Cependant, nous ne parlons pas ici de l'applicabilité ou de la non-applicabilité d'un tel combat, ni des conditions énoncées par les ulémas pour son applicabilité autrefois. Nous parlons seulement du caractère en soi institué (mashrû'iyya) ou en soi non-institué ('adam ul-mashrû'iyya).
Dire que le combat purement offensif (B.5) n'est en soi pas institué (ghayr mashrû'), donc inexistant en islam, c'est un avis de déviance (dhalâl ghayru kufr) (alors que dire que le combat purement défensif B.1 n'est en soi pas institué en islam, c'est tenir un avis de kufr akbar) (Dars-é Tirmidhî, Muftî Taqî, 5/207).
On voit ici, maintenant, qu'il est faux de dire que toute divergence, tout avis, toute fatwa prenant place à propos de n'importe quel point du domaine des actions de pratique (al-a'mâl) constitue une simple erreur ijtihâdî (laquelle, en soi, rapporte une récompense à son auteur), et ne peut jamais être une erreur de déviance (dhalâl ghayru kufr), et encore moins de kufr akbar.
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7) Un autre écrit de Ibn Taymiyya se rapportant lui aussi à ce que nous avons vu :
Ibn Taymiyya, voulant aussi montrer qu'il est erroné de dire :
– d'une part que "les questions de ussûl sont les (massâ'ïl) 'ilmiyya i'tiqâdiyya, à propos desquelles il est demandé le 'ilm et la i'tiqâd seulement ; et les questions de furû' sont les (massâ'ïl) 'amaliyya, à propos desquelles le 'amal est demandé" ;
– et d'autre part que faire une erreur d'interprétation entraîne systématiquement un péché si cela se déroule dans les ussûl et non pas les furû',
Ibn Taymiyya, voulant montrer que cela est erroné, a très justement écrit ceci :
"وأما غير هؤلاء فيقول: هذا قول السلف وأئمة الفتوى كأبي حنيفة والشافعي، والثوري وداود بن علي، وغيرهم، لا يؤثمون مجتهدًا مخطئًا في المسائل الأصولية، ولا في الفروعية، كما ذكر ذلك عنهم ابن حزم وغيره (...). وقالوا: هذا هو القول المعروف عن الصحابة والتابعين لهم بإحسان وأئمة الدين: أنهم لا يكفرون ولا يفسقون ولا يؤَثِّمُون أحدًا من المجتهدين المخطئين، لا في مسألة عملية ولا علمية".
Un peu plus loin, il poursuit en écrivant ceci :
"فإن المسائل العملية فيها ما يكفر جاحده، مثل: وجوب الصلوات الخمس والزكاة وصوم شهر رمضان وتحريم الزنا والربا والظلم والفواحش.
وفي المسائل العلمية ما لا يأثم المتنازعون فيه، كتنازع الصحابة: هل رأي محمد ربه؟ وكتنازعهم في بعض النصوص: هل قاله النبي، أم لا؟ وما أراد بمعناه؟ وكتنازعهم في بعض الكلمات: هل هي من القرآن، أم لا؟ وكتنازعهم في بعض معاني القرآن والسنة: هل أراد الله ورسوله كذا وكذا؟ وكتنازع الناس في دقيق الكلام، كمسألة الجَوْهَر الفَرْد وتماثل الأجسام وبقاء الأعراض، ونحو ذلك، فليس في هذا تكفير ولا تفسيق.
قالوا: والمسائل العملية فيها عمل وعلم، فإذا كان الخطأ مغفورًا فيها، فالتي فيها علم بلا عمل أولي أن يكون الخطأ فيها مغفورًا"
(MF 19/207-208).
Traduction d'une partie de ce passage :
"(...) Les massâ'ïl 'amaliyya, il est parmi eux ce qui est tel que celui qui le renie dit propos de kufr (akbar) : comme l'obligation des cinq prières quotidiennes et du jeûne du ramadan, et l'interdiction de l'adultère, de l'intérêt, et de l'injustice et des fawâhish.
Et les massâ'ïl 'ilmiyya, parmi eux il en est qui est tel que ceux qui ont des divergences à son sujet ne font pas de péché : comme la divergence des Compagnons : "Est-ce que Muhammad a vu son Seigneur [lors de l'ascension nocturne] ?" ; comme leur divergence à propos de certains textes : "Le Prophète les a-t-il prononcés ou non ?" ; comme leur divergence à propos de certains mots : "Font-ils partie du Coran ou non ?" ; comme leur divergence à propos de certains sens du Coran et de la Sunna : "Dieu et Son Messager ont-ils voulu dire (ici) ceci et ceci ?" ; comme la divergence des gens à propos des points complexes (daqîq) du kalâm, tels que la question du jawhar et du fard, de tamâthul ul-ajsâm et baqâ' ul-a'râdh, et choses semblables : il n'y a en cela ni takfîr, ni tafsîq."
Puis Ibn Taymiyya relate cet autre contre-argument : "Les massâ'ïl 'amaliyya, il s'y trouve du 'ilm et du 'amal : si donc l'erreur qui s'y produit est excusée, alors l'erreur qui se produit dans (les massâ'ïl) où il y a du 'ilm sans 'amal sera excusée à plus forte raison" (MF 19/208).
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8) Ce qui fait de la divergence d'avis : "une divergence de type guidance versus une déviance", ou, au contraire, "une divergence seulement ijtihâdî", ce n'est donc pas le fait que la divergence prend place dans un point des croyances ou, au contraire, un point de pratique. Eh bien, qu'est-ce qui fait de la divergence une divergence de ce premier ou au contraire de ce second types ?
La réponse à cette question est que c'est le fait que les textes des sources qui traitent du point faisant l'objet d'avis divergents sont d'une nature telle qu'ils n'offrent pas, ou au contraire offrent, une latitude à ce genre de divergence.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).