Dans le cas de certains versets, la connaissance de la cause de la révélation (سبب النزول) permet de comprendre le verset d'une façon nuancée (خاصّ/ مقَّيد) par rapport à ce que semble indiquer sa seule littéralité (عموم ظاهر اللفظ).
Un des exemples les plus évidents à cet égard est le verset : "لَيْسَ عَلَى الَّذِينَ آمَنُواْ وَعَمِلُواْ الصَّالِحَاتِ جُنَاحٌ فِيمَا طَعِمُواْ إِذَا مَا اتَّقَواْ وَّآمَنُواْ وَعَمِلُواْ الصَّالِحَاتِ ثُمَّ اتَّقَواْ وَّآمَنُواْ ثُمَّ اتَّقَواْ وَّأَحْسَنُواْ وَاللّهُ يُحِبُّ الْمُحْسِنِينَ" : "A ceux qui ont apporté foi et fait les bonnes actions, il n'y a pas de problème dans ce qu'ils ont consommé, pourvu qu'ils aient été pieux, aient apporté foi et aient fait les bonnes actions, puis qu'ils aient (continué à) être pieux, à avoir foi et à agir de façon excellente (ihsân). Dieu aime ceux qui agissent de façon excellente" (Coran 5/93). Celui qui ne connaît pas la cause de révélation de ces phrases et ne cherche pas à la connaître pourrait croire que, les pieux (ceux qui ont la foi, font les bonnes actions et se préservent des mauvaises), il leur est autorisé de consommer toute chose. Or ce verset parle seulement de ceux des musulmans qui sont morts avant la révélation des versets interdisant la consommation d'alcool et qui avaient consommé cette boisson rendue par la suite interdite. Du moment qu'ils respectaient les interdits alors révélés, veut dire ce verset, il n'y a pas de problème par rapport à ce qu'ils avaient consommé qui n'avait alors pas encore été interdit.
Nous avons cité d'autres cas du même genre dans un article précédent (lire cet article : il s'agit du cas 1.1).
Pourtant, d'un autre côté, le principe est bien connu qui dit que la considération doit aller à la généralité du texte et non à la seule cause de sa révélation (العبرة بعموم اللفظ، لا بخصوص سبب النزول).
Comment concilier ces deux principes apparemment contradictoires ?
Le propos (hukm) que le verset communique est-il restreint d'application au seul thème (mahkûm 'alayh) au sujet duquel ce verset a été révélé ? ou bien est-il d'applicabilité générale ?
En fait deux grands cas se présentent à nous ici...
– Cas de figure A) Soit ce dont le verset parle (al-mahkûm 'alayh) est mentionné de façon générale ('âmm) (لفظه عامّ).
– Cas de figure B) Soit ce dont le verset parle (al-mahkûm 'alayh) est mentionné de façon explicitement particulière ('ayn), la formulation même se rapportant à ce cas particulier.
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– Cas de figure A) Soit le cas dont le verset parle (al-mahkûm 'alayh) est mentionné de façon générale ('âmm) (لفظه عامّ) :
Deux sous-cas se présentent ensuite :
--- A.a) soit il est explicitement dit dans le verset que le propos (hukm) qu'il communique est applicable à tous les cas relevant du thème dont il parle ;
--- A.a) soit il est certain qu'il y a un événement particulier qui a entraîné la révélation de ce verset, ce qui a conféré au verset une portée allusive (ta'rîdh) (تعريض) ; cependant, le propos est général ; par ailleurs, le verset ne dit pas aussi explicitement que cela était le cas en A.a si le propos (hukm) qu'il communique est applicable à tous les cas relevant du thème dont il parle.
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– Cas de figure B) Soit le cas dont le verset parle (al-mahkûm 'alayh) est mentionné de façon explicitement particulière ('ayn), la formulation même se rapportant à ce cas particulier :
Deux sous-cas se présentent ensuite :
--- B.a) l'identité de la personne, ou de l'objet, dont le verset parle n'est pas explicitement formulée mais est néanmoins certaine, ce qui a conféré au verset une portée allusive (ta'rîdh) (تعريض) ;
--- B.b) soit l'identité de la personne, ou de l'objet, est clairement mentionnée dans le verset.
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Voyons maintenant tout cela de façon détaillée...
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– Cas de figure A) Soit ce dont le verset parle (al-mahkûm 'alayh) est mentionné de façon générale ('âmm) (لفظه عامّ) :
Il y a alors 2 sous-cas :
--- A.a) soit il est explicitement dit dans le verset que le propos (hukm) qu'il communique est applicable à tous les cas relevant du thème dont il parle ;
--- A.b) soit il est certain qu'il y a un événement particulier qui a entraîné la révélation de ce verset, ce qui a conféré au verset une portée allusive (ta'rîdh) (تعريض) ; cependant, le propos est général ; par ailleurs, le verset ne dit pas aussi explicitement que c'était le cas en A.a si le propos (hukm) qu'il communique est applicable à tous les cas relevant du thème dont il parle.
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Il faut ici souligner que la généralité peut être de plusieurs niveaux :
--- il y a la généralité qui est universelle ;
--- et il y a la généralité qui est bien moindre (par exemple le verset s'adresse aux polythéistes ; ou encore aux chrétiens ; ou aux juifs ; ou aux musulmans).
Lire mon article : A qui s'adresse le propos présent dans tel, ou tel verset du Coran ? - لمن الخطاب في الآية ؟.
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Par ailleurs, il existe ici un autre découpage, avec, alors, deux autres types :
--- A.1) Soit le verset fait lui-même allusion à l'existence d'un événement qui a été la cause de sa révélation ;
--- A.2) Soit le verset lui-même ne fait pas allusion à un événement qui a été la cause de sa révélation, mais cet événement est néanmoins relaté par ailleurs (dans la Sunna ou bien la Sîra).
Voyons de façon détaillée ces deux sous-cas A.a et A.b (aussi bien au sein de A.1 que de A.2)...
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--- Cas A.a) Le texte du verset dit explicitement que le propos (hukm) qu'il communique est applicable à tous les cas relevant du thème dont il parle :
--- "قَدْ سَمِعَ اللَّهُ قَوْلَ الَّتِي تُجَادِلُكَ فِي زَوْجِهَا وَتَشْتَكِي إِلَى اللَّهِ وَاللَّهُ يَسْمَعُ تَحَاوُرَكُمَا إِنَّ اللَّهَ سَمِيعٌ بَصِيرٌ" : "Dieu a entendu le propos de celle qui discutait avec toi au sujet de son mari et qui se plaignait à Dieu. Et Dieu entendait votre conversation. Dieu est Audient, Voyant" (Coran 58/1). Ce verset a été révélé suite à la plainte d'une femme précise, comme le montre l'allusion qui y est faite (Khawla bint Tha'laba). Cependant, suivent 3 autres versets qui sont rattachés à ce premier et qui offrent la solution. Or ces versets présentent une formulation tout à fait générale : "وَالَّذِينَ يُظَاهِرُونَ مِن نِّسَائِهِمْ ثُمَّ يَعُودُونَ لِمَا قَالُوا فَتَحْرِيرُ رَقَبَةٍ مِّن قَبْلِ أَن يَتَمَاسَّا" : "Et ceux qui emploient la formule "du dos" à propos de leur femme puis reviennent sur ce qu'ils ont dit, devront…" (Coran 58/3). Employer cette formule est donc la cause (sabab) entraînant l'application du propos (mahkûm bih).
--- Un autre exemple en est le verset dit "de la kalâla" (Coran 4/176) a été révélé suite au cas de Jâbir ibn Abdillâh (al-Bukhârî 91, Muslim 1616). Ce verset fait d'ailleurs explicitement allusion au fait qu'il y a eu question : "يَسْتَفْتُونَكَ قُلِ اللّهُ يُفْتِيكُمْ فِي الْكَلاَلَةِ" : "Ils te questionnent. Dis : "Dieu vous donne Sa consultation au sujet du (cas de) kalâla""). Cependant, la règle qui suit est, de façon explicite, générale : "إِنِ امْرُؤٌ هَلَكَ لَيْسَ لَهُ وَلَدٌ وَلَهُ أُخْتٌ" : "Si un homme meurt sans enfant mais a une sœur, alors…" (Coran 4/176).
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--- Cas A.b) D'une part, il est certain qu'il y a un événement particulier qui a entraîné la révélation de ce verset, ce qui a conféré au verset une portée allusive (ta'rîdh) (تعريض) ; cependant, et d'autre part, le verset ne dit pas de façon explicite si le propos (hukm) qu'il communique est applicable à tous les cas appartenant au thème dont il parle :
--- "لاَ تَحْسَبَنَّ الَّذِينَ يَفْرَحُونَ بِمَا أَتَواْ وَّيُحِبُّونَ أَن يُحْمَدُواْ بِمَا لَمْ يَفْعَلُواْ فَلاَ تَحْسَبَنَّهُمْ بِمَفَازَةٍ مِّنَ الْعَذَابِ وَلَهُمْ عَذَابٌ أَلِيمٌ" : "Ne pense surtout pas ceux qui sont contents de ce qu'ils ont fait et aiment qu'on fasse leurs éloges pour ce qu'ils n'ont pas fait, ne les pense donc surtout pas être à l'abri du châtiment. Et ils auront un châtiment douloureux" (Coran 3/188). Bien que le terme soit général, ce qu'il désigne (murâd) est particulier : il s'agit d'un groupe de Gens du Livre de l'époque, à qui le Prophète (sur lui soit la paix) posa une question ; ils lui dissimulèrent la vérité et lui dirent autre chose ; et ils furent contents de ce qu'ils avaient fait là. Nous y reviendrons plus bas.
--- "وَلَا يَأْتَلِ أُوْلُوا الْفَضْلِ مِنكُمْ وَالسَّعَةِ أَن يُؤْتُوا أُوْلِي الْقُرْبَى وَالْمَسَاكِينَ وَالْمُهَاجِرِينَ فِي سَبِيلِ اللَّهِ وَلْيَعْفُوا وَلْيَصْفَحُوا أَلَا تُحِبُّونَ أَن يَغْفِرَ اللَّهُ لَكُمْ وَاللَّهُ غَفُورٌ رَّحِيمٌ" (Coran 24/22). Ce verset dit que les gens de bien et d'aisance ne doivent pas faire serment qu'ils ne donneront plus (rien) aux proches, pauvres et ayant émigré pour la cause de Dieu. Bien que, ici encore, le mahkûm 'alayhi soit général (et que d'ailleurs le mahkûm bihî s'applique effectivement à tout le monde, de façon générale), ce verset fut révélé à l'attention de Abû Bakr, père de Aïcha, suite au serment qu'il avait fait de ne plus aider Mistah, son proche qui avait participé à la calomnie contre sa fille. Shâh Waliyyullâh a cité ce verset comme exemple de Ta'rîdh.
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– Cas de figure B) Soit ce dont le verset parle (al-mahkûm 'alayh) est mentionné de façon explicitement particulière ('ayn), la formulation même se rapportant à ce cas particulier :
--- Cas B.a) l'identité de de la personne, ou de l'objet, dont le verset parle n'est pas explicitement formulée mais est néanmoins certaine, ce qui a conféré au verset une portée allusive (ta'rîdh) (تعريض) :
--- "وَسَيُجَنَّبُهَا الْأَتْقَى الَّذِي يُؤْتِي مَالَهُ يَتَزَكَّى وَمَا لِأَحَدٍ عِندَهُ مِن نِّعْمَةٍ تُجْزَى إِلَّا ابْتِغَاء وَجْهِ رَبِّهِ الْأَعْلَى وَلَسَوْفَ يَرْضَى" : "Sera mis à l'abri de (la géhenne) le plus pieux, celui qui donne son bien en se purifiant" (Coran 92/17-18). Dans ce verset, c'est une personne précise qui est désignée (murâd) par les termes : "le plus pieux" ; il s'agit de : Abû Bakr (Asbâb un-nuzûl, al-Wâhidî, p. 255). Bien que le terme soit général, ce qu'il désigne (murâd) est particulier.
--- "لَمَسْجِدٌ أُسِّسَ عَلَى التَّقْوَى مِنْ أَوَّلِ يَوْمٍ أَحَقُّ أَن تَقُومَ فِيهِ", "une mosquée qui a été fondée depuis le premier jour sur la piété" : ce qui est ici désigné (murâd) c'est la mosquée de Qubâ.
--- "إِنَّ الَّذِينَ جَاؤُوا بِالْإِفْكِ عُصْبَةٌ مِّنكُمْ لَا تَحْسَبُوهُ شَرًّا لَّكُم بَلْ هُوَ خَيْرٌ لَّكُمْ لِكُلِّ امْرِئٍ مِّنْهُم مَّا اكْتَسَبَ مِنَ الْإِثْمِ وَالَّذِي تَوَلَّى كِبْرَهُ مِنْهُمْ لَهُ عَذَابٌ عَظِيمٌ" : "Ceux qui ont apporté la calomnie sont un groupe parmi vous. Ne considérez pas (cela) comme un mal, c'est au contraire un bien pour vous. A chacun parmi eux reviendra ce qu'il a acquis du péché. Et celui d'entre eux qui en a pris la grande part, à lui un châtiment énorme" (Coran 24/11). Qu'est-ce qui est désigné (murâd) par "la calomnie" ici ? Qui sont ce groupe ayant "apporté" cette calomnie ? Et qui est "celui qui en a pris la plus grande part" ? Il s'agit d'une calomnie particulière : celle commise par Aïcha (que Dieu l'agrée) en l'an 5 de l'hégire. Et "celui qui en a pris la plus grande part" est Abdullâh ibn Ubayy Ibn Salûl.
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--- Cas B.b) l'identité de de la personne, ou de l'objet, dont le verset parle est explicitement formulée :
--- "تَبَّتْ يَدَا أَبِي لَهَبٍ وَتَبَّ" : "Périssent les deux mains de Abû Lahab, et qu'il périsse !" (Coran 111/1). Ce verset a été révélé comme écho au propos que Abû Lahab avait tenu – "Que tu périsses ! Est-ce pour cela que tu nous as réunis" – quand le Prophète avait réuni les notables de la Mecque pour leur présenter le message monothéiste (al-Bukhârî, 3687).
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– Alors, que faire : Restreindre le propos présent dans un verset donné à l'individu au sujet de qui (ou l'objet au sujet duquel) il a été formulé ? Ou bien le généraliser à d'autres aussi ?
--- Pour ce qui est des versets du Type A.a et du Type A.b :
Bien évidemment, le propos présent dans ce genre de versets est applicable à toute personne en qui (ou à tout objet en quoi) se retrouvent les caractéristiques énoncées de façon générale dans le verset.
Cela est valable aussi bien :
--- pour le cas A.1 (la cause de révélation est mentionnée dans le verset ; mais la formulation, lafz, est générale, et le sens est général),
--- que pour le cas A.2 (la cause de révélation est à chercher dans la Sunna ou la Sîra ; la formulation, lafz, du verset est générale, et le sens est général).
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--- Pour les versets du Type A.b :
C'est précisément pour ce genre de versets que le principe susmentionné est énoncé : "La considération doit aller à la généralité de la lettre du texte, et non pas à la particularité de sa cause de révélation" (العبرة بعموم اللفظ، لا بخصوص سبب النزول).
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Cette généralisation résulte :
--- d'une analogie de type qiyâs ul-illa ('Ulûm ul-qur'ân, Muftî Taqî 'Uthmânî, p. 85),
--- ou bien d'une dalâlatu dalâlat in-nass.
Et cela est valable aussi bien :
--- pour le cas A.b.1 (la cause de révélation est mentionnée dans le verset ; mais la formulation, lafz, est générale, et le sens est particulier),
--- que pour le cas A.b.2 (la cause de révélation est à découvrir dans la Sunna ou la Sîra ; la formulation, lafz, du verset est générale, et le sens est particulier).
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--- Attention, cependant :
Attention, cependant, à ne pas confondre généralisation et généralisation : cela est valable surtout pour les versets de type A.b, mais parfois aussi pour des versets du type A.a.2.
Nous y reviendrons plus bas.
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--- Quant aux versets du Type B.a ainsi que ceux du Type B.b (ces deux types sont comparables, puisque si le B.b parle explicitement d'une personne, le B.a fait allusion à une personne, ce qui revient au même) :
Seuls font exception ici les versets (de ces types B.a et B.b) dont le propos est reconnu comme ne concernant que la personne ou l'objet évoqué(e).
Mais pour les autres versets de ces types B.a et B.b : leur propos est-il applicable uniquement à la personne, l'objet, qu'il évoque (de façon allusive ou de façon explicite), ou bien aussi à toute autre personne, ou tout autre objet, qui remplit les mêmes critères ?
– As-Suyûtî pense que l'opinion correcte est qu'il n'est applicable qu'à la personne évoquée, puisque la lettre du texte n'est en aucune façon générale ("layssa fîha sîghatu 'umûm").
– Un autre avis existe selon lequel le propos présent dans ce genre de verset est applicable par analogie à toute autre personne dans laquelle se retrouvent les qualifications qu'il énonce (Al-Itqân, p. 92).
--- As-Suyûtî a exprimé son désaccord avec ce second avis.
--- Pourtant il est à noter qu'un propos concernant dans le verset un cas précis, il est arrivé que le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) lui-même l'a appliqué à un autre cas qui recèle la même propriété.
----- Ainsi a-t-il procédé à propos du verset 9/108, où Dieu fait les éloges de "لَمَسْجِدٌ أُسِّسَ عَلَى التَّقْوَى مِنْ أَوَّلِ يَوْمٍ أَحَقُّ أَن تَقُومَ فِيهِ", d'"une mosquée qui a été fondée depuis le premier jour sur la piété" : il s'agit de la mosquée de Qubâ, dans les faubourgs de Médine, première mosquée bâtie par des musulmans et l'ayant été, du vivant même du Prophète, comme prolongement du très simple aménagement que le Prophète avait réalisé alors que, arrivant de la Mecque, il séjourna en ce lieu. Or le Prophète a élargi [par qiyâs ul-awlâ] cet éloge à la mosquée de Médine, celle qu'il bâtit quelque temps après sur le terrain qu'il acheta (Muslim 1398, at-Tirmidhî 323, an-Nassâ'ï 697) (cf. Tafsîr Ibn Kathîr, Fat'h ul-bârî 7/306-307, Bayân ul-qur'ân 4/143).
----- Pareillement, le verset 33/33 parle aux "gens de la maisonnée" du Prophète – ahl ul-bayt –, et il s'agit, comme le montre clairement le contexte (versets 28 à 34), de ses épouses. Pourtant, ici aussi le Prophète a élargi [par qiyâs ul-mussâwât, ou : qiyâs mussâwî] l'application du propos ("Dieu veut les purifier") à d'autres personnes parmi ses proches : Alî, Fâtima, al-Hassan et al-Hussein (Muslim 2424, Tirmidhî 3205, 3871) (cf. Tafsîr Ibn Kathîr, Tuhfat ul-ahwadhî sur 3205, Bayân ul-qur'ân 9/48).
Comment considérer dès lors les choses ?
– Garder le premier des deux avis suscités, et dire que la possibilité de généraliser ainsi le propos présent dans un verset concernant à l'origine un cas précis (événement ou personne) est réservé au Prophète ?
– Ou bien dire que, du moment qu'il respecte les règles du commentaire, un 'âlim peut lui aussi élargir le propos présent dans un verset de ce genre et que, contrairement à ce que as-Suyûtî affirme, c'est le second avis qui est pertinent ?
Je ne sais pas (لا أدري).
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--- Note :
Les versets qui s'adressent à un groupe de personnes précises, ces versets relèvent de l'un des deux types A.a ou A.b.
De même, les versets où le thème auquel s'applique le propos, ou bien l'objet du propos, comporte un article défini n'ayant pas un sens universel mais étant "للطبيعة" ou "للجنس", ces versets relèvent de l'un des deux types A.a ou A.b.
Par contre, les versets comportant un article défini qui est "للعهد", ces versets relèvent de l'un des deux types B.a ou B.b. Le propos figurant dans ces versets sera donc soit complètement restreint à la personne ou à l'objet dont le verset parle, soit pourra être élargi à certaines des personnes ou à certains des objets relevant de la même catégorie (mais pas à tous).
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Attention, cependant, à ne pas confondre généralisation et généralisation. En effet, par rapport aux Versets du Type A.b (et aussi, d'après l'un des avis, aux Versets des Types B.a et B.b), il est un point qu'il faut bien comprendre :
– Comme nous l'avons vu, le propos (محكوم به) que le verset du type A.b (et, de même, d'après un avis, des types B.a et B.b) contient, le restreindre au seul cas (محكوم عليه) précis ayant motivé sa révélation, cela est erroné. Le principe, nous l'avons déjà vu, dit : "Il s'agit de généraliser la règle communiquée par le verset selon les mots y ayant été employés, et non pas la restreindre au seul cas ayant motivé sa révélation" (العبرة بعموم اللفظ لا بخصوص سبب النزول).
– Cependant, il est également erroné d'appliquer ce principe de façon littéraliste, sans tenir aucunement compte de la cause de révélation (laquelle cause indique la situation d'énonciation).
En fait :
----- Il est une généralisation (تعميم الحكم) qui n'accorde aucune considération à la cause de révélation des versets de type A.b.1 ou A.b.2 (ainsi que B.a et B.b) mais se fait par le biais de la seule considération de la lettre du texte (عموم ظاهر اللفظ) énonçant le cas de figure (محكوم عليه). C'est là la posture erronée que nous venons d'évoquer.
----- Par contre il est une autre généralisation (تعميم الحكم) qui fait que le propos (محكوم به, ou حكم) que le verset énonce ne reste pas restreint au seul cas (محكوم عليه) présent dans la cause de révélation (du moins pour les versets de type A.b, B.a et B.b), mais n'est pas non plus généralisé à tout ce que la seule lettre du verset englobe, de sorte qu'il soit appliqué à tous les individus relevant de la catégorie supérieure (جنس) du cas (محكوم عليه) de la cause de révélation. Il n'est généralisé qu'à la catégorie immédiate (نوع) à laquelle le cas (محكوم عليه) de la cause de révélation (سبب النزول) appartient. C'est là la posture correcte à propos des versets de type A.b, ainsi que (selon un avis) à propos des versets des types B.a et B.b.
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On trouve surtout des généralisations erronées du propos (hukm) concernant des textes du Type A.b.2, car ayant été faites selon la seule lettre de ceux-ci :
– Un premier exemple avec un texte du Coran :
Dieu a dit : "لاَ تَحْسَبَنَّ الَّذِينَ يَفْرَحُونَ بِمَا أَتَواْ وَّيُحِبُّونَ أَن يُحْمَدُواْ بِمَا لَمْ يَفْعَلُواْ فَلاَ تَحْسَبَنَّهُمْ بِمَفَازَةٍ مِّنَ الْعَذَابِ وَلَهُمْ عَذَابٌ أَلِيمٌ" : "Ne pense surtout pas ceux qui sont contents de ce qu'ils ont fait et aiment qu'on fasse leurs éloges pour ce qu'ils n'ont pas fait, ne les pense donc surtout pas être à l'abri du châtiment. Et ils auront un châtiment douloureux" (Coran 3/188).
--- Ayant appréhendé ce verset selon sa seule littéralité, Marwân ibn ul-Hakam envoya Râfi' auprès de Ibn Abbâs lui dire ceci par rapport à ce verset : "لئن كان كل امرئ فرح بما أوتي، وأحب أن يحمد بما لم يفعل معذبا، لنعذبن أجمعون" : "Si tout homme qui est content de ce qu'il a reçu et qui aime qu'on fasse ses éloges pour ce qu'il n'a pas fait va être châtié, nous serons tous châtiés !" Il considérait donc le fait d'être ainsi comme étant la cause (sabab) de l'applicabilité du propos.
--- Mais Ibn Abbâs expliqua alors le sens réel de ce verset : "إنما دعا النبي صلى الله عليه وسلم يهود فسألهم عن شيء فكتموه إياه، وأخبروه بغيره فأروه أن قد استحمدوا إليه بما أخبروه عنه فيما سألهم، وفرحوا بما أوتوا من كتمانهم. ثم قرأ ابن عباس: {وإذ أخذ الله ميثاق الذين أوتوا الكتاب} كذلك حتى قوله: {يفرحون بما أتوا ويحبون أن يحمدوا بما لم يفعلوا}" : Il fit valoir que tout s'expliquait en fait par rapport à la cause de révélation du verset, à l'époque du Prophète (sur lui soit la paix) : le Prophète avait demandé quelque chose à un groupe de Gens du Livre de son époque ; ceux-ci lui dissimulèrent la vérité et lui dirent autre chose. Et ils furent contents de ce qu'ils avaient fait. C'est cela, le fait d'être contents de la dissimulation qu'on a faite, et le fait, en plus, d'aimer qu'on reçoive des éloges pour ce qui revient à ne pas avoir répondu correctement à la question posée, c'est cela qui fait qu'on n'est pas à l'abri du châtiment. Il y avait donc, au-delà de la seule cause (sabab), un principe motivant (manât) : et c'était aux deux que l'applicabilité du propos était attachée. Ibn Abbâs souligna ensuite que le verset qui précède parle explicitement de Gens du Livre [Ibn Abbâs voulait dire qu'il faut analyser le verset sans le couper du passage dans lequel il s'intégrait] (rapporté par al-Bukhârî, 4292).
Il faut donc bien généraliser le propos (hukm) tenu dans ce verset ("avoir un châtiment douloureux dans l'au-delà") à d'autres qu'à seulement ceux à qui le Prophète eut affaire : à toute époque il y aura des gens qui seront ainsi, et à qui le propos (hukm) communiqué par ce verset s'appliquera.
Cependant, il ne faut pas généraliser ce propos aux personnes qui possèdent ces deux caractéristiques comprises selon leur seule littéralité (ce qui leur confère une généralité très accentuée) : "être content de ce qu'on a fait ou reçu, et aimer recevoir des éloges pour ce qu'on n'a pas fait", comme l'avait cru Marwân. Il faut le généraliser aux personnes qui possèdent ces deux caractéristiques comprises de façon beaucoup plus particulière, correspondant à la cause de révélation : "être content de la dissimulation de la vérité qu'on a faite, et, en plus, aimer recevoir des éloges pour avoir dissimulé cette vérité, ayant fait croire à son interlocuteur qu'on a répondu correctement à sa question".
As-Suyûtî commente ainsi ce propos de Ibn Abbâs : "قلت: أُجِيْبَ على ذلك بأنه لا يخفى عليه أن اللفظ أعَمُُ من السبب، لكنه بيَّن أن المراد باللفظ: خاصّ" : "(Ibn Abbâs) n'ignorait pas que la lettre (de ce verset) est plus générale que la cause de (sa) révélation ; mais il a exposé (ici) que ce que la lettre (de ce verset) veut dire est lui-même particulier" (Al-Itqân, p. 97).
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– Un autre exemple avec un autre verset du Coran :
"وَمَن لَّمْ يَحْكُم بِمَا أَنزَلَ اللّهُ فَأُوْلَئِكَ هُمُ الْكَافِرُونَ" : "Et celui qui ne juge pas d'après ce que Dieu a fait descendre, ceux-là sont les kâfirûn" (Coran 5/44), ce verset s'intégrant dans tout un passage dont on voit bien qu'il parle d'un événement précis.
Si un musulman déclare autorisé ce qui est nécessairement connu comme ayant été interdit par Dieu, il dit là une parole de kufr akbar. Mais qu'en est-il s'il fait l'action de rendre le jugement, par rapport à un litige précis, selon autre chose que ce que Dieu a prescrit dans ce cas de figure : a-t-il fait là une action de kufr akbar, ou pas systématiquement ? Le propos (hukm, mahkûm bihî) ici communiqué ("être kâfir bi kufr akbar") s'applique-t-il à toute personne qui a rendu un jugement autre que celui voulu par Dieu pour le cas dans lequel il se trouve ?
Ibn Jarîr at-Tabarî écrit :
"وأولى هذه الأقوال عندي بالصواب: قولُ من قال: نزلت هذه الآيات في كفّار أهل الكتاب، لأن ما قبلها وما بعدها من الآيات ففيهم نزلت، وهم المعنيُّون بها. وهذه الآيات سياقُ الخبر عنهم، فكونُها خبرًا عنهم: أولى.
فإن قال قائل: فإن الله تعالى ذكره قد عمَّ بالخبر بذلك عن جميع منْ لم يحكم بما أنزل الله، فكيف جعلته خاصًّا؟
قيل: إن الله تعالى عَمَّ بالخبر بذلك عن قومٍ كانوا بحكم الله الذي حكم به في كتابه جاحدين، فأخبر عنهم أنهم بتركهم الحكمَ، على سبيل ما تركوه: كافرون. وكذلك القولُ في كل من لم يحكم بما أنزل الله جاحدًا به: هو بالله كافر، كما قال ابن عباس؛ لأنه بجحوده حكم الله بعدَ علمه أنه أنزله في كتابه، نظير جحوده نبوّة نبيّه بعد علمه أنه نبيٌّ"
"Parmi ces avis, celui qui est plus à même d'être juste d'après moi est celui de qui a dit : "Ces versets ont été révélés au sujet des kuffâr des Gens du Livre, car les versets situés avant et après ont été révélés à leur sujet, et ils sont concernés par eux". Et ces versets-ci, le contexte de l'information [qui y est donnée] se rapporte à eux ; que [ces versets-ci] constitue une information à leur sujet est donc plus juste.
Si quelqu'un objecte à cela ceci : "Dieu – Très élevé soit Son souvenir –, en énonçant ce propos [= "kufr"], a généralisé [celui-ci] ("'amma") à tous ceux qui ne jugent pas d'après ce que Dieu a révélé. Comment en as-tu fait quelque chose de particulier ("khâss") ?",
on lui répondra ceci : "Dieu – élevé soit-Il –, en énonçant ce propos [= "kufr"], a généralisé [celui-ci] ("'amma") à un groupe de gens qui reniaient ("jâhidîn") le hukm dont Dieu a fait le hukm dans Son livre. Il a donné comme information à leur sujet qu'ils étaient, par le fait qu'ils délaissaient ce hukm de la façon qu'ils le délaissaient, kâfir. La même chose sera dite à propos de toute personne qui ne juge pas d'après ce que Dieu a révélé en le reniant ("jâhidan bihî") : elle est kâfir par rapport à Dieu, comme l'a dit Ibn 'Abbâs, car, en reniant le hukm de Dieu après avoir su qu'Il l'a révélé dans Son Livre, elle est comme [celui qui a] renié le prophétat de Son Prophète après avoir su qu'il est prophète"" (Tafsîr ut-Tabarî).
Le propos contenu dans ce verset ("être kâfir") sera donc généralisé à autres que les seules personnes au sujet de qui il a été révélé. Cependant, il ne sera pas généralisé selon la seule lettre présente dans le verset ("ne pas rendre le jugement d'après ce que Dieu a révélé"). Non, il sera généralisé à ceux qui, exactement comme les personnes au sujet de qui le verset a été révélé, ne rendaient pas le jugement par la règle que Dieu a révélée tout en reniant (juhûd) cette règle que Dieu a révélée.
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– Un autre exemple, avec cette fois un texte de la Sunna :
"عن جابر بن عبد الله رضي الله عنهم قال: كان رسول الله صلى الله عليه وسلم في سفر، فرأى زحاما ورجلا قد ظلل عليه، فقال: ما هذا؟ فقالوا: صائم. فقال: ليس من البر الصوم في السفر" : Alors qu'il voyageait avec certains de ses Compagnons, le Prophète (sur lui soit la paix) vit un attroupement autour d'un homme sur qui on faisait de l'ombre. S'étant enquit de ce dont il s'agissait, il fit : "Ce n'est pas un bien de jeûner pendant le voyage" (al-Bukhârî, 1844, et Muslim, 1115).
--- Certains zahirites, ainsi que al-Awzâ'ï, Ahmad ibn Hanbal et Is'hâq ibn Râwawayh ont appréhendé ce hadîth dans sa littéralité : "le jeûne", donc "tout jeûne" (al-lâm li-l-istighrâq), ce n'est pas un bien de l'accomplir "pendant le voyage". Pour ces zahirites, il est obligatoire pour le voyageur de reporter à plus tard l'accomplissement des jeûnes du ramadan, vu que les accomplir pendant le voyage n'est tout simplement "pas un bien". Par contre, pour al-Awzâ'ï, Ahmad et Is'hâq, il est seulement mieux, pour le voyageur, de reporter à plus tard l'accomplissement des jeûnes du ramadan.
--- Pour la majorité des ulémas, en revanche, il est mieux, pour le voyageur, d'accomplir les jeûnes du ramadan pendant son voyage même. Quant à ce hadîth, il parle du jeûne accompli lorsque le voyage présente de grandes difficultés pour le voyageur (al-lâm li-l-'ahd) : c'est alors un péché de jeûner immédiatement, car on met alors sa vie ou sa santé en grand danger, alors même que le Coran stipule expressément la possibilité de reporter à plus tard l'accomplissement des jeûnes. C'est bien là ce que révèlent les circonstances lors desquelles le Prophète a prononcé cette phrase "Ce n'est pas un bien de jeûner pendant le voyage" : un Compagnon s'était effondré de fatigue au point qu'il fallait lui faire de l'ombre. (Ibn ul-'Uthaymîn a lui aussi donné préférence à ce second avis : Shar'hu Muqaddimat it-Tafsîr, pp. 44-45.)
Voici l'écrit de Ibn Daqîq il-'Îd sur le sujet :
"وقال بن دقيق العيد: أُخِذَ مِنْ هذه القصة أنَّ كراهة الصوم في السفر مختصة بمن هو في مثل هذه الحالة، ممن يجهده الصوم ويشق عليه، أو يؤدي به إلى ترك ما هو أولى من الصوم من وجوه القرب؛ فينزل قوله "ليس من البر الصوم في السفر" على مثل هذه الحالة.
قال: والمانعون في السفر يقولون: إن اللفظ عامّ، والعبرة بعمومه لا بخصوص السبب.
قال: وينبغي أن يتنبه للفرق بين دلالة السبب والسياق والقرائن على تخصيص العامّ وعلى مراد المتكلم، وبين مجرد ورود العامّ على سبب؛ فإن بين العامّين فرقا واضحا؛ ومن أجراهما مجرى واحدا لم يصب. فإن مجرد ورود العامّ على سبب لا يقتضي التخصيص به، كنزول آية السرقة في قصة سرقة رداء صفوان؛ وأمّا السياق والقرائن الدالة على مراد المتكلم، فهي المرشدة لبيان المجملات وتعيين المحتملات، كما في حديث الباب" (FB 4/235).
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– Un autre exemple, avec un autre texte de la Sunna :
Anas ibn Mâlik relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "إذا سلم عليكم أهل الكتاب فقولوا: وعليكم" : "Lorsque les Gens du Livre vous adressent le salâm, dites-leur : "Wa 'alaykum"" (rapporté par al-Bukhârî et Muslim).
--- Certains ulémas, parmi lesquels an-Nawawî, ont appréhendé ce hadîth selon sa seule littéralité (zâhir ul-lafz) et ont dit que ce propos, ce hukm (dire, pour seule réponse, "Wa 'alaykum") s'applique à tous les non-musulmans qui nous adressent le salâm.
--- Cependant, d'autres ulémas, parmi lesquels Ibn ul-Qayyim, font valoir que le propos contenu dans ce hadîth est dû à sa situation d'énonciation : à Médine, certaines personnes parmi les Gens du Livre, feignant d'employer la formule "As-salâmu 'alaykum" ("Que la paix soit sur vous"), disaient en fait : "As-sâmu 'alaykum" (ce qui signifie : "Que la mort soit sur vous") (عن عائشة رضي الله عنها زوج النبي صلى الله عليه وسلم قالت: دخل رهط من اليهود على رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقالوا: السام عليكم، قالت عائشة: ففهمتها فقلت: وعليكم السام واللعنة، قالت: فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: مهلا يا عائشة، إن الله يحب الرفق في الأمر كله. فقلت: يا رسول الله، أولم تسمع ما قالوا؟ قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: قد قلت: وعليكم) (rapporté par al-Bukhârî, 5678, Muslim, etc.). C'est ce qui explique que le Prophète a enseigné de leur dire simplement "Wa 'alaykum", ce qui signifie : "Et sur vous !". Par contre, si on est certain que la personne a bien dit "As-salâmu 'alaykum", il n'y a aucun empêchement à lui répondre par la formule complète : "Wa 'alaykum us-salâm".
Ibn ul-Qayyim écrit ensuite le principe : "و الاعتبار و إن كان لعموم اللفظ، فإنما يعتبر عمومه في نظير المذكور، لا في ما يخالفه" : "Même si la considération va à la généralité de la lettre, ce qui est à considérer c'est la généralité de la lettre dans ce qui est semblable à ce qui a été évoqué, et non pas dans ce qui en est différent" (Ahkâm ahl idh-dhimma, p. 200).
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Parfois, ce genre de généralisations erronées se produisent avec des versets du type A.a.2 aussi :
– Un exemple :
Dieu dit : "فَإِذَا لَقِيتُمُ الَّذِينَ كَفَرُوا فَضَرْبَ الرِّقَابِ حَتَّى إِذَا أَثْخَنْتُمُوهُمْ فَشُدُّوا الْوَثَاقَ فَإِمَّا مَنًّا بَعْدُ وَإِمَّا فِدَاءً حَتَّى تَضَعَ الْحَرْبُ أَوْزَارَهَا" : "Alors, lorsque vous rencontrerez ceux qui ont mécru, tuez-les. Jusqu'à ce que, lorsque vous les aurez affaiblis, alors attachez-les. Ensuite, soit faveur, soit rançon. Jusqu'à ce que la guerre dépose ses fardeaux" (Coran 47/4).
--- Si quelqu'un appréhende ce passage de façon littéraliste, il en déduira que le Coran dit qu'il faut tuer "tous ceux qui sont kâfir", c'est-à-dire ont choisi de ne pas croire en son message. Or cela est bien évidemment faux.
--- En réalité, ce propos (hukm) de tuer concerne uniquement : ceux qui sont non pas seulement : kâfir, mais aussi : a) harbî (ressortissants d'un Etat qui est en situation de belligérance), b) muqâtil (combattants), et le hukm évoqué ici dans ce verset concerne : c) le champ de bataille.
Ibn Jarîr at-Tabarî écrit ainsi : "يقول (تعالى ذكره) لفريق الإيمان به وبرسوله: (فَإِذا لَقِيتُمُ الَّذِينَ كَفَرُوا) بالله ورسوله من أهل الحرب، فاضربوا رقابهم" (Tafsîr ut-Tabarî). Ces qualificatifs supplémentaires, auxquels le propos ici énoncé s'applique, ont été spécifiés dans la Sunna.
Lire notre article : Lors d'un conflit armé, il n'est pas autorisé de viser des non-combattants.
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– Un autre exemple :
Dieu dit : "فَإِذَا انسَلَخَ الأَشْهُرُ الْحُرُمُ فَاقْتُلُواْ الْمُشْرِكِينَ حَيْثُ وَجَدتُّمُوهُمْ وَخُذُوهُمْ وَاحْصُرُوهُمْ وَاقْعُدُواْ لَهُمْ كُلَّ مَرْصَدٍ فَإِن تَابُواْ وَأَقَامُواْ الصَّلاَةَ وَآتَوُاْ الزَّكَاةَ فَخَلُّواْ سَبِيلَهُمْ إِنَّ اللّهَ غَفُورٌ رَّحِيمٌ" : "Puis, quand les mois du délai se seront écoulés, tuez les Polythéistes là où vous les trouverez ; capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade" (Coran 9/5).
--- Si quelqu'un appréhende ce passage de façon littéraliste, il en déduira que le Coran dit que sitôt les mois sacrés écoulés, les musulmans doivent tuer tous les polythéistes qu'ils rencontrent. Or cela est bien évidemment faux.
--- En réalité, ce propos (hukm) concernait seulement les Polythéistes de la Péninsule arabique (ou du Hedjaz), et cela à partir du 10 rabi' ul-âkhir de l'an 10 : à compter de cette date, les Polythéistes ne furent plus acceptés sur la terre de la Péninsule (ou, d'après un autre avis : sur la terre du Hedjaz). Cependant, il s'agissait de les faire quitter la Péninsule arabique (ou le Hedjaz) pour s'installer ailleurs (fût-ce ailleurs en Dâr ul-islâm) : ils n'étaient pas contraints à se convertir à l'islam sous menace de mort : Ibn Abbâs relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "أَخْرِجُوا المشركين من جزيرة العرب" : "Faites quitter les Polythéistes la Péninsule arabique" ; cela fut dit, relate Ibn Abbâs, le dernier jeudi de sa vie terrestre [donc : en rabi' ul-awwal de l'an 11] (al-Bukhârî, 2888, Muslim, 1637). D'ailleurs, souligne Faysal al-Mawlawî, une lecture attentive du verset 9/5 montre que celui-ci non plus ne disait pas qu'il faut absolument tuer les Polythéistes [de la Péninsule], puisqu'il évoque la possibilité qu'ils soient faits prisonniers : "capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade" (Coran 9/5). Voyez, dit al-Mawlawî : il est bien dit qu'ils peuvent être faits prisonniers. Or, des prisonniers peuvent être relâchés [comme le dit le verset 47/4] (Al-Ussus ush-shar'iyya li-l-'alâqât bayn al-muslimîn wa ghayr il-muslimîn, pp. 48-50). Cependant, ces prisonniers polythéistes seront alors conduits hors de la Péninsule pour y être relâchés.
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– Pour plus de détails, lire : Quelques passages du Coran où ce qui est dit (hukm, حكم) au sujet d'une chose X (mahkûm 'alayh, محكوم عليه) est en réalité dû à la présence d'un principe motivant (manât /'illa) (مَناط/ عِلّة) dans la réalité de cette chose X. Ce qui fait que le propos (حكم) concerne en réalité un thème (mahkûm 'alayh, محكوم عليه) plus restreint (أَخَصّ) que ce que la littéralité du texte (ظاهر اللفظ) laissait croire (1/5).
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Quelques propos d'autres ulémas encore, en rapport avec ce point :
Nous avons déjà cité ci-dessus, dans les commentaires des exemples que nous venons de voir, les écrits de as-Suyûtî, de at-Tabarî, de Ibn Dadîd il-'Id et de Ibn ul-Qayyim.
Ci-après les écrits de deux autres grands ulémas encore.
– Ibn Taymiyya écrit :
"والناس وإن تنازعوا من اللفظ العامّ الوارد على سبب هل يختص بسببه أم لا، فلم يقل أحد من علماء المسلمين إن عمومات الكتاب والسنة تختص بالشخص المعين. وإنّما غاية ما يقال: إنها تختص بنوع ذلك الشخص فيعمّ ما يُشْبِهُه، ولا يكون العموم فيها بحسب اللفظ. والآية التي لها سبب معين، إن كانت أمراً ونهياً فهي متناولة لذلك الشخص ولغيره ممن كان بمنزلته؛ وإن كان خبراً بمدح أو ذم فهي متناولة لذلك الشخص ولمن كان بمنزلته" :
"Les gens, même s'ils ont divergé quant à savoir si le mot général dit à propos d'une cause (particulière), est-ce qu'il sera spécifique à sa cause ou pas, (en revanche) personne n'a dit : "Les textes de portée générale, dans le Coran et la Sunna, sont particuliers à une personne précise." Tout ce qui est dit c'est : "Ces textes) sont particuliers à la catégorie immédiate de cette personne, de sorte que cela concerne tout ce qui lui ressemble ; la généralité ne se fait pas, à propos de ces textes, selon la seule lettre." (Dès lors,) le verset qui a une cause précise :
--- s'il contient un impératif ou un impératif négatif, cela englobe cette personne ainsi que ceux qui sont semblables à elle ;
--- et s'il recèle une information - éloge ou blâme -, cela englobe cette personne ainsi que ceux qui sont semblables à elles" (Majmû' ul-fatâwâ 13/339 ; également cité dans Al-Itqân p. 98).
– Ash-Shâtibî écrit quant à lui qu'il est nécessaire de connaître les cause de révélation si on veut comprendre correctement le texte coranique : "المسألة الثانية: معرفة أسباب التنزيل لازمة لمن أراد علم القرآن".
Argumentant quant à cette nécessité, il écrit :
"الوجه الثاني: وهو أن الجهل بأسباب التنزيل مُوْقِعٌ في الشبه والإشكالات، ومُوْرِدٌ للنصوص الظاهرة مَوْرِدَ الإجمال حتى يقع الاختلاف، وذلك مظنة وقوع النزاع.
ويوضح هذا المعنى ما روى أبو عبيد عن إبراهيم التيمي؛ قال: خلا عمر ذات يوم؛ فجعل يحدث نفسه: "كيف تختلف هذه الأمة ونبيها واحد، وقبلتها واحدة ؟" فأرسل إلى ابن عباس، فقال: "كيف تختلف هذه الأمة ونبيها واحد وقبلتها واحدة؟" فقال ابن عباس: "يا أمير المؤمنين! إنا أنزل علينا القرآن فقرأناه، وعلمنا فيما نزل، وإنه سيكون بعدنا أقوام يقرءون القرآن ولا يدرون فيما نزل، فيكون لهم فيه رأي، فإذا كان لهم فيه رأي اختلفوا، فإذا اختلفوا اقتتلوا." قال: فزجره عمر وانتهره؛ فانصرف ابن عباس. ونظر عمر فيما قال؛ فعرفه. فأرسل إليه، فقال: أَعِدْ عليَّ ما قلتَ." فأعاده عليه؛ فعرف عمر قوله وأعجبه".
وما قاله صحيح في الاعتبار. ويتبين بما هو أقرب؛ فقد روى ابن وهب عن بكير أنه سأل نافعا: كيف كان رأي ابن عمر في الحرورية؟ قال: "يراهم شرار خلق الله، إنهم انطلقوا إلى آيات أنزلت في الكفار فجعلوها على المؤمنين".
فهذا معنى الرأي الذي نبه ابن عباس عليه، وهو الناشئ عن الجهل بالمعنى الذي نزل فيه القرآن.
وروي أن مروان أرسل بوابه إلى ابن عباس، وقال: "قل له: لئن كان كل امرئ فرح بما أوتي وأحب أن يحمد بما لم يفعل معذبا؛ لنعذبن أجمعون" (Al-Muwâfaqât, 2/311 : d'autres exemples suivent dans les pages suivantes de l'ouvrage).
Dans le droit fil de ce que Abdullâh ibn Omar a dit là au sujet de ce travers des Kharijites, ash-Shâtibî écrit lui aussi :
"فقد عرّف عليه الصلاة والسلام بهؤلاء وذكر لهم علامة في صاحبهم، وبيّن من مذهبهم في معاندة الشريعة أمرين كليين:
أحدهما: اتباع ظواهر القرآن على غير تدبر ولا نظر في مقاصده ومعاقده، والقطع بالحكم به ببادئ الرأي والنظر الأول، وهو الذي نبه عليه قوله في الحديث: "يقرءون القرآن لا يجاوز حناجرهم". ومعلوم أن هذا الرأي يصد عن اتباع الحق المحض، ويضاد المشي على الصراط المستقيم. ومن هنا ذم بعض العلماء رأي داود الظاهري، وقال: إنها بدعة ظهرت بعد المائتين. ألا ترى أن من جرى على مجرد الظاهر تناقضت عليه السور والآيات، وتعارضت في يديه الأدلة على الإطلاق والعموم. وتأمل ما ذكره القتبي في صدر كتابه في "مشكل القرآن"، وكتابه في "مشكل الحديث" يبين لك صحة هذا الإلزام، فإن ما ذكره هنالك آخذ ببادئ الرأي في مجرد الظواهر" (Al-Muwâfaqât, 2/539).
Ash-Shâtibî a écrit aussi par ailleurs que, toujours à la fin de comprendre correctement le sens de certains versets coraniques, il est impératif de connaître également les coutumes des Arabes de l'époque, même lorsqu'il n'y a pas, par rapport à ces versets, une cause de révélation liée à un individu ou un groupe d'individus. Le fait est que cela constitue également, mais à une échelle plus générale, une cause de révélation de versets venus réformer ce qu'il y a de mal en ces coutumes. Voici exactement ce que ash-Shâtibî dit : "ومن ذلك: معرفة عادات العرب في أقوالها وأفعالها ومجاري أحوالها حالة التنزيل، وإن لم يكن ثم سبب خاص: لا بد لمن أراد الخوض في علم القرآن منه. وإلا، وقع في الشبه والإشكالات التي يتعذر الخروج منها إلا بهذه المعرفة" (Al-Muwâfaqât, 2/314).
En effet, c'est ce qui permet de mieux comprendre certains versets, tels que celui qui dit que, pour le pèlerin, "il n'y a pas de mal, pour celui qui accomplit le grand ou le petit pèlerinage à la Maison, à faire le parcours entre (Safâ et Marwa)" : "إِنَّ الصَّفَا وَالْمَرْوَةَ مِن شَعَآئِرِ اللّهِ فَمَنْ حَجَّ الْبَيْتَ أَوِ اعْتَمَرَ فَلاَ جُنَاحَ عَلَيْهِ أَن يَطَّوَّفَ بِهِمَا" (Coran 2/158).
--- 'Urwa se demandait si ce verset ne signifiait pas que le parcours entre les deux monticules Safâ et Marwa était purement facultatif, vu que Dieu y a dit qu'"il n'y a pas de mal à" le faire (al-Bukhârî, 1422).
--- Mais comme Aïcha le lui expliqua alors, cette formulation est due au fait que certains musulmans se demandaient si ce parcours n'était pas un élément non abrahamique du pèlerinage, un rite rajouté longtemps après Abraham par des Arabes polythéistes, et se demandaient donc si le faire ne constituait pas une imitation de ces Polythéistes (al-Bukhârî, 3225, 3226). Et s'ils se demandaient cela, c'est parce qu'ils avaient remarqué que si Dieu avait bien évoqué d'autres rites du pèlerinage dans le Coran, de ce parcours Il n'avait rien dit (al-Bukhârî, 1561). Dieu leur dit donc dans ce verset que le parcours entre ces deux monticules faisait, tout au contraire, bel et bien partie du rituel du pèlerinage tel que voulu par Dieu (مِن شَعَآئِرِ اللّهِ) et ayant donc été enseigné par Abraham, et qu'il n'y avait par conséquent, dans le fait de le pratiquer, aucune imitation des polythéistes, aucun mal.
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En résumé, concernant les versets des types A.b.1 et A.b.2, il y a 3 attitudes possibles : une seule est correcte, les deux autres sont erronées :
----- Attitude I) Le propos présent dans le verset de ce type, le confiner à la personne (ou au groupe de personnes) au sujet de qui il a été révélé (تخصيص حكمها بالشخص المعيّن الذي نزلت فيه). C'est là un extrême, et une posture incorrecte.
----- Attitude II) Le propos présent dans le verset de ce type, l'appliquer de façon généralisée à toute personne en qui se trouvent les caractéristiques du thème dont parle ce verset, ces caractéristiques ayant été comprises selon la considération de la seule lettre de ces versets (تعميم حكمها بحسب ظاهر لفظها فقط). C'est là un autre extrême, et une autre posture incorrecte.
----- Attitude III) Le propos présent dans le verset de ce type, l'appliquer de façon généralisée à toute personne en qui se trouvent les caractéristiques du thème dont parle ce verset, ces caractéristiques ayant cependant été comprises non pas selon la considération de la seule littéralité de ces versets, mais à la lumière de la cause de révélation de ceux-ci : en d'autres termes par une tanqîh ul-manât correspondant à la dalâlatu dalâlat in-nass, c'est-à-dire par la recherche des caractéristiques qui, chez la ou les personne(s) au sujet de qui ces versets ont été révélés, a réellement motivé cette révélation, de façon à ce que le propos englobe tous ceux qui sont semblables à ce ou ces personne(s) dans ces caractéristiques (تعميم حكمها إلى نوع الشخص المعيَّن الذي نزلت فيه، بحيث يعمُّ حكمُها جميعَ الأشخاص اللذين يشاركون ذلك الشخص في الوصف الذي سبَّب في نزول الآية). C'est là la posture correcte.
Ceci explique pourquoi et combien, de certains versets, il est important de connaître la cause de révélation. Lire donc notre article traitant de cela.
(Je rappelle ici que si le Coran est la Parole de Dieu incréée, il est une partie de la totalité des Paroles de Dieu. Et Dieu l'a prononcé à un moment donné pour la communiquer à Son Dernier Messager. Lire notre article exposant que c'est à un moment donné que Dieu a prononcé Ses Paroles constituant le Coran.)
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).