I) Des hadîths parlant des poussées de "Ya'jûj wa Ma'jûj" ou des "Turk" (prononcez : "tourc") :
(J'ai cité le terme arabe "Turk" tel qu'il se présente dans les hadîths, mais nous verrons qu'il est un avis selon lequel il ne désigne pas forcément les seuls peuples nommés aujourd'hui "turcophones" ; nous y reviendrons plus bas.)
– 1) Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "عن أبي هريرة، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم، قال: "لا تقوم الساعة حتى يقاتل المسلمون الترك، قوما وجوههم كالمجان المطرقة يلبسون الشعر ويمشون في الشعر" : "La fin du monde n'aura pas lieu avant que (ne vienne le temps où) les musulmans combattront les Turk : un peuple dont les visages sont (larges) comme s'ils étaient des boucliers cuirassés ; qui s'habillent de (vêtements faits en) poils et qui marchent dans (des chaussures faites en) poil" (autre traduction possible : "et dont les cheveux sont longs au point qu'ils semblent marcher dessus") (al-Bukhârî, 2770, Muslim 2912/65, la version reproduite ici étant cette dernière). Quelles invasions évoquait ce hadîth, nous y reviendrons plus bas, au point IV.
– 2) Le Prophète (sur lui soit la paix) ne voulait, dans ce hadîth cité en 1, absolument pas dire aux musulmans de mener un combat offensif (iqdâmî) contre les Turk, car la parole suivante a aussi été rapportée de lui : "واتركوا الترك ما تركوكم" : "(...) Et laissez les Turk tant qu'ils vous laissent" (Abû Dâoûd 4302, an-Nassâ'ï 3176). Ce hadîth est hassan d'après al-Albânî (voir aussi : Silsilat ul-ahâdîth is-sahîha, tome 2 p. 403 ; Ashrât us-sâ'ah, Yûssuf al-Wâbil, pp. 123-124, note de bas de page). Il y a donc interdiction de mener contre les Turk un combat offensif (un combat iqdâmî, soit le cas B5 dans notre article consacré à ce point). Ibn Hajar écrit que cette interdiction était connue des Compagnons (Fat'h ul-bârî 6/744).
Pourquoi cette interdiction ? A cause de la prédiction qui apparaît aux hadîths cités ci-après, en 3 et 4…
En tous cas, on voit que quand, dans le hadîth cité en 1, le Prophète a dit : "La fin du monde n'aura pas lieu avant que (ne vienne le temps où) les musulmans combattront les Turk", il ne s'agit pas d'une exhortation à aller les combattre de façon offensive (iqdâmî) ; il s'agit de la description d'un événement devant se passer entre sa période et la fin du monde, et du fait qu'il s'agira pour les musulmans de mener alors un combat défensif (difâ'ï) face à l'offensive des Turk.
– 3) Un autre hadîth se lit ainsi : "حدثنا أبو نعيم، حدثنا بشير بن مهاجر، حدثني عبد الله بن بريدة، عن أبيه قال: كنت جالسا عند النبي صلى الله عليه وسلم، فسمعت النبي صلى الله عليه وسلم يقول: "إن أمتي يسوقها قوم عراض الوجوه صغار الأعين كأن وجوههم الحجف ثلاث مرار، حتى يلحقوهم بجزيرة العرب. أما السائقة الأولى فينجو من هرب منهم. وأما الثانية فيهلك بعض، وينجو بعض. وأما الثالثة فيصطلمون كلهم من بقي منهم". قالوا: يا نبي الله، من هم؟ قال: "هم الترك". قال: "أما والذي نفسي بيده ليربطن خيولهم إلى سواري مساجد المسلمين". قال: وكان بريدة لا يفارقه بعيران أو ثلاثة ومتاع السفر والأسقية، يعد ذلك للهرب، مما سمع من النبي صلى الله عليه وسلم من البلاء من أمر الترك" : "Un peuple aux visages larges comme s'ils étaient des boucliers, et aux petits yeux, "poussera" ma Umma par trois fois. Lors de la première fois, ceux d'entre eux [= de ma Umma] qui se seront enfuis seront sauvés. Lors de la seconde fois, certains seront sauvés et d'autres périront [malgré qu'il auront fui]. Lors de la troisième fois, ils [= les gens de ma Umma] seront éradiqués [= vaincus], tous." On demanda alors : "O Prophète de Dieu, qui est ce (peuple) ? – Les Turk" répondit-il. Il dit (aussi) : "Par Celui dans la Main de qui est mon âme, ils attacheront leurs chevaux aux piliers des mosquées des musulmans" (Ahmad, 21873 ; voir 'Awn ul-ma'bûd, commentaire du hadîth 4305 rapporté par Abû Dâoûd).
Ce hadîth est :
----- dha'îf d'après Shu'ayb al-Arna'ût (à cause de Bashîr ibn Muhâjir lorsqu'il n'y a pas de mutâba'a de ce qu'il rapporte) ;
----- sahîh d'après Umar ibn Dih'ya ("قال الإمام أبو الخطاب عمر بن دحية: وهذا سند صحيح أسنده إمام السنة والصابر على المحنة أبو عبد الله أحمد بن حنبل الشيباني، عن الإمام العدل المجمع على ثقته أبي نعيم الفضل بن دكين. وبشير بن المهاجر وثقه، رأى أنس بن مالك روى عن جماعة من الأئمة فوثقوه" : At-Tadhkira, al-Qurtubî, 2/228).
Il pourrait s'agir de Turk non-musulmans, comme de Turk s'étant entre-temps convertis à l'islam (nous allons y revenir plus bas, aux points IV et V).
– 3') Un hadîth voisin se lit ainsi : "حدثنا محمد بن يحيى البصري، حدثنا محمد بن يعقوب، قال: حدثني أحمد بن إبراهيم، قال: حدثني إسحاق بن إبراهيم بن الغمر مولى سموك، قال: حدثني أبي، عن جدي قال: سمعت معاوية بن حديج يقول: كنت عند معاوية بن أبي سفيان حين جاءه كتاب عامله يخبره أنه وقع بالترك وهزمهم، وكثرة من قتل منهم، وكثرة من غنم. فغضب معاوية من ذلك، ثم أمر أن يكتب إليه: "قد فهمتُ ما ذكرتَ مما قتلت وغنمت؛ فلا أعلمن ما عدتَ لشيء من ذلك ولا قاتلتَهم، حتى يأتيك أمري". قلت له: "لم يا أمير المؤمنين؟" فقال: "سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "لتَظهرَنّ الترك على العرب حتى تُلحِقها بمنابت الشيح والقيصوم"؛ فأكره قتالهم لذلك" (Abû Ya'lâ dans son Musnad, 7376 ; dha'îf à cause de la jahâla de certains maillons de la chaîne) (également cité dans Fat'h ul-bârî, 6/744).
– 4) La parole suivante existe qui a été attribuée au Prophète (sur lui soit la paix) : "Laissez les Turk tant qu'ils vous laissent. Car les premiers à ravir à ma Umma ("ummatî") sa souveraineté et ce que Dieu lui a donné seront les fils de Qantûrâ" : "عن عبد الله بن مسعود قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "اتركوا الترك ما تركوكم؛ فإن أول من يسلب أمتي ملكهم وما خولهم الله بنو قنطوراء" (at-Tabarânî dans Al-Mu'jam ul-Awsat et dans Al-Mu'jam ul-Kabîr).
----- Ibn ul-Jawzî et al-Albânî sont d'avis que cette parole ne peut pas être attribuée au Prophète (Silsilat ul-ahâdîth idh-dha'îfa, 4/230-232) ;
----- Ibn Hajar, par contre, a pour sa part cité ce propos en tant que parole du Prophète (Fat'h ul-bârî 6/745).
Ibn Hajar pense que "ummatî" désigne probablement ici : "ummat un-nassab", soit les musulmans Arabes.
– 5) Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Vous conquerrez Constantinople. Et quel bon chef sera son chef ; et quelle bonne armée sera cette armée" : "عن عبد الله بن بشر الغنوي، حدثني أبي، قال: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "لتفتحن القسطنطينية، ولنعم الأمير أميرها، ولنعم الجيش ذلك الجيش" (Ahmad, 18957, al-Hâkim, 8300 ; authentifié par adh-Dhahabî).
– 6) Le prophète Muhammad (sur lui la paix) entra un jour auprès de son épouse Zaynab bint Jahsh s'exclamant : "لا إله إلا الله، ويل للعرب من شر قد اقترب؛ فُتِحَ اليوم من ردم يأجوج ومأجوج مثلُ هذه" : "Lâ ilâha ill-Allâh ! Malheur aux Arabes à cause du mal qui s'est rapproché ! Aujourd'hui, une ouverture de cette grandeur – et il fit un petit cercle de ses doigts – a été pratiquée dans le mur de Gog et Magog" (al-Bukhârî 3168, Muslim 2880). As-Syoharwî relate de al-Qurtubî et de al-Kirmânî que ce terme d'"ouverture dans le mur" est à appréhender dans un sens métaphorique (Qassas ul-qur'ân, 3/220-221). Ibn Kathîr a lui aussi relaté cette façon de voir de certains ulémas : "فالجواب: أما على قول من ذهب إلى أن هذا إشارة إلى فتح أبواب الشر والفتن وأن هذا استعارة محضة وضرب مثل، فلا إشكال" (Al-Bidâya wa-n-nihâya 2/127). As-Syoharwî relate de al-Kirmânî que cela annonçait les futures invasions mongoles (Qassas ul-qur'ân, 3/220-221). Celles-ci, qui allaient se dérouler au XIIIè siècle chrétien, devaient ravager de nombreuses contrées et, comme prédit par le Prophète, être un grand malheur pour les Arabes. En effet, elles débouchèrent sur la mise à mort du calife musulman (al-Musta'sim billâh) en l'an 1258 (de l'ère chrétienne), sur le pillage de la ville de Bagdad et sur le massacre d'une grande partie des musulmans la peuplant (seuls les habitants chrétiens furent épargnés, suite à l'intercession de l'épouse du khan mongol – Hülegü –, qui était chrétienne nestorienne). La consultation de n'importe quel ouvrage d'histoire nous apprendra combien les invasions mongoles portèrent un coup terrible à la civilisation arabo-musulmane.
– 7) Dieu dit : "حَتَّى إِذَا فُتِحَتْ يَأْجُوجُ وَمَأْجُوجُ وَهُم مِّن كُلِّ حَدَبٍ يَنسِلُونَ" : "Jusqu'à ce que, quand déferleront Gog et Magog et qu'ils dévaleront de chaque colline… Et la promesse vraie [= la fin du monde] se sera (alors) rapprochée (…)" (Coran 21/96-97). Parlant de ce déferlement, le Prophète a dit : "حتى يأتى يأجوج ومأجوج عراض الوجوه صغار العيون صُهْب/شُهْب الشعاف، من كل حدب ينسلون، كأنَّ وجوههم المجان المطرقة" : "(...) jusqu'à ce que viennent Gog et Magog, aux visages larges, aux petits yeux, aux sommets des têtes argentés / gris / blancs (شُهْب) [d'après une autre version : "aux sommets des têtes roux (صُهْب)], dévalant de chaque colline ; c'est comme si leurs visages étaient des boucliers cuirassés" (Ahmad, 22331 ; authentifié par Hâmid Ahmad at-Tâhir : note de bas de page sur An-Nihâya, p. 122). Ceci concerne l'ultime déferlement, après le retour de Jésus fils de Marie.
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II) A la lecture de ces différents hadîths, on remarque que la description qui est donnée d'une part des "Turk" et d'autre part des "Gog et Magog" est très voisine : visages larges, petits yeux…. "Turk" et "Gog et Magog" constituent-ils deux dénominations qui sont synonymes et désignent donc le même peuple ? ou bien sont-ce là deux peuples différents ?
Il y a divergence sur ce point :
– a) soit ce que le nom "Turk" désigne est totalement distinct (mutabâyin) de ce que le nom "Gog et Magog" désigne, et vice-versa : les "Turk" ne sont pas les "Gog et Magog", et les "Gog et Magog" ne sont pas les "Turk". Il s'agit de deux peuples distincts, bien que possédant certains traits morphologiques communs ; en fait ils seraient "cousins" (c'est la position de Wahb ibn Munabbih : cité parmi d'autres avis in Fat'h ul-bârî, 6/127) ;
– b) soit le nom "Turk" est général ('âmm), et "Gog et Magog" est particulier (khâss) : "Turk" englobe les peuples désignés aujourd'hui par le nom "turcs" ou "turcophones" (ou "proto-turcs"), mais aussi d'autres peuples, dont, justement, les "Gog et Magog" (c'est la position de Ibn Kathîr : An-Nihâya fi-l-fitan wa-l-malâhim, pp. 122-123).
Si on retient que, du moins pour l'annonce faite au hadîth 6, "Gog et Magog" furent les Mongols (comme l'a dit al-Kirmânî), on appréciera ce que Jean-Paul Roux, dans sa célèbre Histoire de l'Empire mongol, a relaté de certains érudits musulmans d'autrefois : "Les Mongols sont une tribu turque" ; "Turcs et Mongols forment un seul peuple" (p. 157) ; "C'est un fait remarquable que les Tatars [= les Mongols] furent détruits par des hommes de leur propre race, par des Turcs [= les Mamelouks]" (p. 363). Roux lui-même écrit à propos des Turcs et des Mongols : "Si on les distingue mieux aujourd'hui, on continue à accepter leur proche cousinage" (p. 19).
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Ibn Hajar a lui aussi compté, parmi les Turk dont parlent les hadîths 2 et 3' : les Daylamites, les Samanides, les Seldjoukides, les Ghuzzides, les Tatars (= les Mongols), et Tamerlan (Fat'h ul-bârî 6/744-745). Il a conclu par : "Est apparu, par tout ce que j'ai énoncé, ce en quoi s'est vérifié la parole du (Messager) - que Dieu le bénisse et le salue - : "إِنَّ بَنِي قَنْطُورَاء أَوَّل مَنْ سَلَبَ أُمَّتِي مُلْكهمْ" : "Les fils de Qantûrâ [= les Turk] seront les premiers à ravir à ma Umma ("ummatî") sa souveraineté" [= hadîth 4] : "وظهر - بجميع ما أوردته - مصداقُ قوله صلى الله عليه وسلم "إن بني قنطورا أول من سلب أمتي ملكهم" وهو حديث أخرجه الطبراني من حديث معاوية" (Fat'h ul-bârî 6/745).
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III) A propos des Turcs et des Mongols :
--- Les Oghouz étaient un peuple turc nomadisant au nord de la mer d'Aral. Venus faire des incursions vers le sud, ils finissent par envahir la Perse, où Tughril Beg (fils de Daoud fils de Seldjük), fonde en 1055 la dynastie dite des Grands Seldjoukides, qui règneront en Iran et en Irak. Ces Seldjoukides reconnaissent l'autorité du calife abbasside de Bagdad, dont ils obtiennent le titre de "sultan" et que, en même temps, ils réduisent à exercer un pouvoir plus symbolique que réel. Certains Turcs oghouz désirent conserver leur mode de vie nomade. "L'usage veut que l'on nomme "Turcomans" les Turcs oghouz ainsi attachés au nomadisme" (Atlas des peuples d'Orient, p. 167). Les Grands Seldjoukides orientent ces Turcomans "turbulents" vers l'Anatolie, où ils affrontent les Byzantins. A la bataille de Menzikert, en 1071, Alp Arslan, neveu et successeur de Tughril Beg à la tête des Grands Seldjoukides, défait les Byzantins ; suite à cela, des chefs turcomans peuvent fonder leur "beylik" (principauté) en Anatolie. C'est ainsi qu'en deux ans plusieurs "émirats" sont établis. Mais à l'ouest règne Sulayman (fils de Qutulmish fils de Arslan Israïl fils de Seldjük), qui prend Konya puis Nicée dont il fait sa capitale, et qui fonde bientôt la dynastie dite des Seldjoukides de Roum, qui étend son autorité à toute l'Anatolie ; les autres émirats turcomans continuent cependant d'exister, tout en étant inféodés aux Seldjoukides de Roum. C'est ainsi qu'au sud-est de l'Anatolie est bientôt établie la dynastie artuqide ou artukide (du nom de son fondateur Ortok, descendant lui aussi de Oghouz, et qui règne à Jérusalem de 1087 à 1091). Cette dynastie règnera dans la région de 1101 à 1409 ; c'est de ce royaume que Mardin devient bientôt la capitale. Les deux fils de Ortok, Il-ghâzî et Sulayman, fondèrent en fait deux principautés, et ce sera le premier qui sera émir de la cité de Mardin de 1108 à 1122, etc. (et même de Alep).
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--- Les tribus dites "proto-mongoles" furent fédérées à la fin du XIIè siècle grégorien par Temüjin. Ce dernier se fit ensuite proclamer Tchingiz Kaghan (ou Kaghan universel, c'est-à-dire Grand Khan universel), titre francisé en "Gengis Khan". "Il se trouve alors à la tête d'une force militaire extrêmement puissante, dirigée et encadrée par des Mongols, mais dont les troupes (il s'agit bien sûr de cavaliers) sont en majorité turques" (Atlas des peuples d'Orient, Jean et André Sellier, p. 151). Le nom "Tatar" était d'ailleurs à l'origine celui d'un ancien peuple turc qui nomadisait au voisinage des Mongols. Gengis Khan les battit, mais, ayant constaté leur férocité, décida de les incorporer à son armée. Et ce qui n'était à l'origine que le nom d'une des composantes de l'armée mongole finit par être employé par certains peuples envahis pour désigner l'armée mongole tout entière : "Les Tatars arrivent".
A un moment donné de la poussée des Mongols, en 1258 a.g. très précisément (656 a.h.), sous le commandement de Hülegü (fils de Tolui fils de Gengis Khan), le calife abbasside al-Musta'sim billâh fut assassiné, mais ceux des abbassides qui purent s'enfuir se réfugièrent au Caire. Les Mongols furent arrêtés en Syrie, avant d'être repoussés hors de Syrie par les Mamelouks (d'autres musulmans, d'origine turque eux aussi, mais s'opposant aux Mongols et protégeant le calife abbasside ; Ibn Taymiyya a vécu sous leur règne). La frontière des Mongols s'établit alors sur l'Euphrate. (Beaucoup plus tard, les Il-khans, gouverneurs du Khanat régnant sur cette région musulmane, se convertiront à l'islam.)
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--- Lors de la poussée de Tamerlan (Timur Lang, le Boîteux), un turc né musulman et se revendiquant en même temps des Mongols, Bagdad fut de nouveau pillée, en 1401. Même la Syrie fut conquise par le Boîteux, et le sultan mamelouk fut tué (le calife fut alors menacé, alors même que la famille califale tout entière était réfugiée). Shâh Waliyyullâh, qui pense que ce sont les conquêtes de Tamerlan qui constituent la seconde poussée des Turks évoquée dans le hadîth n° 3, précise que la destruction dont le hadîth parle ne désigne pas forcément une destruction de personnes, mais une destruction du pouvoir des Abbassides ; "إهلاك أمر العباسية", a-t-il écrit.
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--- Quant aux Ottomans, ils descendent eux aussi des Turcs oghouz : le fondateur de leur dynastie est Osman, fils de Eltugrul, fils de Sulayman, fils de Kaya Alp, descendant de Oghuz. Les Ottomans prirent le pouvoir califal lui-même : Sélim Ier, jusqu'alors simple sultan ottoman (9ème du nom), se fit remettre le pouvoir en 1517 par le calife abbasside se trouvant au Caire, al-Mustamsik billâh (revenu au pouvoir après avoir un temps abdiqué). C'est ainsi que le califat passa aux mains des Turcs.
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IV) Quelles furent les trois poussées des Turk que prédisait le hadîth numéro 3 ?
Ce hadîth 3, rappelons-le, se lit ainsi : "Un peuple aux visages larges comme s'ils étaient des boucliers, et aux petits yeux, "poussera" ma Umma par trois fois. Lors de la première fois, ceux d'entre eux [= de ma Umma] qui se seront enfuis seront sauvés. Lors de la seconde fois, certains seront sauvés et d'autres périront [malgré qu'il auront fui]. Lors de la troisième fois, ils [= les gens de ma Umma] seront éradiqués [= vaincus], tous." On demanda alors : "O Prophète de Dieu, qui est ce (peuple) ? – Les Turk" répondit-il. Il dit (aussi) : "Par Celui dans la Main de qui est mon âme, ils attacheront leurs chevaux aux piliers des mosquées des musulmans" : ""إن أمتي يسوقها قوم عراض الوجوه صغار الأعين كأن وجوههم الحجف ثلاث مرار، حتى يلحقوهم بجزيرة العرب. أما السائقة الأولى فينجو من هرب منهم. وأما الثانية فيهلك بعض، وينجو بعض. وأما الثالثة فيصطلمون كلهم من بقي منهم". قالوا: يا نبي الله، من هم؟ قال: "هم الترك". قال: "أما والذي نفسي بيده ليربطن خيولهم إلى سواري مساجد المسلمين" (Ahmad, n° 21873).
Différentes interprétations existent ici. En voici deux…
– D'après Shâh Waliyyullâh :
--- la première de ces trois poussées des "Turk" fut l'invasion mongole ;
--- la seconde celle de Tamerlan ;
--- la troisième la domination ottomane : "وأما في الثالثة فيصطلمون" وذلك صادق بغلبة العثمانية على جميع العمل، والله أعلم" (Hujjat ullâh il-bâligha, 2/583).
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– D'après une proposition personnelle (qui fait une synthèse entre ce que Ibn Hajar a écrit sur le sujet ainsi que ce que Shâh Waliyyullâh a pensé) :
--- la première des 3 grandes poussées des "Turk" fut celle des Seldjoukides (Ibn Hajar les a cités en commentaire du hadîth n° 1 : Fat'h ul-bârî 6/744-745 ; c'est moi qui propose que leur irruption ait constitué la première des trois grandes poussées des Turk évoquées dans le hadîth n° 3) ;
--- la seconde poussée fut celle des Mongols (que Ibn Hajar a également comptés parmi les "Turk" : cf. Fat'h ul-bârî 6/745) ;
--- et la troisième fut celle des Ottomans.
Si on retient l'avis a cité plus haut, selon lequel "Turk" et "Gog et Magog" sont deux peuples totalement distincts, ces deux interprétations posent problème, vu que les Mongols font partie des "Gog et Magog" mais pas des Turk.
Mais ce problème peut être résolu de deux façons :
– soit, même à retenir l'avis a, par le fait de se souvenir que, vu que les Mongols ayant déferlé au XIIIè siècle chrétien encadraient des troupes en majorité turques, comme l'ont dit Jean et André Sellier (voir plus haut) ; il est donc vérifié de dire que ce furent "Gog et Magog", comme il est juste de dire que ce furent des "Turk" ;
– soit par le fait de donner préférence à l'autre avis, b, selon lequel les "Gog et Magog" sont une partie des "Turk".
C'est à la lumière de ces poussées que se comprend le hadîth n° 1 : Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "لا تقوم الساعة حتى يقاتل المسلمون الترك قوما وجوههم كالمجان المطرقة يلبسون الشعر ويمشون فى الشعر" : "La fin du monde n'aura pas lieu avant que (ne vienne le temps où) les musulmans combattront les Turk : un peuple dont les visages sont (larges) comme s'ils étaient des boucliers cuirassés ; qui s'habillent de (vêtements faits en) poils et qui marchent dans (des chaussures faites en) poil" (autre traduction possible : "et dont les cheveux sont longs au point qu'ils semblent marcher dessus") (al-Bukhârî 2770, Muslim 2912/65). Il s'agira d'un combat défensif, pour faire face à l'offensive armée : "لا تقوم الساعة حتى تقاتلكم أمة ينتعلون الشعر، وجوههم مثل المجان المطرقة" (Muslim, 2912/63).
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V) Comment imaginer que deux des trois poussées des Turk, que prédisait le hadîth numéro 3, puissent être celles proposées au point IV, alors même qu'il s'agit là de Turk musulmans et que le hadîth numéro 3 évoque explicitement : "ma Umma" : "إن أمتى يسوقها قوم عراض الأوجه صغار الأعين" ? Les Turk musulmans font pourtant eux aussi partie de la Umma Muhammadiyya !
Il est sûr et certain que les Turk musulmans font partie de la Ummat ul-Ijâba du dernier Messager de Dieu (que Dieu l'élève et le garde), laquelle Umma n'est pas circonscrite aux seuls Arabes musulmans.
Mais l'explication est que la formule "Ummatu Muhammad" désigne, selon les textes, tantôt l'une, et tantôt l'autre, des trois choses suivantes :
--- la Ummat ud-da'wa ;
--- la Ummat ul-Ijâba ;
--- la Ummat un-nassab : le groupe auquel le Prophète est affilié sur le plan ethnico-culturel ; il s'agit des Arabes.
Or, dans le hadîth 3, il se pourrait que les termes "ma Umma" désignent : "ma Ummat un-Nassab au sein de la Ummat ul-Ijâba" : les Arabes ayant accepté l'islam.
Le fait est que si le message du Prophète (sur lui soit la paix) s'adresse à toute l'humanité et qu'il n'y a pas de préférence donnée à un musulman arabe sur un musulman non-arabe (turc, persan, indien, chinois, malais, africain, européen ou américain) (cliquez ici), la place de l'ensemble du monde arabo-musulman au sein de l'ensemble des pays majoritairement musulmans est conséquente : le monde arabe constitue, pour reprendre la formule de Abu-l-Hassan Alî an-Nadwî, "le cœur du monde musulman" (Mâ dhâ khassira-l-'âlam, p. 241).
C'est ce qui explique que même si de nombreux peuples "turcs" allaient se convertir à l'islam, on lit la parole suivante, la numéro 4 : "إِنَّ بَنِي قَنْطُورَاء أَوَّل مَنْ سَلَبَ أُمَّتِي مُلْكهمْ" : "Les fils de Qantûrâ [= les Turk] seront les premiers à ravir à ma Umma ("Ummatî") sa souveraineté" (Ibn Hajar ayant cité cette parole en tant que hadîth du Prophète : Fat'h ul-bârî 6/745).
Ibn Hajar pense que "Ummatî" désigne probablement ici : "Ummat un-nassab", soit les musulmans Arabes.
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Selon cette interprétation de Ibn Hajar, ce hadîth 4 peut donc évoquer les Turk devenus musulmans, ceux-ci étant les premiers à ravir le pouvoir des mains des Arabes musulmans (lire un article externe).
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Voilà qui explique l'interprétation de Shâh Waliyyullâh concernant les Ottomans : selon lui, la 3ème poussée des Turk évoquée dans le hadîth 3 correspond seulement à la totale domination ottomane sur l'administration des Arabo-musulmans : "وأما في الثالثة فيصطلمون"؛ وذلك صادق بغلبة العثمانية على جميع العمل، والله أعلم" (Hujjat ullâh il-bâligha, 2/583).
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Cela rejoint les hadîths qui enseignent que l'idéal obligatoire est que le calife soit qurayshite, donc arabe : "عن ابن عمر، رضي الله عنهما، عن النبي صلى الله عليه وسلم، قال: "لا يزال هذا الأمر في قريش ما بقي منهم اثنان" (al-Bukhârî, 3310, Msuslim, 1820) ; "عن معاوية قال: (...) سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول "إن هذا الأمر في قريش. لا يعاديهم أحد، إلا كبه الله على وجهه، ما أقاموا الدين" (al-Bukhârî, 3309) ; "حدثنا سكين بن عبد العزيز، حدثنا سيار بن سلامة أبو المنهال قال: دخلت مع أبي على أبي برزة، وإن في أذني يومئذ لقرطين، وإني غلام. قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "الأمراء من قريش" ثلاثا، "ما فعلوا ثلاثا: ما حكموا فعدلوا، واسترحموا فرحموا، وعاهدوا فوفوا. فمن لم يفعل ذلك منهم، فعليه لعنة الله والملائكة والناس أجمعين" (Ahmad, 19782, hadîth hassan) ; "عن علي أبي الأسد قال: حدثني بكير بن وهب الجزري قال: قال لي أنس بن مالك: أحدثك حديثا ما أحدثه كل أحد: إن رسول الله صلى الله عليه وسلم قام على باب البيت ونحن فيه، فقال: "الأئمة من قريش؛ إن لهم عليكم حقا، ولكم عليهم حقا مثل ذلك؛ ما إن استرحموا فرحموا، وإن عاهدوا وفوا، وإن حكموا عدلوا. فمن لم يفعل ذلك منهم، فعليه لعنة الله والملائكة والناس أجمعين" (Ahmad, 12307, dha'îf).
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– Tout cela signifie que pour les musulmans arabes, la domination turque constitua un tort (sharr), vu qu'elle les priva de ce qui leur revenait de façon légitime : la souveraineté sur les terres arabo-musulmanes.
– Par ailleurs, cette domination turque ne s'établit pas (ou pas toujours) pacifiquement :
--- il y eut parfois une invasion (avec son cortège de batailles), suivie plus tard d'une conversion à l'islam ;
--- et d'autres fois une conversion à l'islam suivie de tentatives d'invasions (comme dans le cas de Ghâzân) ; ou encore une naissance dans l'islam suivie d'invasions et de batailles (comme dans le cas de Tamerlan).
– Enfin, leur "irruption" (pour reprendre le terme de Jean et André Sellier : Atlas des peuples d'Orient, pp. 26-27) causa des bouleversements dans la société arabo-musulmane.
Amin Maalouf écrit ainsi : "Venus d'Asie centrale avec des milliers de cavaliers nomades aux longs cheveux tressés, les Turcs seldjoukides se sont emparés en quelques années de toute la région qui s'étend de l'Afghanistan à la Méditerranée. Depuis 1055, le calife de Baghdad, successeur du Prophète et héritier du prestigieux empire abbasside, n'est qu'une marionnette docile entre leurs mains. D'Ispahan à Damas, de Nicée à Jérusalem, leurs émirs font la loi" (Les croisades vues par les Arabes, pp. 22-23).
Considérés de l'an 1099, "les Abbassides régneront encore, il est vrai, pendant quatre siècles. Mais ils ne gouverneront plus. Ils ne seront que des otages entre les mains de leurs soldats turcs ou perses, capables de faire et de défaire les souverains à leur guise, en ayant le plus souvent recours au meurtre. Et c'est pour échapper à un tel sort que la plupart des califes renonceront à toute activité politique. Cloîtrés dans leur harem, ils s'adonneront désormais exclusivement aux plaisirs de l'existence, se faisant poètes ou musiciens, collectionnant les jolies esclaves parfumées" (Ibid., p. 73).
Parlant de al-Mustaz'hir billâh, le calife abbasside de l'époque de l'arrivée de la première croisade à Jérusalem, en 1099, et habitant Bagdad, Maalouf écrit : "Et al-Moustazhir, dont les réfugiés de Jérusalem attendent un miracle, est le représentant même de cette race de califes fainéants. Le voudrait-il, il serait bien incapable de voler au secours de la Ville sainte, n'ayant, pour toute armée, qu'une garde personnelle de quelques centaines d'eunuques noirs et blancs. Ce ne sont pourtant pas les soldats qui manquent à Baghdad. Ils sont des milliers à déambuler sans arrêt, souvent ivres, dans les rues. Bien entendu, ces fléaux en uniforme, qui ont condamné les souks à la ruine par leur pillage systématique, n'obéissent pas aux ordres d'al-Moustazhir. Leur chef ne parle pratiquement pas l'arabe. Car, à l'instar de toutes les villes de l'Asie musulmane, Baghdad est sous la coupe des Turcs seldjoukides" (Ibid., pp. 73-74). "(...) n'oublions pas que nous avons vu en 1134 le sultan Massoud discuter avec le calife Moustarchid par l'intermédiaire d'un interprète, parce que le Seldjoukide, 80 ans après la prise de Baghdad par son clan, ne parlait toujours pas un mot d'arabe. Plus grave encore : un nombre considérable de guerriers des steppes, sans aucun lien avec les civilisations arabes ou méditerranéennes, venaient régulièrement s'intégrer à la caste militaire dirigeante. Dominés, opprimés, bafoués, étrangers sur leur propre terre, les Arabes ne pouvaient poursuivre leur épanouissement culturel amorcé au VIIè siècle" (Ibid., p. 300).
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Attention : Nul ne peut, s'appuyant sur l'interprétation sus-citée du hadîth n° 3, affirmer que les Turcs musulmans seraient mauvais, ou qu'il faudrait se méfier d'eux, ou autre chose du même genre.
On voit le contraire dans le hadîth n° 5 : parlant de celui qui conquerrait Constantinople et de ceux qui seraient alors avec lui, ce hadîth dit : "... quel bon chef sera son chef ; et quelle bonne armée sera cette armée" : "لتفتحن القسطنطينية، ولنعم الأمير أميرها، ولنعم الجيش ذلك الجيش" (Ahmad, 18957, al-Hâkim, 8300). Or la conquête de Constantinople se réalisa en l'an 857 a.h / 1453 a.g., et fut l'œuvre de Muhammad II, 7ème sultan de la dynastie ottomane. C'est plus tard, en 923 a.h. / 1517 a.g., qu'un autre sultan ottoman – le 9ème, Sélim Ier – se fit remettre des abbassides le califat, devenant alors calife de l'Islam.
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– Tout cela n'implique nullement que les musulmans arabes qui se sont soulevés contre les ottomans au début du XXè siècle chrétien aient eu raison de le faire. Au contraire, ces musulmans ont eu tort de faire cela : même si est arrivé au pouvoir sur une terre musulmane un homme musulman qui ne correspond pas entièrement à l'idéal obligatoire (et l'idéal est que le calife soit arabe, et même qurayshite, comme nous l'avons vu plus haut), ou qui y est arrivé par un moyen non conforme à l'idéal obligatoire (et le moyen idéal est qu'il y ait concertation, mashûra) –, dès lors que le pouvoir de cet homme est véritablement établi sur cette terre, il en devient légal, et doit être reconnu par ceux sur qui il est établi ; il leur est interdit de se soulever contre ce pouvoir : cela ne fait qu'engendrer des torts encore plus grands que ceux qu'on désirait réparer : lire mon article parlant de ce point.
En fait, le manquement à une partie de l'idéal obligatoire est une chose.
Mais cela ne signifie pas qu'il faille entreprendre des choses qui entraînent une situation plus grave encore.
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La même chose peut être dite du califat abbasside, celui-là même qui précéda le califat ottoman :
Assurément, le califat abbasside régnant à Bagdad au 7ème siècle hégirien (XIIIè siècle chrétien) n'était lui non plus pas conforme à la totalité de l'idéal obligatoire enseigné par le Prophète au sujet du détenteur de l'autorité, cette fois au niveau des responsabilités de celui-ci ainsi que de sa façon de gouverner (nous en avons vu certains aspects sous la plume de Amin Maalouf).
Cependant, au moins il existait et y correspondait donc partiellement.
Dès lors, voir Bagdad, la capitale de la civilisation arabo-musulmane et le siège du califat abbasside, être envahie et pillée par les hordes mongoles ; assister à la mise à mort du calife par ces envahisseurs (qui l'enroulèrent dans un tapis et le firent piétiner par leurs chevaux) ; regarder une grande partie de la population de Bagdad être massacrée : cela ne pouvait constituer qu'un mal beaucoup plus grand que ce qui existait alors (je parle là d'un mal tashrî'î même, c'est-à-dire de quelque chose que le musulman ne peut que réprouver sur le plan moral). Or, comme l'a très justement souligné Ibn Taymiyya, les prophètes raisonnent en termes de "considération pour la moindre des deux choses mauvaises qui se présentent dans une situation donnée" (cf. MF 13-96-97 ; 19/216-219). C'est ce qui explique que le prophète Muhammad, évoquant probablement ainsi l'invasion que les Gog et Magog (ici les Mongols) feraient de l'empire arabo-musulman, ait dit (il s'agit du hadîth 6 plus haut cité) : "Malheur aux Arabes à cause du mal qui s'est rapproché !" (al-Bukhârî, 6650 ; Muslim, 2880).
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VI) Et à quoi pourrait correspondre le déferlement de Gog et Magog prédit par le verset coranique ainsi que le hadîth numéro 7, et devant survenir après le retour de Jésus fils de Marie et après la mort de l'Antéchrist ?
Pour rappel, ces verset et hadîth se lisent comme suit : "Jusqu'à ce que, quand déferleront Gog et Magog et qu'ils dévaleront de chaque colline… Et la promesse vraie [= la fin du monde] se sera (alors) rapprochée (…)" (Coran 21/96-97) ; "(...) jusqu'à ce que viennent Gog et Magog, aux visages larges, aux petits yeux, aux sommets des têtes argentés / gris / blancs ("shuh'b") [d'après une autre version : "aux sommets des têtes roux ("Suh'b")], dévalant de chaque colline ; c'est comme si leurs visages étaient des boucliers cuirassés" (Ahmad, 22331). "Gog et Magog" déferleront alors jusqu'à Jérusalem et assècheront complètement le Lac Tibériade, a également prédit le Prophète (Muslim, 2937).
S'agirait-il de la civilisation extrême-orientale, ou "confucéenne" (pour reprendre la formule de Huntington), fédérée autour de la Chine (dont Napoléon Ier et Peyrefitte avaient dit que "lorsqu'elle s'éveillera, le monde tremblera"), et lancée à la conquête d'une grande partie du monde (au moins jusqu'à Jérusalem) suite à l'affaiblissement de certaines civilisations, entre autres l'arabo-musulmane, rendue exsangue par la résistance à notamment l'Antéchrist ?
Lire mon autre article sur le sujet.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).
Quelques hadîths où le Prophète annonçait les poussées des "Turk" / de "Gog et Magog"
I) Des hadîths parlant des poussées de "Ya'jûj wa Ma'jûj" ou des "Turk" (prononcez : "tourc") :
(J'ai cité le terme arabe "Turk" tel qu'il se présente dans les hadîths, mais nous verrons qu'il est un avis selon lequel il ne désigne pas forcément les seuls peuples nommés aujourd'hui "turcophones" ; nous y reviendrons plus bas.)
– 1) Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "عن أبي هريرة، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم، قال: "لا تقوم الساعة حتى يقاتل المسلمون الترك، قوما وجوههم كالمجان المطرقة يلبسون الشعر ويمشون في الشعر" : "La fin du monde n'aura pas lieu avant que (ne vienne le temps où) les musulmans combattront les Turk : un peuple dont les visages sont (larges) comme s'ils étaient des boucliers cuirassés ; qui s'habillent de (vêtements faits en) poils et qui marchent dans (des chaussures faites en) poil" (autre traduction possible : "et dont les cheveux sont longs au point qu'ils semblent marcher dessus") (al-Bukhârî, 2770, Muslim 2912/65, la version reproduite ici étant cette dernière). Quelles invasions évoquait ce hadîth, nous y reviendrons plus bas, au point IV.
– 2) Le Prophète (sur lui soit la paix) ne voulait, dans ce hadîth cité en 1, absolument pas dire aux musulmans de mener un combat offensif (iqdâmî) contre les Turk, car la parole suivante a aussi été rapportée de lui : "واتركوا الترك ما تركوكم" : "(...) Et laissez les Turk tant qu'ils vous laissent" (Abû Dâoûd 4302, an-Nassâ'ï 3176). Ce hadîth est hassan d'après al-Albânî (voir aussi : Silsilat ul-ahâdîth is-sahîha, tome 2 p. 403 ; Ashrât us-sâ'ah, Yûssuf al-Wâbil, pp. 123-124, note de bas de page). Il y a donc interdiction de mener contre les Turk un combat offensif (un combat iqdâmî, soit le cas B5 dans notre article consacré à ce point). Ibn Hajar écrit que cette interdiction était connue des Compagnons (Fat'h ul-bârî 6/744).
Pourquoi cette interdiction ? A cause de la prédiction qui apparaît aux hadîths cités ci-après, en 3 et 4…
En tous cas, on voit que quand, dans le hadîth cité en 1, le Prophète a dit : "La fin du monde n'aura pas lieu avant que (ne vienne le temps où) les musulmans combattront les Turk", il ne s'agit pas d'une exhortation à aller les combattre de façon offensive (iqdâmî) ; il s'agit de la description d'un événement devant se passer entre sa période et la fin du monde, et du fait qu'il s'agira pour les musulmans de mener alors un combat défensif (difâ'ï) face à l'offensive des Turk.
– 3) Un autre hadîth se lit ainsi : "حدثنا أبو نعيم، حدثنا بشير بن مهاجر، حدثني عبد الله بن بريدة، عن أبيه قال: كنت جالسا عند النبي صلى الله عليه وسلم، فسمعت النبي صلى الله عليه وسلم يقول: "إن أمتي يسوقها قوم عراض الوجوه صغار الأعين كأن وجوههم الحجف ثلاث مرار، حتى يلحقوهم بجزيرة العرب. أما السائقة الأولى فينجو من هرب منهم. وأما الثانية فيهلك بعض، وينجو بعض. وأما الثالثة فيصطلمون كلهم من بقي منهم". قالوا: يا نبي الله، من هم؟ قال: "هم الترك". قال: "أما والذي نفسي بيده ليربطن خيولهم إلى سواري مساجد المسلمين". قال: وكان بريدة لا يفارقه بعيران أو ثلاثة ومتاع السفر والأسقية، يعد ذلك للهرب، مما سمع من النبي صلى الله عليه وسلم من البلاء من أمر الترك" : "Un peuple aux visages larges comme s'ils étaient des boucliers, et aux petits yeux, "poussera" ma Umma par trois fois. Lors de la première fois, ceux d'entre eux [= de ma Umma] qui se seront enfuis seront sauvés. Lors de la seconde fois, certains seront sauvés et d'autres périront [malgré qu'il auront fui]. Lors de la troisième fois, ils [= les gens de ma Umma] seront éradiqués [= vaincus], tous." On demanda alors : "O Prophète de Dieu, qui est ce (peuple) ? – Les Turk" répondit-il. Il dit (aussi) : "Par Celui dans la Main de qui est mon âme, ils attacheront leurs chevaux aux piliers des mosquées des musulmans" (Ahmad, 21873 ; voir 'Awn ul-ma'bûd, commentaire du hadîth 4305 rapporté par Abû Dâoûd).
Ce hadîth est :
----- dha'îf d'après Shu'ayb al-Arna'ût (à cause de Bashîr ibn Muhâjir lorsqu'il n'y a pas de mutâba'a de ce qu'il rapporte) ;
----- sahîh d'après Umar ibn Dih'ya ("قال الإمام أبو الخطاب عمر بن دحية: وهذا سند صحيح أسنده إمام السنة والصابر على المحنة أبو عبد الله أحمد بن حنبل الشيباني، عن الإمام العدل المجمع على ثقته أبي نعيم الفضل بن دكين. وبشير بن المهاجر وثقه، رأى أنس بن مالك روى عن جماعة من الأئمة فوثقوه" : At-Tadhkira, al-Qurtubî, 2/228).
Il pourrait s'agir de Turk non-musulmans, comme de Turk s'étant entre-temps convertis à l'islam (nous allons y revenir plus bas, aux points IV et V).
– 3') Un hadîth voisin se lit ainsi : "حدثنا محمد بن يحيى البصري، حدثنا محمد بن يعقوب، قال: حدثني أحمد بن إبراهيم، قال: حدثني إسحاق بن إبراهيم بن الغمر مولى سموك، قال: حدثني أبي، عن جدي قال: سمعت معاوية بن حديج يقول: كنت عند معاوية بن أبي سفيان حين جاءه كتاب عامله يخبره أنه وقع بالترك وهزمهم، وكثرة من قتل منهم، وكثرة من غنم. فغضب معاوية من ذلك، ثم أمر أن يكتب إليه: "قد فهمتُ ما ذكرتَ مما قتلت وغنمت؛ فلا أعلمن ما عدتَ لشيء من ذلك ولا قاتلتَهم، حتى يأتيك أمري". قلت له: "لم يا أمير المؤمنين؟" فقال: "سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "لتَظهرَنّ الترك على العرب حتى تُلحِقها بمنابت الشيح والقيصوم"؛ فأكره قتالهم لذلك" (Abû Ya'lâ dans son Musnad, 7376 ; dha'îf à cause de la jahâla de certains maillons de la chaîne) (également cité dans Fat'h ul-bârî, 6/744).
– 4) La parole suivante existe qui a été attribuée au Prophète (sur lui soit la paix) : "Laissez les Turk tant qu'ils vous laissent. Car les premiers à ravir à ma Umma ("ummatî") sa souveraineté et ce que Dieu lui a donné seront les fils de Qantûrâ" : "عن عبد الله بن مسعود قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "اتركوا الترك ما تركوكم؛ فإن أول من يسلب أمتي ملكهم وما خولهم الله بنو قنطوراء" (at-Tabarânî dans Al-Mu'jam ul-Awsat et dans Al-Mu'jam ul-Kabîr).
----- Ibn ul-Jawzî et al-Albânî sont d'avis que cette parole ne peut pas être attribuée au Prophète (Silsilat ul-ahâdîth idh-dha'îfa, 4/230-232) ;
----- Ibn Hajar, par contre, a pour sa part cité ce propos en tant que parole du Prophète (Fat'h ul-bârî 6/745).
Ibn Hajar pense que "ummatî" désigne probablement ici : "ummat un-nassab", soit les musulmans Arabes.
– 5) Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Vous conquerrez Constantinople. Et quel bon chef sera son chef ; et quelle bonne armée sera cette armée" : "عن عبد الله بن بشر الغنوي، حدثني أبي، قال: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "لتفتحن القسطنطينية، ولنعم الأمير أميرها، ولنعم الجيش ذلك الجيش" (Ahmad, 18957, al-Hâkim, 8300 ; authentifié par adh-Dhahabî).
– 6) Le prophète Muhammad (sur lui la paix) entra un jour auprès de son épouse Zaynab bint Jahsh s'exclamant : "لا إله إلا الله، ويل للعرب من شر قد اقترب؛ فُتِحَ اليوم من ردم يأجوج ومأجوج مثلُ هذه" : "Lâ ilâha ill-Allâh ! Malheur aux Arabes à cause du mal qui s'est rapproché ! Aujourd'hui, une ouverture de cette grandeur – et il fit un petit cercle de ses doigts – a été pratiquée dans le mur de Gog et Magog" (al-Bukhârî 3168, Muslim 2880). As-Syoharwî relate de al-Qurtubî et de al-Kirmânî que ce terme d'"ouverture dans le mur" est à appréhender dans un sens métaphorique (Qassas ul-qur'ân, 3/220-221). Ibn Kathîr a lui aussi relaté cette façon de voir de certains ulémas : "فالجواب: أما على قول من ذهب إلى أن هذا إشارة إلى فتح أبواب الشر والفتن وأن هذا استعارة محضة وضرب مثل، فلا إشكال" (Al-Bidâya wa-n-nihâya 2/127). As-Syoharwî relate de al-Kirmânî que cela annonçait les futures invasions mongoles (Qassas ul-qur'ân, 3/220-221). Celles-ci, qui allaient se dérouler au XIIIè siècle chrétien, devaient ravager de nombreuses contrées et, comme prédit par le Prophète, être un grand malheur pour les Arabes. En effet, elles débouchèrent sur la mise à mort du calife musulman (al-Musta'sim billâh) en l'an 1258 (de l'ère chrétienne), sur le pillage de la ville de Bagdad et sur le massacre d'une grande partie des musulmans la peuplant (seuls les habitants chrétiens furent épargnés, suite à l'intercession de l'épouse du khan mongol – Hülegü –, qui était chrétienne nestorienne). La consultation de n'importe quel ouvrage d'histoire nous apprendra combien les invasions mongoles portèrent un coup terrible à la civilisation arabo-musulmane.
– 7) Dieu dit : "حَتَّى إِذَا فُتِحَتْ يَأْجُوجُ وَمَأْجُوجُ وَهُم مِّن كُلِّ حَدَبٍ يَنسِلُونَ" : "Jusqu'à ce que, quand déferleront Gog et Magog et qu'ils dévaleront de chaque colline… Et la promesse vraie [= la fin du monde] se sera (alors) rapprochée (…)" (Coran 21/96-97). Parlant de ce déferlement, le Prophète a dit : "حتى يأتى يأجوج ومأجوج عراض الوجوه صغار العيون صُهْب/شُهْب الشعاف، من كل حدب ينسلون، كأنَّ وجوههم المجان المطرقة" : "(...) jusqu'à ce que viennent Gog et Magog, aux visages larges, aux petits yeux, aux sommets des têtes argentés / gris / blancs (شُهْب) [d'après une autre version : "aux sommets des têtes roux (صُهْب)], dévalant de chaque colline ; c'est comme si leurs visages étaient des boucliers cuirassés" (Ahmad, 22331 ; authentifié par Hâmid Ahmad at-Tâhir : note de bas de page sur An-Nihâya, p. 122). Ceci concerne l'ultime déferlement, après le retour de Jésus fils de Marie.
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II) A la lecture de ces différents hadîths, on remarque que la description qui est donnée d'une part des "Turk" et d'autre part des "Gog et Magog" est très voisine : visages larges, petits yeux…. "Turk" et "Gog et Magog" constituent-ils deux dénominations qui sont synonymes et désignent donc le même peuple ? ou bien sont-ce là deux peuples différents ?
Il y a divergence sur ce point :
– a) soit ce que le nom "Turk" désigne est totalement distinct (mutabâyin) de ce que le nom "Gog et Magog" désigne, et vice-versa : les "Turk" ne sont pas les "Gog et Magog", et les "Gog et Magog" ne sont pas les "Turk". Il s'agit de deux peuples distincts, bien que possédant certains traits morphologiques communs ; en fait ils seraient "cousins" (c'est la position de Wahb ibn Munabbih : cité parmi d'autres avis in Fat'h ul-bârî, 6/127) ;
– b) soit le nom "Turk" est général ('âmm), et "Gog et Magog" est particulier (khâss) : "Turk" englobe les peuples désignés aujourd'hui par le nom "turcs" ou "turcophones" (ou "proto-turcs"), mais aussi d'autres peuples, dont, justement, les "Gog et Magog" (c'est la position de Ibn Kathîr : An-Nihâya fi-l-fitan wa-l-malâhim, pp. 122-123).
Si on retient que, du moins pour l'annonce faite au hadîth 6, "Gog et Magog" furent les Mongols (comme l'a dit al-Kirmânî), on appréciera ce que Jean-Paul Roux, dans sa célèbre Histoire de l'Empire mongol, a relaté de certains érudits musulmans d'autrefois : "Les Mongols sont une tribu turque" ; "Turcs et Mongols forment un seul peuple" (p. 157) ; "C'est un fait remarquable que les Tatars [= les Mongols] furent détruits par des hommes de leur propre race, par des Turcs [= les Mamelouks]" (p. 363). Roux lui-même écrit à propos des Turcs et des Mongols : "Si on les distingue mieux aujourd'hui, on continue à accepter leur proche cousinage" (p. 19).
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III) A propos des Turcs et des Mongols :
--- Les Oghouz étaient un peuple turc nomadisant au nord de la mer d'Aral. Venus faire des incursions vers le sud, ils finissent par envahir la Perse, où Tughril Beg (fils de Daoud fils de Seldjük), fonde en 1055 la dynastie dite des Grands Seldjoukides, qui règneront en Iran et en Irak. Ces Seldjoukides reconnaissent l'autorité du calife abbasside de Bagdad, dont ils obtiennent le titre de "sultan" et que, en même temps, ils réduisent à exercer un pouvoir plus symbolique que réel. Certains Turcs oghouz désirent conserver leur mode de vie nomade. "L'usage veut que l'on nomme "Turcomans" les Turcs oghouz ainsi attachés au nomadisme" (Atlas des peuples d'Orient, p. 167). Les Grands Seldjoukides orientent ces Turcomans "turbulents" vers l'Anatolie, où ils affrontent les Byzantins. A la bataille de Menzikert, en 1071, Alp Arslan, neveu et successeur de Tughril Beg à la tête des Grands Seldjoukides, défait les Byzantins ; suite à cela, des chefs turcomans peuvent fonder leur "beylik" (principauté) en Anatolie. C'est ainsi qu'en deux ans plusieurs "émirats" sont établis. Mais à l'ouest règne Sulayman (fils de Qutulmish fils de Arslan Israïl fils de Seldjük), qui prend Konya puis Nicée dont il fait sa capitale, et qui fonde bientôt la dynastie dite des Seldjoukides de Roum, qui étend son autorité à toute l'Anatolie ; les autres émirats turcomans continuent cependant d'exister, tout en étant inféodés aux Seldjoukides de Roum. C'est ainsi qu'au sud-est de l'Anatolie est bientôt établie la dynastie artuqide ou artukide (du nom de son fondateur Ortok, descendant lui aussi de Oghouz, et qui règne à Jérusalem de 1087 à 1091). Cette dynastie règnera dans la région de 1101 à 1409 ; c'est de ce royaume que Mardin devient bientôt la capitale. Les deux fils de Ortok, Il-ghâzî et Sulayman, fondèrent en fait deux principautés, et ce sera le premier qui sera émir de la cité de Mardin de 1108 à 1122, etc. (et même de Alep).
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--- Les tribus dites "proto-mongoles" furent fédérées à la fin du XIIè siècle grégorien par Temüjin. Ce dernier se fit ensuite proclamer Tchingiz Kaghan (ou Kaghan universel, c'est-à-dire Grand Khan universel), titre francisé en "Gengis Khan". "Il se trouve alors à la tête d'une force militaire extrêmement puissante, dirigée et encadrée par des Mongols, mais dont les troupes (il s'agit bien sûr de cavaliers) sont en majorité turques" (Atlas des peuples d'Orient, Jean et André Sellier, p. 151). Le nom "Tatar" était d'ailleurs à l'origine celui d'un ancien peuple turc qui nomadisait au voisinage des Mongols. Gengis Khan les battit, mais, ayant constaté leur férocité, décida de les incorporer à son armée. Et ce qui n'était à l'origine que le nom d'une des composantes de l'armée mongole finit par être employé par certains peuples envahis pour désigner l'armée mongole tout entière : "Les Tatars arrivent".
A un moment donné de la poussée des Mongols, en 1258 a.g. très précisément (656 a.h.), sous le commandement de Hülegü (fils de Tolui fils de Gengis Khan), le calife abbasside al-Musta'sim billâh fut assassiné, mais ceux des abbassides qui purent s'enfuir se réfugièrent au Caire. Les Mongols furent arrêtés en Syrie, avant d'être repoussés hors de Syrie par les Mamelouks (d'autres musulmans, d'origine turque eux aussi, mais s'opposant aux Mongols et protégeant le calife abbasside ; Ibn Taymiyya a vécu sous leur règne). La frontière des Mongols s'établit alors sur l'Euphrate. (Beaucoup plus tard, les Il-khans, gouverneurs du Khanat régnant sur cette région musulmane, se convertiront à l'islam.)
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--- Lors de la poussée de Tamerlan (Timur Lang, le Boîteux), un turc né musulman et se revendiquant en même temps des Mongols, Bagdad fut de nouveau pillée, en 1401. Même la Syrie fut conquise par le Boîteux, et le sultan mamelouk fut tué (le calife fut alors menacé, alors même que la famille califale tout entière était réfugiée). Shâh Waliyyullâh, qui pense que ce sont les conquêtes de Tamerlan qui constituent la seconde poussée des Turks évoquée dans le hadîth n° 3, précise que la destruction dont le hadîth parle ne désigne pas forcément une destruction de personnes, mais une destruction du pouvoir des Abbassides ; "إهلاك أمر العباسية", a-t-il écrit.
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--- Quant aux Ottomans, ils descendent eux aussi des Turcs oghouz : le fondateur de leur dynastie est Osman, fils de Eltugrul, fils de Sulayman, fils de Kaya Alp, descendant de Oghuz. Les Ottomans prirent le pouvoir califal lui-même : Sélim Ier, jusqu'alors simple sultan ottoman (9ème du nom), se fit remettre le pouvoir en 1517 par le calife abbasside se trouvant au Caire, al-Mustamsik billâh (revenu au pouvoir après avoir un temps abdiqué). C'est ainsi que le califat passa aux mains des Turcs.
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IV) Quelles furent les trois poussées des Turk que prédisait le hadîth numéro 3 ?
Ce hadîth 3, rappelons-le, se lit ainsi : "Un peuple aux visages larges comme s'ils étaient des boucliers, et aux petits yeux, "poussera" ma Umma par trois fois. Lors de la première fois, ceux d'entre eux [= de ma Umma] qui se seront enfuis seront sauvés. Lors de la seconde fois, certains seront sauvés et d'autres périront [malgré qu'il auront fui]. Lors de la troisième fois, ils [= les gens de ma Umma] seront éradiqués [= vaincus], tous." On demanda alors : "O Prophète de Dieu, qui est ce (peuple) ? – Les Turk" répondit-il. Il dit (aussi) : "Par Celui dans la Main de qui est mon âme, ils attacheront leurs chevaux aux piliers des mosquées des musulmans" : ""إن أمتي يسوقها قوم عراض الوجوه صغار الأعين كأن وجوههم الحجف ثلاث مرار، حتى يلحقوهم بجزيرة العرب. أما السائقة الأولى فينجو من هرب منهم. وأما الثانية فيهلك بعض، وينجو بعض. وأما الثالثة فيصطلمون كلهم من بقي منهم". قالوا: يا نبي الله، من هم؟ قال: "هم الترك". قال: "أما والذي نفسي بيده ليربطن خيولهم إلى سواري مساجد المسلمين" (Ahmad, n° 21873).
Différentes interprétations existent ici. En voici deux…
– D'après Shâh Waliyyullâh :
--- la première de ces trois poussées des "Turk" fut l'invasion mongole ;
--- la seconde celle de Tamerlan ;
--- la troisième la domination ottomane : "وأما في الثالثة فيصطلمون" وذلك صادق بغلبة العثمانية على جميع العمل، والله أعلم" (Hujjat ullâh il-bâligha, 2/583).
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Si on retient l'avis a cité plus haut, selon lequel "Turk" et "Gog et Magog" sont deux peuples totalement distincts, ces deux interprétations posent problème, vu que les Mongols font partie des "Gog et Magog" mais pas des Turk.
Mais ce problème peut être résolu de deux façons :
– soit, même à retenir l'avis a, par le fait de se souvenir que, vu que les Mongols ayant déferlé au XIIIè siècle chrétien encadraient des troupes en majorité turques, comme l'ont dit Jean et André Sellier (voir plus haut) ; il est donc vérifié de dire que ce furent "Gog et Magog", comme il est juste de dire que ce furent des "Turk" ;
– soit par le fait de donner préférence à l'autre avis, b, selon lequel les "Gog et Magog" sont une partie des "Turk".
C'est à la lumière de ces poussées que se comprend le hadîth n° 1 : Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "لا تقوم الساعة حتى يقاتل المسلمون الترك قوما وجوههم كالمجان المطرقة يلبسون الشعر ويمشون فى الشعر" : "La fin du monde n'aura pas lieu avant que (ne vienne le temps où) les musulmans combattront les Turk : un peuple dont les visages sont (larges) comme s'ils étaient des boucliers cuirassés ; qui s'habillent de (vêtements faits en) poils et qui marchent dans (des chaussures faites en) poil" (autre traduction possible : "et dont les cheveux sont longs au point qu'ils semblent marcher dessus") (al-Bukhârî 2770, Muslim 2912/65). Il s'agira d'un combat défensif, pour faire face à l'offensive armée : "لا تقوم الساعة حتى تقاتلكم أمة ينتعلون الشعر، وجوههم مثل المجان المطرقة" (Muslim, 2912/63).
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V) Comment imaginer que deux des trois poussées des Turk, que prédisait le hadîth numéro 3, puissent être celles proposées au point IV, alors même qu'il s'agit là de Turk musulmans et que le hadîth numéro 3 évoque explicitement : "ma Umma" : "إن أمتى يسوقها قوم عراض الأوجه صغار الأعين" ? Les Turk musulmans font pourtant eux aussi partie de la Umma Muhammadiyya !
Mais l'explication est que la formule "Ummatu Muhammad" désigne, selon les textes, tantôt l'une, et tantôt l'autre, des trois choses suivantes :
--- la Ummat ud-da'wa ;
--- la Ummat ul-Ijâba ;
--- la Ummat un-nassab : le groupe auquel le Prophète est affilié sur le plan ethnico-culturel ; il s'agit des Arabes.
Or, dans le hadîth 3, il se pourrait que les termes "ma Umma" désignent : "ma Ummat un-Nassab au sein de la Ummat ul-Ijâba" : les Arabes ayant accepté l'islam.
Le fait est que si le message du Prophète (sur lui soit la paix) s'adresse à toute l'humanité et qu'il n'y a pas de préférence donnée à un musulman arabe sur un musulman non-arabe (turc, persan, indien, chinois, malais, africain, européen ou américain) (cliquez ici), la place de l'ensemble du monde arabo-musulman au sein de l'ensemble des pays majoritairement musulmans est conséquente : le monde arabe constitue, pour reprendre la formule de Abu-l-Hassan Alî an-Nadwî, "le cœur du monde musulman" (Mâ dhâ khassira-l-'âlam, p. 241).
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– Tout cela signifie que pour les musulmans arabes, la domination turque constitua un tort (sharr), vu qu'elle les priva de ce qui leur revenait de façon légitime : la souveraineté sur les terres arabo-musulmanes.
– Par ailleurs, cette domination turque ne s'établit pas (ou pas toujours) pacifiquement :
--- il y eut parfois une invasion (avec son cortège de batailles), suivie plus tard d'une conversion à l'islam ;
--- et d'autres fois une conversion à l'islam suivie de tentatives d'invasions (comme dans le cas de Ghâzân) ; ou encore une naissance dans l'islam suivie d'invasions et de batailles (comme dans le cas de Tamerlan).
– Enfin, leur "irruption" (pour reprendre le terme de Jean et André Sellier : Atlas des peuples d'Orient, pp. 26-27) causa des bouleversements dans la société arabo-musulmane.
Amin Maalouf écrit ainsi : "Venus d'Asie centrale avec des milliers de cavaliers nomades aux longs cheveux tressés, les Turcs seldjoukides se sont emparés en quelques années de toute la région qui s'étend de l'Afghanistan à la Méditerranée. Depuis 1055, le calife de Baghdad, successeur du Prophète et héritier du prestigieux empire abbasside, n'est qu'une marionnette docile entre leurs mains. D'Ispahan à Damas, de Nicée à Jérusalem, leurs émirs font la loi" (Les croisades vues par les Arabes, pp. 22-23).
Considérés de l'an 1099, "les Abbassides régneront encore, il est vrai, pendant quatre siècles. Mais ils ne gouverneront plus. Ils ne seront que des otages entre les mains de leurs soldats turcs ou perses, capables de faire et de défaire les souverains à leur guise, en ayant le plus souvent recours au meurtre. Et c'est pour échapper à un tel sort que la plupart des califes renonceront à toute activité politique. Cloîtrés dans leur harem, ils s'adonneront désormais exclusivement aux plaisirs de l'existence, se faisant poètes ou musiciens, collectionnant les jolies esclaves parfumées" (Ibid., p. 73).
Parlant de al-Mustaz'hir billâh, le calife abbasside de l'époque de l'arrivée de la première croisade à Jérusalem, en 1099, et habitant Bagdad, Maalouf écrit : "Et al-Moustazhir, dont les réfugiés de Jérusalem attendent un miracle, est le représentant même de cette race de califes fainéants. Le voudrait-il, il serait bien incapable de voler au secours de la Ville sainte, n'ayant, pour toute armée, qu'une garde personnelle de quelques centaines d'eunuques noirs et blancs. Ce ne sont pourtant pas les soldats qui manquent à Baghdad. Ils sont des milliers à déambuler sans arrêt, souvent ivres, dans les rues. Bien entendu, ces fléaux en uniforme, qui ont condamné les souks à la ruine par leur pillage systématique, n'obéissent pas aux ordres d'al-Moustazhir. Leur chef ne parle pratiquement pas l'arabe. Car, à l'instar de toutes les villes de l'Asie musulmane, Baghdad est sous la coupe des Turcs seldjoukides" (Ibid., pp. 73-74). "(...) n'oublions pas que nous avons vu en 1134 le sultan Massoud discuter avec le calife Moustarchid par l'intermédiaire d'un interprète, parce que le Seldjoukide, 80 ans après la prise de Baghdad par son clan, ne parlait toujours pas un mot d'arabe. Plus grave encore : un nombre considérable de guerriers des steppes, sans aucun lien avec les civilisations arabes ou méditerranéennes, venaient régulièrement s'intégrer à la caste militaire dirigeante. Dominés, opprimés, bafoués, étrangers sur leur propre terre, les Arabes ne pouvaient poursuivre leur épanouissement culturel amorcé au VIIè siècle" (Ibid., p. 300).
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– Tout cela n'implique nullement que les musulmans arabes qui se sont soulevés contre les ottomans au début du XXè siècle chrétien aient eu raison de le faire. Au contraire, ces musulmans ont eu tort de faire cela : même si est arrivé au pouvoir sur une terre musulmane un homme musulman qui ne correspond pas entièrement à l'idéal obligatoire (et l'idéal est que le calife soit arabe, et même qurayshite, comme nous l'avons vu plus haut), ou qui y est arrivé par un moyen non conforme à l'idéal obligatoire (et le moyen idéal est qu'il y ait concertation, mashûra) –, dès lors que le pouvoir de cet homme est véritablement établi sur cette terre, il en devient légal, et doit être reconnu par ceux sur qui il est établi ; il leur est interdit de se soulever contre ce pouvoir : cela ne fait qu'engendrer des torts encore plus grands que ceux qu'on désirait réparer : lire mon article parlant de ce point.
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La même chose peut être dite du califat abbasside, celui-là même qui précéda le califat ottoman :
Assurément, le califat abbasside régnant à Bagdad au 7ème siècle hégirien (XIIIè siècle chrétien) n'était lui non plus pas conforme à la totalité de l'idéal obligatoire enseigné par le Prophète au sujet du détenteur de l'autorité, cette fois au niveau des responsabilités de celui-ci ainsi que de sa façon de gouverner (nous en avons vu certains aspects sous la plume de Amin Maalouf).
Cependant, au moins il existait et y correspondait donc partiellement.
Dès lors, voir Bagdad, la capitale de la civilisation arabo-musulmane et le siège du califat abbasside, être envahie et pillée par les hordes mongoles ; assister à la mise à mort du calife par ces envahisseurs (qui l'enroulèrent dans un tapis et le firent piétiner par leurs chevaux) ; regarder une grande partie de la population de Bagdad être massacrée : cela ne pouvait constituer qu'un mal beaucoup plus grand que ce qui existait alors (je parle là d'un mal tashrî'î même, c'est-à-dire de quelque chose que le musulman ne peut que réprouver sur le plan moral). Or, comme l'a très justement souligné Ibn Taymiyya, les prophètes raisonnent en termes de "considération pour la moindre des deux choses mauvaises qui se présentent dans une situation donnée" (cf. MF 13-96-97 ; 19/216-219). C'est ce qui explique que le prophète Muhammad, évoquant probablement ainsi l'invasion que les Gog et Magog (ici les Mongols) feraient de l'empire arabo-musulman, ait dit (il s'agit du hadîth 6 plus haut cité) : "Malheur aux Arabes à cause du mal qui s'est rapproché !" (al-Bukhârî, 6650 ; Muslim, 2880).
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VI) Et à quoi pourrait correspondre le déferlement de Gog et Magog prédit par le verset coranique ainsi que le hadîth numéro 7, et devant survenir après le retour de Jésus fils de Marie et après la mort de l'Antéchrist ?
Pour rappel, ces verset et hadîth se lisent comme suit : "Jusqu'à ce que, quand déferleront Gog et Magog et qu'ils dévaleront de chaque colline… Et la promesse vraie [= la fin du monde] se sera (alors) rapprochée (…)" (Coran 21/96-97) ; "(...) jusqu'à ce que viennent Gog et Magog, aux visages larges, aux petits yeux, aux sommets des têtes argentés / gris / blancs ("shuh'b") [d'après une autre version : "aux sommets des têtes roux ("Suh'b")], dévalant de chaque colline ; c'est comme si leurs visages étaient des boucliers cuirassés" (Ahmad, 22331). "Gog et Magog" déferleront alors jusqu'à Jérusalem et assècheront complètement le Lac Tibériade, a également prédit le Prophète (Muslim, 2937).
S'agirait-il de la civilisation extrême-orientale, ou "confucéenne" (pour reprendre la formule de Huntington), fédérée autour de la Chine (dont Napoléon Ier et Peyrefitte avaient dit que "lorsqu'elle s'éveillera, le monde tremblera"), et lancée à la conquête d'une grande partie du monde (au moins jusqu'à Jérusalem) suite à l'affaiblissement de certaines civilisations, entre autres l'arabo-musulmane, rendue exsangue par la résistance à notamment l'Antéchrist ?
Lire mon autre article sur le sujet.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).