Abu-l-Hassan 'Alî an-Nadwî, a écrit en substance le propos qui suit...
"J’étais, hier, assis dans la Mosquée du Prophète (sur lui la paix) à Médine. Il y avait autour de moi des gens occupés à prier et à réciter le Coran. Tout d’un coup, des souvenirs de l’Histoire me vinrent à l’esprit, et je me mis à imaginer que les grands hommes de la Communauté du Prophète (umma) aient été ramenés à la vie, qu’ils soient venus par groupes dans cette Mosquée pour y accomplir la prière, et qu'ils aient profité de leur passage dans cette Mosquée pour présenter leurs salutations au Prophète et exprimer combien ils lui étaient reconnaissants de les avoir, avec la permission de Dieu, amenés de l’Obscurité à la Lumière, de l’adoration des créatures à celle du Créateur…
C’est comme si je vis d’abord un groupe d’hommes entrer dans la Mosquée par la "Porte de Djibrîl", des hommes dont le visage reflétait la piété et la réflexion. J’aperçus parmi eux les ulémas Abû Hanîfa, Mâlik, ash-Shâfi’î, Ibn Hanbal, al-Bukhârî, Muslim, al-Ghazâlî, Ibn Taymiyya, Shâh Waliyyullâh, et bien d’autres encore. Ils offrirent d’abord à Dieu une prière de 2 rak’ahs, puis se rendirent devant la tombe du Prophète (sur lui la paix) ; et c’est comme si je les entendais dire, la voix emplie d’émotion : "Sur toi soit la paix, ô Messager de Dieu ! Si tu n’avais pas été envoyé pour apporter le Coran, pour former par tes actes, tes paroles et tes silences la Sunnah ; si tu n’avais pas été envoyé avec cette législation du juste milieu, emplie de sagesse ; si celle-ci n’avait pas été composée de ces principes (usûl) et de ces causes (illah), et si les humains n’en avaient pas eu besoin en des époques différentes et en des lieux différents… Alors jamais nous n’aurions pu produire cette réflexion, ce raisonnement, cette immense jurisprudence ; et jamais ces milliers d’ouvrages qui constituent la bibliothèque musulmane n’auraient pu être écrits. Que Dieu te récompense de la part de ta Communauté comme tu le mérites. Et que sur toi soit la paix, ô Messager de Dieu !"
Je n’avais pas fini de méditer ce que ce groupe de savants avait dit, qu’un autre groupe entra dans la Mosquée, cette fois par la "Porte de la Miséricorde" ; je voyais sur eux les signes de l’austérité : il s’agissait de ceux qui passent la plus grande partie de leur temps dans la prière facultative, les invocations, et le jeûne facultatif. Il y avait là, entre autres : al-Hassan al-Basrî, Soufyân ath-Thawrî, Djunayd al-Baghdâdî, Abd ul-Qâdir al-Jîlânî… Après avoir fait une salat, ils se dirigèrent vers la tombe du Dernier Messager et, les yeux ruisselant de larmes, ils dirent : "Sur toi soit la paix, ô Messager de Dieu ! Si tu n’avais pas dit : “Ô Dieu, la vraie vie est la vie de l’Au-delà”, si tu n’avais pas laissé à chaque humain ces recommandations : “Sois dans ce monde comme si tu étais un étranger ou un voyageur de passage” et “La richesse ne dépend pas de la quantité de biens, mais la richesse est celle de l’âme”, et si tu n’avais toi-même laissé ce modèle de vie où tu priais tant la nuit que tes pieds s’enflaient, et où il arrivait que 2 mois entiers passent sans que tu ne possèdes quoi que ce soit à faire cuire et qu’alors tu vivais de dattes et d’eau… Alors jamais nous n’aurions compris l’importance qu’il y a à se contenter de ce que Dieu nous a donné, et à chercher à maîtriser nos désirs. Tout cela sans jamais dire au sujet de Dieu ce qu’Il n’a pas révélé, ni rajouter quoi que ce soit dans le culte que tu as institué, ni interdire ce que Dieu a rendu licite. Que Dieu te récompense. Et que sur toi soit la paix !"
Puis un autre groupe apparut : celui des femmes musulmanes ; elles entrèrent par la "Porte des femmes" ; elles étaient sereines, d’une allure pudique mais assurée, ; il y avait bien là, oui, des musulmanes arabes et non-arabes, des musulmanes d’Orient et d’Occident. Elle firent d'abord une prière (salât). Puis elles dirent au Prophète, d’une voix digne et pudique : "Sur toi soit la paix, ô Messager de Dieu ! Nous te saluons du salut des reconnaissantes ; car c’est toi qui – par la permission et l’ordre de Dieu - nous a affranchies des traditions de la période de l’Ignorance où nous étions opprimées, qui as communiqué l’ordre de ne pas nous priver de notre part d’héritage, et qui as laissé ces recommandations aux hommes : “Soyez bienveillants à l’égard des femmes” et “Les meilleurs d’entre vous sont ceux qui sont les meilleurs envers leurs épouses”. C’est toi qui as laissé le modèle de ta vie conjugale afin que les musulmans sachent qu’ils doivent respecter et bien traiter leurs épouses. Même lors des sermons de ton Pèlerinage d’Adieu, tu ne nous pas oubliées, et tu as dis alors aux hommes : “Vous avez des droits vis-à-vis de vos femmes, et vous avez aussi des devoirs à leur égard”. Parallèlement à tout cela, tu as enseigné aux femmes et aux hommes à ne pas s’imiter les uns les autres dans leur habillement et leur démarche, et à abandonner les occasions de tentations. Que Dieu te récompense de la part de toutes les femmes de ta Communauté. Et que sur toi soit la paix, ô Messager de Dieu !"
Entra alors par la "Porte de la Paix" un autre groupe de gens. Je me tournai vers eux, et je vis qu’ils étaient les savants de la langue arabe : ad-Du’alî, Sîbawayh, al-Kissâ’î, al-Farrâ’, as-Sakâkî, al-Asfihânî… Après avoir fait une prière de 2 rak’ahs, ils se rendirent face au tombeau et dirent au Prophète dans un langage éloquent : "Sur toi la paix, ô Messager de Dieu ! Si tu n’avais pas apporté ce Coran “descendu en langue arabe claire”, si tu n’avais pas laissé ton éloquente Sunnah, si les hommes n’avaient pas reçu la Shariah formulée en arabe… Alors jamais tous ces peuples non-arabes n’auraient éprouvé le besoin d’apprendre et de maîtriser la langue arabe ; celle-ci aurait peut-être même disparu depuis longtemps, ou aurait été à tout le moins défigurée par les assauts du temps ; ces grands dictionnaires et ces ouvrages de morphologie, de syntaxe et de rhétorique arabes n’auraient sans doute jamais vu le jour. Que Dieu te récompense de la part de ta Communauté. Et que sur toi soit la paix, ô Messager de Dieu !"
Leurs propos résonnaient encore à mes oreilles que c’est comme si j’aperçus d’autres hommes entrer dans la Mosquée par la "Porte de Abd el Aziz". Il y avait là des souverains : al-Walîd ibn Abd il-Malik, Hârûn ar-Rashîd, Mahmûd de Ghazni, Saladin, Suleymân l’Ottoman, 'Alamguîr de Dehli. Ils avaient laissé leurs serviteurs à la porte et s’étaient avancés seuls dans la Mosquée, pleins de respect et de déférence. Ils accomplirent 2 rak’ahs puis se rendirent, les yeux baissés et les pas feutrés devant la tombe de leur Prophète. Là, ils dirent : "Sur toi soit la paix, ô Messager de Dieu ! Si tu n’avais pas apporté ce message qui a fait sortir tes Compagnons de l’Ignorance et les a amenés à l’islam, qui les a amenés de la vie des méprisés à la vie des braves, qui les a amenés de la vie où le fort mangeait le faible à la vie de solidarité et de justice… Alors jamais nous n’aurions su allier courage et justice, et nous serions restés poissons d’un étang, grenouilles d’un puits, l’esprit étroit et les expériences limitées. Que Dieu te récompense de la part de ta Communauté. Nous sommes venus ici faire une prière puis te présenter nos salutations ; nous reconnaissons avoir eu des manquements, et en demandons pardon à Dieu. Et que sur toi soit la paix, ô Messager de Dieu !"
Mais voici que d’autres hommes entrent, offrent à Dieu une prière de 2 rak'ahs, puis, fendant presque le groupe des souverains du passé, s’avancent pour être face au tombeau. Je me demandai alors : "Qui cela peut-il bien être ?" Et je vis les réformistes al-Afghânî, Hassan al-Bannâ, Muhammad Iqbâl de l’Inde… Ce dernier parla au nom des autres et dit : "Ô Messager de Dieu, à toi je me plains de certaines gens qui se réclament de ton message mais le délaissent, qui veulent fractionner ta Communauté sur la base de nationalismes, de racismes et d’égoïsmes. Les idoles dont tu avais débarrassé la Kaaba reviennent chez certains musulmans, mais sous des formes cachées, sous d’autres apparences. Je te présente au nom de mon groupe nos salutations et te dis que nous sommes innocents de ce que font ces gens. Que sur toi soit la paix, ô Messager de Dieu !"
Je n’avais pas fini de réfléchir à ces dernières paroles que j’entendis la voix du muezzin : "Allâhu akbar, Allâhu akbar !" Je quittai alors ces promenades de mon esprit et revins à la réalité. J’étais assis dans la Mosquée du Prophète, à Médine. Les musulmans d’innombrables parties du monde - de ce siècle - priaient Dieu, puis saluaient son Messager (la paix soit sur lui)."
D’après un texte de Abu-l-Hassan an-Nadwî écrit en 1962.
Dieu nous a enseigné cette invocation à Lui adresser :
"Seigneur, pardonne-nous ainsi qu'à nos frères qui nous ont précédé dans la foi. Et n'assigne à nos cœurs aucune rancœur vis-à-vis de ceux qui croient. Seigneur, Tu es Compatissant, Miséricordieux" (Coran 59/10).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).