En islam, un certain nombre de règles (ahkâm) sont liées à une cause et / ou à une ou plusieurs conditions : l'absence de la cause ou de l'une des conditions fait que la règle n'est pas applicable.
La condition (shart) est ce à quoi une règle (hukm) est liée de telle sorte que son absence entraîne l'absence de cette règle, mais que sa présence n'entraîne pas la présence de cette règle : "الشرط هو الشيء الخارج عن فعل الإنسان المتعلق بموضوع، والذي عدم وجوده في الخارج يمنع نفاذ الحكم التكليفيّ الذي حُكِم به على ذلك الفعل".
(Et ce à la différence de la cause (sabab), qui est ce à quoi une règle (hukm) est liée de telle sorte que son absence entraîne l'absence de cette règle et que sa présence entraîne la présence de cette règle. De la cause (sabab), nous avons parlé dans un autre article.)
Ci-après nous ne parlerons que de la condition (shart).
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Certaines règles de l'islam sont liées parfois à une, parfois à plusieurs conditions, parfois à différents types de conditions...
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La condition (shart) est de plusieurs types :
– A) La condition de l'applicabilité, en soi, de la règle (شرط الوجوب مطلقًا) :
- pour la prière rituelle : être musulman (d'après l'école hanafite), adulte, sain d'esprit, ne pas être en période de menstrues ou de lochies, et – d'après l'école hanafite – ne pas être inconscient pendant plus de vingt-quatre heures ;
- pour le jeûne du ramadan : être musulman (d'après l'école hanafite), adulte et sain d'esprit, et ne pas être dans un cas où on n'a pas eu la possibilité d'accomplir le jeûne alors qu'on espérait l'avoir ;
- pour le pèlerinage : être musulman (d'après l'école hanafite), adulte et sain d'esprit, et posséder suffisamment de moyens financiers pour les dépenses liées au voyage et au séjour, tout en assumant ses responsabilités vis-à-vis des membres de sa famille qu'on a à charge et qui resteront au pays.
Ce type de conditions A est ensuite de deux sous-types :
--- A.1) la condition qui complète la cause (sabab) ; ainsi, le fait qu'une année ait passé sur l'argent que l'on possède est une condition pour que cet argent (pour peu qu'il atteigne le plancher voulu – nissâb) devienne cause d'obligation de la zakât ;
--- A.2) la condition qui complète la règle (hukm) (Ussûl ul-fiqh il-islâmî, az-Zuhaylî, p. 100).
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– B) La condition de la nécessité d'appliquer concrètement la règle (شرط وجوب الأداء, appelée encore – d'après Ash-Shar'h ul-kabîr, al-Maqdissî, 4/364 – شرط لزوم الأداء) :
- pour la prière rituelle : ne pas être inconscient pendant vingt-quatre heures au maximum (d'après l'école hanafite) ;
- pour le jeûne du ramadan : disposer d'une santé suffisante pour pouvoir jeûner, ne pas être en voyage, ne pas être enceinte etc.… ;
- pour le pèlerinage : disposer d'une santé suffisante pour pouvoir entreprendre le voyage et réaliser les rites du pèlerinage, disposer de la sécurité des routes lors du voyage devant conduire sur les lieux du pèlerinage.
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– C) La condition de la validité de l'accomplissement (شرط صحّة الأداء) :
- pour la prière rituelle : être en état de pureté rituelle (tahâra hukmiyya) et être rituellement pur (tahâra hissiyya) quant à son corps et les vêtements que l'on porte, ainsi que faire la prière en un lieu rituellement pur ; être tourné vers la Kaaba ; etc.
- pour le jeûne du ramadan : ne pas être en état de menstrues ni de lochies ; etc.
- pour le pèlerinage : être musulman, être sain d'esprit, être en état de sacralisation (ihrâm) ; être pubère (d'après l'école hanafite) ; etc.
(La Sihha est elle aussi un Hukm : il s'agit d'un Hukm Wadh'î.)
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Différents types de condition de validité (شرط صحّة الأداء) (C) :
– C.1) La condition pour que l'action débute (شرط لصحة بدء العمل؛ فهذا شرط الدخول). C'est ainsi que l'école hanafite considère la prononciation, en une fois, de la talbiya, pour débuter l'état d'ihrâm. C'est également ainsi que l'un des deux avis présents dans l'école hanafite perçoit le premier takbîr de la prière rituelle (selon l'autre avis, ce takbîr constitue un Rukn, et pas une Shart). C'est également ainsi que certains ulémas présentent la prononciation des deux témoignages de foi : c'est une condition (shart) pour que la Foi - qui se trouve dans le cœur - devienne valide (et nous parlons bien là de Asl ul-îmân).
– C.2) La condition pour que, après avoir débuté, l'action demeure valide (شرط لصحة بقاء العمل بعد بدءه؛ فهذا شرط البقاء) : c'est ainsi que Ibn Taymiyya et Ibn ul-Qayyim considèrent le fait d'accomplir au moins parfois la prière rituelle obligatoire : c'est une condition pour que la Foi demeure valide (et nous parlons bien de Asl ul-îmân).
Il faut rappeler ici que la Shart d'une action et le Rukn de cette action :
- ont en commun d'être nécessaires pour la validité (Sihha) de l'action ;
- ont comme différence que que le Rukn fait partie intégrante de l'action, tandis que la Shart lui est extérieure.
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– C.a) Ce qui est condition de validité de l'action mais doit seulement se produire à un moment donné de l'action, fût-ce bien après le début de celle-ci (شرط لصحة العمل في أي جزء من أجزاءه) : c'est le cas de l'intention pour le jeûne surérogatoire, d'après l'un des deux avis de l'école shafi'ite : il peut être fait à n'importe quel moment de la journée, pourvu qu'on n'ait rien fait depuis l'aube qui soit un annulatif du jeûne.
– C.b) Ce qui est condition de validité de l'action mais doit seulement se produire juste avant le début de l'action (شرط لصحة العمل مقترنًا ببدءه) : c'est le cas de l'intention d'accomplir la prière rituelle : elle doit être faite juste avant de prononcer le premier takbîr.
– C.c) Ce qui est condition de validité de l'action mais doit se produire en son début, et non plus après qu'elle ait débuté (شرط لصحة العمل في بدءه دون بقيته) : c'est le cas déjà de toutes les Shart ud-Dukhûl (C.1) ; c'est le cas, aussi, d'autres Shurût : par exemple, d'après l'un des deux avis relatés de ash-Shafi'î, lorsque, en voyage - fût-il court - on accomplit la prière surérogatoire en étant sur une monture, être, au moment du takbîr, dans la direction de la Qibla, cela est une Shart, qui ne l'est pas pour le reste de la prière si la monture prend une autre direction.
– C.d) Ce qui est condition de validité de l'action, mais doit se produire non pas au début mais après le début, cependant demeure ensuite condition pendant toute la durée de cette action (شرط لصحة العمل في غير بدءه بل فيما بعد بدءه إلى آخره) : il s'agit là de la Shart ul-Baqâ' (C.2) (voir plus haut).
– C.e) Ce qui est condition de validité tout au long de la durée de l'action, depuis son début jusqu'à sa fin (شرط لصحة العمل طيلته) : c'est le cas de la pureté rituelle pendant la prière rituelle ; ou encore d'être dans la direction de la Qibla pendant la prière rituelle normale ; etc.
Il est à noter que l'intention d'accomplir le jeûne obligatoire peut être fait depuis le début du mois de ramadan d'après l'école malikite, mais seulement après le début de la nuit précédant le jeûne d'après les écoles hanafite, shafi'ite et hanbalite. Par ailleurs, d'après l'école hanafite, l'intention d'accomplir le jeûne obligatoire peut également être fait jusqu'à la moitié du jeûne (mais plus après sa moitié).
Le premier point entraîne que :
--- si, après avoir fait l'intention de jeûner le lendemain, l'homme s'est ensuite endormi, et était endormi au moment du début du jeûne, son jeûne est valide d'après les 4 écoles ;
--- de même, si, après avoir fait l'intention de jeûner le lendemain, il s'est évanoui et n'est revenu à lui que pendant un moment de la journée, son jeûne est valide d'après les 4 écoles ;
--- plus encore, si, après avoir fait l'intention de jeûner le lendemain, l'homme s'est endormi et ne s'est réveillé qu'après le coucher du soleil, son jeûne est valide d'après les 4 écoles (bien qu'il soit mauvaise de faire ainsi) (islamqa.info) ;
--- par contre, si après avoir fait l'intention de jeûner le lendemain, l'homme s'est évanoui et n'est revenu à lui qu'après le coucher du soleil, son jeûne n'est pas valide d'après les écoles shafi'ite et hanbalite.
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A propos des deux types de conditions A et B :
L'absence de la condition de type A chez une personne fait que la règle lui est inapplicable.
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La présence de la condition A mais l'absence de la condition B chez une personne font que la règle est à sa charge mais qu'elle a le droit, sans commettre ainsi de faute morale, de ne pas accomplir l'action tant que la condition B demeurera absente. Cependant, étant donné que la règle s'est établie à sa charge, elle devra demander à ses héritiers d'accomplir l'action en puisant dans l'argent qu'elle laissera à sa mort.
Est-ce que, d'après l'école malikite, il n'existerait pas de conditions de type B, et que si on ne réunit pas les conditions de type A, l'action n'est pas obligatoire du tout sur soi ?
Je ne sais pas (لا أدري), et prière aux frères et sœurs compétents de m'écrire pour me le dire, mais ce qui est établi c'est que dans certains avis de l'école malikite cet aspect des choses apparaît…
Ainsi, si un musulman ne dispose ni d'eau pour faire les ablutions ni de terre pour faire l'ablution de remplacement par la terre (tayammum), alors, d'après l'école malikite il n'aura ni à accomplir la prière pendant l'horaire légal, ni à remplacer cette prière lorsque, plus tard, il pourra faire ses ablutions (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, 1, 607)…
Si un musulman est resté inconscient (évanoui) pendant tout l'horaire d'une prière rituelle, alors, l'école malikite dit (comme d'ailleurs l'école shafi'ite) qu'il n'aura pas à remplacer cette prière (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, pp. 1149-1150 - tome 2 -)…
Si un musulman était malade d'une maladie grave au point de ne pas lui permettre de jeûner mais non pas incurable (et dont il espérait donc être guéri) :
– si ensuite ce musulman meurt avant d'avoir été guéri de sa maladie, d'après les quatre écoles il n'aura pas le devoir de demander à ce qu'on donne la compensation (fidya) de sa part : le jeûne n'aura absolument pas été obligatoire sur lui : il n'aura pas disposé de la condition édictée plus haut en A : avoir eu la possibilité théorique d'accomplir le jeûne alors même que le jeûne – et non la compensation – était obligatoire sur lui ;
– par contre, si cet homme a guéri de sa maladie, a eu l'occasion de remplacer les jeûnes manqués, mais ensuite meurt sans l'avoir fait, il devra, avant de mourir, demander à ce qu'on paie de son legs la compensation (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, 3, 1744).
Cependant, si un musulman est atteint d'une grande faiblesse qui l'empêche de jeûner et qui est due à son âge très avancé ; ou s'il est atteint d'une maladie qui ne lui permet pas de jeûner et qui est également incurable :
– d'après les écoles hanafite, shafi'ite et hanbalite, ce musulman devra, de son vivant même, s'acquitter de la compensation : lui n'espérait pas pouvoir remplacer les jeûnes, ceux-ci n'étaient donc pas obligatoires sur lui ; par contre la compensation était obligatoire sur lui ("ash-shaykh ul-himm lahû dhimma sahîha ; thumma yajibu 'alayhi-l-fidya, li anna sababahâ : al-'ajzu 'an is-siyâm") (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, 3, 1744) ;
– par contre, d'après l'école malikite, un tel musulman n'aura même pas à s'acquitter de la compensation (fidya) car le jeûne n'était pas du tout obligatoire sur lui, à l'instar du malade d'une maladie dont il pouvait guérir mais qui est mort sans l'avoir été et donc sans avoir eu la possibilité de remplacer les jeûnes manqués (Ash-Shar'h ul-kabîr, al-Maqdissî, 4/142, Al-Mughnî, 4/222)…
A propos du pèlerinage également, les ulémas malikites considèrent qu'en cas d'absence des conditions que nous, nous avons énumérées comme étant de type B (être en état de santé suffisante pour pouvoir entreprendre le voyage et réaliser les rites du pèlerinage, disposer de la sécurité des routes lors du voyage devant conduire sur les lieux du pèlerinage), non seulement le musulman n'a pas le devoir d'aller accomplir le pèlerinage, mais de plus il n'a même pas le devoir de demander dans son testament que l'on accomplisse celui-ci sur le fonds de son legs (Al-Mughnî, 4/351). Qu'est-ce que ces ulémas font alors du Hadîth où l'on relate qu'une femme khath'amite vint dire au Prophète que son père, étant devenu trop vieux au moment où le pèlerinage avait été rendu obligatoire, ne pouvait l'accomplir car ne tenant même plus sur une monture ; puis demanda : "Accomplirais-je le pèlerinage de sa part ? – Oui" répondit le Prophète : "عن عبد الله بن عباس رضي الله عنهما، قال: كان الفضل رديف رسول الله صلى الله عليه وسلم، فجاءت امرأة من خشعم، فجعل الفضل ينظر إليها وتنظر إليه، وجعل النبي صلى الله عليه وسلم، يصرف وجه الفضل إلى الشق الآخر، فقالت: يا رسول الله إن فريضة الله على عباده في الحج أدركت أبي شيخا كبيرا، لا يثبت على الراحلة، أفأحج عنه؟ قال: "نعم". وذلك في حجة الوداع" (al-Bukhârî 1442 etc., Muslim 1334) ? Certains malikites disent que dans ce Hadîth, "Accomplirais-je le pèlerinage de sa part ?" ne signifie pas : "Accomplirais-je le pèlerinage de la part de mon père car cela constitue une obligation sur lui alors qu'il ne peut pas tenir sur une monture ?" mais : "Mon père ne tient plus sur une monture, mais je voudrais savoir si je peux accomplir un pèlerinage et lui en offrir la récompense ?" (Fat'h ul-bârî 4/90). Quant à la version de ce Hadîth où est évoquée l'obligation du pèlerinage sur ce père ("إن أبي شيخ كبير، عليه فريضة الله في الحج" : Muslim, 1335/48), ces malikites en disent peut-être que cela relève du tassaruf ur-ruwât… Il faut noter ici que cette question fut posée par cette dame au Prophète , en dhu-l-hijja de l'an 10, et que certains ulémas sont d'avis que le pèlerinage fut rendu obligatoire après l'hégire, en l'an 9 (c'est l'un des avis relatés en Fat'h ul-qadîr, Ibn ul-Humâm), en l'an 6, ou en l'an 5 (ou avant) (Fat'h ul-bârî, 3/477).
Il est à noter que dans l'école hanafite :
--- d'après l'avis retenu en son sein ("sahîh"), ces conditions sont bien de type B ;
--- certains ulémas hanafites tels que al-Karkhî et Abû Shujâ' pensent pour leur part qu'il s'agit de conditions de type A (Al-Hidâya 1/213, voir aussi note de bas de page n° 6) : selon eux, celui qui avait les moyens financiers mais ne disposait pas de ces conditions n'a donc même pas à faire de testament demandant à ce que l'on effectue le pèlerinage en puisant de son legs.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).