Parfois, la phrase du Coran ou de la Sunna énonce un propos (mahkûm bihî) au sujet d'une action humaine précise : cette action humaine est le thème (mahkûm 'alayh) de ce propos.
Or il existe par ailleurs d'autres actions humaines (qui n'ont pas été spécifiées dans le texte) à qui le même propos (soit impératif ou talab, soit information ou khabar) s'applique également.
La raison en est que ce propos (par exemple un impératif, c'est-à-dire une norme) n'a pas été énoncé au sujet de ce thème (ici une action humaine) sans motivation aucune, mais, bien au contraire, parce que cette action renferme telle propriété (wasf) (cette propriété s'appelle "le principe motivant" / "le pivot" / la 'illa de la règle.
Si les autres thèmes méritent ce propos à plus forte raison (a fortiori) ou au même niveau (a pari) que le thème ayant été stipulé (mansûs 'alayh), nous avons alors là une Signification du Texte lui-même (Dalâla lafziyya), une : "Dalâlatu dalâlat in-nass".
Par contre, si les autres thèmes ne méritent pas ce propos à un tel niveau, nous avons là une Signification par Extraction à partir de la Signification de la Lettre du Texte (Dalâla qiyâsiyya).
Nous avons exposé dans un article précédent ce que les différents types de Signification du Texte (Dalâla lafziyya) (avec la Signification directe et les 3 Significations indirectes que nous venons d'évoquer).
Ici nous exposerons quelque chose de la Dalâla qiyâsiyya...
-
I) En vertu de ce que nous avons vu du principe motivant ('illa) :
--- l'action que le texte n'a pas évoquée mais qui renferme elle aussi la même propriété que celle qui a motivé l'application de la règle à l'action que le texte a, elle, évoquée : la règle (hukm, en fait mahkûm bihî) s'applique à cette action également ; ce cas de figure sera désigné plus bas comme étant "B" ;
--- à l'inverse, l'action qui relève du terme présent dans le texte, mais en laquelle la propriété n'est pas présente : la règle (hukm, en fait mahkûm bihî) ne s'applique pas à elle ; ce cas de figure sera quant à lui désigné par "A".
On voit que l'applicabilité de la règle est reliée à la 'illa.
Or, parfois, la 'illa du hukm a été elle aussi communiquée par le hâkim (comme dans le cas de l'interdiction, faite à l'homme, de porter la soie), tandis que, d'autres fois, elle ne l'a pas été.
Il s'agit donc de chercher la 'illa (علّة), ou pivot, ou principe motivant, de la règle ayant été énoncée dans les textes à propos d'un thème donné.
"Ta'lîl" (تعليل) signifie justement : "attribuer une 'illa (علّة) (principe motivant, ou pivot) à un hukm figurant dans les textes des sources".
('Illa et Manât sont deux synonymes.)
-
II) La Ta'lîl (تعليل) a donc 2 incidences :
– A) La Ta'lîl (تعليل) entraîne la Tadwîr / Takhsîs ul-hukm (تخصيص الحكم).
– B) La Ta'lîl (تعليل) se fait aussi pour la Ta'diyat ul-hukm (تعدية الحكم).
-
– A) La Ta'lîl (تعليل) entraîne la Tadwîr / Takhsîs ul-hukm (تخصيص الحكم بالموضع الذي توجد فيه العِلّة).
C'est-à-dire que l'action humaine (fi'l, mahkûm 'alayh) qui a été stipulée dans les textes comme étant l'objet de telle règle (mahkûm bih), dans la réalité (al-wâqi') il est certains cas relevant de cette action où le principe motivant cette règle est absent.
Cette règle (mahkûm bih) que le texte (an-nass) communique de façon générale à propos de cette action (fi'l, mahkûm fîh) n'est donc, dans ces cas spécifiques, PAS APPLICABLE à cette action.
En résultat de quoi, la règle (mahkûm bih) devient conditionnelle (muqayyad) ou particularisée (mukhassas) par rapport au libellé apparent du texte qui la communique (zâhir ul-lafz).
Le Prophète (sur lui soit la paix) a défendu à ses Compagnons d'accomplir la prière de nuit pendant le mois de ramadan à la mosquée en groupe continuellement (les références des hadîths exposant cela ont été citées dans un autre article).
Nous avons donc ceci :
– Le statut légal (hukm, en réalité : mahkûm bih) est : l'interdiction (hurma / karâhiyya).
– L'action visée par la règle (soit le mahkûm 'alayh) est : accomplir continuellement la prière des tarâwîh en groupe (dawâmu adâ'ï qiyâm il-layl bi-l-jamâ'a) .
– Cependant, cette interdiction a un principe motivant ('illa) (le Prophète l'a dit explicitement) : risquer d'entraîner que la révélation rende cela obligatoire. C'est-à-dire :
--- rende obligatoire la prière de nuit pendant le mois de ramadan ;
--- ou rende obligatoire le fait qu'elle soit accomplie en groupe pour que la prière facultative de nuit (qiyâm ul-layl) (de toute l'année) soit valable (cela deviendrait alors condition de validité) (Fat'h ul-bârî, 3/19).
Or ce principe ayant motivé la règle ('illat ul-hukm) par rapport à cette action (fi'l, mahkûm 'alayh) n'est plus présent dans cette action après l'époque du Prophète, puisque la révélation ayant pris fin avec le décès du Prophète, il n'y a plus ce risque.
La règle (al-hukm at-tak'lîfî : wa huwa : al-karîhiyya) s'appliquait donc à cette action (dawâmu adâ'ï qiyâm il-layl bi-l-jamâ'a) lorsque c'était l'époque (zamân) du Prophète. Mais elle ne s'applique plus à cette action lorsque c'est l'époque (zamân) qui suit celle du Prophète (sur lui soit la paix), puisque le principe motivant ('illa) n'est plus présent dans cette action à cette autre époque.
D'autres exemples ont été donnés dans notre article consacré à la Ta'lîl conduisant à la Takhsîs ul-hukm.
Lire aussi notre article consacré aux différents cas de Ta'lîl conduisant à cette Takhsîs ul-hukm ;
Il faut noter ici qu'il est vrai que certains ulémas hanafites ont dit que la 'illa attribuée par le mujtahid à la règle doit forcément être muta'addiya, c'est-à-dire servir à "exporter" la règle [soit le cas B, à venir]. Cependant, d'après la plupart des ulémas (hanafites et autres), cela n'est pas nécessaire pour la validité de la Ta'lîl (note de bas de page n° 12 sur Muntakhab ul-Hussâmî, p. 104).
-
– B) La Ta'lîl (تعليل) entraîne aussi la Ta'diyat ul-hukm (تعدية الحكم).
C'est-à-dire que la règle (hukm, en réalité : mahkûm bih) qui a été stipulée dans les textes à propos de quelque chose, exporter cette règle à autre chose, et ce parce que cette autre chose renferme elle aussi le principe ayant motivé ('illa) la règle (hukm) par rapport à la première chose. En résultat de quoi la règle S'APPLIQUE A la première ET A la seconde CHOSES.
Le Prophète (sur lui soit la paix) a interdit, lors du troc de l'un des six produits suivants contre le même produit : or, argent, blé, orge, dattes ou sel, que les quantités échangées ne soient pas égales ou que les produits soient échangés à crédit et non au comptant (les références des hadîths exposant cela ont été citées dans un autre article).
Cette règle (l'interdiction) s'applique à cette action (laisser un surplus, fadhl, dans la quantité, lors du troc d'un produit contre le même produit) par rapport aux six biens matériels stipulés dans le hadîth (mansûs 'alayh).
Mais d'après la majorité des ulémas (seuls les zahirites font exception), cette interdiction s'applique aussi au surplus (fadhl) dans le troc lorsque ce sont d'autres biens matériels, dès lors que le principe ayant motivé ('illa) cette règle d'interdiction et se trouvant dans ces six biens se trouve aussi dans ces autres biens.
Pour établir quels sont ces biens, il faut procéder à l'extraction du principe motivant ('illa) qui a entraîné cette règle (c'est le "takhrîj ul manât") ; et, ensuite vérifier dans quels cas non-spécifiés dans ce hadîth ce principe motivant est présent, afin de lui appliquer la règle (c'est le "tahqîq ul-manât").
Quel est donc le principe motivant ('illa) qui a entraîné cette règle ?
--- Abû Hanîfa pense que c'est le fait de vendre un bien contre le même bien, lorsque ces deux biens sont vendus à la pesée ou à la mesure. La vente du fer contre du fer tombe donc sous le coup de la règle ci-dessus, puisque le fer est vendu au poids. Par contre, le troc d'œufs contre d'autres œufs ne tombe pas sous la réglementation ci-dessus, puisque les œufs sont vendus à l'unité.
--- Ash-Shâfi'î, par contre, est d'avis que le principe motivant de la règle édictée par le hadîth est le fait que les biens vendus sont soit de la monnaie soit de la nourriture ; la condition (shart) de l'applicabilité de la règle d'interdiction étant qu'il s'agisse du troc du même produit. Selon cette autre extraction, la vente du fer contre du fer ne tombe pas sous le coup de la règle, au contraire de la vente d'œufs contre d'autres œufs.
D'autres exemples ont été donnés dans notre article consacré à cela.
Cette Ta'diyat ul-hukm (تعدية الحكم) se fait par l'un de trois outils : Trois types d'analogie (تعدية الحكم), selon l'évidence de cette analogie.
-
Un exemple de ces deux opérations (A & B) à partir du même texte :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a spécifié que les femmes et les enfants ne doivent pas être tués lors d'un conflit armé (voir Sahîh ul-Bukhârî, 2851, Sahîh Muslim, 1744).
- Le hukm est donc : l'interdiction.
- Le mahkûm 'alayh (l'action faisant l'objet du hukm) est l'action : viser.
- L'objet (maf'ûl bih) de cette action étant les femmes et les enfants ressortissants ennemis.
Ibn Rushd écrit ainsi que selon certains mujtahids, ne doivent pas être tués : "celui qui n'est pas capable de combattre, ou qui ne s'est pas posé en combattant, comme le paysan et l'employé" (Bidâyat ul-mujtahid 1/716). Ceci constitue la ta'diyat ul-hukm (B) : la règle d'interdiction de viser a été élargie à d'autres "objets" que la femme et l'enfant, du moment qu'ils recèlent eux aussi le même principe motivant ('illa) : "ne pas être un combattant".
Mais la règle stipulée dans le hadîth a aussi connue une takhsîs (A) : au cas où, du côté de l'ennemi, une femme devient combattante (ce qui peut se remarquer par exemple par la tenue qu'elle porte), elle peut être visée, ce qui constitue une exception par rapport à la lettre du hadîth (Al-Mughnî 12/726, 674).
Nous avons parlé de ce cas de figure précis dans notre article lui étant consacré.
-
Un autre exemple de ces deux opérations (A & B) à partir du même texte :
Dieu a interdit qu'après l'appel à la grande prière du vendredi on pratique encore le commerce ("la vente") : "O les croyants, lorsque est lancé l'appel pour la prière le jour du vendredi, accourez vers le rappel de Dieu et délaissez la vente" (Coran 62/9).
- Le hukm est donc : l'interdiction.
- Le mahkûm 'alayh (l'action faisant l'objet du hukm) est l'action : vendre. L'objet de cette vente interdite est : général (c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas de tel objet seulement qu'il serait alors interdit de vendre).
- Le moment (zamân) qui est la cause (sabab) de l'application de ce hukm à cette action est : le moment qui suit l'appel à la prière du vendredi.
Cette règle d'interdiction (hurma) s'appliquant à l'action de vendre (al-bay') après l'appel à la prière a été "exportée", d'après les ulémas de plusieurs écoles, à : toute transaction (mu'âmala) lors du même moment (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, pp. 1283-1284). Chez les hanafites, elle a même été exportée à : "tout acte qui retient la personne par rapport au fait de se déplacer vers le lieu de la prière du vendredi" ("kullu amalin yunâfi-s-sa'y" : Radd ul-muhtâr 3/38). La raison en est claire : la cause ayant motivé la règle ('illat ul-hukm) est l'empêchement d'accourir à la prière ; et cela se vérifie non seulement dans le cas de la vente, mais aussi dans celui de toute action qui est telle. Ceci constitue donc l'"exportation de la règle" (ta'diyat ul-hukm) (A).
D'autre part, dans l'école hanafite, il y a eu "restriction de l'applicabilité de la règle" aux cas où la cause motivant la règle est présente (takhsîs ul-hukm bi-l-mawdhi' alladhî tûjadu fîhi-l-'illa) (A). Ce type de vente ayant été interdit après l'appel à la prière du vendredi parce que retardant le fait que la personne se dirige vers la prière, la règle – l'interdiction – n'est pas applicable à : la vente qui se fait après l'appel à la prière mais de laquelle la cause motivante est absente. Imaginez ainsi deux musulmans qui sont assis dans un moyen de locomotion qui se dirige justement vers la mosquée : si, assis dans ce véhicule qui se déplace vers la mosquée, il concluent une transaction, cela n'est pas interdit puisque ne retardant ni leur déplacement vers la mosquée ni leur arrivée à la mosquée (Ussûl ush-Shâshî, p. 31).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).