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Dans un précédent article, nous avons vu que la Ta'lîl se fait pour 2 motifs :
– A) la Tadwîr ul-hukm ;
– B) la Ta'diyat ul-hukm.
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Ici nous allons voir que la transmission de la règle / son "exportation", "Ta'diya" (motif B) est de 2 types, selon que ce qui n'a pas été mentionné dans les textes (Maskût 'anh) renferme davantage la 'Illat ul-Hukm (Ratio Legis) que, ou la renferme autant que, ce qui a été stipulé dans les textes (Mansûs 'alayh) :
– B.1) Qiyâs ul-Awlâ ;
– B.2) Qiyâs ul-Mussâwât (si j'ai bien compris, c'est ce second Qiyâs qui est appelé : Qiyas ut-Tamthîl).
Nous avons parlé de cela dans un premier article et un second article traitant de ce sujet.
– Dieu dit dans le Coran : "Si l'un deux ou les deux [parents] atteignent la vieillesse auprès de toi, alors ne leur dis pas "Fff"" (Coran 17/23). Si le fils et la fille doivent s'abstenir de dire "Fff..." à leurs parents, ils doivent se préserver a fortiori de dire chose plus grave, comme les insulter. Cette considération "a fortiori" constitue le "Qiyâs ul-awlâ" (B.1).
– Ibn Taymiyya écrit : "Au bédouin* qui avait eu des relations intimes avec son épouse pendant le ramadan, le Prophète, que Dieu le bénisse et le salue, ordonna de donner l'expiation [affranchir un esclave, jeûner deux mois, ou nourrir soixante pauvres]. Il est évident que cette règle n'est pas spécifique à ce bédouin. Il est évident que ce n'est pas non plus son caractère de bédouin ou d'arabe qui est le pivot de la règle, ni même que la femme avec qui il a eu des relations intimes était son épouse" (Majmû' ul-fatâwâ 19/15-16) (* c'est dans la version rapportée par Ahmad, 10688, qu'il est stipulé qu'il s'agissait d'un bédouin). Ce passage que la règle de donner cette expiation (kaffâra) n'est bien évidemment pas spécifique aux bédouins, aux arabes, ou au fait que ce soit avec son épouse que le jeûneur a eu des relations intimes : bien que cela ne figure pas dans ce texte, l'applicabilité de cette règle s'élargit à tout musulman qui a eu des relations intimes pendant un jeûne de ramadan avec son épouse ou avec une femme avec qui il ne lui est en soi pas licite d'avoir des relations intimes. Voilà un exemple du Qiyâs ul-Mussâwât, soit B.2.
– Le Prophète (sur lui soit la paix) a interdit, lors du troc de l'un des six produits suivants contre le même produit : or, argent, blé, orge, dattes ou sel, que les quantités échangées ne soient pas égales ou que les produits soient échangés à crédit et non au comptant (les références des hadîths exposant cela ont été citées dans un autre article). Cette règle (l'interdiction) concernant cette action (laisser un surplus, fadhl, dans la quantité, lors du troc d'un produit contre le même produit) s'applique aux six cas stipulés dans le hadîth (mansûs 'alayh). Mais d'après la majorité des ulémas (seuls les zahirites font exception), cette interdiction de surplus (fadhl) s'applique aussi à d'autres produits, si le principe ayant motivé ('illa) cette règle d'interdiction et se trouvant dans ces six produits se trouve aussi dans ces autres produits. Pour établir quels sont ces produits, il faut procéder à l'extraction du principe motivant ('illa) qui a entraîné cette règle (c'est le "takhrîj ul manât") ; et, ensuite vérifier dans quels cas non-spécifiés dans ce hadîth ce principe motivant est présent, afin de lui appliquer la règle (c'est le "tahqîq ul-manât"). Quel est donc le principe motivant ('illa) qui a entraîné cette règle ?
Abû Hanîfa pense que c'est le fait de vendre un produit contre le même produit, lorsque ces deux produits sont des produits vendus à la pesée ou à la mesure. La vente du fer contre du fer tombe donc sous le coup de la règle ci-dessus, puisque le fer est vendu au poids. Par contre, le troc d'œufs contre d'autres œufs ne tombe pas sous la réglementation ci-dessus, puisque les œufs sont vendus à l'unité.
Ash-Shâfi'î, par contre, est d'avis que le principe motivant de la règle édictée par le hadîth est le fait que les produits vendus sont soit de la monnaie soit de la nourriture ; la condition (shart) de l'applicabilité de la règle d'interdiction étant qu'il s'agisse du troc du même produit. Selon cette autre extraction, la vente du fer contre du fer ne tombe pas sous le coup de la règle, au contraire de la vente d'œufs contre d'autres œufs.
Voilà un autre exemple de Qiyâs ul-Mussâwât (B.2).
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Rappel : Il existe plusieurs cas, selon la détermination de ce dont il s'agit de faire la Ta'diya ; c'est-à-dire selon la détermination du Hukm qu'il s'agit d'exporter :
Il y a 2 types principaux de Ta'diya :
– "تعدية الحكم التكليفي" ;
– "تعدية الحكم الوضعي".
Pour plus de détails, lire : Deux types d'analogie (تعدية الحكم), selon le Hukm qu'il s'agit d'"exporter" depuis le réel évoqué dans le texte, vers le réel n'y ayant pas été évoqué.
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Or "Qiyâs ul-Awlâ" (B.1) comme "Qiyâs ul-Mussâwât" (B.2) sont, chacun, de 2 types, selon le degré d'évidence de l'analogie :
En effet, il existe ici :
– B.a) le Qiyas Jalî (parfois appelé aussi : Qiyâs fî ma'na-n-nass) ;
– B.b) et le Qiyas Zannî.
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Ce qui nous donne les 4 possibilités suivantes :-
– Le B.a (le Qiyâs Jalî) relève de la "Dalâlat ud-dalâla" (ou "Dalâlatu dalâlat in-nass") (dont le synonyme est le Maf'hûm ul-muwâfaqa). Il y a seulement divergence entre des ulémas quant à savoir si la Dalâlat un-nass sur le Maf'hûm ul-muwâfaqa est du type de ce que le texte indique (Dalâla lafziyya) (certes de façon indirecte), ou du type de ce qui en a été extrait par analogie (Dalala qiyâssiyya) : cf. Irshâd ul-fuhul, p. 590. Je penche vers l'avis qui dit que cela relève de la Dalâla qiyâssiyya.
----- Il est évident que s'il est interdit de dire "Pff" à ses parents, il est a fortiori interdit de leur dire des insultes, ou de les frapper : voilà donc un Qiyâs ul-Awlâ qui est Jalî (B.1.a).
----- Et il est évident que la kaffâra devenue obligatoire pour le bédouin suite au cas mentionné dans le hadîth, l'est pour tout musulman : voilà un Qiyâs ul-Mussâwât qui est Jalî (B.2.a).
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– Le B.b (le Qiyas Zannî) relève pour sa part à l'unanimité de la Dalâla qiyâssiyya : il ne s'agit pas de ce que le texte indique de façon directe, mais d'une analogie par rapport à ce que le texte indique de façon directe.
Et il est certains "élargissements" qui peuvent être faire l'objet d'avis divergents entre les mujtahidûn : certains ont eux aussi fait les mêmes analogies que ceux du premier groupe, tandis que d'autres pensent que ces analogies ne sont pas correctes car faites malgré la présence de ce qu'ils pensent être un élément différenciant (fâriq).
----- Ainsi, l'école shafi'ite dit que si la kaffâra est obligatoire dans le cas d'un Qatl Khata' (comme stipulé dans le Coran), elle doit l'être a fortiori dans le cas d'un Qatl 'Amd ("إذا وجبت في الخطأ ففي العمد أولى، لأنه أعظم جرماً"). Or les autres écoles ne sont pas d'accord. C'est donc un Qiyâs ul-Awlâ étant Zannî (B.1.b) que l'école shafi'ite a fait là.
----- Au sujet de rompre sans raison valable un jeûne du ramadan, s'est posée la question de faire, ou ne pas faire, un Qiyâs ul-Mussâwât étant Zannî (B.2.b) par rapport aux relations intimes : "Est-ce que le pivot du caractère obligatoire de l'expiation (kaffâra) est le fait que (la personne) a annulé son jeûne du ramadan par des relations intimes précisément, ou bien par le fait qu'elle l'ait annulé tout court ? Ash-Shâfi'î et Ahmad (d'après l'avis le plus connu de lui) sont du premier avis. Mâlik, Abû Hanîfa et Ahmad (d'après une des opinions relatées de lui) (…) du second. Ensuite Mâlik considère que la règle est applicable par rapport à tout ce qui annule le jeûne, tandis que Abû Hanîfa pense qu'elle ne l'est que par rapport à ce qui annule le jeûne et qui est de même nature que ce qui est spécifié dans le hadîth : il pense donc que le fait d'avaler volontairement un caillou ou un grain (annule le jeûne mais) ne rend pas l'expiation obligatoire. (…)" (Majmû' ul-fatâwâ 19/15-16).
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Remarque complémentaire : Ces divergences sont dues au fait que ces élargissements (Ta'diyat ul-hukm) ont été faite par l'outil "Tanqîh ul-manât". Or cet outil entre en jeu pour toutes les opérations de Qiyâs Jalî mais aussi pour certaines opérations de Qiyâs Zannî.
En effet...
– Comme nous l'avons déjà vu plus haut, la "Dalâlat ud-dalâla" (ou "Dalâlatu dalâlat in-nass") (dont le synonyme est le Maf'hûm ul-muwâfaqa) recouvre le Qiyâs ul-Awlâ al-Jalî (B.1.a) ainsi que le Qiyâs ul-Mussâwât al-Jalî (B.2.a).
– Quant au Tanqîh ul-manât, il s'agit d'un outil qui conduit au Qiyâs Jalî (B.a), mais qui entre en jeu également concernant certains cas relevant du Qiyâs Zannî (B.b) (quant aux autres cas relevant du Qiyâs Zannî, ils sont pour leur part réalisés par l'outil du Takhrîj ul-manât).
Dès lors, certains "élargissements" (ta'diya) par Tanqîh ul-manât, certains mujtahidûn les perçoivent comme relevant de la Dalâlat un-nass (donc du Qiyâs Jalî), tandis que d'autres mujtahidûn pensent qu'ils relèvent au contraire du Qiyâs Zannî, et, justement, les récusent parce qu'ils pensent qu'il existe un Fâriq empêchant la transmission du hukm.
Ainsi, dans l'exemple sus-cité, les hanafites disent explicitement que le fait que l'expiation soit obligatoire pour rupture volontaire et sans excuse valable d'un jeûne du ramadan par toute chose annulant le jeûne (non seulement par les relations intimes mais aussi par l'absorption de nourriture ou de boisson), cela relève de la Dalâlat un-nass. Tandis que les hanbalites affirment : "Faire le Qiyâs de (manger et de boire) par rapport au fait d'avoir des relations intimes n'est pas correct" (Al-Mughnî 4/186-187).
Ibn Taymiyya écrit encore : "Le Prophète, que Dieu le bénisse et le salue, a dit à celui qui est entré en état de sacralisation alors qu'il était vêtu d'un manteau et enduit de khalûq [un parfum fabriqué à partir de safran oriental] : "Enlève ce manteau et lave-toi pour faire disparaître la trace de khalûq". [Le Tanqîh ul-manât revient ici à se poser la question suivante :] Le Prophète a-t-il ordonné (à cet homme) de se laver parce que la personne en état de sacralisation ne doit pas, après l'entrée en état de sacralisation, conserver sur elle une trace de parfum mis avant l'entrée dans cet état – comme le pense Mâlik – ? ou bien parce qu'il est interdit à l'homme [mais pas à la femme] de (s'enduire de) safran oriental [en toutes circonstances], ce qui revient à dire que ce hadîth n'interdit pas à la personne en état de sacralisation de conserver sur elle, après l'entrée en état de sacralisation, une trace de parfum mis avant l'entrée dans cet état – comme le pensent les trois autres référents – ? Si on retient la première possibilité, ce hadîth est-il abrogé (ou pas) par le fait que Aïcha a enduit le Prophète de parfum lors du pèlerinage d'Adieu ?" (Majmû' ul-fatâwâ 19/15-16).
Ainsi encore, Dieu dans le Coran a interdit qu'après l'appel à la prière de la mi-journée du vendredi on pratique encore le commerce ("la vente") : "O les croyants, lorsque est lancé l'appel pour la prière le jour du vendredi, accourez vers le rappel de Dieu et délaissez la vente" (Coran 62/9). Cette règle de l'interdiction (hurma) de la vente après l'appel à la prière a été "exportée", d'après les ulémas de plusieurs écoles, à toute transaction (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, pp. 1283-1284) ; chez les hanafites, elle a même été exportée à "tout acte qui retient la personne par rapport au déplacement vers le lieu de la prière du vendredi" ("kullu amalin yunâfi-s-sa'y" : Radd ul-muhtâr 3/38). Cet "élargissement" a constitué, selon les hanafites, une "dalâlat ud-dalâla" (Ussûl ut-tashrî' il-islâmî, pp. 108-109). Par contre, selon l'école hanbalite, cet "élargissement" que font ces écoles constitue un qiyâs ut-tamthîl ; et, selon les hanbalites, ce qiyâs ut-tamthîl, cette analogie (ilhâq), est justement impossible, car selon eux la différence entre les deux est trop grande (fâriq) ; l'interdiction ne concerne donc que la vente, et même pas la location (cf. Al-Mughnî 3/10).
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Seconde remarque : Al-Bukhârî est opposé au Qiyâs ut-tamthîl. Pourtant, n'en fait-il pas lui-même ?
Al-Bukhârî a écrit dans son Jâmi' sahîh :
– "باب ما كان النبي صلى الله عليه وسلم يسأل مما لم ينزل عليه الوحي، فيقول: "لا أدري"، أو لم يجب حتى ينزل عليه الوحي، ولم يقل برأي ولا بقياس" : "Du fait que le Prophète, que Dieu le bénisse et le salue, questionné au sujet de ce à propos de quoi la révélation n'était pas (encore) descendue (sur lui), disait : "Je ne sais pas", ou ne répondait pas, jusqu'à ce que la révélation descende sur lui ; et il ne répondait pas sur la base d'un Ray' ni d'un Qiyâs" (Kitâb ul-i'tissâm, bâb n° 8) ;
– "باب تعليم النبي صلى الله عليه وسلم أمته من الرجال والنساء مما علمه الله، ليس برأي ولا تمثيل" : "Du fait que le Prophète, que Dieu le bénisse et le salue, enseignait aux hommes et femmes de sa Umma de ce que Dieu lui a enseigné, pas (de ce qui relève) d'un Ra'y ni d'un Tamthîl" (bâb n° 9) ;
– "باب مَن شبّه أصلا معلوما بأصل مُبيّن، قد بيّن الله حكمهما، ليفهم السائل" : "Qui a comparé un cas connu à un cas plus clair encore – Dieu ayant déjà exposé la règle des deux – afin que celui qui questionne comprenne (mieux)" (bâb n° 12) ; al-Bukhârî veut dire ici que les occasions où le Prophète, à une question posée par un Compagnon au sujet d'un cas donné, a répondu en faisant le parallèle avec un autre cas, occasions que les partisans du Qiyâs présentent comme argument ("عن ابن عباس أن امرأة جاءت إلى النبي صلى الله عليه وسلم، فقالت: "إن أمي نذرت أن تحج فماتت قبل أن تحج، أفأحج عنها؟" قال: "نعم، حجي عنها. أرأيت لو كان على أمك دين أكنت قاضيته؟"، قالت: "نعم"، فقال: "اقضوا الله الذي له، فإن الله أحق بالوفاء" : al-Bukhârî, 6885 ; voir aussi Sahîh Muslim, 1148), al-Bukhârî interprète cela en disant que le Prophète n'a alors pas cité ce parallèle par Qiyâs ut-tamthîl, mais seulement pour faciliter la compréhension du Compagnon l'ayant questionné : le fait est que la règle concernant les deux cas était déjà établie par révélation, mais l'autre cas était plus connu de celui qui questionnait.
Contrairement à ce que certains autres commentateurs ont tenté de faire comme interprétation de ces écrits de al-Bukhârî (cf. Fat'h ul-bârî 13/356), al-Kashmîrî a, lui, relevé à très juste titre que al-Bukhârî exprime bel et bien ici qu'il considère le "Qiyâs ut-tamthîl" comme un outil non valable, et ce, à l'instar des Zahirites.
Al-Kashmîrî dit : "ولعل المصنف لا يعمل بالقياس مطلقا، ولذا لم يتعرض إلى إثبات حجيته، بل بوب على خلافه كما يظهر من تبويبه بباب ما يذكر من ذم الرأي وتكلف القياس، وقوله في الباب بعده: "مما علمه الله، ليس برأي ولا تمثيل"؛ فأطلق في ذم القياس، ولم يوم إلى تفصيل بين قياس وقياس. ولذا أقول: إنه ينكره مطلقا. ولما كان الشارحون متمذهبين بمذاهب الأئمة الأربعة، وفيها العمل بالقياس، قالوا: "إن المصنف إنما ذم الفاسد منه، لا مطلقا". قلت: أما حجية القياس، فكما ذكرتم؛ وأما كون البخاري أيضا ذهب إليه، فلا أفهمه من كلامه. وإنما السبيل أن يدرك مراد المتكلم أولا على وجه أراده، لا تأويله من الرأس، فإنه ربما يعود توجيها للقول بما لا يرضى به قائله. فالذي يظهر لي أن مذهبه فيه كالظاهري، والله تعالى أعلم بحقيقة الحال" (Faydh ul-bârî 4/507).
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Ensuite al-Kashmîrî dit :
"Si tu dis : "Comment al-Bukhârî peut-il réfuter le Qiyâs, alors que son livre est empli d'analogies ?"" :
"فإن قلت: إنه كيف ينكر القياس، مع وفور الأقيسة منه في كتابه؟" (Faydh ul-bârî 4/507).
En effet, qui a lu le Jâmi' Sahîh de al-Bukhârî sait que le titre (tarjama) qu'il rédige sur un ou plusieurs hadîths "déborde" souvent le seul cas évoqué dans le hadîth. Al-Bukhârî écrit souvent, après avoir évoqué ce qui est explicitement cité dans le hadîth : "wa ghayri-hî /hâ /him" ; "wa nah'wi-hî /hâ /him", etc.
Ainsi, sur le hadîth où on voit le Prophète montrer à Aïcha les Abyssiniens jouer à la lance, il a écrit : "Le fait que la femme regarde des Abyssiniens et semblables à eux (wa nah'wi-him), sans rîba" (Kitâb un-nikâh, bâb 113) (cliquez ici).
De même, sur le hadîth où le Prophète a dit : "Lorsque la femme de l'un de vous demande l'autorisation de se rendre à la mosquée, qu'il ne l'en empêche pas", al-Bukhârî a titré : "Le fait que la femme demande l'autorisation à son mari pour se rendre à la mosquée et autre (wa ghayri-hî)" (Kitâb un-nikâh, bâb 115) (cliquez ici pour lire tous les détails concernant ces demandes d'autorisation).
Son livre est donc empli d'analogies. Comment peut-il alors réfuter le Qiyâs ut-tamthîl ?
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A cette question, al-Kashmîrî répond ainsi :
"Je dirai alors : "Peut-être qu'il ne nomme pas cela "Qiyâs", et n'a pas recours au (Qiyâs ut-tamthîl), mais a recours au Tanqîh ul-manât"" :
"قلت: ولعله لا يسميه قياسا ولا يعمل به، ولكن يعمل بتنقيح المناط" (Faydh ul-bârî 4/508).
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Or nous avons vu que le Tanqîh ul-manât est un outil qui entre en jeu dans le Qiyâs Jalî, mais également pour certains cas de Qiyâs Zannî.
Si donc al-Bukhârî a recours à l'outil du Tanqîh ul-manât, c'est uniquement lorsque le résultat de celui-ci demeure dans ce qu'il perçoit comme relevant de la Dalâlatu dalâlat in-nass, donc du Qiyâs Jalî seulement.
Dans la réponse à la question sus-citée, al-Kashmîrî a d'ailleurs cité le Qiyâs Jalî peu après : "قلت: إن أكثر الصحابة رضي الله تعالى عنهم كانوا يعملون بـالقياس الجلي، ولا أراهم يتأخرون عنه؛ حتى قال ابن جرير الطبري: إن إنكاره بدعة؛ وقد ذكرنا الاستدلال على حجيته آنفا بالنص" (Faydh ul-bârî 4/508).
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En un mot : al-Bukhârî ne pratique que l'élargissement qui relève de ce qu'il perçoit comme relevant de la Dalâlatu dalâlat in-nass ; il ne pratique donc que ce qu'il perçoit comme étant un Qiyâs Jalî.
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J'ai bien dit : "ce qu'IL PERCOIT COMME relevant de la Dalâlatu dalâlat in-nass...", car il existe des cas où, de nouveau, on se demande si le Tanqîh ul-manât a conduit à un élargissement de type Dalâlatu dalâlat in-nass, ou bien de type Qiyâs Zannî.
Ainsi, sur la question de marier sa fille n'ayant jamais été mariée auparavant, sans le consentement de celle-ci, al-Bukhârî est de l'avis que cela n'est pas autorisé et qu'un tel mariage n'est pas valide (c'est aussi l'avis de l'école hanafite, et nous l'avons exposé dans un autre article). Al-Bukhârî écrit : "Le père et autre que lui ne mariera pas la vierge ni celle qui ne l'est plus, sauf avec le consentement de celles-ci" (Kitâb un-nikâh, bâb n° 42) ; "Si l'homme a marié sa fille alors qu'elle n'était pas consentante, ce mariage est rejeté" (Kitab un-nikâh, bâb n° 43). Or dans le hadîth dont il a déduit ce second titre (tarjama), la fille qui avait été mariée contre son gré par son père et qui s'en est plainte au Prophète qui a annulé le mariage, cette fille avait auparavant déjà été mariée, et n'était donc pas vierge : en fait al-Bukhârî a élargi la règle à toute fille, qu'elle soit divorcée, veuve ou vierge, et ce par Tanqîh ul-manât. Dès lors qu'il refuse tout Qiyâs ut-Tamthîl, il pense avoir eu recours ici à un Qiyâs Jalî, par considération de Dalâlatu dalâlat in-nass.
Or les écoles malikite et shafi'ite pensent que cette analogie est plutôt de type Qiyâs Zannî, et elles s'y sont opposées pour cause de présence de Fâriq selon elles.
On voit que fixer le curseur permettant de délimiter ce qui relève du Qiyâs Jalî et ce qui relève du Qiyâs Zannî n'est décidément pas toujours évident : il arrive que pour un mujtahid, le Qiyâs qu'il a fait relève du Qiyâs Jalî, alors même que pour un autre mujtahid, ce Qiyâs relève du Qiyâs Zannî.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).