I) Ont été qualifiés de "halâl" et de "harâm" dans le Coran et la Sunna : des êtres/objets (عَيْن) ("A"), mais aussi : des actions humaines (فِعل, plur. "أفعال") ("B") :
Nous avons exposé cela de façon détaillée dans notre article : La règle première dans les choses ('ayn) est-elle la permission ?. Nous y avons rappelé que lorsque un texte dit qu'un être/objet (عَيْن) (A) est "halâl" ou qu'il est "harâm", cela signifie la possibilité, ou au contraire l'impossibilité, de faire telle action humaine précise (فِعل) ("B") vis-à-vis de lui.
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Dans cet article-là, nous avions exposé une première classification des êtres/objets (عَيْن) ayant été qualifiés de "harâm" : par rapport à l'action qu'il est "harâm" de faire vis-à-vis de cet être / objet.
Selon ce rapport, il y a :
– A.A) les êtres/objets vis-à-vis desquels toute action est "harâm" : "harâm ul-'ayn" ;
– A.B) les êtres/objets vis-à-vis desquels seule telle action précise est "harâm", d'autres actions d'utilisation demeurant "halâl" vis-à-vis de lui.
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Dans le présent article, nous verrons une autre classification des êtres/objets (عَيْن) ayant été qualifiés de "harâm" : par rapport à la cause de ce caractère "harâm"...
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II) Classification des êtres/objets "harâm" (العيْن الحرام) (A), par rapport à : la cause pour laquelle telle action (فِعل) (B) est "harâm" vis-à-vis de ces êtres/objets (عَيْن) (A) :
Il existe ici 2 catégories :
– A.1) "حرام لصفة قائمة بالمحلّ" ("harâm li sifa qâ'ïma bi-l-mahall") : cet être/objet (عَيْن) est dit "harâm" à cause d'une propriété qu'il renferme en lui-même ;
– A.2) "حرام لسبب خارج عن المحلّ" ("harâm li sababin khârij 'an il-mahall") : cet être/objet est dit "harâm" à cause d'un élément extérieur à lui mais le touchant.
On trouve ces 2 catégories mentionnées chez notamment :
- Ibn 'Abd is-Salâm : Qawâ'ïd ul-ahkâm fî islâh il-anâm, 2/190 ;
- Ibn Taymiyya : Majmu' ul-fatâwâ, 29/261, 276, 320 (c'est cependant le cas numéroté ci-après "A.2.1" qu'il a mentionné).
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– A.1) C'est une propriété que cet être/objet (عَيْن) renferme en lui-même ("لصفة قائمة بالمحلّ" : sifa qâ'ïma bi-l-mahall) qui fait que cet être/objet est dit "harâm" (c'est-à-dire qu'il est interdit - à tous les hommes ou bien à un homme précis - d'entreprendre, vis-à-vis de cet être/objet, telle action). Cet être/objet est alors dit : "حرام لصفة قائمة فيه" ("harâm li sifa qâ'ïma fîh") / "حرام في نفسه" ("harâm fî nafsihî") :
C'est le cas du porc ; de l'alcool ; de la sœur pour son frère (par rapport à l'action de se marier avec elle) ; de la soie pour l'homme (par rapport à l'action de la porter) : ce sont là des choses qui, pour ces personnes, et par rapport à ces actions, sont : "حرام في نفسه" (harâm fî nafsihî)...
(Attention, ne pas confondre :
- "حرام العين" ("harâm ul-'ayn"), dont nous avons parlé dans l'autre article, déjà cité plus haut ;
- et "حرام في نفسه" ("harâm fî nafsihî"), dont nous parlons ici.
En effet :
- le "harâm ul-'ayn" (A.A) est toujours "harâm fî nafsihî" (A.1) ;
- par contre le "harâm fî nafsihî" (A.1) n'est pas toujours "harâm ul-'ayn" (A.A) : en effet, la chose est parfois "harâm" vis-à-vis d'une action précise, les autres actions restant "halâl".
Ceci entraîne que l'autre type d'objet/être (A.B) :
----- peut être, ici : "harâm fî nafsihî" (par rapport à l'action précise qu'il est harâm de faire) (A.1),
----- et peut être : "harâm li ghayrihî" (A.2).)
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Ensuite il y a 2 possibilités quant à ce "حرام لصفة قائمة فيه" ("harâm li sifa qâ'ïma fîh") (A.1) :
--- A.1.1) soit la propriété (صفة) entraînant le caractère "harâm" de cet être/objet est permanente (دائم) en celui-ci :
- le porc (par rapport à toute action) ;
- le chat (par rapport au fait d'en manger la chair) ;
- la sœur par rapport à son frère (par rapport à se marier avec elle) ;
- la soie par rapport à l'homme (par rapport au fait d'en porter ou de s'asseoir dessus) ;
- l'or par rapport à la femme (par rapport au fait de l'utiliser sous la forme d'ustensiles) et à l'homme (par rapport au fait de l'utiliser sous forme d'ustensiles et de le porter sous forme de bijoux) ;
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--- A.1.2) soit cette propriété (صفة) peut disparaître ultérieurement de cet être/objet (مفارق) (mufâriq) :
- la femme polythéiste pour le musulman (par rapport au fait de se marier avec elle) : le caractère "harâm" est lié à sa qualité de "polythéiste" : dès lors, si elle se convertit à l'islam, au judaïsme ou au christianisme, ce caractère "harâm" disparaît, et il devient halâl au musulman de se marier avec elle.
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Ici peut s'insérer également le cas des objets qui, par rapport à leur utilisation, ne font en soi l'objet ni d'une interdiction spécifiée dans les textes, ni appliquée par analogie (qiyâs ut-tamthîl), mais entraînent une nocivité : un qiyâs mursal a mis en lumière leur caractère interdit ("mak'rûh tahrîmî", dit-on en pareil cas, évitant le qualificatif "harâm").
- Ainsi en est-il de la cigarette, dont l'utilisation (fumer) est immédiatement nocive pour la santé humaine.
- Ainsi en est-il des colorants cancérigènes...
- Ainsi en est-il également de la consommation du lait de vache : en soi cela est bénéfique pour l'homme (comme l'a dit la Sunna) ; cependant, à cause de la quantité d'hormones qu'on injecte à ces animaux, et qui se retrouvent dans son lait, boire du lait de vache fait aujourd'hui du tort à l'homme. Le lait de vache est donc, pour la consommation humaine, "halâl fî nafsîhî", mais "déconseillé li ghayrihî, wa li 'âridh" : "parce que contenant aujourd'hui des hormones de synthèse".
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– A.2) C'est un élément extérieur à cet être/objet mais touchant celui-ci ("سبب خارج عن المحلّ" : sabab khârij 'an il-mahall), qui fait que cet être/objet (lequel demeure "حلال في نفسه", "halâl fî nafsihî") est dit "harâm" : cet être/objet en devient : "حرام لغيره" (harâm li ghayrihî) (c'est-à-dire qu'il est interdit - à tous les hommes ou à un homme précis - d'entreprendre telle action vis-à-vis de cet être/objet) :
C'est le cas de l'argent obtenu par un moyen illicite (vol ou transaction illicite) : l'argent reste "حلال في نفسه" (halâl fî nafsihî), mais est "حرام لغيره" (harâm li ghayrihî).
Quant au foie gras, il s'obtient en gavant l'animal, donc en le faisant souffrir inutilement, en pratiquant sur lui une injustice : si l'oie a été abattue de la façon voulue, le foie gras obtenu sera "حلال في نفسه" (halâl fî nafsihî) mais "مكروه لغيره" (mak'rûh li ghayrihî).
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– Ensuite ce "حرام لغيره" ("harâm li ghayrihî") (A.2) est de plusieurs types :
--- A.2.1) soit c'est le moyen d'acquisition de cet être/objet qui est interdit : "حرام لطريق كسبه" ("haram li tarîqi kasbihî") / "حرام لكسبه" ("harâm li kasbihî") :
Un bien matériel qu'un homme a dérobé : le bien reste halâl en soi (fî nafsihî), mais en tirer profit est harâm pour l'homme qui l'a dérobé. Si une autre personne sait que ce bien, cet homme l'a dérobé, lui non plus ne peut pas l'utiliser si cet homme le lui vend ou le lui donne (cliquez ici pour en savoir plus).
Un bien matériel donné au aumône (cela pour le Prophète) : en tirer profit est harâm, mais ce bien reste halâl en soi (fî nafsihî) ; c'est bien pourquoi, si celui qui a reçu cette aumône en fait cadeau d'une partie au Prophète, cela devient halâl pour lui (c'est-à-dire qu'il devient halâl pour lui d'en tirer profit) : le Prophète l'avait dit à propos du fait de lui servir en repas de la viande que Barîra avait reçu de quelqu'un en aumône : "Pour elle c'est une aumône, pour nous ce sera un cadeau" (al-Bukhârî, 4809, Muslim, 1074).
Une femme qui est musulmane, juive ou chrétienne, mais avec qui on n'est pas marié (l'esclavage n'existe de toute façon plus aujourd'hui) : avoir des relations intimes avec elle est harâm. Si on se marie avec cette femme, cela devient ensuite halâl.
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--- A.2.2) soit c'est la situation dans laquelle l'homme se trouve qui entraîne l'application du qualificatif "harâm" pour cet être/objet par rapport à lui :
Ainsi, lorsque l'un des deux est en état de jeûne (siyâm), de retraite spirituelle (i'tikâf) ou de sacralisation (ihrâm), l'époux d'une femme est harâm pour elle (par rapport à l'action d'avoir des relations intimes) et l'épouse d'un homme est harâm pour lui (par rapport à la même action).
De même, un musulman qui a déjà quatre épouses, une nouvelle épouse est pour lui harâm (dans le sens de : "harâm à épouser"). Cependant, cette nouvelle femme n'est pas, vis-à-vis de lui, "harâm" en soi (fî nafsihâ) (yarji'u ilâ sifa fi-l-mar'a) (comme l'est par exemple la femme polythéiste, ou la femme déjà mariée à quelqu'un d'autre, etc.) : elle est "harâm" vis-à-vis de lui à cause du fait qu'il a déjà quatre épouses (yarji'u ilâ sifa fi-l-'aqd). Voir ces deux catégories in Al-Fiqh ul-mâlikî fî thawbihi-l-jadîd, tome 3 pp. 395-423.
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--- A.2.3) soit c'est autre chose qui est interdit, et a donc entraîné l'application du qualificatif "harâm" à cet être/objet parce qu'il le touche :
Le cas du foie gras s'inscrit ici : il est mak'rûh tahrîmî, parce que résultant d'un abus commis sur l'oie ou le canard. Nous avons cité d'autres cas encore dans un autre article (sous le Second exemple).
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--- A.2.4) soit c'est ce que l'utilisation de cet objet est susceptible d'entraîner qui est nocif :
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III) Un exemple concret de ces deux catégories A.1 et A.2 au travers d'un hadîth :
Abû Hurayra relate que le Messager de Dieu (sur lui soit la paix) a dit : "Dieu est Bon (tayyib) et Il n'accepte que ce qui est bon (at-tayyib). Et Dieu a ordonné aux Croyants ce qu'Il a ordonné aux Messagers. Ainsi a-t-Il dit : "O les Messagers, mangez des choses bonnes (at-tayyibât) et faites bonne action. Je suis Savant de ce que vous faites" [Coran 23/51] et a-t-Il dit : "O vous qui avez apporté foi, mangez des choses bonnes (tayyibât) de ce que Nous vous avons donné" [Coran 2/172]."
Puis, (dit Abû Hurayra,) le (Messager de Dieu) "a évoqué l'homme qui fait un long voyage*, ébouriffé, couvert de poussière, levant ses deux mains vers le ciel (en disant) : "O mon Seigneur ! O mon Seigneur !", alors que sa nourriture est harâm, sa boisson est harâm, sa monture est harâm, il a été nourri du harâm ! Comment cet (homme) serait-il exaucé !" :
"عن أبي هريرة، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "أيها الناس، إن الله طيب لا يقبل إلا طيبا، وإن الله أمر المؤمنين بما أمر به المرسلين، فقال: {يا أيها الرسل كلوا من الطيبات واعملوا صالحا، إني بما تعملون عليم}، وقال: {يا أيها الذين آمنوا كلوا من طيبات ما رزقناكم}". ثم ذكر "الرجل يطيل السفر أشعث أغبر، يمد يديه إلى السماء: "يا رب، يا رب"، ومطعمه حرام، ومشربه حرام، وملبسه حرام، وغذي بالحرام؛ فأنى يستجاب لذلك؟" (Muslim 1015, at-Tirmidhî 2989).
(* Il s'agit d'un voyage entrepris pour permettre la réalisation d'une action purement cultuelle, 'ibâda, telle qu'un pèlerinage, etc. ; ou d'un voyage entrepris pour permettre la réalisation d'une action dînî autre que 'ibâda, tel qu'un déplacement pour l'acquisition de la science religieuse ; ou pour rendre visite à un parent, ou encore à un malade : d'après Shar'h Muslim, an-Nawawî).
Quelle différence peut-il y avoir entre : "sa nourriture est harâm" et : "il a été nourri du harâm" ?
Il se peut que la première phrase désigne le fait qu'actuellement ce qu'il mange est harâm, et la seconde le fait que c'est depuis longtemps qu'il mange du harâm (d'après Tuhfat ul-ahwadhî).
Pour que la nourriture soit halâl pour la consommation du musulman, il faut d'une part qu'elle soit en soi halâl (halâl fî nafsihî), c'est-à-dire si elle est carnée qu'elle soit constituée d'une viande qui est en soi halâl (pas de viande de porc, de chat ou de chien, par exemple) et que l'animal ait été abattu de la façon rituelle voulue ; et, dans tous les cas, qu'elle ne contienne pas d'ingrédients en soi illicites, tel que alcool (cliquez ici), etc. (cliquez ici).
Mais il faut aussi, d'autre part, que cette nourriture qui est halal en soi, le musulman l'ait acquise par un moyen qui n'est pas interdit (donc qu'il ne l'ait pas prise sans l'accord de son propriétaire, et qu'il ne l'ait pas non plus achetée à son propriétaire par le biais d'une transaction fâssid ou mak'rûh), donc qu'elle soit aussi halâl li tarîqi kasbihî.
C'est d'ailleurs ce qui explique que, dans ce hadîth, on lit aussi : "sa monture est harâm" : à moins d'être un porc, ou une panthère ou autre animal féroce, une monture n'est pas harâm en soi (pas harâm fi nafsihî par rapport à l'action humaine de la monter). Or personne ne monte de porc ni d'animal féroce. On ne monte qu'un animal tel que cheval, chameau, âne, etc. : et un tel animal ne peut être harâm à monter qu'au sens de harâm li kasbihî, non-halal d'utilisation pour celui qui le monte parce qu'il l'a obtenu par un moyen illicite : soit il l'a volé, soit il l'a acquis par une transaction bâtil ou fâssid.
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A lire, en complément :
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).