Question :
Avant j'avais une vie de musulman pas respectueux des principes de la religion. Ensuite, à partir de 2005, je me suis repenti.
J'ai donc fait au cours de ma vie une accumulation de fautes. Fautes pas au sens où j'ai volé quelqu'un (car je n'ai volé personne), mais au sens où j'ai gagné de l'argent par des voies qui ne sont pas halal.
D'une part j'ai eu de l'argent par le biais d'une société que j'ai montée avec un crédit de 9.000 euros. Au moment où j'ai fait ce crédit de 9.000 euros en 2002, je ne savais pas que c'était illicite (haram) de faire un emprunt à intérêt.
Même après mon repentir en 2005, j'ai placé de l'argent et ai touché de l'intérêt sur ces placements. La raison en est que je ne considérai pas que l'argent que j'acquérais ainsi était illicite, du fait de mon ignorance de l'interdiction du prêt et de l'emprunt à intérêt. En fait à ce moment-là je n'avais aucune notion de bien licite et de bien illicite. Peut être que j'ai commencé à connaître ces notions après avoir lu des sites islamiques.
Comment faire pour reprendre à zéro, dans le licite ?
Dois-je me défaire de l'argent ainsi acquis ? si je ne l'ai plus, dois-je rembourser l'équivalent ?
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Réponse :
Si le fait que vous ignoriez le caractère illicite de l'intérêt est dû à un manquement de votre part pour apprendre les enseignements de l'islam (jahl bi-l-i'râdh 'an talab il-'ilm il-wâjib 'alayhi ma'a tamakkunihî min'h), alors il s'agit d'un cas différent de ce que nous allons écrire ci-dessous ; ce cas, nous n'en parlerons pas ici.
Par contre, si le fait que vous ignoriez cela est excusable, car dû au fait que vous avez grandi dans un lieu où il n'y avait pas d'ambiance religieuse et qu'autour de vous les musulmans ne savaient que peu de choses concernant les enseignements de l'islam, qu'il existait peu de livres, etc. (jahlun yu'dharu bih), alors votre cas rejoint ce qui suit…
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I) La question qui nous concerne ici est :
Qu'en est-il du cas où l'information concernant le caractère interdit d'une action, le caractère obligatoire d'une autre action, ou la façon voulue de faire une action / ce qu'il faut entreprendre quand on se trouve dans telle situation, cette information n'était pas parvenue à un musulman parce que réellement il vivait dans un lieu éloigné de la science du Coran et de la Sunna et était donc excusable (jahlun yu'dharu bih) ?
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II) Plusieurs aspects existent par rapport à cette question :
– 1er aspect : La question de l'inscription du péché pour avoir fait une action interdite dont on ignorait le caractère interdit :
Le musulman à qui l'information concernant le caractère interdit d'une action n'était pas parvenue, et qui a donc commis cette action en se fondant sur le principe de permission première (al-ibâha al-asliyya), aura-t-il / n'aura-t-il pas, inscrit à son compte, le péché prévu pour cette action ?
Par exemple il ne savait pas qu'il est interdit de consommer de l'alcool… ou il ignorait totalement qu'il est interdit de s'adonner à la fornication… ou bien il ne savait pas que la sodomie est interdite, même avec son épouse… Aura-t-il le péché inscrit à son compte ?
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– 2nd aspect : La question de l'entraînement / non-entraînement des effets que cette action a normalement (tarattub ul-âthâr ish-shar'iyya), mais qui a été faite ici parce qu'on en ignorait le caractère interdit :
Le musulman à qui l'information concernant le caractère interdit d'une action donnée n'était pas parvenue, et qui a donc commis cette action en se fondant sur le principe de permission première (al-ibâha al-asliyya), bénéficiera-t-il / ne bénéficiera-t-il pas des effets juridiques (âthâr shar'iyya) que cette action a normalement ? sera-t-il / ne sera-t-il pas passible d'une sanction temporelle pour avoir fait cette action ?
Par exemple il ne savait pas que placer son argent pour toucher de l'intérêt est interdit ; et il a pris de l'intérêt ; une fois qu'il apprend que cela est interdit, l'effet juridique de propriété (milk) demeurera-t-il pour lui par rapport à l'argent qu'il a ainsi obtenu ? Quelqu'un ne savait pas qu'épouser la veuve de son père (autre que sa propre mère), cela est interdit ; il s'est marié avec elle et ils ont eu des enfants ; une fois qu'ils apprennent cela, l'effet juridique de filiation demeurera-t-il établi entre lui et ces enfants ?
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– 3ème aspect : La question du remplacement – qadhâ – d'une action obligatoire ayant été délaissée parce qu'on en ignorait le caractère obligatoire :
Le musulman à qui l'information du caractère obligatoire d'une action n'était pas parvenue et qui a donc négligé l'accomplissement de cette action, se fondant sur le principe d'absence première d'obligation (barâ'at udh-dhimma al-asliyya), devra-t-il remplacer (qadhâ) / n'aura-t-il pas l'obligation de faire cette action une fois qu'il a pris connaissance du caractère obligatoire de celle-ci ?
Par exemple il n'avait pas eu connaissance, habitant dans un lieu éloigné des autres musulmans, qu'il y a quotidiennement 5 prières rituelles obligatoires, et les a donc négligées pendant des années : devra-t-il les remplacer, tout comme celui qui néglige ses prières par paresse a l'obligation de remplacer celles-ci ?
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– 4ème aspect : La question du remplacement – qadhâ – d'une action ayant été accomplie de façon incorrecte parce qu'on ignorait la façon correcte de le faire :
Le musulman à qui l'information du caractère obligatoire d'une action était parvenue, mais pas l'information relative à certains constituants (arkân) de cette action ou relative à certaines conditions préalables (sharâ'ït us-sihha) à cette action, et qui a donc accompli cette action d'une façon incorrecte (soit que, ignorant l'existence de ce que dit le texte, il s'est fondé sur le principe d'absence première d'obligation – barâ'at udh-dhimma al-asliyya –, soit qu'il a procédé à un raisonnement personnel – qiyâs ul-maslaha ou qiyâs ul-'illa – par rapport à ce qu'il connaissait, et son raisonnement s'est avéré complètement erroné, car ne correspondant pas à ce que les textes des sources disent de façon très claire)… ce musulman devra-t-il remplacer (qadhâ) / n'aura-t-il pas l'obligation de refaire cette action une fois que, ayant reçu la connaissance voulue, il a su que ce n'est pas la bonne façon d'accomplir cette action ?
Par exemple il savait qu'il y a 5 prières rituelles à accomplir chaque jour, mais il ne savait pas qu'en cas d'impureté rituelle majeure il faut procéder aux grandes ablutions (qui correspondent à un bain complet) avant de pouvoir accomplir de nouveau la prière rituelle… Ou bien il ne savait pas que lorsqu'on accomplit la prière rituelle, parler volontairement tout en se rappelant de l'état dans lequel on se trouve et sans que ce soit pour la prière, cela est interdit et annule la prière… Ou encore il ne savait pas que le mariage doit, pour être valide, être célébré en présence de deux témoins (or le mariage rend les relations intimes autorisées)…
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III) Différents avis existent quant à la réponse apportée à la question, par rapport à ces 4 aspects :
Quant à la question de savoir si une règle (hukm) donnée, voulue par Dieu, est applicable ou pas au musulman à qui le texte (verset coranique, ou hadîth prophétique) énonçant cette règle n'est pas parvenu (ni la substance de ce texte, exposée par ceux qui savent, n'est pas parvenue), il existe 4 avis :
– Selon un 1er avis :
L'homme se trouvant dans cette situation est malgré tout concerné par la pratique de cette règle (nous parlons de la période où il ignorait cette règle) :
- s'il s'agit d'un interdit, l'homme aura, inscrit à son compte, le péché d'avoir fait cette action interdite, car nul n'est censé ignorer la loi ; et quand il prend connaissance de ce caractère interdit, l'homme devra réparer ce qu'il avait commis ;
- et s'il s'agit d'un ordre, l'homme aura, inscrit à son compte, le péché d'avoir négligé d'accomplir cette action obligatoire, car nul n'est censé ignorer la loi ; et quand il prend connaissance de ce caractère obligatoire, l'homme devra remplacer (qadhâ) ce qu'il avait manqué.
Ceci concerne de façon certaine les actions dont le caractère "interdit" ou "obligatoire" est du niveau "censé être très connu" (ma'lûm min ad-dîn bi-dharûra). Est-ce que ceci concerne également les actions dont le caractère est connu au niveau simplement "formel" (qat'î) ? Je ne sais pas (لا أدري).
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– Selon un 2nd avis :
L'homme se trouvant dans cette situation n'est pas concerné par la pratique de cette règle (pour la période où il ignorait cette règle) si celle-ci constitue une abrogation d'une règle ayant déjà été communiquée par Dieu précédemment (khitâb nâsikh) ; c'est ce qui explique ce qui s'est passé avec les musulmans de Qubâ' et la question de se tourner vers la Kaaba (nous verrons le récit plus bas). Par contre, même pour la période où il ignorait une règle donnée, le musulman est concerné par celle-ci si elle ne constitue pas une abrogation (khitâb mubtada') : il devra alors la remplacer quand il en prend connaissance.
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– Selon un 3ème avis :
L'homme se trouvant dans cette situation n'est pas concerné par cette règle (pour la période où il ignorait celle-ci) et ce type d'ignorance lui est excusé s'il habitait en Dâr ul-harb. Par contre, si d'une part la règle est de type "censé être très connue" (ma'lûm min ad-dîn bi-dharûra) et d'autre part cet homme habitait en Dâr ul-islâm, cet homme demeure concerné par cette règle (même pour la période où il ignorait celle-ci) : ici, en Dâr ul-islâm, son ignorance par rapport aux règles de ce type n'est pas excusable. Ceci est l'avis de l'école hanafite. Cheikh Khâlid Saïfullâh ajoute que c'est la même chose pour le musulman qui vit en Dâr ul-amn : ici non plus, l'ignorance du musulman par rapport aux règles de ce type n'est pas excusable (Islâm aur jadîd ma'âshî massâ'ïl, p. 80.
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– Selon un 4ème avis :
L'homme se trouvant réellement dans une situation où il ne pouvait pas savoir (jahl yu'dharu bih), l'ignorance d'une règle fait que celle-ci ne lui est pas applicable, même si en soi elle est très connue (ma'lûm min ad-dîn bi-dh-dharûra) et même si cet homme habite en Dâr ul-islâm.
Ibn Taymiyya a donné préférence à ce 4ème avis (cf. MF 11/407 ; 19-226 ; 22/11 ; 22/41 ; 22/100-101).
Ibn Taymiyya en veut pour preuve le principe général évoqué dans le Coran : "Et ce Coran m'a été révélé afin que je vous avertisse par son moyen, (vous) ainsi que celui à qui il parviendra" (Coran 6/15) (MF 22/41) : celui à qui une information ou un impératif du Coran (ou de la Sunna) n'est pas parvenu, n'est donc pas responsable par rapport à ce qui ne lui était pas parvenu.
Ibn Taymiyya cite également des références extraites de la Sunna, montrant la non-obligation de remplacer une action totalement négligée, ou accomplie de façon défectueuse, pour cause de non-connaissance (nous les citerons au point suivant).
A ces références l'école hanafite répond qu'elles ne concernent, en Dâr ul-islâm, que l'époque où la législation était en train de se faire, à l'époque du Prophète (sur lui soit la paix) : il arrivait alors qu'une loi prenne un peu de temps à se diffuser et à être connue (At-Tawdhîh, Sad'r us-sharî'a, 2/384).
L'école hanafite considère donc le fait de vivre en Dâr ul-islâm comme étant la présomption (mazinna) du fait qu'il n'y a pas d'excuse à ignorer ce genre d'actions (ma'lûm min ad-dîn bi-dh-dharûra).
Tandis que Ibn Taymiyya n'établit pas de présomption en la matière : c'est la situation réelle de la personne qu'il s'agit, selon lui, de considérer.
Cette divergence de principe ayant été exposée, ci-après, de façon détaillée ce sera l'avis de Ibn Taymiyya qui sera exposé…
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IV) Qu'est-ce que ce musulman devra faire quand il prend connaissance de ce qu'il ignorait jusqu'alors complètement ?
En fait différents types d'actions existent que le musulman peut avoir, à cause de son ignorance, complètement délaissées, ou accomplies de façon défectueuse, ou au contraire commises...
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– A) S'il s'agissait d'une action interdite, qu'il faisait parce qu'il ne savait pas qu'elle est interdite ; ou s'il s'agissait d'une action en soi autorisée, mais cet homme y a adjoint quelque chose d'interdit, parce qu'il ne savait pas que cela est interdit :
Dès qu'il prend connaissance de la règle d'interdiction, ce musulman doit cesser ce qu'il faisait d'interdit.
Ainsi un musulman buvait de l'alcool, ignorant que cela est interdit par l'islam, et un coreligionnaire arrive et, le voyant faire cela, lui apprend que cela est interdit en islam ; le premier homme doit alors immédiatement cesser de boire.
Pour ce qui est de l'action interdite qu'il faisait jusqu'alors sans en connaître le caractère interdit, le péché ne sera inshâ Allâh pas inscrit à son compte (nous parlons, rappelons-le, du cas où ce musulman ignorait cela et était réellement excusable pour son ignorance, et non pas du cas où il ignorait cela à cause de sa négligence pour apprendre les enseignements de l'islam). Cependant, le musulman doit toujours se repentir (tawba) vis-à-vis de Dieu pour les manquements qu'il a ainsi eus.
S'il s'agit de transactions interdites dont ce musulman n'avait pas absolument pas eu connaissance du caractère interdit, alors :
– si le bien qu'il avait obtenu par le moyen de ces transactions interdites est quelque chose d'illicite en soi : par exemple il avait acheté de l'alcool, qu'il a donc maintenant en sa possession : il devra alors le détruire ;
– si par contre le bien qu'il avait obtenu par le moyen de ces transactions interdites est de l'argent (qu'il avait déjà perçu avant de prendre connaissance du caractère illicite de la transaction), il n'est pas nécessaire pour lui de s'en défaire.
Cependant, à partir de maintenant il devra bien sûr se préserver de faire de telles transactions – puisqu'il a pris connaissance du fait qu'elles sont interdites en islam – ; de même, s'il avait déjà fait de telles transactions pendant son ignorance mais n'avait pas encore perçu l'argent – le prix –, il ne devra pas le toucher (si l'autre partie lui donne cet argent, il le prendra mais le remettra immédiatement à des nécessiteux).
S'il s'agit d'un mariage qu'il avait fait et qui était interdit ; alors :
– s'il était interdit à cet homme et à cette femme de se marier, ils devront se séparer. Par exemple un musulman s'était marié avec une femme qui était la veuve de son père (autre que sa propre mère) ; cela est absolument interdit (Coran 4/22) (ils sont l'un pour l'autre harâm de mariage li wasfihimâ), mais ni lui ni la dame ni les gens de leur entourage n'avaient connaissance de cela. Dès que cet homme ou cette femme prend connaissance de cette règle d'interdiction, ils doivent immédiatement cesser de vivre ensemble (lâ yuqarrâni 'alayh) (car al-mufsidu qâ'ïm). Le mariage qu'ils avaient fait était, dès le début, nul (bâtil) ; cependant, n'en ayant pas eu connaissance auparavant, les effets de cette nullité ne s'appliquaient pas à lui (et les règles relatives à la fornication ne seront pas applicables à la relation que lui et cette femme entretenaient, car ils étaient ignorants). Cependant, dès l'instant où ils apprennent que le mariage qu'ils avaient fait est nul, ils ne peuvent plus vivre ensemble, car ils sont complètement illicites l'un pour l'autre ;
– si par contre le mariage leur était en soi autorisé, mais c'est la façon par laquelle ils se sont mariés qui est interdite, alors d'après Ibn Taymiyya ils pourront rester ensemble à cause du fait que cela avait été fait ainsi à cause d'une ignorance excusable. Ainsi, un musulman et une musulmane ne savaient pas que, pour que le mariage religieux soit valide, il faut que deux témoins assistent au contrat oral, ou – d'après les malikites – au moins que les époux aient pris deux témoins avant qu'ils ne se retrouvent seuls ensemble. Ne sachant pas cela, ce musulman et cette musulmane n'ont fait ni l'un ni l'autre : l'homme a seulement dit : "Es-tu d'accord de me prendre comme époux devant Dieu ?", ce à quoi l'épouse lui a répondu, avec l'assentiment de son parent (walî) : "Oui, je suis d'accord, et je suis maintenant ton épouse devant Dieu !". D'après Ibn Taymiyya, si vraiment ils étaient ignorants de cela et étaient excusables dans leur ignorance, alors ils seront maintenus ensemble (yuqarrâni 'alayh) même après avoir appris que la façon par laquelle ils ont procédé à leur mariage est normalement invalide : la différence avec le cas précédent est que là-bas l'élément corrupteur demeure (al-mufsidu qâ'ïm), mais non pas ici (cf. MF 22/13).
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– B) S'il s'agissait d'une action qu'il est obligatoire de faire :
----- B.A) Soit ce musulman ne l'a pas du tout accomplie, parce qu'il ne savait pas qu'elle est obligatoire :
D'après Ibn Taymiyya, si ce musulman ignorait vraiment le caractère obligatoire de cette action et est vraiment excusable pour cette ignorance, alors, même s'il vit en Dâr ul-islâm il n'a pas à remplacer les actions obligatoires qu'il avait ainsi négligées parce qu'il en ignorait le caractère obligatoire (MF 22/11 ; 22/40-41 ; 22/100-101). Ibn Taymiyya dit que, le fait de jeûner tout le mois de ramadan ayant été déclaré obligatoire en l'an 2 de l'hégire, quand le Prophète était à Médine, la nouvelle n'en parvint pas cette année-là aux musulmans qui se trouvaient en Abyssinie, qui n'observèrent alors pas ce mois de jeûne. Or le Prophète ne leur demanda pas de remplacer plus tard ces jeûnes qu'ils n'avaient pas observés parce qu'en ignorant le caractère obligatoire (MF 22/43).
Nous avons déjà évoqué plus haut le principe général, qui fait que d'après l'avis de l'école hanafite, les prières manquées dont le musulman ignorait vraiment le caractère obligatoire, c'est si ce musulman vivait en Dâr ul-harb qu'il n'a pas à les remplacer, car son ignorance est alors excusable ; par contre, s'il vivait en Dâr ul-islâm, l'ignorance de cela n'est pas excusable et ce musulman doit remplacer les prières ainsi manquées (cité in MF 22/41). Nous avons vu plus haut que la même règle s'applique s'il vivait jusqu'alors en Dâr ul-amn.
Proche de ce cas de figure est celui où le musulman croyait que, parce que ne pouvant accomplir une condition préalable à la validité (sihha) de la prière, celle-ci soit n'était alors pas du tout obligatoire sur lui, soit il ne pouvait pas l'accomplir à ce moment précis et ne l'a donc pas accomplie avec l'intention de la remplacer (qadhâ) plus tard. Lors d'un voyage, Omar ibn ul-Khattâb et 'Ammâr ibn Yâssir furent touchés par l'état d'impureté rituelle ; or ils ne disposaient pas d'eau pour procéder aux grandes ablutions. Le premier, ne sachant pas que les ablutions pulvérales (at-tayammum) remplacent non pas seulement les petites mais aussi les grandes ablutions, n'accomplit pas du tout la prière de l'aube. Le second, lui, procédant par analogie, se dit que si le fait de passer la poussière sur son visage et ses bras remplaçait les petites ablutions, le fait de passer la poussière sur tout son corps remplacerait les grandes ablutions : il se roula alors dans la terre, puis accomplit la prière de l'aube. Une fois rentrés à Médine, 'Ammâr ayant relaté au Prophète ce qui s'était passé, celui-ci informa 'Ammâr que le tayammum remplaçant les grandes ablutions se faisait exactement comme lorsqu'il remplaçait les petites ablutions (al-Bukhârî 331, Muslim 368). Ici Omar ibn ul-Khattâb ne savait pas que, dans un tel cas, le tayammum remplace les grandes ablutions, et il a pensé que, ne pouvant pas procéder à la purification rituelle nécessaire (fâqid ut-tahûr), il ne pouvait pas du tout prier, ou ne pouvait pas prier à ce moment-là. Alors que, en pareil cas, le tayammum remplace aussi bien les petites que les grandes ablutions.
(Par ailleurs, il y a divergence quant à celui qui ne peut faire aucune des ablutions instituées (fâqid ut-tahûrayn) :
- doit-il prier alors quand même, sans avoir à remplacer cette prière plus tard ?
- doit-il prier quand même et, plus tard, après avoir dûment pu faire les ablutions, accomplir de nouveau la prière qu'il n'avait pu accomplir que sans ablutions ?
- doit-il ne pas prier pour le moment et remplacer cette prière plus tard ?
- cette prière est-elle caduque pour lui ?)
Ibn Taymiyya fait remarquer que le Prophète n'a pas dit à Omar ibn ul-Khattâb de remplacer la prière qu'il avait ainsi manquée (MF 22/42).
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----- B.B) Soit c'est la façon correcte de faire cette action qu'il ne connaissait pas, et il a accompli cette action, mais de façon incorrecte :
------- B.B.A) S'il était en train de la faire d'une façon non-conforme à ce que les textes disent, quand l'information lui est parvenue :
Dès qu'il reçoit alors l'information, il doit rectifier sa façon de faire, non pas en recommençant l'action depuis le début, mais en la rectifiant à partir du moment où il prend connaissance de la façon correcte de faire.
Ainsi, alors que depuis son arrivée à Médine en rabî' ul-awwal [de l'an 1], le Prophète avait prié la face tournée vers Bayt ul-maqdis à Jérusalem, voici que, en rajab de l'an 2 (FB 1/130), des versets demandant de prier la face tournée vers la Kaaba à la Mecque lui furent révélés. La première prière que le Prophète accomplit ainsi, la face tournée vers le sanctuaire de la Mecque, fut soit celle du début d'après-midi (az-zuhr) dans la mosquée des Banû Salima, soit celle de fin d'après-midi (al-'asr) dans sa propre mosquée (FB 1/131, 651).
Un musulman qui venait de prier ainsi en compagnie du Prophète passa près d'une autre mosquée, où se trouvaient les Banû Hâritha, et, y voyant ses coreligionnaires accomplir la prière de al-'asr la face tournée vers le sanctuaire de Jérusalem, leur dit : "Je témoigne avoir prié en compagnie du Prophète dans la direction de la Kaaba." Pendant leur prière même, les musulmans de cette mosquée prirent alors la direction de la Kaaba et continuèrent la prière (al-Bukhârî 40, 390, etc., Muslim 525).
A la mosquée de Qubâ', dans les faubourgs de Médine, la nouvelle ne parvint que le lendemain, pendant que les musulmans accomplissaient la prière de l'aube (salât us-sub'h) ; ils avaient déjà effectué un cycle de prière (rak'a) la face tournée vers Jérusalem, quand une personne leur transmit la nouvelle ; ils se tournèrent alors, pendant la prière même, vers la Kaaba (Muslim 527 ; il s'agit, d'après ce qu'a écrit Ibn Hajar, du même événement que celui que al-Bukhârî a relaté en 395).
Il n'a pas été demandé à ces musulmans de Qubâ' de recommencer les prières de 'asr, maghrib et 'ishâ, qu'ils avaient accomplies la face tournée vers Jérusalem alors que le nouvel ordre divin avait alors déjà été révélé. La raison en est que cet ordre plus récent ne leur était alors pas encore parvenu, et ils l'ignoraient donc pour une raison pour laquelle ils étaient excusables.
------- B.B.B) S'il avait terminé de faire cette action quand l'information lui est parvenue :
Il y a alors deux cas de figure :
--------- B.B.B.A) soit, après avoir accompli cette action de façon incorrecte, quand le musulman a appris la façon correcte d'accomplir cette action, l'horaire légal pour l'accomplissement de celle-ci n'était pas encore terminé :
Le musulman doit alors accomplir de nouveau cette action, cette fois de la façon voulue.
C'est pourquoi le Prophète a dit au musulman qu'il avait vu mal accomplir les postures de la prière : "Retourne, et accomplis (de nouveau) la prière, car tu n'as pas accompli la prière." La même chose s'est répétée deux ou trois fois. Puis l'homme dit au Prophète qu'il ne savait pas accomplir la prière mieux qu'il l'avait jusqu'alors fait, et lui demanda de lui enseigner la bonne façon de l'accomplir. Le Prophète le fit alors (al-Bukhârî 724 etc., Muslim 397). Ibn Taymiyya écrit : "Il lui a dit de refaire cette prière car l'horaire de celle-ci demeurait ; il était donc assujetti à celle-ci. Celle qu'il avait déjà accomplie, sa charge ne s'en trouvait pas libérée (lam tab'ra' biha-dh-dhimma) ; et l'horaire de la prière demeurait" (MF 22/44).
--------- B.B.B.B) soit, quand le musulman a appris la façon correcte d'accomplir l'action, l'horaire légal pour l'accomplissement de celle-ci était terminé (il s'agit par exemple de prières rituelles obligatoires dont l'horaire est terminé, ou de jeûnes du mois de ramadan) :
Dans ce cas, à partir de maintenant ce musulman devra bien sûr veiller à respecter les textes en la matière, textes dont il vient de prendre connaissance.
Mais qu'en est-il de ce qui est déjà passé ?
S'il s'agit de prières rituelles ou de jeûnes obligatoires qu'il avait accomplis mais avait mal accomplis par ignorance, l'avis de Ibn Taymiyya est que le musulman n'a pas, quand il prend connaissance de la bonne façon de les accomplir, à les remplacer. Nous avons vu au point précédent le cas de l'homme qui accomplissait mal sa prière ; le Prophète lui a dit de recommencer celle dont l'horaire légal avait alors encore cours ; mais il ne lui a pas dit de remplacer toutes les prières antérieures qu'il avait déjà accomplies de cette façon incorrecte (MF 22/44).
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Ibn Taymiyya écrit :
"Lorsque le kâfir, après sa conversion à l'islam, il lui est effacé [= il n'a pas à remplacer] les actions obligatoires qu'il avait délaissées parce qu'il ne (les) considérait pas [obligatoires sur lui] – alors que Dieu les avait bien rendues obligatoires sur lui et qu'il aurait été châtié [dans l'au-delà] pour les avoir délaissées [s'il ne s'était pas converti à l'islam] [cliquez ici pour en savoir plus] –, le musulman, a fortiori il lui sera effacé [= il n'aura pas à remplacer] les actions obligatoires qu'il avait délaissées parce qu'il ne (les) considérait pas obligatoire (…) à cause d'une ignorance pour laquelle il est excusable.
Comme (la conversion à) l'islam efface ce qu'il y avait avant, de même le repentir (tawba) efface ce qu'il y avait avant, particulièrement le repentir de celui qui était jusqu'alors excusable [pour son ignorance], à qui le texte parvient, ou qui comprend le texte après qu'il n'ait pas eu la possibilité de l'entendre et de le comprendre. Ceci est extrêmement clair.
De même en est-il des transactions ('uqûd) et prises de possession (qubûdh) qu'il avait faites et dont le caractère illicite ne lui était pas parvenu à cause d'une ignorance pour laquelle il est excusable (…) : selon l'un des deux avis, la règle concernant cet homme au sujet de ces (transactions et prises de possession) est cette même règle, et même a fortiori" (MF 22/11-12).
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Réponse concrète à votre question :
Si votre ignorance du caractère interdit des transactions à intérêt était une ignorance réellement excusable (nous avons expliqué plus haut ce dont il s'agit), et si vous adhérez à cet avis de Ibn Taymiyya, alors il n'est pas nécessaire pour vous de vous défaire de l'argent que vous aviez touché pour ces transactions illicites lorsque vous en ignoriez le caractère illicite.
Repentez-vous malgré tout à Dieu (tawba) pour avoir fait ces transactions qu'Il déteste.
Et, dorénavant, pour le présent et l'avenir, n'ayez plus recours à ce genre de transactions.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).