On peut constater que l'une des choses qui manquent beaucoup aux musulmans actuellement c'est de pratiquer les actions dont parlent les textes en veillant à respecter et à observer aussi bien les règles détaillées (tafsîliyya) que les règles générales (ahkâm kulliyya) qui les concernent.
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Comme nous l'avons expliqué dans un autre article, les règles (ahkâm) qui orientent la vie du croyant sont de plusieurs niveaux :
– Il existe ainsi des règles (ahkâm) qui concernent les éléments (ajzâ') composant une action ('amal). Ces règles, nous les appellerons ici "de niveau extrêmement détaillé" (tafsîlî li-l-ghâya).
Un premier exemple : l'action de manger est composée de plusieurs éléments (ajzâ') : il y a les aliments que l'on consomme (licites ou non), la façon de s'asseoir (le dos appuyé sur quelque chose ou non), le moyen par lequel on porte l'aliment à sa bouche (par la main droite ou par la main gauche), etc. : certains de ces éléments sont 'âdî, d'autres sont ta'abbudî.
Un autre exemple : la prière rituelle (salât) est composée de plusieurs éléments, qui sont tous ta'abbudî : adopter telle et telle postures corporelles, et prononcer telle formule pendant telle posture, etc...
– Il existe aussi, dans les textes, des règles qui concernent un niveau plus général que le précédent : le statut de l'action elle-même. Nous les désignerons ici comme étant les règles "de niveau détaillé" (tafsîlî).
Ainsi, l'accomplissement de la prière rituelle à telle plage horaire est obligatoire : il s'agit ici de l'action que constitue la prière rituelle (sans regard pour les éléments qui composent cette prière, et que nous avons évoqués dans le niveau précédent).
– Ensuite il existe des règles qui sont plus générales encore que le niveau précédent : ce sont celles qui concernent l'objectif (maqsûd) qui est visé par l'action détaillée ('amal du niveau précédent). Cet objectif constitue "un niveau plus général" (kullî).
Ainsi, la prière rituelle – comme les autres actions des 'ibâdât – sont des actions de niveau détaillé ; par leur moyen, il est requis de créer et d'augmenter dans son cœur le lien spirituel avec Dieu, ce qui constitue l'objectif, et est donc une obligation de niveau plus général, à atteindre par le moyen des actions détaillées.
Le fait de manger est aussi obligatoire ; et cela a pour objectif que l'homme ne soit pas sous-alimenté (tout en se préservant du gaspillage et de l'égoïsme) ; cependant, contrairement à ce qu'il a fait pour la prière rituelle, ici l'islam n'a pas enseigné combien de fois par jour il faut manger, lesquels des aliments (qui ne sont pas illicites) il faut préférer manger ; il a, au contraire, laissé latitude à l'homme à ce sujet : il s'agit seulement de ne pas rester volontairement sous-alimenté : ceci est aussi une règle "de niveau plus général".
Il est à noter qu'il peut exister différents degrés dans le caractère général (kullî) et le caractère détaillé (tafsîlî) d'une norme (hukm) : si à un extrême, se trouve un hukm qui est purement général et à un autre extrême un hukm purement détaillé, entre les deux le caractère général ou détaillé est relatif : on trouve ainsi des hukm qui sont détaillés selon certains hukm, et généraux selon d'autres (nous l'avons montré dans l'article traitant de cela).
– Enfin, il existe des règles qui régissent la place de chaque action dans l'ensemble de l'activité de la personne, et dans l'ensemble de la société : ces règles orientent l'homme pour que, de deux actions qui sont toutes deux nécessaires, il sache laquelle est essentielle et laquelle, bien qu'aussi obligatoire, ne doit pas prendre dans le mental ou dans le temps de l'homme une part aussi importante que la première. Quelle place donne-t-on dans ses valeurs et dans sa vie – donc en terme mental et en terme de temps concret – à la prière ? et aux repas ? Ce genre de règles traite donc de la place que l'on donne à l'action dans sa vie ou dans l'ensemble de la société (juz'iyyan, ou kulliyyân ?).
(Fin de citation de cet autre article.)
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Le constat aujourd'hui :
On peut constater que lorsqu'ils cherchent, quant à de nombreux points (massâ'ïl), à respecter les normes (ahkâm) données dans les textes (nussûs), trop de musulmans aujourd'hui manquent à respecter aussi bien les règles détaillées (tafsîliyya) des textes que les règles générales (ahkâm kulliyya) qui en sont le socle et la base.
En d'autres termes, ce qu'on peut constater c'est que, quant à de nombreux points, de trop nombreux musulmans n'ont pas la vue qui dépasse l'application des règles de niveau très détaillé : ils se contentent trop souvent d'appliquer ces règles sans veiller à réaliser aussi les règles de niveau plus général qui constituent ce dont ces règles détaillées ne sont que le prolongement et la ramification.
(Note :
– Les règles relatives à la place de l'action dans la vie ou la société, nous en avons déjà parlé dans un autre article – c'est l'article dont nous avons extrait le passage cité plus haut.
– Les règles concernant les composants (ajzâ') de l'action détaillée, nous en avons parlé dans un autre article et un autre article encore.
– Quelques exemples concrets de l'échelonnement des règles relatives à une action, depuis la règle la plus détaillée - qui fait l'objet de l'impératif le plus visible dans les textes -, jusqu'à la plus générale - qui relève en fait des objectifs essentiels de l'islam -, nous les avons exposés dans un autre article.
– Comme un prolongement de cela, ici, dans cet article, nous parlerons de la nécessité de respecter et d'observer à la fois les règles détaillées relatives à une action donné que les règles d'un niveau plus général dont les détaillées ne sont que la ramification.)
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1) Ne pas : se contenter de mettre en pratique une action ('amal) ou une règle (hukm) sans chercher aussi – lorsqu'il s'agit d'une action qui relève du domaine des 'ibâdât – à réaliser l'objectif que cette action a :
Il est obligatoire de jeûner pendant le mois de ramadan. Et on ne peut prétendre atteindre l'objectif de spiritualité que les jeûnes de ce mois ont sans pratiquer ces jeûnes. Car ceux-ci sont le moyen que Dieu a déterminé (muta'ayyan) pour qu'on atteigne cet objectif. Ils sont donc une nécessité. Cependant, ils sont un moyen. Une nécessité, mais un moyen quand même, et non l'objectif et la finalité. Un nécessaire moyen pour atteindre l'objectif.
Il ne s'agit donc pas de se focaliser sur le moyen en négligeant l'objectif que celui-ci a. C'est bien pourquoi le Prophète a dit : "Celui qui ne délaisse pas la parole de mal et l'action du mal, Dieu n'a pas besoin [= n'agrée pas de sa part] qu'il délaisse sa nourriture et sa boisson [en jeûnant]" (al-Bukhârî 1804).
Un homme vint voir Ibn Mas'ûd et l'informa que la nuit précédente il avait récité l'ensemble des sourates "mufassal" en un cycle de prière (rak'a). Peut-être s'attendait-il à ce que Ibn Mas'ûd le félicite et l'encourage à persévérer dans ce sens. Mais Ibn Mas'ûd, tout au contraire, dit : "Récité comme on récite des vers ? Des gens réciteront le Coran, cela ne dépassera pas leur clavicule ; mais lorsque cela tombe dans le cœur puis s'y enracine, cela est profitable" (Muslim 822).
Lire un autre article au sujet des actions de 'ibâdât. Ces actions de 'ibâdât, bien que ne pouvant pas être reliées avec une règle générale intermédiaire, ont comme principe de permettre l'établissement du lien spirituel avec Dieu. On ne saurait donc se focaliser sur la forme des actions de 'ibâdât, sans aucun égard pour leur objectif aussi. On ne saurait avoir à leur sujet une vision purement juridique (fiqhî), se contentant de penser aux règles juridiques qui les concernent.
Ainsi, les ablutions (wudhû et ghusl) ont une portée spirituelle : les petites ablutions (wudhû) confèreront, le jour du jugement, à celui qui les fait la brillance des membres lavés ; par ailleurs, des péchés faits par les membres qui sont ainsi lavés tombent avec l'eau (tout ceci figure dans des hadîths bien connus). Pendant qu'on fait ses ablutions avant la prière, s'imprègne-t-on au moins de temps en temps de ces réalités, ou notre seule relation avec elles est-elle l'aspect juridique (tant de choses sont obligatoire, telle autre est fortement recommandée, ceci est déconseillé) ?
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2) Ne pas : se contenter de mettre en pratique une action ('amal) ou une règle (hukm) sans chercher – lorsqu'il s'agit d'une règle qui ne concerne pas une action du domaine des 'ibâdât – à réaliser aussi la règle générale (kullî) dont cette règle détaillée (tafsîlî) n'est que le prolongement :
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Un premier exemple :
Dieu dit dans un verset du Coran : "يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا لَا تَدْخُلُوا بُيُوتًا غَيْرَ بُيُوتِكُمْ حَتَّى تَسْتَأْنِسُوا وَتُسَلِّمُوا عَلَى أَهْلِهَا ذَلِكُمْ خَيْرٌ لَّكُمْ لَعَلَّكُمْ تَذَكَّرُونَ فَإِن لَّمْ تَجِدُوا فِيهَا أَحَدًا فَلَا تَدْخُلُوهَا حَتَّى يُؤْذَنَ لَكُمْ وَإِن قِيلَ لَكُمُ ارْجِعُوا فَارْجِعُوا هُوَ أَزْكَى لَكُمْ وَاللَّهُ بِمَا تَعْمَلُونَ عَلِيمٌ لَّيْسَ عَلَيْكُمْ جُنَاحٌ أَن تَدْخُلُوا بُيُوتًا غَيْرَ مَسْكُونَةٍ فِيهَا مَتَاعٌ لَّكُمْ وَاللَّهُ يَعْلَمُ مَا تُبْدُونَ وَمَا تَكْتُمُونَ" : "O vous qui avez apporté foi, n'entrez pas dans des maisons autres que les vôtres sans (en) avoir demandé la permission et en avoir salué les occupants ; ceci est meilleur pour vous, peut-être vous rappellerez-vous. Puis, si vous n'y ressentez (la présence de) personne, n'y entrez (malgré tout) pas, jusqu'à ce que permission vous (en) soit donnée. Et si on vous dit "Retournez", alors retournez, cela est plus pur pour vous. Et Dieu est informé de ce que vous faites. Il n'y a pas de grief sur vous dans le fait que vous entriez [sans demander l'autorisation] dans des maisons non-habitées dans lesquelles se trouve des affaires vous appartenant. Et Dieu sait ce que vous exprimez et ce que vous dissimulez" (Coran 24/27-29).
Le Prophète a lui aussi enseigné dans des hadîths de demander la permission (isti'dhân) avant d'entrer dans la demeure de quelqu'un.
Lorsqu'on a besoin de rendre visite à quelqu'un, on doit bien sûr appliquer cette règle de l'obligation de demander la permission d'entrer. Mais cette règle a un objectif, bien que celui-ci n'ait pas été spécifié dans le verset : c'est que le regard du visiteur ne tombe pas sur quelque chose d'intime à l'intérieur de la maison.
On peut exprimer cette réalité de façon plus schématisée comme suit :
– Entrer dans une demeure autre que la sienne sans en avoir au préalable demandé l'autorisation, cela est interdit ; car cela est fortement susceptible de conduire (dharî'a) à ce que le regard tombe sur des choses intimes présentes dans la maison (règle d'échelon III) ;
– or que le regard de quelqu'un tombe sur des choses intimes dans la maison de quelqu'un d'autre, cela constitue une mafsada ; car cela touche aux bonnes manières de l'homme dans sa vie en société (règle d'échelon II) ;
– or le développement et la préservation des bonnes manières de l'homme dans sa vie en société constitue un des objectifs des enseignements de l'islam (règle d'échelon I).
Il est donc obligatoire (c'est la règle de l'échelon III) de toujours demander l'autorisation d'entrer dans une demeure autre que la sienne et d'attendre que cette autorisation ait été dûment donnée.
Or il ne s'agit pas de se soucier de respecter la règle d'échelon III, qui est une règle purement détaillée (tafsîlî), en oubliant de pratiquer aussi la règle d'échelon II (qui est pourtant la règle plus générale, kullî, relative au même point), au prétexte que seule la première régle est explicitement mentionnée dans le texte du Coran.
Il ne s'agit donc pas de demander l'autorisation d'entrer dans une demeure, et, pendant même qu'on fait cette demande, laisser son regard se promener dans cette maison. Le Prophète l'a explicitement rappelé à un homme qui regardait par un trou (de la porte) d'un appartement du Prophète : "إنما جعل الإذن من قبل البصر" : "La demande d'autorisation d'entrer n'a été instituée qu'en raison du regard" (al-Bukhârî, 6505, Muslim, 2156). On voit le Prophète rappeler à cet homme qu'il ne s'agirait pas de se contenter de mettre en pratique la forme (zâhir) de l'action ayant été instituée (demander la permission d'entrer), tout en contredisant, par sa façon de faire, l'objectif même pour lequel cette action a été instituée. Ibn Hajar écrit : "Ainsi, celui qui [s'est] astreint à demander la permission à cause de ce hadîth [ou du verset], tout en se détournant du principe (ma'nâ) pour lequel cela a été institué, celui-là n'a pas agi selon l'exigence du hadîth [ou du verset]" : "واستدل بقوله من أجل البصر على مشروعية القياس والعلل فإنه دل على أن التحريم والتحليل يتعلق بأشياء متى وجدت في شيء وجب الحكم عليه. فمن أوجب الاستئذان بهذا الحديث وأعرض عن المعنى الذي لأجله شرع، لم يعمل بمقتضى الحديث. واستدل به على أن المرء لا يحتاج في دخول منزله إلى الاستئذان لفقد العلة التي شرع لأجلها الاستئذان؛ نعم لو احتمل أن يتجدد فيه ما يحتاج معه إليه شرع له. ويؤخذ منه أنه يشرع الاستئذان على كل أحد حتى المحارم لئلا تكون منكشفة العورة" (Fat'h ul-bârî 11/32).
Plus encore : il s'agit même, lorsqu'on demande l'autorisation d'entrer dans une demeure, de le faire d'une façon qui évitera ne serait-ce que le risque que son regard tombe involontairement sur des choses se trouvant dans cette maison. Huzayl relate qu'un homme vint devant l'un des appartements du Prophète et demanda la permission d'entrer ; mais il se plaça face à l'entrée ; or, en ces temps-là, relate par ailleurs Abdullâh ibn Busr, il n'y avait pas de rideau sur la porte d'entrée des demeures ; Huzayl relate que le Prophète dit alors à l'homme : "De cette façon, de toi, ou de cette façon ! [= Pas en faisant face à la porte d'entrée, mais en te tenant à droite ou à gauche de cette porte !] Car la demande de permission n'a été (instituée) qu'à cause du regard" : " حدثنا عثمان بن أبي شيبة، حدثنا جرير، (ح) وحدثنا أبو بكر بن أبي شيبة، حدثنا حفص، عن الأعمش، عن طلحة، عن هزيل، قال: جاء رجل - قال عثمان -: سعد، فوقف على باب النبي صلى الله عليه وسلم يستأذن، فقام على الباب - قال عثمان: مستقبل الباب -. فقال له النبي صلى الله عليه وسلم: "هكذا - عنك - أو هكذا، فإنما الاستئذان من النظر" (Abû Dâoûd 5174). "عن عبد الله بن بسر، قال: كان رسول الله صلى الله عليه وسلم إذا أتى باب قوم لم يستقبل الباب من تلقاء وجهه، ولكن من ركنه الأيمن، أو الأيسر، ويقول: "السلام عليكم، السلام عليكم"؛ وذلك أن الدور لم يكن عليها يومئذ ستور" (Abû Dâoûd 5186).
(Quant au propos de Ibn Abbâs rapporté par Abû Dâoûd, n° 5192, l'absence de rideaux y est aussi évoquée, mais cette fois il s'agit de l'absence de rideaux à l'intérieur des demeures, et à propos d'une autre règle : celle de la nécessité, pour les enfants résidant à l'intérieur de ces demeures, de demander la permission d'entrer à trois moments de la journée.)
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Un second exemple :
Une musulmane réunionnaise qui est de la génération de mes parents m'interpella un jour en me disant en substance : "Je voudrais te relater quelque chose qui m'a interpellée : tout à l'heure j'étais sur le perron du magasin, et j'ai vu une jeune musulmane passer qui portait un hijâb sur sa chevelure, ainsi qu'un chemisier aux manches longues, mais son chemisier et ses pantalons étaient moulants, de sorte qu'ils laissaient deviner et même mettaient en valeur toutes les formes. D'ailleurs j'ai surpris les regards de certains passants, qui ne se privaient pas de contempler. Je le reconnais, je ne porte pas le hijâb sur ma chevelure, alors que cela est obligatoire, mais ma tenue vestimentaire à moi, avec des pantalons amples et une tunique longue et ample, n'est-elle pas plus conforme aux enseignements de l'islam qu'une tenue comportant un hijâb mais aussi une tunique et des pantalons moulants ?"
Je lui ai répondu en substance : "En fait les deux tenues présentent des manquements par rapport aux enseignements obligatoires de l'islam : la tenue que vous décrivez est effectivement éloignée, elle aussi, de ces enseignements, même si elle comporte un foulard et que les parties devant être recouvertes par des vêtements le sont."
En effet, il ne s'agit pas de penser avoir respecté la directive divine en se contentant de dissimuler des regards sa chevelure par un petit foulard posé sur sa tête, tout en portant des pantalons et un chemisier qui révèlent les formes !
Le fait pour la femme de se couvrir la chevelure devant les hommes qui ne sont ni son mari ni ses proches parents, cela est une règle détaillée (tafsîlî), mais qui a un objectif : elle est motivée par la nécessité (wujûb, obligation) de ne pas laisser découvert, devant les regards de tout un chacun, ce qui fait naturellement les atours physiques des personnes.
– Pour une femme, dissimuler des regards sa chevelure, cela est obligatoire (règle d'échelon IV) ; cet impératif est mentionné dans les textes ;
– car la chevelure fait partie des atours physiques conséquents de la femme ; or ce qui constitue un de ses atours physiques conséquents, le fait de le dissimuler par des vêtements, cela est une maslaha (règle d'échelon III) ;
– car cela évite les risques de regards de délectation que des gens autre que son conjoint pourraient diriger vers ces atours ; or faire son possible pour éviter que les regards de délectation d'un autre que son conjoint se posent sur ses atours est une maslaha (règle d'échelon II) ;
– car cela préserve la pudeur (al-hayâ') de part et d'autre, laquelle est nécessaire pour la préservation de la spiritualité (laquelle fait partie du dîn) et des bonnes manières sociales (échelon I).
On ne saurait de contenter de pratiquer les deux règles détaillées (hukm tafsîlî) qui sont ici "d'échelon IV et III" ("devant autre que son mari, porter des vêtements sur les parties du corps qui font partie des atours physiques conséquents, et notamment sur sa chevelure") et négliger de réaliser l'objectif (al-ma'nâ) que cette règle détaillée a, lequel objectif constitue lui-même une règle plus générale (hukm kullî), d'échelon II ("faire son possible pour éviter que les regards de délectation d'un autre que son conjoint se posent sur ses atours").
Le Prophète avait d'ailleurs décrit et déploré l'apparition, ultérieure à son époque, de "femmes habillées-dénudées ("kâssiyât 'âriyât")" (Muslim, 2128)... Ce hadîth met une nouvelle fois en exergue qu'on ne saurait appliquer la règle tafsîlî sans appliquer aussi la règle kullî dont elle est censée être le prolongement : si on porte des vêtements, c'est notamment pour que ceux-ci dissimulent son corps d'éventuels regards, et non pas pour qu'ils en suggèrent les formes et nous fassent participer au jeu de la séduction non-dite.
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Un troisième exemple :
– L'adoption, par le musulman, de l'apparence extérieure du non-musulman, cela est une mafsada et est par conséquent interdit (règle d'échelon III) ;
– car cela constitue une dharî'a vers l'adoption des valeurs et des croyances contraires à celles qu'enseigne l'islam ; or l'adoption, par le musulman, des valeurs et des croyances contraires à celles qu'enseigne l'islam constitue une mafsada (règle d'échelon II) ;
– car cela touche gravement au dîn (règle d'échelon I).
Le musulman doit donc s'abstenir d'adopter l'apparence extérieure du non-musulman (règle d'échelon III).
(Maintenant ce qui constitue l'apparence extérieure du non-musulman, cela est de plusieurs degrés :
– il y a ce qui constitue un signe formel qu'on n'est pas du tout musulman ;
– il y a ce qui contredit une règle de l'islam, mais sans signifier que son porteur est non-musulman ;
– enfin il y a ce qui relève de la permission originelle.
L'adoption d'un signe du premier type n'est de même niveau que celle d'un signe du troisième type, où c'est seulement l'apparence générale qui compte : nous avons parlé de tout cela de façon détaillée dans un autre article (cliquez ici pour découvrir les différents cas de figure qui s'y trouvent).)
Or il ne s'agit pas de se soucier de pratiquer la règle d'échelon III sans se soucier aussi de pratiquer la règle, plus générale, d'échelon II : il ne s'agit pas de veiller à ce qu'on n'adopte aucune coupe de vêtement qui provienne de chez des non-musulmans (même si cela relève en fait et à mieux y regarder de la permission originelle) et, dans le même temps, exprimer par sa langue des croyances ou des considérations éthiques qui contredisent formellement celles des sources musulmanes et proviennent de sources non-musulmanes.
On ne peut pas d'une part dire : "Il est hors de question qu'on dise qu'il est autorisé de manger avec une fourchette tenue dans la main droite ! Cela, c'est imiter les non-musulmans" (alors que ceci relève seulement d'un amr 'âdî, donc autorisé), et d'autre part, constatant que, ayant fait face plusieurs fois à des propos déplacés (relevant des huqûq ul-'ibâd), quelqu'un s'est décidé à se défendre et à rendre la pareille, s'exclamer : "C'est mauvais de faire ainsi !"
Voilà qui est fort étrange... N'est-ce pas là déclarer mauvais ce que le Coran dit autorisé, et ce par l'adoption d'une valeur d'un dîn autre que l'islam ? En effet, le Coran recommande le pardon face à l'injustice qu'on a subie, mais autorise explicitement que l'on rende la pareille : "A ceux-là, aucun reproche ne peut être fait" (Coran ). N'est-ce donc pas là une tashabbuh autrement plus grave que celle qui a lieu dans des éléments âdî ? N'est-ce pas s'abstenir d'un élément par précaution, sadd ud-dharî'ah, tout en ne voyant aucun mal à commettre l'interdit fondamental, celui-là même que ce sadd udh-dharî'a est justement censé faire éviter ?
Comment comprendre que l'on dise : "Le musulman doit porter des vêtements qui montrent son islamité", mais que l'on dise aussi : "Les ulémas ont des avis divergents sur le même point ! Qu'ils soient fondés ou pas, ce n'est pas notre affaire, mais il faut qu'ils n'émettent tous qu'un seul avis !" N'est-ce pas là, une nouvelle fois, tomber dans la tashabbuh avec les nassârâ à propos de quelque chose de dînî ?
Les autorités du Pakistan avaient, en l'an 1404 a.h. (1984 a.g.), proposé aux grands ulémas de leur pays de mettre en place une Institution pour l'émission d'avis sur des points dînî. Invité lui aussi, Muftî Taqî Uthmânî fit alors un discours ; il y dit qu'il trouvait que la démarche "était bien" ("atchî bât hé"), mais il tint à faire également quelques rappels, notamment celui-ci : "A ce sujet j'ai à faire une déclaration de principe : Regardez dans toute l'histoire de ces quatorze siècles, il vous apparaîtra que l'islam n'a pas, comme le Catholicisme, mis en place pour l'effort de recherche une Organisation d'Autorité (Clergé *). Une institution qui est telle que sa parole serait Parole Finale et après celle-ci personne n'aurait plus le droit de rien dire, une pareille institution vous ne trouverez pas en Islam. C'est dans le Catholicisme que lorsque le Pape dit quelque chose et explique la religion, personne ne peut ensuite plus rien dire sur le sujet ; il est considéré comme au-dessus de toute erreur (…) C'est pourquoi, si en mettant en place une Structure pour l'effort de recherche on a cette impression que cela sera une Institution d'effort de recherche qui aura le statut de Parole Finale ("harf-é âkhir") et ensuite pour les autres ulémas il ne sera plus possible d'émettre un avis différent, cela n'est à mon avis pas non plus correct" (Islam aur djiddat passandî, pp. 94-95). (* : en anglais dans le texte).
Et que dire quand on fustige ceux qui s'habillent à l'européenne mais qu'on ne voit aucun mal à aller assister à la messe à l'intérieur de l'église, au motif cette fois d'une maslaha (li 'âridh) ?
Cheikh Thânwî l'avait pourtant bien écrit : "(...) تشبه فی الامر الدنیوی سے تشبه فی الامر الدینی اشد هے (...)" : "L'imitation dans l'élément dînî est plus grave que l'imitation dans l'élément dunyawî [='âdî]" (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 144).
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Un quatrième exemple :
Il y a des frères qui, te voyant debout ou assis, vont incurver leur trajectoire, prendre ta direction et arriver vers toi en préparant la main (ou même les deux mains). Voyant s'approcher un frère qui avance ses mains, tu prépares également ta (ou tes) main(s) pour la poignée de mains qu'il va te faire, et ton visage se prépare à sourir (conformément à la Sunna du Prophète, qui enseigne cela)… Mais là, surprise, surprise ! quand ils serrent ta main (mussâfaha) en te disant "As-salâmu 'alaykum", c'est en plongeant dans ton regard deux yeux étincelants de méchanceté et en te montrant un visage rendu sombre par la haine.
La forme a été pratiquée : le salâm a été fait, et même la mussâfaha. Mais l'un des objectifs pour lesquels le salâm a été institué et qui constitue lui aussi une action qu'il est obligatoire de réaliser, lui a été bafoué.
Car voici ce que la Sunna enseigne : "Vous n'entrerez pas dans le Paradis jusqu'à ce que vous ayez la foi. Et vous n'aurez pas la foi [au degré complet obligatoire] jusqu'à ce que vous vous aimiez les uns les autres. Ne vous montrerais-je pas quelque chose qui est tel que, lorsque vous le ferez, vous vous aimerez ? Répandez le salâm parmi vous" (Muslim, 54, at-Tirmidhî, Abû Dâoûd). On voit ici que développer non pas la haine mais l'affection pour les autres, cela est une action obligatoire (car sinon on n'aura pas la foi complète obligatoire et on risque de faire un séjour temporaire dans la Géhenne) ; et que le salâm constitue un des moyens pour réaliser cet objectif.
Refuser, pour cause de rancœur, de faire salâm (dire "As-salâmu 'alaykum") pendant plus de trois jours, cela est interdit. Mais pratiquer la règle de façon littérale (dire "As-salâmu 'alaykum" et, plus encore, se déplacer pour faire la "mussâfaha") tout en voulant montrer qu'on a de la haine pour la personne, faisant alors l'exact contraire de ce que le Prophète a assigné ici comme objectif à cette action ("développer l'affection entre les uns et les autres"), est-ce autorisé ? n'est-ce pas tomber dans le respect de la forme de l'action seulement, tout en en délaissant volontairement l'objectif aussi ?
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).