Ar-Reyssûnî souligne que face à une question juridique ou éthique (mas'ala) entièrement nouvelle, le juriste devrait chercher prioritairement à faire un qiyâs ush-shumûl à partir des règles générales (ahkâm kulliyya) de l'islam, au lieu de chercher immédiatement à faire un qiyâs ut-tamthîl à partir des règles détaillées (ahkâm tafsîliyya) présentes dans les textes. Ceci ne signifie pas qu'il ne soit pas nécessaire, ensuite, de chercher à faire aussi un qiyâs ut-tamthîl : au contraire, après le qiyâs ush-shumûl et dans le cadre de la piste que celui-ci a tracée, le qiyâs ut-tamthîl devient parfois impératif, afin de trouver les nuances se rapportant à la question posée. Mais c'est la priorité que ar-Reyssûnî évoque.
Il écrit :
"Nous observons que beaucoup d'illustres juristes, lors de leur recherche de la norme (hukm) juridique [relative à une nouvelle question, mas'alah]" "se réfèrent peu aux principes, objectifs et règles généraux de la Shar'. Il est rare qu'ils en fassent un référent décisif à propos d'une question donnée ; si certains se tournent vers quelque chose de cela, la plupart du temps ce n'est qu'en guise d'introduction, ou comme entrée en matière sur le plan littéraire."
Ce qu'ils font plutôt c'est qu'"ils rassemblent sur le sujet tout ce qu'ils ont comme textes détaillés ayant un lien (avec le sujet), comme propos de ulémas antérieurs et postérieurs et comme analogies et similitudes. Parmi cela il est des éléments qui ne sont pas explicites, ou ne correspondent pas, ou sont d'un lien faible, avec la situation ou le problème qui est l'objet de la recherche."
Ar-Reyssûnî raconte ainsi avoir regardé un jour un programme télévisuel dont l'émission était consacrée au problème des accidents de la route et des malheurs qu'ils engendrent sur les vies, l'intégrité physique et les biens matériels. Il dit : "On avait fait venir un des juristes islamiques (ahad ul-fuqahâ') pour qu'il traite du problème selon l'angle islamique et qu'il expose les règles (ahkâm) de l'islam sur cette question."
Or, poursuit-il, "le juriste s'est mis à présenter tout ce qu'il pouvait, en termes de références textuelles et de propos juridiques, au sujet de : le chemin ; les bonnes manières (âdâb) d'(utiliser le) chemin ; les règles (ahkâm) de l'utilisation du chemin ; les qualités de prendre son temps (ta'annî), de ne pas se précipiter, d'avoir de la douceur dans le comportement, d'être de conduite facile et de laisser les autres passer avant soi ; l'obligation de bien agir envers la monture et de ne pas l'épuiser par la vitesse ou par le fait de transporter charge plus lourde que sa capacité."
Ar-Reyssûnî poursuit : "Il était évident pour moi que le juriste a emprunté là un chemin très fatiguant mais de peu de profit. Car ce qu'il a mentionné comme références textuelles, de règles et de bonnes manières demande un grand effort pour être relié avec le thème (dont il était question) et pour indiquer ce qui était recherché ; à la fin, l'objectif recherché peut être atteint (dans une certaine dimension) comme il peut ne pas être atteint ; ou il peut être atteint (mais) avec très peu d'effet. Car ce (juriste) argumentait à partir de références textuelles et de règles qui ont été prononcées à propos de questions qui sont grandement et essentiellement diverses ; et certaines références ne contenaient pas plus que bonnes manières et avantages seulement recommandés, qui n'en imposent à personne et ne repoussent personne.
La voie qui aurait été plus efficace – sans effort – aurait été le fait d'argumenter à partir des règles générales (kulliyyât).
Le juriste aurait dû en premier lieu savoir et reconnaître que ce problème – comme des milliers d'autres – est nouveau, et qu'on ne trouve pas de référence textuelle et règles détaillées qui traitent particulièrement et directement de lui. Or, en pareil cas, c'est se référer aux règles et aux objectifs généraux (kullî) de la Shar' qui s'impose. Le problème présenté est lié aux torts immenses qui atteignent les hommes dans leur vie, leur intégrité physique et leurs biens matériels.
Si le juriste regarde alors le problème par le biais des règles générales, les règles liées à ce (problème) et ce que celui-ci requiert apparaissent clairement.
Il s'agit alors pour le (juriste) de convoquer les références textuelles générales qui traitent de la protection de la vie, de l'intégrité physique et des biens matériels ; et ces références sont fortes et suffisantes.
Il s'agit pour le (juriste) de placer ce problème dans le cadre des cinq objectifs supérieurs que les religions et les législations sont unanimes à considérer, à protéger et à considérer comme étant les intérêts supérieurs de l'espèce et de la vie humaines.
Il s'agit pour lui de traiter de ce problème selon le principe des maslaha et mafsada, ou manfa'a et dharar.
Par toutes ces entrées – qui peuvent être amalgamées l'une à l'autre –, apparaissent : ce qu'il faut émettre comme règle ; les choses obligatoires et les choses interdites ; ainsi que les solutions et les sanctions.
De la sorte le chapitre du regard (nazar) et de l'effort (ijtihâd) s'élargit, et se libère des citations et analogies forcées."
Ar-Reyssûnî conclut : "Ceci s'applique à toutes les affaires nouvelles, qui sont totalement différentes des affaires anciennes à propos desquels il existe des références textuelles particulières, ou des efforts d'élaboration juridiques circonstanciés. Déplacer ces références et ces efforts de ce qu'ils concernent réellement et les convoquer pour des choses qui en sont différentes tant en leurs qualités qu'en leur réalité, cela constitue une citation forcée et injuste vis-à-vis de ces références et de ces efforts, comme cela l'est vis-à-vis des hommes et de leur maslaha. Nous affranchit de cette citation abusive : le fait de nous référer aux règles et aux formules de la shar' qui sont générales, et qui n'ont été formulées de cette façon générale qu'afin de secourir les hommes par leur généralité, laquelle englobe d'innombrables nouveaux cas détaillés.
Il nous est aussi possible, à un même degré de référence, de nous référer aux principes généraux qui ont été obtenus par induction (istiqrâ') à partir d'une somme de règles détaillées (tafsîliyya).
Shihâb ud-dîn az-Zanjânî a relaté que l'imam ash-Shâfi'î considérait possible de se référer aux maslaha qui s'appuient sur les principes généraux de la Shar' lorsqu'ils n'existe pas de textes qui témoignent de façon détaillée de ces (maslaha)" (Al-Kulliyyât ul-assâssiyya li-sh-sharî'at il-islâmiyya, ar-Reyssûnî, pp. 117-119).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).