Dans un précédent article, nous avons parlé de la complémentarité existant entre règles détaillées (ahkâm tafsîliyya) et règles plus générales (ahkâm kulliyya) de l'islam.
Ceci nous a amené, dans un autre article, à souligner les manquements dont trop souvent nous musulmans faisons preuve dans notre effort pour respecter les normes : lorsque nous pratiquons une action donnée, nous veillons à respecter une règle détaillée (tafsîlî) concernant l'action, mais négligeons totalement de respecter également la règle plus générale (kullî) qui concerne également cette action, et qui constitue d'ailleurs le fondement de cette règle détaillée et qui est donc, par rapport à cette action, "de même entrée que" cette règle détaillée.
Ici, dans le présent article, nous allons souligner d'autres manquements que nous musulmans avons parfois : lorsque nous pratiquons une action ('amal) donnée, nous nous contentons de mettre en pratique la règle détaillée (tafsîlî) la concernant, sans chercher à mettre aussi en pratique la règle plus générale (kullî) concernant elle aussi cette action, bien qu'étant "d'entrée différente de" la règle détaillée (tafsîlî)...
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Un premier exemple : S'interdire formellement, même en actes seulement, de se raser la barbe, par souci d'obéir à l'impératif évoqué par le Prophète (sur lui soit la paix), mais n'avoir aucun état d'âme à être totalement malhonnête dans ses transactions :
Garder la barbe est une règle détaillée (tafsîlî), qui est reliée à la règle générale de préserver ce qui fait l'apparence que Dieu agrée pour un homme (nafs) (cliquez ici). D'après la plupart des ulémas, se raser la barbe est interdit (harâm / mak'rûh tahrîmî).
Mais être honnête dans ses transactions, cela est une règle beaucoup plus générale (kullî), de laquelle se ramifient plusieurs règles détaillées. Et être malhonnête dans ses transactions, en mentant, trompant et volant, cela est foncièrement interdit (harâm).
Or on voit hélas un certain nombre de coreligionnaires qui arborent la barbe – ce qui est un bien – mais avec qui il vaut mieux ne jamais être en affaires si on ne veut pas se faire rouler.
Ce sont pourtant les deux qui devraient être pratiqués par le musulman : être honnête dans ses transactions ; et ne pas se raser la barbe.
Par contre, si on se focalise sur la pratique d'une règle telle que la barbe parce que cela "saute aux yeux" et qu'on délaisse la pratique d'une autre règle telle que l'honnêteté parce que cela "ne se voit pas", bien que cette seconde règle soit encore plus obligatoire que la première, c'est qu'il y a un grave manquement dans sa compréhension.
Mon père nous a raconté comment, récemment, sur insistance d'un ami à lui, il a bien voulu vendre un bien matériel à un jeune musulman qui débutait dans son métier, contre paiement à crédit. L'ami de mon père avait un lien familial indirect avec ce jeune, et comme il intercédait en faveur de ce dernier, mon père accepta. L'apparence de ce jeune coreligionnaire témoignait en sa faveur : longue djellaba, grande barbe… Le jeune lui remit deux chèques et, arguant qu'il débutait dans le métier, lui demanda expressément de ne verser chaque chèque qu'à telle et telle dates. A la date voulue, ayant versé le premier chèque, mon père vit cependant celui-ci retourner avec mention, de la part de la banque : "Chèque retourné pour cause opposition du propriétaire". Ayant pris contact avec la banque, mon père s'entendit dire que le propriétaire de ces chèques avait fait opposition car il avait "égaré son chéquier et pensait bien que quelqu'un le retrouverait et l'utiliserait" ! Abasourdi, mon père prit contact avec le jeune coreligionnaire et lui dit : "Tu me demandes une faveur, et ensuite tu me fais un coup de ce genre ! Tu me donnes deux chèques pour me payer, en me disant que tu débutes, et ensuite tu pars à la banque dire que tu as perdu ces chèques ! J'aurais donc volé un chéquier que j'aurais trouvé dans la rue ?" Sans se démonter aucunement, voilà ce jeune musulman parlant à droite et à gauche, très sûr de lui, pour, au final, envoyer mon père se promener dans les roses. Au bout de plusieurs tentatives infructueuses, mon père alla voir une dernière fois ce jeune et lui dit : "De pareilles magouilles ne sont pas compatibles avec une apparence qui se veut être celle de l'islam. Autant te raser la barbe et enlever la djellaba, comme ça on ne sera plus trompé en faisant confiance à des gens qui suivent le Prophète en fait dans leur apparence uniquement."
Voilà ce qui arrive et qui continuera d'arriver si, à la Réunion par exemple, on n'essaie pas de comprendre et d'expliquer que suivre le modèle du Prophète, ce n'est pas respecter les règles tafsîlî les plus visibles et les plus apparentes telles que garder la barbe, tout en ne voyant aucun problème à ne pas respecter des règles kullî encore plus importantes, telles que être honnête dans ses transactions ; c'est suivre son modèle aussi bien dans l'apparence physique que dans ses relations avec autrui...
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Un second exemple : Par rapport aux ingrédients entrant dans la composition d'aliments, considérer leur conformité avec les règles du rituel, mais pas leur conformité avec des règles plus générales, liées à leur dimension sanitaire ou éthique :
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Un troisième exemple : destruction de bâtisses historiques pour mettre fin à la bid'a, mais édification à leur place de bâtiments modernes rutilants :
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).