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– A) En soi, "Dîn" (au sens de : "ما به يُدانُ") signifie : "Voie ; Doctrine ; Code de conduite" : "طريق العَمَل". Dès lors, ce qui constitue la Voie que Dieu agrée ("ما به يُدانُ الله" / "ما به يُعْبَدُ الله"), cela est nommé : "Dîn de Dieu" : "إِذَا جَاء نَصْرُ اللَّهِ وَالْفَتْحُ {110/1} وَرَأَيْتَ النَّاسَ يَدْخُلُونَ فِي دِينِ اللَّهِ أَفْوَاجًا {110/2} فَسَبِّحْ بِحَمْدِ رَبِّكَ وَاسْتَغْفِرْهُ إِنَّهُ كَانَ تَوَّابًا {110/3}" :
– Le Dîn ullâh consiste en l'ensemble des enseignements de la Voie apportée par le prophète Muhammad (sur lui soit la paix).
– Mais, même considéré de façon individuelle, chaque enseignement de cette Voie est appelé : "Dîn de Dieu".
Pour plus de détails, lire : Le terme "Dîn" a été employé dans le Coran (entre autres) dans les formules suivantes : "دِين الْمَلِكِ", "دِين أَهْل الْكِتَابِ", "دِين اللَّهِ". Que signifie donc le terme coranique "Dîn" ?
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– Or) On emploie également ce terme "Dîn" par opposition à "Dunyâ" : ce que "Dîn" désigne alors est : ce qui est différent et distinct de ce que le terme "Dunyâ" désigne.
Dans cette distinction "Dîn / Dunyâ", 2 découpages différents existent :
– A') Un premier découpage "Dîn / Dunyâ" se situe au niveau des Eléments :
--- "Dîn" désigne l'ensemble des éléments Ta'abbudî (ce qui rejoint le sens premier – et général – du terme "Dîn", évoqué en A), c'est-à-dire l'ensemble de ce que le Prophète a apporté (que cela soit présent dans le Coran ou la Sunna), qu'il s'agisse de croyances pures ou de normes concernant les actions, et que ces normes concernent les actions intérieures (du coeur) ou les actions extérieures ; et ce, que ces actions soient temporelles (Dunyawî au sens B) ou religieuses (Dînî au sens B) ;
--- "Dunyâ" désigne, à l'opposé, les éléments 'Âdî, que les sources de l'islam n'ont pas vocation à enseigner.
Le Prophète Muhammad (sur lui la paix), originaire de la cité commerçante de la Mecque, émigré dans la cité agricole de Yathrib (qui s'appellera désormais Médine), voyant la fécondation des dattiers être pratiquée, fit cette remarque : "Je ne pense pas que cela serve à grand-chose." Les Compagnons s'en abstinrent donc. La récolte de dattes ayant été ensuite médiocre, il dit : "Vous connaissez mieux les affaires de votre Dunyâ" ; "Mais lorsque je vous ordonne quelque chose de votre Dîn, prenez-le" :
"عن رافع بن خديج قال: قدم نبي الله صلى الله عليه وسلم المدينة، وهم يأبرون النخل، يقولون يلقحون النخل، فقال: "ما تصنعون؟" قالوا: كنا نصنعه، قال: "لعلكم لو لم تفعلوا كان خيرا" فتركوه، فنفضت أو فنقصت، قال فذكروا ذلك له فقال: "إنما أنا بشر، إذا أمرتكم بشيء من دينكم فخذوا به؛ وإذا أمرتكم بشيء من رأيي، فإنما أنا بشر" (Muslim, 2362).
"عن حماد بن سلمة، عن هشام بن عروة، عن أبيه، عن عائشة، وعن ثابت، عن أنس، أن النبي صلى الله عليه وسلم مر بقوم يلقحون، فقال: "لو لم تفعلوا لصلح" قال: فخرج شيصا، فمر بهم فقال: "ما لنخلكم؟" قالوا: قلت كذا وكذا، قال: "أنتم أعلم بأمر دنياكم" (Muslim, 2363).
Le terme "Dîn" désigne ici non pas seulement les actions instituées uniquement ou essentiellement pour apporter un bienfait de l'au-delà (ce qui constitue le sens que nous allons voir en B), mais tous les enseignements de l'islam : les actions purement cultuelles, mais aussi les normes s'appliquant aux actions purement temporelles : ces normes relatives aux actions temporelles sont aussi "du Dîn".
Et "Dunyâ" veut dire ici : éléments purement temporels ('âdî), que les sources de l'islam ne sont pas venues enseigner.
Nous avons traité de cette distinction entre Dîn et Dunyâ dans notre article : L'islam fait-il une distinction entre temporel et religieux ?.
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– B) Or il existe un autre découpage "Dîn / Dunyâ", lequel se situe quant à lui au niveau des Actions elles-mêmes :
--- "Dîn" a ici un sens restreint : il désigne seulement ce qui relève du spirituel et du religieux ; en un mot ce qui est destiné à servir uniquement ou essentiellement par rapport à la dimension du Ghayb / dans l'au-delà, (d'où parfois, comme synonyme de l'adjectif "Dînî", l'adjectif "ukhrawî", comme par exemple dans les expressions "Fâ'ïda Dunyawiyya" et "Fâ'ïda Ukhrawiyya") ;
--- tandis que "Dunyâ" désigne ce qui relève du temporel ; c'est-à-dire ce qui est destiné à servir uniquement ou essentiellement dans cette vie terrestre ; en d'autres termes ce qui relève du physique, du mental, du familial, du financier, du social, etc.
Par contre, il est vrai que plusieurs choses relevant de ce Dunyâ (au sens B) sont obligatoires d'après les règles Dînî (cette fois au sens A) ; par exemple manger, boire, fonder une famille, travailler pour se nourrir et nourrir sa famille, etc., sont requis par le Dîn : Les règles (أحكام) qui orientent la vie du croyant sont de plusieurs niveaux.
Cette distinction entre Dîn et Dunyâ avec ce sens B transparaît clairement dans les hadîths suivants :
----- "عن أنس قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "حبب إلي من الدنيا النساء والطيب؛ وجعل قرة عيني في الصلاة" :
"M'ont été rendues aimés du Dunyâ : les femmes et le parfum.
Et la fraîcheur de mes yeux a été placée dans la prière" (an-Nassâ'ï, 3939).
Avoir des femmes avec qui on peut vivre de façon licite, et se parfumer, sont deux choses ayant été instituées (car déclarées obligatoires ou recommandées) par le Dîn (au sens A du terme) ; mais ces actions ont été instituées pour apporter des bienfaits d'ordre temporel ; c'est pourquoi elles ont été désignées comme appartenant au "Dunyâ" (au sens B du terme) (par ailleurs c'est, selon un des deux avis, la dimension de "mu'âmala" qui domine celle de "'ibâda" dans le mariage).
A la différence de l'accomplissement de la prière : celle-ci est chose également enseignée par le Dîn (au sens A du terme), mais ayant été instituée pour conférer à l'homme une avancée d'ordre spirituel, et qui relève donc "du Dîn" (cette fois au sens B du terme).
Ibn ul-Qayyim écrit en commentaire de ce hadîth : "صح عنه صلى الله عليه وسلم من حديث أنس رضي الله عنه أنه صلى الله عليه وسلم قال: "حبب إلي من دنياكم: النساء والطيب، وجعلت قرة عيني في الصلاة": هذا لفظ الحديث. ومن رواه "حبب إلي من دنياكم ثلاث"، فقد وهم، ولم يقل صلى الله عليه وسلم ثلاث، والصلاة ليست من أمور الدنيا التي تضاف إليها" : "Celui qui a relaté ce hadîth (ainsi : ) "M'ont été rendues aimées du Dunyâ trois choses…" celui-là s'est trompé : le Prophète n'a pas dit : "trois choses". La prière ne fait pas partie des choses du Dunyâ, qui sont rattachées au (Dunyâ)" (Zâd ul-ma'âd 1/151).
Se marier avec des femmes et se parfumer sont donc des actions dites "du Dunyâ".
Tandis que la prière est, elle, une "action du Dîn".
----- "عن أنس عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: «بحسب امريء من الشر أن يشار إليه بالأصابع في دين أو دنيا إلا من عصمه الله" : "Il suffit pour l'homme, comme [facteur de risque du] mal, qu'il soit désigné [élogieusement] à propos de quelque chose de Dîn ou de Dunyâ. N'est à l'abri que celui que Dieu protège" (Mishkât ul-massâbîh, 5326).
--- "عن عبد الله بن مسعود، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إن الله قسم بينكم أخلاقكم، كما قسم بينكم أرزاقكم، وإن الله عز وجل يعطي الدنيا من يحب ومن لا يحب، ولا يعطي الدين إلا لمن أحب؛ فمن أعطاه الله الدين، فقد أحبه. والذي نفسي بيده، لا يسلم عبد حتى يسلم قلبه ولسانه، ولا يؤمن حتى يأمن جاره بوائقه." قالوا: وما بوائقه يا نبي الله؟ قال: "غشمه وظلمه. ولا يكسب عبد مالا من حرام، فينفق منه فيبارك له فيه، ولا يتصدق به فيقبل منه، ولا يترك خلف ظهره إلا كان زاده إلى النار؛ إن الله عز وجل لا يمحو السيئ بالسيئ، ولكن يمحو السيئ بالحسن، إن الخبيث لا يمحو الخبيث" : "Dieu donne le Dunyâ à celui qu'Il aime et à celui qu'Il n'aime pas ; (mais) Il ne donne le Dîn qu'à celui qu'Il aime" (Ahmad, 3672, dha'îf).
----- Le célèbre hadîth de Hanzala, quand le Prophète dit à celui-ci : "عن حنظلة الأسيدي، قال: قلت: نافق حنظلة يا رسول الله. فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم وما ذاك؟ قلت: يا رسول الله نكون عندك، تذكرنا بالنار والجنة، حتى كأنا رأي عين، فإذا خرجنا من عندك، عافسنا الأزواج والأولاد والضيعات، نسينا كثيرا فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: والذي نفسي بيده لو تدومون على ما تكونون عندي، وفي الذكر، لصافحتكم الملائكة على فرشكم وفي طرقكم، ولكن يا حنظلة ساعة وساعة. ثلاث مرات" : "Si vous restiez constamment dans (l'état dans) lequel vous vous trouvez lorsque vous êtes en ma compagnie et (lorsque vous êtes occupés à vous) souvenir de Dieu ("wa fi-dh-dhikr"), les anges vous serreraient la main quand vous vous trouvez sur vos lits et sur les chemins. Mais, ô Hanzala, un temps et un autre temps ("sa'atan wa sâ'atan") !" (Muslim 2750).
Il s'agit de consacrer "un temps pour les actions Dînî" (au sens B de ce terme) et d'accorder "un autre temps pour les actions Dunyawî" (toujours au sens B du terme) (ces actions Dunyawî devant bien entendues être vécues dans le respect des règles Dînî – cette fois au sens A du terme, voir plus haut).
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Attention au sens avec lequel certains termes sont employés !
– "Le "Dîn" (au sens A ou A') ne dit rien de ce qui relève du "Dunyâ"" : cette phrase est vraie avec le terme "Dunyâ" employé dans la démarcation vue en A' (mais serait fausse avec le terme "Dunyâ" employé en son sens B).
Ainsi, à quelles techniques avoir recours pour que la production des dattes soit la meilleure, le Dîn ne vient rien dire sur le sujet.
– "Le Dîn (au sens A ou A') apporte des normes à respecter dans ce qui relève du Dunyâ" : cette phrase est vraie avec le terme "Dunyâ" employé en son sens B (mais serait fausse avec le terme "Dunyâ" dans la démarcation vue en A').
Ainsi le Dîn dit par exemple qu'on ne peut pas avoir recours à la muzâbana (un type précis d'échange de dattes), etc.
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Selon le sens B du terme "Dîn"…
– Une Maslaha Dunyawiyya est une maslaha d'ordre temporel : soit physique, soit mental, soit familial, soit financier, soit social, etc. ;
– tandis qu'une Maslaha Dîniyya est une maslaha d'ordre spirituel ou religieux.
Les deux types de Maslaha sont néanmoins pris en considération par le Dîn (cette fois au sens A du terme).
– Une science Dunyawî ('Ilm Dunyawî) est une science en relation avec les éléments temporels : le fonctionnement du monde physique ; l'explication de tel phénomène physique ; la façon de fabriquer tel outil ; la façon de gérer les hommes dont on a la responsabilité ; la façon de convaincre le client potentiel d'acheter ;
– une science Dînî ('Ilm Dînî) est une science en relation avec les sources de l'islam : croyances de l'islam, règles juridiques, commentaires du texte coranique, authentification des hadîths, commentaire de hadîths, etc.
– Les actions Dunyawî (A'mâl Dunyawiyya) sont les actions qui ont été instituées pour rapporter des bienfaits temporels ;
– tandis que les actions Dînî (A'mâl Dîniyya) sont les actions qui ont été instituées uniquement ou essentiellement pour rapporter des bienfaits dans l'au-delà (les bienfaits temporels en découlant soit sont interdits à avoir comme objectifs, soit ne peuvent être que des objectifs secondaires par rapport aux bienfaits). Ensuite, les actions Dîniyya sont de deux catégories :
--- les actions de ibâdât : il s'agit des actions qui ont été instituées uniquement ou essentiellement pour servir de "moyens pour l'établissement ou le renforcement du lien spirituel avec Dieu" ;
--- les actions de "tamkîn ud-dîn" (ou "khidmat ud-dîn") : il s'agit des actions qui ont été instituées uniquement ou essentiellement pour servir de moyens pour la présence du Dîn – au sens A du terme – sur Terre.
Ainsi, manger est une action que l'islam a rendue obligatoire au niveau global (wâjib kulliyyan) ; mais c'est une action "Dunyawî", car son objectif est d'ordre physique. Ouvrir un commerce, acheter des vendre des marchandises, est aussi une action "Dunyawî", car son objectif est de faire du bénéfice et d'obtenir ainsi de l'argent licite. Se marier est une action "Dunyawî" – bien que fortement recommandée, et parfois obligatoire –, car cela permet de vivre sa sexualité et de fonder une famille, deux avantages d'ordre temporel.
Par contre, accomplir la prière, jeûner, etc. sont des actions dont l'objectif est de permettre le développement de la spiritualité vis-à-vis de Dieu. Enseigner les sciences religieuses (croyances islamiques, règles liées au cœur, normes islamiques, commentaire du Coran, explications des Hadîths, authentification de Hadîths, etc.) est une action dont l'objectif est de permettre l'avancée de l'islam. Ces deux types d'actions sont dînî : leur objectif étant d'obtenir une avancée d'ordre spirituel ou religieux, on ne peut, en les faisant, avoir l'objectif unique ou principal d'obtenir une avancée physique, mentale, sociale, ou autre.
– Un bienfait Dunyawî (Ni'ma Dunyawiyya) est un bienfait d'ordre temporel : la santé physique et mentale, les biens matériels, l'intelligence, la beauté physique, etc. ;
– un bienfait Dînî (Ni'ma Dîniyya) est un bienfait d'ordre spirituel ou religieux : le fait de compter parmi son peuple un ou des prophètes ; la guidance vers la piété ; la forte attirance naturelle pour les actions spirituelles ; la compréhension accrue du Coran ; la facilité pour comprendre le Coran, la Sunna, ou les croyances ou le fiqh.
– Une bénédiction Dunyawî (Baraka Dunyawiyya) est une bénédiction d'ordre temporel : la grande fertilité d'une terre, par exemple ; ou encore la richesse de tel aliment sur le plan nutritif ; ou encore les énormes bienfaits de tel plante pour la santé humaine ;
– une bénédiction Dînî (Baraka Dîniyya) est une bénédiction d'ordre spirituel ou religieux : l'effet spirituel très accru que telle action pieuse produit sur qui la fait ; la surmultiplication des récompenses que telle période de l'année apporte pour le croyant qui y fait des bonnes actions ; l'effet que le fait d'être enveloppé dans un linceul constitué d'un vêtement du Prophète a pour la vie de la tombe.
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A lire en complément de cet article :
--- L'islam fait-il une distinction entre "cultuel" et "temporel" ? ;
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).