Dieu avait-il prescrit le monachisme aux hommes de l'époque de Jésus fils de Marie ? (Commentaire de Coran 57/26-27 : al-Hadîd)

Dieu a dit :
"Et Nous avions envoyé Noé et Abraham, et suscité, dans leur descendance, le Prophétat et l'Ecriture. (Dans leur descendance,) certains furent bien guidés, et beaucoup furent fâssiqûn.
Ensuite, (ces prophètes) Nous les avons fait suivre de Nos (autres) messagers, et Nous (les) avons fait suivre de Jésus fils de Marie ; Nous lui avons donné l'Evangile. Dans les cœurs de ceux qui le suivirent, Nous avions mis douceur et miséricorde ; et un monachisme, ils l'innovèrent ; Nous ne le leur avions pas prescrit ; que la recherche de l'Agrément de Dieu. Ils ne l'observèrent alors pas comme il se devait. Nous donnâmes à ceux qui avaient eu foi parmi eux leur récompense. Et beaucoup d'eux sont fâssiqûn"
:
"وَلَقَدْ أَرْسَلْنَا نُوحًا وَإِبْرَاهِيمَ وَجَعَلْنَا فِي ذُرِّيَّتِهِمَا النُّبُوَّةَ وَالْكِتَابَ فَمِنْهُم مُّهْتَدٍ وَكَثِيرٌ مِّنْهُمْ فَاسِقُونَ ثُمَّ قَفَّيْنَا عَلَىٰ آثَارِهِم بِرُسُلِنَا وَقَفَّيْنَا بِعِيسَى ابْنِ مَرْيَمَ وَآتَيْنَاهُ الْإِنجِيلَ وَجَعَلْنَا فِي قُلُوبِ الَّذِينَ اتَّبَعُوهُ رَأْفَةً وَرَحْمَةً وَرَهْبَانِيَّةً ابْتَدَعُوهَا مَا كَتَبْنَاهَا عَلَيْهِمْ إِلَّا ابْتِغَاءَ رِضْوَانِ اللَّهِ فَمَا رَعَوْهَا حَقَّ رِعَايَتِهَا فَآتَيْنَا الَّذِينَ آمَنُوا مِنْهُمْ أَجْرَهُمْ وَكَثِيرٌ مِّنْهُمْ فَاسِقُونَ" (Coran 57/26-27).

(A propos de ceux qui se réfèrent au message de Jésus fils de Marie, lire d'autres de nos articles :
Les "Chrétiens Trinitaires" font-ils partie des "Nassârâ" et des "Gens du Livre", ou en sont-ils distincts ?
Les Chrétiens Trinitaires sont-ils des "Gens du Livre" (ahl ul-kitâb), ou bien des Polythéistes (mushrikûn) ?)

Pour en revenir au verset sus-cité, que signifie le passage parlant du monachisme ?

A) D'après un premier commentaire, ce passage se comprend ainsi :
"Dans les cœurs de ceux qui le suivirent, Nous avions mis douceur et miséricorde.
Et un monachisme : ils l'innovèrent ; Nous ne le leur avions pas prescrit. [Nous ne leur avions prescrit que] la recherche de l'Agrément de Dieu [il s'agissait donc pour eux de prendre part à ce qui fait les plaisirs des sens, mais uniquement dans le cadre que Dieu agrée, en se tenant à l'écart de tout ce qui est illicite et en restant modérés dans ce qui est licite]. Puis [en plus d'avoir innové ce monachisme] ils ne l'observèrent [même] pas selon le droit de l'observance."

-
B) D'après un second commentaire, ce passage se comprend au contraire ainsi :
"Dans les cœurs de ceux qui le suivirent, Nous avions mis douceur et miséricorde, ainsi que du monachisme, qu'ils innovèrent ; Nous ne le [= ce monachisme] leur avions prescrit que par recherche de l'Agrément de Dieu. Puis ils ne l' [= le monachisme] observèrent pas selon le droit de l'observance."

Ce second commentaire est erroné, comme l'a démontré Ibn Taymiya (Al-Jawâb us-sahîh 1/228-233).

-

La différence entre ces 2 commentaires s'articule autour de 3 points

1) Le terme "rahbâniyya" (monachisme) est au cas direct (mansûb) : qu'est-ce qui lui donc a conféré ce cas direct (nasb) :
– selon le second commentaire : lui a conféré le cas direct : le verbe "ja'alnâ", dont ce terme "rahbâniyya" est donc le complément d'objet direct (maf'ûl bih), comme le sont les noms "ra'fa" (douceur) et "rahma" (miséricorde) ;
– selon le premier commentaire : lui a conféré le cas direct : un verbe sous-entendu, révélé par le verbe qui le suit - "ibtada'ûhâ" - selon le procédé syntaxique bien connu "mâ udhmira 'âmiluhû 'alâ sharîtat it-tafsîr".

-
2) La dernière phrase composant le verset se lit ainsi : "Ils ne l'observèrent alors pas comme il se devait." Comment comprendre cela ?
– selon le second commentaire, c'est là un indice supplémentaire que Dieu leur avait prescrit le monachisme, mais ils ne purent pas l'observer à sa juste mesure et ils y laissèrent des manquements ;
– selon le premier commentaire, cette phrase consiste en un reproche supplémentaire de la part de Dieu : "En plus d'avoir innové ce monachisme, ils ne l'observèrent même pas convenablement, ne suivant même pas les règles qu'ils avaient eux-mêmes innovées." Cela revient alors à quelque chose de comparable au reproche que Dieu a fait aux polythéistes arabes : ceux-ci disaient de certaines de leurs divinités qu'elles sont les filles de Dieu. Leur reprochant cela, Dieu leur dit : "Avez-vous donc considéré al-Lât, al-'Uzzâ et Manât, cette troisième autre ? Auriez-vous des fils et Lui des filles ?" (Coran 53/19-21). Dieu n'a pas voulu dire que s'ils Lui avait attribué des fils, cela aurait été acceptable, ou à tout le moins cela aurait été moins grave que de Lui avoir attribué des filles. Dieu a voulu leur montrer la stupidité de leur croyance : Il leur a fait ici le reproche de Lui avoir attribué, comme enfants, un type que eux-mêmes, par injustice, n'aiment pas avoir. "Et ils attribuent à Dieu des filles – pureté à Lui – et eux ont ce qu'ils désirent [= des fils]. Et lorsqu'on leur donne la bonne nouvelle (de la naissance) d'une fille, sont visage s'assombrit et il enrage ; il se cache des gens à cause de la mauvaise nouvelle qu'on lui a donné : la gardera-t-il malgré la honte ou l'enfouira-t-il dans la terre. Combien mauvais est leur jugement !" (Coran 16/57-59).
Pareillement, Dieu dit de polythéistes arabes : "Et ils ont assigné à Dieu, de ce qu'Il a créé de récolte et de bestiaux, une part, et ils ont dit : "Ceci est pour Dieu" – selon ce qu'ils prétendent – ; [et ils ont assigné à leurs divinités une autre part, et ils ont dit :] "Et ceci est pour nos divinités" (Coran 6/136). Il s'agit ici du reproche essentiel : celui d'avoir divinisé autres que Dieu et de leur avoir consacré une part de la récolte et du bétail. Mais un deuxième reproche suit, dans le même verset : "Puis, ce qui est pour leurs divinités ne parvient pas à Dieu ; et ce qui est pour Dieu parvient à leurs divinités. Combien mauvais est (ce) jugement venant d'eux !" (6/136). Ici le reproche est qu'en plus d'avoir attribué une part à des divinités autres que Dieu, ils réservaient systématiquement la part assignée à ces divinités à celles-ci, tandis que dans certains cas ils attribuaient à ces divinités la part qu'ils avaient à l'origine assignée à Dieu, affirmant que de toute façon Dieu n'a besoin de rien.
De la même façon, dans le verset concernant le monachisme, il y a eu le reproche essentiel d'avoir institué ce que Dieu n'a pas institué ; ensuite il y a eu cette critique de n'avoir même pas observé pleinement les règles ainsi innovées.

-
3) Le verset parlant du monachisme contient ce groupe de mots : "Mâ katabnâ-hâ 'alayhim", et, juste après, celui-ci : "illa-b'tighâ'a ridwân illâh". Comment s'articulent ces deux groupes de mots ?

– selon le second commentaire : ce second groupe de mots ("illa-b'tighâ'a ridwân illâh") n'est que la suite grammaticale du premier ("Mâ katabnâ-hâ 'alayhim"), de sorte que l'arrêt sur "'alayhim" en devient un "waqf hassan" ; le "mustathnâ minh" de "illâ" – qui est sous-entendu – est alors : "li gharadhin". Ce qui donne le sens suivant : "Ay : Wa ja'alnâ fî qulûbihim ra'fatan wa rahmatan wa rahbâniyyatan – ibtada'û-hâ – mâ katabnâ-hâ 'alayhim li gharadhin siwa-b'tighâ'i ridwân illâh" ;

– selon le premier commentaire : le second groupe de mots ("illa-b'tighâ'a ridwân illâh") constitue un groupe qui n'est pas relié grammaticalement au premier, de sorte que l'arrêt sur "'alayhim" en devient un "waqf kâfî".
Ensuite :
----- soit le terme "illâ" est dans son sens premier ; ce second groupe a comme 'âmil un verbe sous-entendu : "mâ fa'alûhâ" ; et le "mustathnâ minh" de "illâ" est "li gharadhin". Ce qui donne le sens suivant : "Ay : Wa-b'tada'û rahbâniyyatan ; mâ katabnâhâ 'alayhim. Mâ fa'alû-hâ (li gharadhin) illa-b'tighâ'a ridwân illâh" (c'est l'interprétation de Sa'îd ibn Jubayr et de Qatâda : Tafsîr Ibn Kathîr) (Ibn Taymiyya n'est cependant pas d'accord avec cette interprétation-ci : Al-Jawâb us-sahîh 1/230) ;
----- soit le terme "illâ" par lequel ce second groupe débute a le sens de "lâkin". Ce qui donne le sens suivant : "Ay : Wa-b'tada'û rahbâniyyatan ; mâ katabnâhâ 'alayhim. Lâkin katabnâ 'alayhim-u-b'tighâ'a ridwân illâh" ;
----- soit le terme "illâ" est en son sens premier ; ce second groupe a comme 'âmil un verbe sous-entendu : "mâ katabnâ" ; et le "mustathnâ minh" de "illâ" est : "shay'an". Ce qui donne le sens suivant : "Ay : Wa-b'tada'û rahbâniyyatan ; mâ katabnâhâ 'alayhim. Mâ katabnâ 'alayhim shay'an illa-b'tighâ'a ridwân illâh".

Le second commentaire porte en lui ses propres contradictions : en effet, si c'était Dieu qui "leur avait prescrit le monachisme, qu'Il leur demandait d'observer avec l'objectif de la recherche de Son agrément", la phrase "ils l'innovèrent" n'aurait plus aucun sens…

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

-

A lire après cet article :

Quelle différence entre zuhd mashrû' (délaisser le surplus) et rahbâniyya (monachisme) ?

Print Friendly, PDF & Email