Question (posée par un coreligionnaire réunionnais) :
Comment peux-tu dire qu'il existe une catégorie de Sunnas, de façons de faire du Prophète (sur lui soit la paix), dans laquelle il n'est pas demandé de l'imiter ? Alors que j'ai maintes fois entendu que tous les Compagnons imitaient le Prophète dans ses moindres gestes, allant jusqu'à chercher à accomplir la prière (salât) aux endroits même où il l'avait fait, et à s'arrêter, pendant leur voyage, aux lieux exacts où le Prophète s'était arrêté ?
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Réponse :
Imiter le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) dans ses façons de faire telle et telle choses, cela se dit en arabe "ittibâ'", et c'est ce que Dieu dit aux croyants de faire dans le Coran (les versets sont bien connus).
Cependant, tout ce que le Prophète (sur lui soit la paix) a fait n'est pas du même niveau, car il a fait certaines choses dans une perspective particulière, et d'autres choses dans une autre perspective.
Et c'est par rapport à ce qu'il a fait dans une perspective bien précise que l'ordre de Dieu de faire le ittibâ' de Son Messager s'applique de façon formelle et première. Par contre, à propos du reste, certains Compagnons ont aussi imité le Prophète, tandis que d'autres ne l'ont, volontairement et sciemment, pas fait.
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I) Bref exposé des différentes catégories de ce que le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a fait :
Ci-après nous ne parlerons pas de la non-applicabilité, pour cause d'absence de principe ('illa), du caractère "obligatoire", "recommandé", "déconseillé" ou "interdit" lié dans des textes à une action : une telle non-applicabilité relève d'autres principes encore (cliquez ici).
Ci-après nous parlerons seulement de ce que le Prophète a fait (fi'l), et nous répondrons inshâ Allâh à cette question : A-t-on le droit de ne pas considérer le fait de faire cela, ou de faire cela par le même moyen que le Prophète, comme relevant de l'adoration de Dieu ?
Dans l'ensemble des gestes que le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a fait, on trouve :
– 1) Ce que c'est volontairement (qasdan) que le Prophète (sur lui soit la paix) a fait de telle façon précise / en tel lieu précis :
--- 1.1) et le Prophète a fait ainsi par ta'abbud :
----- 1.1.1) et il s'agit de quelque chose de ta'abbudî en son élémentarité et en sa forme (bi juzi'yyatihî wa shak'lih). Par exemple : pratiquer le ramal lors de certaines circumambulations autour de la Kaaba ; le fait de commencer du côté droit quand on fait ses ablutions, quand on se chausse, quand on se peigne, quand on s'habille, etc. ; le fait pour le musulman de garder la barbe ;
----- 1.1.2) et il s'agit de quelque chose de ta'abbudî, cependant, le moyen pour le réaliser peut changer : le fait est que soit le moyen stipulé n'est pas ta'abbudî mais seule la réalisation de l'objectif l'est : tout moyen permettant la réalisation de cet objectif fait donc l'affaire (ta'abbud bi-l-hukm wa lâkin layssa bi-l-wassîla al-mansûs 'alayhâ) ; soit le moyen stipulé est ta'abbudî mais son aptitude à réaliser l'objectif est transposable à autre chose aussi, par analogie, ce qui rend d'autres moyens aussi ta'abbudî. Par exemple : d'après l'école hanafite, donner la zakât ul-fitr sous la forme de denrées alimentaires ou sous la forme de monnaie ;
--- 1.2) et le Prophète a fait ainsi par maslaha : un exemple : d'après Aïcha, stationner à al-Abtah (ou : al-Muhassab). Un autre exemple : porter le qinâ' sur sa tête à cause de la forte chaleur de midi et de l'après-midi ;
--- 1.3) et le Prophète a fait ainsi volontairement et par choix, mais ni par ta'abbud, ni par maslaha : il a fait ainsi par pure 'âda : il a fait ainsi :
----- 1.3.1) soit parce que c'était l'habitude des Arabes à l'époque ('adat ul-'arab) : les médicaments dont on trouve mention dans les recueils de hadîths ; le fait de mettre sa main dans la main de l'autre pour conclure un pacte ; la forme de certains vêtements ;
----- 1.3.2) soit par habitude personnelle ('âda shakhsiyya) : porter des sandales de tel type ;
----- 1.3.3) soit par goût lié aux habitudes des gens parmi lesquels il est né et il a grandi (dhawq qawmî) : ne pas aimer la chair du dhabb ;
----- 1.3.4) soit par goût personnel (dhawq shakhsî) : aimer la calebasse.
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– 2) Ce que le Prophète a fait de telle façon ou bien en tel lieu sans que cela soit suite à une volonté particulière de sa part (min ghayri qasd min'h), mais par simple hasard (ittifâq) ("hasard" étant entendu ici d'un point de vue humain, c'est-à-dire sans avoir fait le choix de cette façon ou de ce lieu précis) :
Ainsi, choisir tel lieu, lors d'un voyage, pour y accomplir la prière dont l'heure est arrivée ; ou choisir tel lieu, dans l'aire de Minâ, pour y procéder au sacrifice d'un animal lors du pèlerinage.
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– 3) Ce que le Prophète (sur lui soit la paix) a fait de telle sorte par pure habitude physique (jibilla) :
Ainsi, il respirait plus fort quand il dormait : "عن ابن عباس رضي الله عنهما، قال: نمت عند ميمونة والنبي صلى الله عليه وسلم عندها تلك الليلة، فتوضأ، ثم قام يصلي؛ فقمت على يساره، فأخذني، فجعلني عن يمينه، فصلى ثلاث عشرة ركعة. ثم نام حتى نفخ، وكان إذا نام نفخ. ثم أتاه المؤذن، فخرج، فصلى ولم يتوضأ" (al-Bukhârî, 666, Muslim, 763). "ثم نام حتى نفخ وكنا نعرفه إذا نام بنفخه" (Muslim, 763).
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– 4) Ce que le Prophète (sur lui soit la paix) a fait de telle sorte et cela n'est autorisé que pour lui (khussûsiyya) :
Ainsi, il a eu en même temps 9 épouses. Or cela est interdit pour tous les autres hommes de sa Umma.
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Ce qu'il faut comprendre ici c'est ceci : Hormis la catégorie 4 (dans laquelle il est interdit de le suivre), et hormis la catégorie 3 (dans laquelle il n'y a pas de raison de chercher à l'imiter), pour les différents cas relevant des catégories 2 et 1, le fait de suivre le modèle du Prophète (sur lui soit la paix) n'est pas du même niveau...
En effet, c'est dans le 1.1.1 que faire exactement comme le Prophète a fait constitue prioritairement ce que Dieu a demandé de faire : l'imiter ; il s'agit d'une qurba : cela est requis en tant qu'action ta'abbudî ; c'est ici qu'il s'agit de pratiquer les versets demandant de faire comme le Prophète.
Par rapport à la catégorie 1.1.2, accomplir ce que le Prophète a institué est une qurba en tant qu'objectif à réaliser ; cependant, le moyen précis pour accomplir cet objectif peut, lui, différer.
Quant à la catégorie 1.2, c'est si on se trouve dans le même cas que celui où le Prophète se trouvait, avec la même cause (sabab) que celle qui a amené le Prophète à faire ce qu'il a fait, par recherche de la maslaha, que pratiquer ce que le Prophète a fait devient requis par maslaha. Sinon cela n'est pas du tout requis.
Pour ce qui relève des 1.3 et 2, il n'est ni obligatoire ni recommandé (mandûb) de faire comme le Prophète a fait : cela n'est pas requis, ni en tant qu'action ta'abbudî ni par maslaha.
Cependant, si quelqu'un veut faire de la même façon que le Prophète dans les catégories 1.1.2, 1.2, 1.3 ou 2, alors faire de la même façon que lui dans ces catégories-là n'est pas non plus en soi une bid'a (innovation). Mais il ne le fera pas avec une perception de ta'abbud...
En fait primo :
– d'après un avis, l'imiter dans ces choses-là est certes dit : "mandûb", mais il est bien précisé : "mandûb zâ'ïd", ce dernier mot renvoyant au fait que cela ne relève pas de ce que le Prophète a été chargé de délivrer comme message ;
– d'après un autre avis (celui auquel j'adhère), imiter le Prophète (sur lui soit la paix) dans ces choses-là est purement autorisé (mubâh), ne rapportant en soi aucune récompense de l'au-delà (thawâb).
Comme toute chose en soi mubâh, seule une intention particulière peut rapporter alors des récompenses : agir ainsi par maslaha :
----- s'aider de l'imitation du Prophète même dans ces choses-là pour pouvoir l'imiter complètement dans ce qui est obligatoire ou recommandé (afin d'être certain de ne rien manquer de ce qui est ta'abbudî) ;
----- ou exprimer ainsi de l'affection (iz'hâr ul-mahabba) pour le Prophète, l'imitant même dans ce qu'il est n'est ni obligatoire ni recommandé de faire.
Secundo, l'imitation dans ce genre de choses n'a de sens que si on accorde une attention encore plus grande au fait d'obéir aux impératifs verbaux formulés par le Prophète (ce qu'il a interdit et ce qu'il a déclaré obligatoire) et d'imiter aussi le Prophète dans ce qu'il a fait par ta'abbud (1.1.1). Au cas contraire cela n'a aucun sens, car revenant à l'imiter dans ce qu'il a fait qui est mubâh, en négligeant de l'imiter dans ce qu'il a fait et qui est obligatoire ou dûment recommandé.
Tertio, par rapport aux réalités du contexte, certaines de ces façons de faire causent parfois un problème, et s'en tenir aux moyens spécifiés dans la lettre de ce qui est relaté du Prophète sur le sujet, cela conduit à manquer l'objectif pour lequel le Prophète a institué cette action (comme le fait de dire, dans les mégalopoles d'aujourd'hui, qu'il faut continuer à donner la zakât ul-fitr sous la forme d'une mesure d'orge ; ou comme le fait de dire que, après avoir fait ses besoins, il faut continuer à se purifier avec des galets et non avec du papier toilette).
Le fait que certains Compagnons imitaient les façons de faire du Prophète même dans ces actions-là (nous allons le voir en détail), on l'explique par le fait qu'il n'est pas bid'a de faire ainsi. Mais ce seul fait n'est pas suffisant pour qu'on en déduise qu'il est demandé (matlûb / qurba) de l'imiter dans même ces points-là ; si on retient l'avis selon lequel cela était purement mubâh, alors ces Compagnons l'imitaient alors par maslaha et non par ta'abbud. Même pour ceux qui retiennent l'autre avis, ce dernier précise bien que cela est "mandûb zâ'ïd" ; il ne s'agit donc aucunement de dire que ceux qui ne font pas ainsi agissent "de façon contraire à la Sunna".
Car contrairement à ce que tu as entendu dire, tous les Compagnons ne cherchaient pas à faire comme le Prophète dans ses habitudes personnelles ou ses goûts personnels, ni ne cherchaient tous à faire la prière aux mêmes endroits que ceux auxquels le Prophète l'avait fait, ou à s'arrêter aux mêmes endroits où le Prophète s'était arrêté.
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II) Exposé détaillé de ces différentes catégories, sources à l'appui :
Voici le détail de ce que nous avons présenté de façon succincte plus haut...
– 1) Ce que c'est volontairement (qasdan) que le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a fait de telle façon précise / en tel lieu précis :
--- 1.1) Et le Prophète a fait de cette façon par ta'abbud :
----- 1.1.1) et il s'agit de quelque chose de ta'abbudî en son élémentarité et en sa forme même (bi juzi'yyatihî wa shak'lihî) :
– Lorsque, en l'an 7 de l'hégire, suite aux clauses du traité conclu l'an précédent avec les polycultistes mecquois, le Prophète vint accomplir le petit pèlerinage ('umrat ul-qadhiyya / 'umrat ul-qadhâ), il sut que les mecquois disaient : "Ils vont venir, (et vous verrez que) les fièvres de Yathrib les ont affaiblis." Le Prophète demanda donc à ses Compagnons, lorsqu'ils accompliraient les 7 tours de circumambulations autour de la Kaaba, de marcher avec force pendant les 3 premiers tours (al-Bukhârî 1525, Muslim 1266). C'est ce qu'on appelle le ramal (le détail de ce en quoi il constitue exactement est visible dans les ouvrages classiques de fiqh). En l'an 8 de l'hégire, la Mecque fut conquise par le Prophète. En l'an 9, aucun polycultiste n'eut plus l'autorisation d'y venir accomplir le pèlerinage. En l'an 10, le Prophète vint y accomplir le pèlerinage d'Adieu.
Après le décès du Prophète (sur lui soit la paix), Omar ibn ul-Khattâb, "s'adressant" un jour à la Pierre Noire enchâssée dans un des coins de la Kaaba, dit : "Par Dieu, je sais que tu n'es qu'une pierre, qui n'apporte ni un tort ni un bienfait. Si je n'avais pas vu le Prophète t'embrasser (ou : te saluer), je ne t'aurais pas embrassée (ou : saluée)." Puis il l'embrassa. Ensuite il dit : "Qu'avons-nous à (faire encore) le ramal ! Nous n'avions par cela que fait voir à des polycultistes, et Dieu les a anéantis (depuis) !" Puis il dit : "(Au fond non !) C'est quelque chose que le Prophète a fait ; nous n'aimerions donc pas le délaisser" : "أن عمر بن الخطاب رضي الله عنه قال للركن: "أما والله، إني لأعلم أنك حجر لا تضر ولا تنفع، ولولا أني رأيت النبي صلى الله عليه وسلم استلمك ما استلمتك." فاستلمه. ثم قال: "فما لنا وللرمل! إنما كنا راءينا به المشركين وقد أهلكهم الله!" ثم قال: "شيء صنعه النبي صلى الله عليه وسلم، فلا نحب أن نتركه" (al-Bukhârî 1528). Puis Omar fit le ramal (FB 3/595).
Le fait est qu'il n'y a que Abdullâh ibn Abbâs qui est d'avis que cela est purement maslahî et que le faire ou ne pas le faire sont tous deux de même niveau (voir son avis rapporté par Muslim 1264, Abû Dâoûd 1885, FB 3/594). Son avis est isolé, car, pendant le pèlerinage d'Adieu le Prophète a aussi pratiqué le ramal : "قال جابر رضي الله عنه: "لسنا ننوي إلا الحج، لسنا نعرف العمرة. حتى إذا أتينا البيت معه، استلم الركن، فرمل ثلاثا ومشى أربعا. ثم نفذ إلى مقام إبراهيم عليه السلام، فقرأ: {واتخذوا من مقام إبراهيم مصلى} فجعل المقام بينه وبين البيت" (Muslim, 1218, Abû Dâoûd, 1905) ; or les polycultistes n'étaient alors plus là. Cela est donc devenu quelque chose de ta'abbudî au niveau élémentaire (juz'î), et cela le demeure donc jusqu'à la fin des temps. Ceci est un élément ta'abbudî mahdh. Voir MF 17/481-483.
– Aïcha relate : "Le Prophète aimait le tayammun dans tout ce qu'il faisait : quand il faisait ses ablutions, quand il se peignait et quand il se chaussait" (al-Bukhârî 166 etc., Muslim 268). Le terme "tayammun" ici employé désigne entre autres : le fait de commencer du côté droit. Cette relation signifie donc qu'il aimait laver le bras droit avant le gauche, chausser le pied droit avant le gauche, peigner le côté droit de sa tête avant le gauche, enfiler la manche droite de son habit avant la gauche. Or ceci n'est pas une pure habitude du Prophète, mais bien quelque chose de ta'abbudî. La preuve en est que le Prophète a dit explicitement : "Lorsque vous vous habillez et lorsque vous faites les ablutions, commencez par le côté droit" (Abû Dâoûd 4141). Cet impératif a valeur de recommandation (mustahabb) et non d'obligation (cliquez ici), mais il s'agit quand même d'un hukm ta'abbudî, donc d'une sunna ta'abbudiyya, qui est applicable dès que l'une des causes (asbâb) qui l'entraînent est pratiquée : dès qu'on s'habille, qu'on se peigne, qu'on se chausse, qu'on fait ses ablutions, que l'on fait quelque chose de "noble" où les deux côtés, droit et gauche, entrent en jeu. (La façon sunna à propos de l'utilisation : de la main droite et de la main gauche ; du pied droit et du pied gauche - Et à propos de commencer par le côté droit ou par le côté gauche). Ceci est un élément ta'abbudî muta'ayyan.
– Ma'qil ibn Yassâr aurait dit qu'il n'abandonnerait pas de reprendre de la nourriture tombée par terre au motif que, dans la société perse, cela était mal vu : "عن الحسن، عن معقل بن يسار، قال: بينما هو يتغدى إذ سقطت منه لقمة، فتناولها، فأماط ما كان فيها من أذى، فأكلها. فتغامز به الدهاقين. فقيل: "أصلح الله الأمير! إن هؤلاء الدهاقين يتغامزون من أخذك اللقمة؛ وبين يديك هذا الطعام!" قال: "إني لم أكن لأدع ما سمعت من رسول الله صلى الله عليه وسلم لهذه الأعاجم! إنا كنا يؤمر أحدنا إذا سقطت لقمته، أن يأخذها فيميط ما كان فيها من أذى ويأكلها، ولا يدعها للشيطان" (Ibn Mâja, 3278 ; dha'îf : al-Hassan n'a pas rencontré Ma'qil). Voilà encore une sunna ta'abbudiyya.
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----- 1.1.2) et il s'agit de quelque chose de ta'abbudî, mais le moyen (wassîla) pour le réaliser peut changer :
– Le Prophète (sur lui soit la paix) a institué de donner aux pauvres, pour le jour de fête qui marque la fin du ramadan, une aumône, la zakât ul-fitr ; et dans ses propos, il n'a évoqué cette aumône que sous forme de certaines denrées alimentaires précises : une mesure d'orge, de dattes, de raisins secs, etc. (est-ce qu'il a parlé de blé aussi, et est-ce qu'il s'agit d'une mesure ou bien d'une demi-mesure, il y a divergence entre les ulémas sur le sujet). L'école hanbalite dit qu'il faut s'acquitter de cette aumône sous la forme exacte que le Prophète a évoquée et pratiquée ; cela rejoint le fait de suivre son modèle en son élémentarité même ("bi 'aynih"). L'école malikite est d'avis que l'on peut aussi la donner par le biais d'une autre denrée alimentaire, celle qui a cours dans le lieu où l'on vit ; il s'agit de suivre l'enseignement du Prophète dans une mesure légèrement plus générale que celle spécifiée dans les textes ("bi naw'ih"). Et l'école hanafite dit que l'objectif étant d'aider les pauvres, on peut très bien le faire par le biais de monnaie ; c'est alors le principe duquel relèvent les moyens que le Prophète a évoqués qui est pratiqué, et ce par un moyen (la monnaie) n'ayant pas évoqué par le Prophète mais permettant la réalisation de l'objectif voulu ("bi jinsih") (lire notre article sur le moyen par lequel on s'acquitte de la zakât ul-fitr). Ceci implique la considération que cet élément est ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ (cliquez ici pour comprendre cette appellation).
– Un autre exemple : comptabiliser les formules d'évocation que l'on récite, le Prophète l'a fait sur sa main ; pourtant il est autorisé (jâ'ïz) de le faire par le biais de noyaux de datte, ou encore d'un chapelet, bien que le Prophète ne l'ait jamais fait (cliquez ici).
– Un autre exemple de la même veine est le fait de se huiler la chevelure : soit on huile sa chevelure avec la même huile que celle que le Prophète utilisait ("bi 'aynih") ; soit, si on vit dans un pays doté d'un climat différent, on a recours à une autre huile, plus adaptée à ce climat ("bi naw'ih") ; soit, si on vit dans un pays humide et froid où se huiler la chevelure fait du tort à la santé, on a recours à un autre moyen qui permet d'atteindre le même objectif ("bi jinsih"). Cliquez ici.
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--- 1.2) Et le Prophète (sur lui soit la paix) a fait de telle façon par pure maslaha :
– "عن أنس بن مالك رضي الله عنه أن نبي الله صلى الله عليه وسلم أراد أن يكتب إلى رهط أو أناس من الأعاجم. فقيل له: إنهم لا يقبلون كتابا إلا عليه خاتم! فاتخذ النبي صلى الله عليه وسلم خاتما من فضة، نقشه: "محمد رسول الله". فكأني بوبيص، أو ببصيص الخاتم في إصبع النبي صلى الله عليه وسلم، أو في كفه" (al-Bukhârî, 5534) / "عن أنس أن النبي صلى الله عليه وسلم أراد أن يكتب إلى كسرى، وقيصر، والنجاشي، فقيل: إنهم لا يقبلون كتابا إلا بخاتم! فصاغ رسول الله صلى الله عليه وسلم خاتما حلقته فضة، ونقش فيه: "محمد رسول الله" (Muslim, 2092) : Anas ibn Mâlik raconte : "Le Messager de Dieu eut l'intention d'envoyer une lettre à plusieurs personnages parmi les Non-Arabes / à Chosroes, au Basileus et au Négus. On lui dit : "Ils n'acceptent de lettre que si elle porte un cachet." Il se fit faire alors une bague en argent sur laquelle étaient gravés : "Muhammad, Messager de Dieu" (…)" (al-Bukhârî, 2780, 5534, Muslim, 2092).
En fait, ce récit fait par Anas ibn Mâlik est un résumé de ce qui s'est alors passé : on trouve le détail chez Abdullâh ibn Omar : celui-ci relate que (quand il eut besoin de cette bague-cachet), le Prophète se fit tout d'abord faire une bague en or. Mais ayant ensuite reçu la révélation lui disant que ceci était interdit pour les hommes, il s'en délesta et se fit faire une bague en argent (al-Bukhârî 5527, etc.).
En tous cas ce fut par maslaha que le Prophète se fit faire une bague et qu'il la porta : il s'agissait de disposer d'un sceau à apposer sur des lettres à envoyer aux souverains de la région.
– Mujâhid raconte : "كنا مع ابن عمر فى سفر فمر بمكان فحاد عنه. فسئل لم فعلت؟ فقال: رأيت رسول الله صلى الله عليه وسلم فعل هذا، ففعلت" : "Nous étions en compagnie de Ibn Omar lors d'un voyage. Passant près d'un lieu, il s'en écarta. Quelqu'un le questionna : "Pourquoi as-tu fait ainsi ?" Il dit : "J'ai vu le Messager de Dieu faire ainsi, je l'ai donc fait aussi"" (Ahmad 4870). Si le Prophète s'était écarté du chemin, c'était apparemment par pure maslaha, et non par ta'abbud.
– Anas ibn Sîrîn raconte que Ibn Omar, arrivé pendant le pèlerinage en un lieu situé entre 'Arafât et Muzdalifa, se rendit en un lieu pour y faire ses besoins ; ce fut dans le même vallon que celui dans lequel le Prophète le faisait : "عن أنس بن سيرين قال: كنت مع ابن عمر بعرفات، فلما كان حين راح رحت معه؛ حتى أتى الإمام فصلى معه الأولى والعصر، ثم وقف معه وأنا وأصحاب لي. حتى أفاض الإمام فأفضنا معه، حتى انتهينا إلى المضيق دون المأزمين، فأناخ وأنخنا، ونحن نحسب أنه يريد أن يصلي، فقال غلامه الذي يمسك راحلته: "إنه ليس يريد الصلاة، ولكنه ذكر أن النبي صلى الله عليه وسلم لما انتهى إلى هذا المكان قضى حاجته، فهو يحب أن يقضي حاجته" (Ahmad, 6151 : le ghulâm dont le propos est cité en dernier est maj'hûl ul-hâl). "عن نافع قال: كان عبد الله بن عمر رضي الله عنهما يجمع بين المغرب والعشاء بجمع، غير أنه يمر بالشعب الذي أخذه رسول الله صلى الله عليه وسلم، فيدخل، فينتفض ويتوضأ، ولا يصلي حتى يصلي بجمع" (al-Bukhârî, 1585) : "عن كريب، مولى ابن عباس عن أسامة بن زيد رضي الله عنهما: أن النبي صلى الله عليه وسلم حيث أفاض من عرفة مال إلى الشعب، فقضى حاجته فتوضأ، فقلت: يا رسول الله، أتصلي؟ فقال: "الصلاة أمامك" (al-Bukhârî, 1584). "حدثنا يونس، حدثنا فليح، عن نافع، عن ابن عمر قال: إنما عدل النبي صلى الله عليه وسلم إلى الشعب لحاجته" (Ahmad, 6080). Ibn Hajar écrit que "Ibn Omar faisait la iqtidâ' du Messager de Dieu, que Dieu le bénisse et le salue, en cela, en le fait de faire ses besoins dans le vallon et d'y accomplir les ablutions" (FB 3/656).
– Yazîd ibn Abî 'Ubayd relate : "Je venais en compagnie de Salama ibn ul-Akwa'. Il accomplissait la prière facultative [qui suit certaines des prières obligatoires] auprès du pilier (ustuwâna) qui se trouve [aujourd'hui] près de (l'endroit où est placée) la copie (du Coran). Je lui dis (un jour) : "Abû Muslim, je vois que tu cherches (tataharrâ) à faire la prière auprès de ce pilier ? – J'ai vu le Prophète chercher (yataharrâ) à faire la prière auprès de ce (pilier)" me répondit-il.
"حدثنا المكي بن إبراهيم، قال: حدثنا يزيد بن أبي عبيد، قال: كنت آتي مع سلمة بن الأكوع فيصلي عند الأسطوانة التي عند المصحف، فقلت: "يا أبا مسلم، أراك تتحرى الصلاة عند هذه الأسطوانة". قال: "فإني رأيت النبي صلى الله عليه وسلم يتحرى الصلاة عندها" (al-Bukhârî 480, Muslim 509).
C'était apparemment par simple maslaha – et non par ta'abbud – que le Prophète choisissait ce lieu précis (derrière tel pilier de la mosquée) pour y accomplir la prière.
– Après avoir accompli les 2 cycles fortement recommandés avant la prière obligatoire de l'aube, le Prophète (sur lui soit la paix) s'allongeait un instant sur le côté droit avant que Bilal vienne le réveiller pour l'accomplissement en congrégation de la prière obligatoire.
Il est relaté de Aïcha que le Prophète (sur lui soit la paix) ne s'était pas allongé ainsi à ce moment là par sunna [= par ta'abbud] : le Prophète faisait ainsi par simple maslaha : pour se reposer un instant, ayant accompli des prières facultatives durant une bonne partie de la nuit : "عن ابن جريج قال: أخبرني من أصدق أن عائشة قالت: "كان رسول الله صلى الله عليه وسلم إذا طلع الفجر يصلي ركعتين خفيفتين، ثم يضطجع على شقه الأيمن حتى يأتيه المؤذن فيؤذنه بالصلاة. لم يضطجع لسنة ولكنه كان يدأب ليلة فيستريح." قال: فكان ابن عمر يحصبهم إذا رآهم يضطجعون على أيمانهم" (Mussannaf 'Abd ir-Razzâq, 4722).
– Le Prophète (sur lui soit la paix) a bu de l'eau de Zamzam après avoir accompli le tawâf. Mais l'a-t-il fait par ta'abbud (il serait alors systématiquement mustahabb de boire de cette eau après avoir accompli le tawâf et avant d'accomplir le sa'y) ? ou bien par maslaha (le Prophète avait alors soif, ou autre raison du même genre) ? Les deux interprétations existent chez les ulémas.
– Ibn Abbâs relate : "J'ai donné à boire au Messager de Dieu de (l'eau de) Zamzam. Il la but en étant debout" (al-Bukhârî 1556, Muslim 2027, an-Nassâ'ï 2964). Certains ulémas pensent que le Prophète a choisi d'être debout pour boire l'eau de Zamzam : par ta'abbud (et qu'il est donc recommandé de boire l'eau du puits de Zamzam en étant debout). Mais d'autres ulémas disent qu'il a fait ainsi : par maslaha : il ne pouvait alors pas s'asseoir, à cause de la configuration des lieux.
– Lors du pèlerinage d'Adieu, après avoir quitté Minâ' le 13 dhu-l-hijja, le Prophète stationna à al-Abtah (encore appelé al-Muhassab), où il accomplit les prières de zuhr, 'asr, maghrib, 'ishâ, y dormit une partie de la nuit. Puis il se mit en route vers la Mecque : il s'arrêta à Dhû Tuwâ. Puis il se rendit à la Mecque : il y accomplit la circumambulation (tawâf) d'adieu ; puis il y accomplit la prière de l'aube. Ensuite il prit le chemin de Médine (Fat'h ul-bârî 3/745, Zâd ul-ma'âd 2/293-294 ).
Quand le Prophète a stationné à al-Abtah / al-Muhassab :
– cela fut-il fait fortuitement (cas 2) ?
– ou bien cela résulta-t-il d'un choix délibéré de la part du Prophète ?
Si on retient la seconde hypothèse (choix délibéré), cela fut-il fait :
--- par simple maslaha (cas 1.2) ?
--- avec une dimension de ta'abbud (cas 1.1.1) ?
Il faut savoir que :
--- Abû Bakr et Omar observaient, lors de leur pèlerinage, l'action de descendre en ce lieu (Muslim 1310). Ils pensaient donc que le Prophète l'avait fait par ta'abbud (cas 1.1.1) ;
--- Aïcha pensait, elle, que le Prophète avait bien choisi ce lieu, mais par pure maslaha (et non par ta'abbud) [cas 1.2] ; elle disait : "S'installer à al-Abtah n'est pas une sunna. Le Messager de Dieu ne s'y était installé que parce que cela lui permettait de partir plus facilement" (Muslim 1311).
Il ressort de ce propos de Aïcha qu'une action que le Prophète a faite par maslaha, il n'est demandé de la faire que si la même maslaha se trouve présente devant soi ; sinon il n'est pas demandé (matlûb) de la faire [bien que cela reste autorisé pour qui veut la faire].
– Un exemple de dit n'ayant objectif que de pure maslaha : Alors que des Compagnons étaient à Marr uz-Zahrân en train de cueillir les fruits du Salvadora Persica, le Prophète (sur lui soit la paix) leur dit : "Choisissez les (fruits) noirs, car ce sont les meilleurs". On lui demanda alors : "As-tu donc été berger d'ovins / caprins ?" Il répondit : "Oui, y a-t-il eu un prophète qui n'ait pas été berger !" : "عن جابر بن عبد الله، قال: كنا مع رسول الله صلى الله عليه وسلم بمر الظهران نجني الكباث، فقال: "عليكم بالأسود منه فإنه أيطب." فقال: أكنت ترعى الغنم؟ قال: "نعم، وهل من نبي إلا رعاها" (al-Bukhârî, 5138, Muslim). Il s'est agi d'un simple conseil pour ce qui est mieux sur le plan dunyawî : ce sont les fruits noirs de cet arbre qui sont meilleurs en goût, et le Prophète, ayant expérience de cela, a donc conseillé (أمر إرشاد) (amru irshâd, li maslaha dunyawiyya) à ses Compagnons de choisir ces fruits-là. La remarque ("As-tu donc été berger ?") montre que ces Compagnons savaient bien que c'était là le résultat non pas d'une révélation mais d'une expérience personnelle du Prophète, révélatrice d'un état de berger.
– Un autre exemple de dit : quand le Prophète a dit de se marier avec une femme qui n'est ni veuve ni divorcée (Ibn Mâja, 1861), c'est un simple conseil de sa part (أمر إرشاد) (amru irshâd, li maslaha dunyawiyya).
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--- 1.3) Et le Prophète (sur lui soit la paix) a fait de telle façon volontairement (qasdan) et par choix, mais il ne l'a fait ni par ta'abbud, ni par maslaha : il a fait ainsi par pure 'âda : il l'a fait :
----- 1.3.1) soit parce que c'était la coutume des Arabes à l'époque ('adat ul-'arab) ;
----- 1.3.2) soit par habitude personnelle ('âda shakhsiyya) ;
----- 1.3.3) soit par goût culturel, lié aux habitudes des gens parmi lesquels il est né et il a grandi (dhawq qawmî) ;
----- 1.3.4) soit par goût personnel (dhawq shakhsî).
Quelques explications détaillées sur chacun de ces aspects...
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----- 1.3.1) Il a fait ainsi parce que c'était la coutume des Arabes de l'époque ('adat ul-'arab) :
Le Prophète a dit à propos de certaines substances minérales et végétales employées en son temps comme médicaments : "Ayez recours à tel médicament, il est efficace contre la pleurésie." Pratiquer aujourd'hui cette recommandation du Prophète, ce n'est pas forcément avoir recours à cette substance même, mais aux moyens médicinaux mis à notre disposition dans le pays où nous vivons. C'est ce que Shâh Waliyyullâh a ainsi exprimé : "La règle à propos des remèdes rapportés du Prophète (sur lui la paix) est qu'il s'agissait des expériences dont disposaient alors les Arabes" (Hujjat ullâh il-bâligha 2/525).
Ainsi encore, lorsque des Compagnons faisaient allégeance (bay'a) au Prophète, ils plaçaient leur paume dans sa paume. Cheikh Ashraf 'Alî Thânwî écrit : "Cette façon de faire est mubâh, ne relevant d'aucun degré de ce qu'il est demandé de faire ; on ne peut même pas lui conférer le caractère de istihbâb. Le fait est que ce qui est rapporté du Prophète (à ce sujet) n'a pas (été fait par lui) en tant que 'ibâda et (action de) dîn, mais en tant que 'âda : c'était la coutume chez les Arabes au moment de prendre un engagement. C'est à cause de cette habitude qu'on nomme cela safqa [où on retrouve le terme "paume"] également" (Imdâd ul-fatâwâ, 5/238).
Alors qu'il était calife, Omar ibn ul-Khattâb écrivit à d'autres Compagnons se trouvant en Azerbaïdjan pour leur dire d'une part de ne pas se laisser ramollir et d'autre part de garder les coutumes vestimentaires des Arabes : "اتزروا وارتدوا وانتعلوا، وألقوا الخفاف والسراويلات، وعليكم بلباس أبيكم إسماعيل، وإياكم والتنعم وزي الأعاجم، وعليكم بالشمس فإنها حمام العرب، وتمعددوا، واخشوشنوا، واقطعوا الركب ، وانزوا نزوا، وارموا الأعراض" : "Portez le pagne, la houppelande et les sandales ; délaissez les chaussettes en cuir et les pantalons : choisissez les vêtements de votre ancêtre Ismaël. Préservez-vous du luxe et de la tenue vestimentaire des non-arabes. Restez au soleil, c'est le hammam des Arabes. Gardez la culture de Ma'add [ancêtre des Quraysh]. Endurcissez-vous. Soyez prêts. Coupez les étriers [= montez à cheval sans étriers] et sautez à cheval. Entraînez-vous au tir à l'arc en visant des cibles" (Musnadu Abî 'Awâna, voir Al-Furûssiya, Ibn ul-Qayyim, p. 120). Si Omar leur a conseillé de garder ces vêtements et ne pas adopter les vêtements des non-arabes, c'est parce qu'il voulait qu'ils demeurent arabes (cliquez ici et ici pour en savoir plus). Mais ce qui nous intéresse ici est qu'il parle bien de "vêtements des Arabes".
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----- 1.3.2) Il a fait ainsi parce que c'était son habitude personnelle ('âda shakhsiyya) :
Abdullâh ibn Omar relate : "وأما النعال السبتية، فإني رأيت رسول الله صلى الله عليه وسلم يلبس النعل التي ليس فيها شعر ويتوضأ فيها" : "Quant aux sandales sibtî [confectionnées à partir de cuir sur lequel il n'y a pas de poil], j'ai vu le Messager de Dieu porter les sandales sur lesquelles il n'y a pas de poil et faire ses petites ablutions en les portant" (al-Bukhârî 164 etc., Muslim 1187).
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----- 1.3.3) Il a fait ainsi parce que c'était le goût des habitants de la région où il a grandi (dhawq qawmî) :
Le Prophète se trouvait un jour dans la maison de son épouse Meymûna en compagnie de Khâlid ibn ul-Walîd, quand on apporta un repas, où se trouvait la chair d'un animal rôti ; le Prophète allait en manger, mais comme on l'informa qu'il s'agissait de la chair du dhabb (sorte d'iguane), il retint sa main. "Est-ce illicite ? demanda Khâlid. – Non, mais (cet animal) n'était pas (consommé) dans la terre de mon peuple, et je ressens donc de l'aversion pour sa (chair)" (rapporté par al-Bukhârî 5217, Muslim).
(Il faut noter ici que, d'après l'école hanafite, certes, ce hadîth dit clairement que la chair du dhabb n'est pas illicite, cependant, par la suite, le Prophète a dit dans un hadîth postérieur que le dhabb est illicite : ce second hadîth a abrogé le premier : cliquez ici.)
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----- 1.3.4) Il a fait ainsi parce que c'était son goût personnel (dhawq shakhsî) :
Anas ibn Mâlik raconte : "Un esclave affranchi, couturier, invita le Messager de Dieu a prendre un repas qu'il avait préparé pour lui. Je m'y rendis avec le Messager de Dieu. L'homme lui présenta du pain et de la sauce dans laquelle il y avait de la calebasse et de la viande séchée (qadîd). Je vis le Messager rechercher les morceaux de calebasse dans le plat. Je les recherchai alors pour lui et les plaçai devant lui" (al-Bukhârî, 1986, 5064, 5104, 5117, 5119, 5120, 5123, Muslim 2041).
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Alors, certes, on a vu plus haut quelques Compagnons imiter le Prophète (sur lui soit la paix) même dans les actions qu'il a faites seulement par maslaha (1.2). Cependant, on a vu aussi que d'autres Compagnons (ou d'autres ulémas) ne l'imitaient pas dans ces actions-là :
– Malgré que le Prophète (sur lui soit la paix) s'était fait faire une bague et la portait par maslaha, il y eut des Compagnons qui l'imitèrent dans ce fait : Abdullâh ibn Omar raconte que lorsque le Prophète se fit faire une bague en or, des Compagnons s'en firent faire une eux aussi. Et quand il s'en délesta, ils s'en délestèrent aussi. Ensuite, quand il se fit faire une bague en argent, des Compagnons s'en firent faire une aussi (al-Bukhârî 5527, etc.). Cependant, il est évident que ce ne fut pas une qurba que de l'imiter sur ce point. Il est également évident que tous les Compagnons du Prophète ne portaient pas de bague. Sinon cela serait devenu un shi'âr des musulmans.
– De même, si le Prophète (sur lui soit la paix) s'était écarté du chemin, c'était apparemment par maslaha ; or on a vu Abdullâh ibn Omar faire le même geste au même endroit. Mais il est évident qu'imiter le Prophète dans ce genre d'actions n'est pas une qurba.
– De même encore, Salama ibn ul-Akwa' cherchait à accomplir la prière au même endroit que le Prophète l'avait, par maslaha, fait dans la mosquée (voir plus haut). Mais on a vu aussi que les autres Compagnons, eux, ne cherchaient pas à le faire ; car si cela avait été le cas, Salama n'aurait plus pu disposer de cette place pour y accomplir la prière. Choisir le même lieu pour accomplir la prière dont l'heure est venue, cela n'est pas une qurba ; cela peut être néanmoins fait avec l'intention susmentionnée : comme expression de l'affection pour le Prophète, ou par souci de l'imiter dans les moindres choses.
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De même, certes, on voit quelques Compagnons imiter le Prophète même dans ses habitudes personnelles et dans ses goûts personnels (1.3). Cependant, d'autres Compagnons n'imitaient pas le Prophète dans ces points-là :
– Ainsi, 'Ubayd ibn Jurayj questionna Abdullâh ibn Omar au sujet de quatre actions qu'il faisait et qu'il n'avait vu personne d'autre faire : parmi ces quatre actions il y avait le fait de porter des sandales de type "sibtî" (confectionnées à partir de cuir sur lequel il n'y avait plus de poil) et le fait de se teindre (les cheveux et/ou la barbe) au "suf'ra" : Abdullâh ibn Omar répondit sur ces deux points : "وأما النعال السبتية، فإني رأيت رسول الله صلى الله عليه وسلم يلبس النعل التي ليس فيها شعر ويتوضأ فيها؛ فأنا أحب أن ألبسها. وأما الصفرة، فإني رأيت رسول الله صلى الله عليه وسلم يصبغ بها، فأنا أحب أن أصبغ به" : "Quant aux sandales sibtî, j'ai vu le Messager de Dieu porter les sandales sur lesquelles il n'y avait pas de poil et faire ses petites ablutions en les portant ; j'aime donc en porter. Quant au suf'ra, j'ai vu le Messager de Dieu se teindre au suf'ra ; j'aime donc me teindre à cela" (al-Bukhârî 164 etc., Muslim 1187). Si on voit ici que Abdullâh ibn Omar a imité le Prophète même dans ces deux actions de pure habitude personnelle, on y découvre aussi que les autres Compagnons faisaient autrement. C'est bien pourquoi 'Ubayd ibn Jurayj a explicitement dit qu'il n'avait vu personne d'autre que Abdullâh ibn Omar pratiquer ces deux actions.
– De même, certes, dans le récit de Anas ibn Mâlik cité plus haut, où il relate qu'il avait découvert lors de ce repas que le Prophète aimait la calebasse, Anas ajoute, à la fin : "Depuis ce jour-là, où j'ai vu le Messager de Dieu en manger [particulièrement], je n'ai cessé d'aimer la calebasse" (al-Bukhârî, 1986, 5064, 5104, 5117, 5119, 5120, 5123, Muslim 2041). De même, Jâbir raconte que, depuis qu'il a entendu le Prophète dire : "Quel bon accompagnant [du pain] que le vinaigre", lui, Jâbir, n'a plus cessé d'aimer le vinaigre. Et Tal'ha de dire que depuis qu'il a entendu Jâbir relater cela du Prophète, lui, Tal'ha, n'a plus cessé d'aimer le vinaigre : "عن جابر بن عبد الله قال: أخذ رسول الله صلى الله عليه وسلم بيدي ذات يوم إلى منزله، فأخرج إليه فلقا من خبز، فقال: ما من أدم؟ فقالوا: لا، إلا شيء من خل. قال: فإن الخل نعم الأدم. قال جابر: فما زلت أحب الخل منذ سمعتها من نبي الله صلى الله عليه وسلم. وقال طلحة: ما زلت أحب الخل منذ سمعتها من جابر" (Muslim, 2051, 2052).
Cependant, à la fin de l'autre récit relatif au dhabb, on lit aussi que Khâlid ibn ul-Walîd – venant d'entendre le Prophète dire qu'il avait de l'aversion pour la chair du dhabb – mangea alors ce dernier, le Prophète le regardant faire et ne disant rien (rapporté par al-Bukhârî 5217, Muslim).
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Cheikh Ashraf 'Alî Thânwî dit que le fait que le Prophète mangeait de l'orge et non du blé, il l'a fait non pas 'ibâdatan mais 'âdatan. Ensuite il rappelle que dans les âdât le choix a été donné, en fonction des caractères personnels etc. Il rappelle aussi que si quelqu'un veut faire comme le Prophète même dans les choses qu'il a faites 'âdatan, alors cela comporte un bien (fadhîla) [voir plus haut], mais il n'a pas le droit de critiquer celui qui, dans ces choses-là, a choisi de ne pas faire comme le Prophète (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, pp. 127-128).
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– 2) Ce que le Prophète a fait de telle façon ou bien en tel lieu sans que cela soit suite à une volonté particulière de sa part (min ghayri qasd min'h), mais par simple hasard (ittifâq) ("hasard" d'un point de vue humain, c'est-à-dire : sans qu'il y ait eu de la part du Prophète le choix réfléchi de cette façon ou de ce lieu précis) :
– Choisir, dans l'aire de Minâ', le lieu exact où le Prophète avait sacrifié l'animal lorsqu'il avait accompli la pèlerinage, pour y sacrifier soi aussi l'animal lorsqu'on accomplit le pèlerinage :
"حدثنا عبيد الله بن عمر عن نافع أن عبد الله رضى الله عنه كان ينحر فى المنحر؛ قال عبيد الله: منحر رسول الله صلى الله عليه وسلم" : Ubaydullâh ibn Omar relate de Nâfi' que Abdullâh ibn Omar sacrifiait l'animal à l'endroit où le Messager de Dieu l'avait fait (al-Bukhârî 1624, 5231).
On voit une nouvelle fois ici Abdullâh ibn Omar chercher à faire une action exactement comme le Prophète l'avait fait. Or, si l'action de sacrifier l'animal suite à un type de pèlerinage précis est bien ta'abbudî, et si la faire dans l'aire de Minâ (ou même de al-Haram tout entier) est également ta'abbudî, choisir, dans toute cette aire, le lieu exact où le Prophète l'avait fait, cela n'est pas ta'abbudî.
La preuve en est que Jâbir relate que le Messager de Dieu a dit : "نحرت ها هنا ومنى كلها منحر فانحروا فى رحالكم. ووقفت ها هنا وعرفة كلها موقف. ووقفت ها هنا وجمع كلها موقف" : "J'ai procédé au sacrifice ici. (Mais) Minâ tout entière est lieu de sacrifice. Procédez donc au sacrifice là où sont vos affaires ! J'ai stationné ici. (Mais) 'Arafa toute entière est lieu de station ! J'ai stationné ici. (Mais) Jam' [= al-Muzdalifa] tout entière est lieu de station !" (Muslim 1218).
Ibn Hajar écrit au sujet de ce dernier hadîth : "وهذا ظاهره أن نحره صلى الله عليه وسلم بذلك المكان وقع عن اتفاق لا لشيء يتعلق بالنسك؛ ولكن ابن عمر كان شديد الاتباع" : "Ceci montre apparemment que le fait que le Prophète ait sacrifié à tel endroit, cela s'est produit par simple hasard, et non pour une raison liée aux rites du pèlerinage. Mais Ibn Omar était pointilleux dans l'imitation" (FB 3/697).
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– Choisir, lors d'un voyage, tel lieu précis pour y accomplir la prière dont l'heure légale est arrivée :
Mûssâ ibn 'Uqba dit : "رأيت سالم بن عبد الله يتحرى أماكن من الطريق فيصلى فيها، ويحدث أن أباه كان يصلى فيها، وأنه رأى النبى صلى الله عليه وسلم يصلى فى تلك الأمكنة" : "J'ai vu Sâlim ibn Abdillâh chercher certains lieux sur le chemin pour y accomplir la prière [= différentes prières]. Il racontait que son père [Abdullâh ibn Omar] y accomplissait la prière [= différentes prières], et que celui-ci a vu le Prophète accomplir la prière [= les différentes prières] en ces lieux." (Mûssâ ibn 'Uqba dit aussi : ) "وحدثنى نافع عن ابن عمر أنه كان يصلى فى تلك الأمكنة. وسألت سالما، فلا أعلمه إلا وافق نافعا فى الأمكنة كلها إلا أنهما اختلفا فى مسجد بشرف الروحاء" : "Et Nâfi' m'a relaté de Ibn Omar qu'il accomplissait la prière [= différentes prières] en ces lieux. Tous deux [= Sâlim et Nâfi'] ont cependant divergé dans un lieu de prière, à la colline de ar-Rawhâ'" (al-Bukhârî 469).
Commentant ce fait de Abdullâh ibn Omar, Ibn Hajar écrit de même : "وتشدده في الاتباع مشهور" : "Sa rigueur dans l'imitation est connue" (FB 1/736).
Ubaydullâh ibn Omar relate de Nâfi' que Abdullâh ibn Omar : "أَنَّهُ كَانَ يَتَّبِعُ آثَارَ رَسُولِ اللَّه صَلَّى اللَّه عَلَيْهِ وَسَلَّمَ كُلَّ مَكَانٍ صَلَّى فِيهِ؛ حَتَّى أَنَّ النَّبِيَّ صَلَّى اللَّه عَلَيْهِ وَسَلَّمَ نَزَلَ تَحْتَ شَجَرَةٍ، فَكَانَ ابْنُ عُمَرَ يَتَعَاهَدُ تِلْكَ الشَّجَرَةَ فَيَصُبُّ فِي أَصْلِهَا الْمَاءَ لِكَيْلا تَيْبَسَ" : "Il recherchait les lieux où le Messager de Dieu avait effectué la prière, et priait là. Au point qu'(une fois) le Prophète s'étant arrêté sous un arbre, Ibn Omar se rendait auprès de cet arbre et l'arrosait afin qu'il ne se dessèche pas" (Târîkhu Dimashq).
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– Choisir, quand on entre dans la Kaaba, le lieu précis où le Prophète avait accompli une prière facultative pour accomplir la même prière :
"عن نافع أن عبد الله كان إذا دخل الكعبة مشى قبل وجهه حين يدخل، وجعل الباب قبل ظهره، فمشى حتى يكون بينه وبين الجدار الذى قبل وجهه قريبا من ثلاثة أذرع، صلى يتوخى المكان الذى أخبره به بلال أن النبى - صلى الله عليه وسلم - صلى فيه" : Nâfi' relate que quand Abdullâh ibn Omar entrait dans la Kaaba, il recherchait, pour accomplir une prière, l'endroit exact où le Prophète avait prié le jour de la conquête de la Mecque (al-Bukhârî 484, 1522).
C'était cependant vis-à-vis de lui-même que Abdullâh ibn Omar était pointilleux dans l'imitation du Prophète ; il n'a pas fait de l'imitation jusque dans ces points-là une voie nécessaire à suivre pour tout musulman. C'est pourquoi, à la fin de cette dernière relation, on lit ceci : "قال: وليس على أحدنا بأس إن صلى فى أى نواحى البيت شاء" : (Abdullâh ibn Omar) précisait que la prière est valable en tout endroit à l'intérieur de la Kaaba (al-Bukhârî 484, 1522).
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– Stationner à "al-Abtah" / "al-Muhassab" après avoir quitté Minâ le 13 dhu-l-hijja :
Nous avons déjà vu plus haut 2 interprétations de ce fait du Prophète (sur lui soit la paix).
Ibn Abbâs, lui, pensait que le Prophète avait stationné en ce lieu fortuitement. Il dit : "S'installer à al-Muhassab n'est rien. Ce ne fut qu'un lieu où le Messager de Dieu s'installa" (Muslim 1312).
Il ressort de ce propos de Ibn Abbâs qu'une action que le Prophète a faite fortuitement, il n'est pas demandé (matlûb) de la faire [bien que la faire reste autorisé pour qui le veut].
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Conclusion :
Ce n'est pas la totalité des Compagnons qui imitaient le Prophète (sur lui soit la paix) dans les points non-ta'abbudî qu'il faisait ou avait faits.
Ibn Taymiyya écrit ainsi :
"وأيضا فإذا فعل فعلا لسبب، وقد علمنا ذلك السبب، أمكننا أن نقتدي به فيه.
فأما إذا لم نعلم السبب، أو كان السبب أمرا اتفاقيا، فهذا مما يتنازع فيه الناس - مثل نزوله في مكان في سفره -: فمن العلماء من يستحب أن ينزل حيث نزل، كما كان ابن عمر يفعل؛ وهؤلاء يقولون: نفس موافقته في الفعل هو حسن، وإن كان فعله هو اتفاقا ونحن فعلناه لقصد التشبه به. ومن العلماء من يقول: إنما تستحب المتابعة إذا فعلناه على الوجه الذي فعله؛ فأما إذا فعله اتفاقا، لم يشرع لنا أن نقصد ما لم يقصده؛ ولهذا كان أكثر المهاجرين والأنصار لا يفعلون كما كان ابن عمر يفعل" (MF 22/324).
"وقد تنازع العلماء فيما إذا فعل فعلا من المباحات لسبب، وفعلناه نحن تشبها به مع انتفاء ذلك السبب، فمنهم من يستحب ذلك، ومنهم من لا يستحبه" (Al-Iqtidhâ', p. 358).
"التأسي به في صورة الفعل الذي فعله، من غير أن يعلم قصده فيه، أو مع عدم السبب الذي فعله، فهذا فيه نزاع مشهور: وابن عمر مع طائفة يقولون بأحد القولين. وغيرهم يخالفهم في ذلك. والغالب والمعروف عن المهاجرين والأنصار أنهم لم يكونوا يفعلون كفعل ابن عمر رضي الله عنهما" :
"L'imiter [= Imiter le Prophète] dans la forme de l'action qu'il a faite, sans savoir quel objectif il avait en cette (action), ou bien sans la présence de la cause (sabab) (pour laquelle) il a fait cette action, il y a sur le sujet une divergence bien connue :
- Ibn Omar et un groupe sont de l'un des deux avis ;
- les autres sont de l'avis opposé sur le sujet.
Le plus courant et ce qui est connu des Muhâjirûn et des Ansâr est qu'ils ne faisaient pas comme faisait Ibn Omar, que Dieu les agrée" (Al-Iqtidhâ', p. 388).
"وأيضا فقد ثبت بالكتاب والسنة أنَّ ما فعله على وجه العادة، فهو مباح لنا؛ إلا أن يقوم دليل على اختصاصه به" :
"Pareillement, il est établi du Coran et de la Sunna que ce que (le Prophète, sur lui soit la paix) a fait en tant que 'âdah, cela est mubâh pour nous. Sauf s'il existe une preuve que cela est spécifique à lui" (MF 22/321).
"فما فعله على وجه التقرب، كان عبادة تفعل على وجه التقرب.
وما أعرض عنه ولم يفعله مع قيام السبب المقتضي، لم يكن عبادة ولا مستحبا.
وما فعله على وجه الإباحة من غير قصد التعبد به، كان مباحا. ومن العلماء من يستحب مشابهته في هذا في الصورة، كما كان ابن عمر يفعل. وأكثرهم يقول: إنما تكون المتابعة إذا قصدنا ما قصد؛ وأما المشابهة في الصورة من غير مشاركة في القصد والنية، فلا تكون متابعة؛ فما فعله على غير العبادة، فلا يستحب أن يفعل على وجه العبادة، فإن ذلك ليس بمتابعة بل مخالفة" (MF 27/422).
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Ibn Taymiyya écrit encore :
"وعلى هذا يخرج فعل ابن عمر رضي الله عنهما. فإن النبي صلى الله عليه وسلم كان يصلي في تلك البقاع التي في طريقه لأنها كانت منزله؛ لم يتحر الصلاة فيها لمعنى في البقعة. فنظير هذا أن يصلي المسافر في منزله؛ وهذا سنة. فأما قصد الصلاة في تلك البقاع التي صلى فيها اتفاقا، فهذا لم ينقل عن غير ابن عمر من الصحابة، بل كان أبو بكر وعمر وعثمان وعلي وسائر السابقين الأولين من المهاجرين والأنصار يذهبون من المدينة إلى مكة حجاجا وعمارا ومسافرين، ولم ينقل عن أحد منهم أنه تحرى الصلاة في مصليات النبي صلى الله عليه وسلم. ومعلوم أن هذا لو كان عندهم مستحبا، لكانوا إليه أسبق، فإنهم أعلم بسنته وأتبع لها من غيرهم. وقد قال صلى الله عليه وسلم: "عليكم بسنتي وسنة الخلفاء الراشدين المهديين من بعدي، تمسكوا بها، وعضوا عليها بالنواجذ، وإياكم ومحدثات الأمور فإن كل محدثة بدعة وكل بدعة ضلالة" (Al-Iqtidhâ', p. 358).
"ولأن ما فعله ابن عمر لم يوافقه عليه أحد من الصحابة، فلم ينقل عن الخلفاء الراشدين ولا غيرهم من المهاجرين والأنصار أنه كان يتحرى قصد الأمكنة التي نزلها النبي صلى الله عليه وسلم. والصواب مع جمهور الصحابة؛ لأن متابعة النبي صلى الله عليه وسلم تكون بطاعة أمره، وتكون في فعله، بأن يفعل مثل ما فعل على الوجه الذي فعله.
فإذا قصد العبادة في مكان، كان قصد العبادة فيه متابعة له، كقصد المشاعر والمساجد. وأما إذا نزل في مكان بحكم الاتفاق لكونه صادف وقت النزول، أو غير ذلك مما يعلم أنه لم يتحر ذلك المكان، فإذا تحرينا ذلك المكان، لم نكن متبعين له، فإن الأعمال بالنيات" (Al-Iqtidhâ', p. 356).
"إلا ما نقل عن ابن عمر أنه كان يتحرى النزول في المواضع التي نزل فيها النبي صلى الله عليه وسلم، والصلاة في المواضع التي صلى فيها. حتى إن النبي صلى الله عليه وسلم توضأ وصب فضل وضوئه في أصل شجرة؛ ففعل ابن عمر ذلك. وهذا من ابن عمر تحر لمثل فعله، فإنه قصد أن يفعل مثل فعله، في نزوله وصلاته وصبه للماء وغير ذلك؛ لم يقصد ابن عمر الصلاة والدعاء في المواضع التي نزلها*. والكلام هنا في ثلاث مسائل: إحداها: أن التأسي به في صورة الفعل الذي فعله، من غير أن يعلم قصده فيه، أو مع عدم السبب الذي فعله، فهذا فيه نزاع مشهور، وابن عمر مع طائفة يقولون بأحد القولين، وغيرهم يخالفهم في ذلك، والغالب والمعروف عن المهاجرين والأنصار أنهم لم يكونوا يفعلون كفعل ابن عمر رضي الله عنهم. وليس هذا مما نحن فيه الآن. ومن هذا الباب: أنه لو تحرى رجل في سفره أن يصلي في مكان نزل فيه النبي صلى الله عليه وسلم وصلى فيه، إذا جاء وقت الصلاة؛ فهذا من هذا القبيل. المسألة الثانية: أن يتحرى تلك البقعة** للصلاة عندها، من غير أن يكون ذلك وقتا للصلاة، بل أراد أن ينشئ الصلاة والدعاء لأجل البقعة**: فهذا لم ينقل عن ابن عمر ولا غيره. وإن ادعى بعض الناس أن ابن عمر فعله، فقد ثبت عن أبيه عمر أنه نهى عن ذلك، وتواتر عن المهاجرين والأنصار أنهم لم يكونوا يفعلون ذلك؛ فيمتنع أن يكون فعل ابن عمر - لو فعل ذلك - حجة على أبيه وعلى المهاجرين والأنصار" (Al-Iqtidhâ', p. 388) (* أي التي نزلها ولم يصل فيها) (** التي نزل فيها رسول الله صلى الله عليه وسلم بحسب الاتفاق، ثم صلى فيها).
"والمقصود هاهنا: أن الصحابة والتابعين لهم بإحسان لم يبنوا قط على قبر نبي ولا رجل صالح مسجدا، ولا جعلوه مشهدا ومزارا، ولا على شيء من آثار الأنبياء مثل مكان نزل فيه أو صلى فيه أو فعل فيه شيئا من ذلك: لم يكونوا يقصدون بناء مسجد لأجل آثار الأنبياء والصالحين. ولم يكن جمهورهم يقصدون الصلاة في مكان لم يقصد الرسول الصلاة فيه بل نزل فيه أو صلى فيه اتفاقا. بل كان أئمتهم كعمر بن الخطاب وغيره ينهى عن قصد الصلاة في مكان صلى فيه رسول الله صلى الله عليه وسلم اتفاقا لا قصدا. وإنما نقل عن ابن عمر خاصة أنه كان يتحرى أن يسير حيث سار رسول الله صلى الله عليه وسلم وينزل حيث نزل ويصلي حيث صلى وإن كان النبي صلى الله عليه وسلم لم يقصد تلك البقعة لذلك الفعل بل حصل اتفاقا؛ وكان ابن عمر رضي الله عنهما رجلا صالحا شديد الاتباع، فرأى هذا من الاتباع. وأما أبوه وسائر الصحابة من الخلفاء الراشدين عثمان وعلي وسائر العشرة وغيرهم مثل ابن مسعود ومعاذ بن جبل وأبي بن كعب فلم يكونوا يفعلون ما فعل ابن عمر؛ وقول الجمهور أصح؛ وذلك أن المتابعة أن يفعل مثل ما فعل على الوجه الذي فعل لأجل أنه فعل" (MF 17/466-467).
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Ibn Taymiyya fait une différence entre :
--- a) le lieu où le Prophète s'est arrêté et n'y a pas accompli la prière : il n'est pas mashrû' de chercher à ce que ce soit dans ce lieu qu'on accomplisse une prière ; Ibn Omar ne faisait pas cela ; et ce serait de la tabarruk bi-l-makân ;
--- b) et le lieu où le Prophète a dûment accompli la prière. Ce second type de lieu, Ibn Taymiyya y distingue :
----- b.a) le lieu où le Prophète s'est arrêté sans le rechercher (ittifâqân), puis y a accompli la prière ;
----- b.b) et le lieu que le Prophète a dûment choisi (taharrî) pour y accomplir une prière (et non pas une action de 'âdah).
Ibn Rajab a fait cette même distinction binaire dans son Fat'h ul-bârî (en commentaire du bâb 89 de Kitâb us-salât).
Pour Ibn Taymiyya :
----- c'est seulement pour le type de lieu b.a que, s'y rendre volontairement pour y accomplir la prière dont l'heure est arrivée, cela est mubâh ; et c'est ce que Ibn Omar faisait ;
----- par contre, le type de lieu b.b, le choisir pour y faire la même 'ibâda est mustahabb, dit Ibn Taymiyya, qui interprète dans ce sens le hadîth de 'Itbân et celui de Salama ibn ul-Akwâ'.
"فأما الأمكنة التي كان النبي صلى الله عليه وسلم يقصد الصلاة أو الدعاء عندها، فقصد الصلاة فيها أو الدعاء سنة، اقتداء برسول الله صلى الله عليه وسلم واتباعا له. (كما إذا تحرى الصلاة أو الدعاء في وقت من الأوقات فإن قصد الصلاة أو الدعاء في ذلك الوقت سنة كسائر عباداته، وسائر الأفعال التي فعلها على وجه التقرب.) ومثل هذا: ما خرجاه في الصحيحين عن يزيد بن أبي عبيد قال: "كان سلمة بن الأكوع يتحرى الصلاة عند الأصطوانة التي عند المصحف. فقلت له: يا أبا مسلم، أراك تتحرى الصلاة عند هذه الأصطوانة، قال: "رأيت النبي صلى الله عليه وسلم يتحرى الصلاة عندها"؛ وفي رواية لمسلم عن سلمة بن الأكوع أنه كان يتحرى الصلاة موضع المصحف، يسبح فيه، وذكر أن رسول الله صلى الله عليه وسلم كان يتحرى ذلك المكان، وكان بين المنبر والقبلة قدر ممر الشاة.
وقد ظن بعض المصنفين أن هذا مما اختلف فيه، وجعله والقسم الأول سواء.
وليس بجيد. فإنه هنا أخبر أن النبي صلى الله عليه وسلم كان يتحرى البقعة؛ فكيف لا يكون هذا القصد مستحبا؟" (Al-Iqtidhâ', p. 357).
Or on peut - et un auteur dont Ibn Taymiyya a cité le propos l'a fait - considérer que :
----- le type b.a (que le Prophète n'a choisi que par hasard, ittifâqan), y prier est mubâh ;
----- par contre, au sein du type b.b (que le Prophète a dûment choisi pour y accomplir une prière), il existe deux sous-catégories :
------- le lieu qu'il a certes choisi pour y accomplir une prière, mais seulement maslahatan : b.b.a ;
------- et le lieu qu'il a choisi pour y accomplir une prière, mais ce parce que ce lieu recèle une valeur de ta'abbud spécifique : b.b.b (comme c'est le cas de al-Masjid un-Nabawî, ou de la mosquée de Qubâ', par exemple).
En vertu de cet autre découpage, ce que Ibn Omar a fait et ce que Salama ibn ul-Akwa' a fait sont du même degré : mubâh.
D'ailleurs, Ibn Taymiyya lui-même n'a-t-il pas écrit, au sujet du hadîth de 'Itbân (où le Prophète a délimité le lieu où il accomplirait la prière et où 'Itbân ferait de même après lui) : "ففي هذا الحديث دلالة على أن من قصد أن يبني مسجده في موضع صلاة رسول الله صلى الله عليه وسلم، فلا بأس به؛ وكذلك قصد الصلاة في موضع صلاته" (Al-Iqtidhâ', p. 357) ?
On peut même dire que ce que Ibn Omar faisait en terme de iqtidâ' shadîd, il ne le faisait pas en pensant que cela est mustahabb (même si, par la suite, certains ulémas ont attribué cela comme statut à ce genre d'action), mais en sachant bien que cela est mubâh ; simplement, il le faisait par affection, iz'hâran li-l-mahabba.
Ce genre d'expression d'affection est mubâh, comme Anas ibn Mâlik dit s'être mis à aimer la calebasse depuis le jour où il a vu le Prophète en rechercher les morceaux dans le plat qui lui avait été servi.
De même en est-il de ce que Salama ibn ul-Akwa' a fait.
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Et les Compagnons qui imitaient le Prophète même dans ces points-là ne critiquaient pas ceux qui ne le faisaient pas et qui se contentaient de l'imiter dans les actions ta'abbudî. Car ils avaient compris, eux, que ces choses-là ne constituent pas l'essentiel (puisque n'étant pas ta'abbudî).
Les musulmans d'aujourd'hui gagneraient beaucoup à se garder de critiquer celui qui, aujourd'hui, n'imite pas le Prophète dans ces choses-là, et à s'abstenir de dire de façon simplificatrice : "Cette façon de faire est différente de celle du Prophète, donc cela est contraire à la Sunna !"
Sans oublier que pratiquer les sunna non-ta'abbudiyya, cela n'a de sens que si on pratique aussi les sunna ta'abbudiyya, qui constituent l'essentiel en matière de "ittibâ'" du Prophète. Or, que constate-t-on ? Certains se focalisent sur la pratique des sunna non-ta'abbudiyya mais ne se privent pas de justifier leur comportement injuste vis-à-vis d'autrui alors même que ce comportement bafoue des sunna ta'abbudiyya. D'autres insistent sans arrêt sur la pratique des sunna non-ta'abbudiyya alors que dans leurs affaires ils ne font aucun effort pour respecter les interdictions instituées par le Prophète (ils font des emprunts à intérêt, ou se vantent de n'avoir aucune pitié dans les affaires, etc.). Est-ce là la façon de faire des Compagnons du Prophète ?
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).
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Des articles en arabe, à lire en complément de cet article :
– Une explication de al-Albânî à propos de la distinction entre les sunna ta'abbudiyya et les sunna 'âdiyya, avec évocation des goûts personnels du Prophète (sur lui soit la paix) et des coutumes des Arabes de l'époque ;