Dieu dit dans le Coran : "لِّلَّهِ ما فِي السَّمَاواتِ وَمَا فِي الأَرْضِ وَإِن تُبْدُواْ مَا فِي أَنفُسِكُمْ أَوْ تُخْفُوهُ يُحَاسِبْكُم بِهِ اللّهُ فَيَغْفِرُ لِمَن يَشَاء وَيُعَذِّبُ مَن يَشَاء وَاللّهُ عَلَى كُلِّ شَيْءٍ قَدِيرٌ" : "Et que vous exprimiez ce qui se trouve dans vos âmes ou que vous le cachiez, Dieu vous jugera pour cela. Puis Il pardonnera à qui Il voudra et châtiera qui Il voudra. Et Dieu a puissance sur toute chose" (Coran 2/284).
Ce verset montre qu'il n'est pas demandé à l'homme de se parfaire au niveau des actes visibles en oubliant l'intérieur de son cœur et de son esprit, mais que Dieu jugera les hommes autant pour leurs actions extérieures que pour le contenu de leur for intérieur.
Or dans le for intérieur :
– il y a ce sur quoi la volonté humaine a une emprise : croyances, sincérité ou ostentation, humilité ou orgueil, amour de Dieu ou amour d'autre que Lui, mauvaises pensées entretenues, etc.,
– mais il y a aussi ce qui échappe à la volonté : pensées furtives, suggestions du diable, etc.
Maintenant :
– Pour ce qui, dans leur cœur/esprit, relève de ce sur quoi leur volonté a une emprise, les hommes seront jugés.
– Mais pour les pensées qui traversent leur cœur/esprit, les faibles intentions et les murmures que le diable leur glisse dans leur for intérieur, seront-ils aussi jugés ?
En réalité non : le verset ne parlait que de ce qui relève de ce sur quoi la volonté a une emprise.
Cependant, le libellé (zâhir) du verset pouvait laisser croire le contraire : il semblait concerner tout ce qui relève du cœur.
Quand ce verset fut révélé, des Compagnons le comprirent donc avec ce sens apparent (zâhir) et, craignant ne pas pouvoir être à la hauteur, ils se rendirent auprès du Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) lui dire qu'ils étaient incapables de pratiquer ce verset.
Le Prophète leur demanda d'exprimer qu'ils acceptaient ce que Dieu a dit.
Alors Dieu révéla deux autres versets, dans lesquels Il explicita le sens réel du verset précédemment révélé : Il y dit entre autres choses : "Dieu ne tient responsable une âme que ce dont elle est capable" : "لَا يُكَلِّفُ اللَّهُ نَفْسًا إِلَّا وُسْعَهَا" (Coran 2/286). Les pensées fugitives (ahâdîth un-nafs) étant hors du contrôle de l'homme et celui-ci n'étant pas capable de les faire disparaître, Dieu n'en tient donc pas l'homme responsable : aussi, ce genre de pensée n'est pas inclus dans ce dont parle le premier verset. Voici le passage qui fut révélé dans ce second temps : "آمَنَ الرَّسُولُ بِمَا أُنزِلَ إِلَيْهِ مِن رَّبِّهِ وَالْمُؤْمِنُونَ كُلٌّ آمَنَ بِاللَّهِ وَمَلَائِكَتِهِ وَكُتُبِهِ وَرُسُلِهِ لَا نُفَرِّقُ بَيْنَ أَحَدٍ مِّن رُّسُلِهِ وَقَالُوا سَمِعْنَا وَأَطَعْنَا غُفْرَانَكَ رَبَّنَا وَإِلَيْكَ الْمَصِيرُ. لَا يُكَلِّفُ اللَّهُ نَفْسًا إِلَّا وُسْعَهَا لَهَا مَا كَسَبَتْ وَعَلَيْهَا مَا اكْتَسَبَتْ رَبَّنَا لَا تُؤَاخِذْنَا إِن نَّسِينَا أَوْ أَخْطَأْنَا رَبَّنَا وَلَا تَحْمِلْ عَلَيْنَا إِصْرًا كَمَا حَمَلْتَهُ عَلَى الَّذِينَ مِن قَبْلِنَا رَبَّنَا وَلَا تُحَمِّلْنَا مَا لَا طَاقَةَ لَنَا بِهِ وَاعْفُ عَنَّا وَاغْفِرْ لَنَا وَارْحَمْنَا أَنتَ مَوْلَانَا فَانصُرْنَا عَلَى الْقَوْمِ الْكَافِرِينَ" (Coran 2/285-286).
On voit qu'il y a eu ici explicitation du sens réel du premier verset par le second.
Cependant, Abû Hurayra (que Dieu l'agrée), relatant ce récit, a employé les termes suivants : "فلما اقترأها القوم، ذلت بها ألسنتهم، فأنزل الله في إثرها: {آمن الرسول بما أنزل إليه من ربه والمؤمنون كل آمن بالله وملائكته وكتبه ورسله لا نفرق بين أحد من رسله وقالوا سمعنا وأطعنا غفرانك ربنا وإليك المصير}. فلما فعلوا ذلك، نسخها الله تعالى فأنزل الله عز وجل: {لا يكلف الله نفسا إلا وسعها لها ما كسبت وعليها ما اكتسبت ربنا لا تؤاخذنا إن نسينا أو أخطأنا}" : "Lorsque les Compagnons eurent fait cela, Dieu fit le naskh du verset et révéla : "Dieu ne tient responsable une âme que ce dont elle est capable"" (rapporté par Muslim, n° 125).
De même, Ibn Omar (que Dieu l'agrée) a employé le même terme : "عن مروان الأصفر، عن رجل من أصحاب رسول الله صلى الله عليه وسلم، قال: أحسبه ابن عمر: {إن تبدوا ما في أنفسكم أو تخفوه} قال: نسختها الآية التي بعدها" (al-Bukhârî, n° 4272).
Mais en fait, le terme "naskh" ne désigne ici aucune abrogation (puisqu'il n'y en a eu aucune, ni complète, ni partielle) ; il ne s'agit que d'une explicitation du sens réel du premier verset.
Montrant qu'il n'y a pas eu d'abrogation, Shâh Waliyyullâh écrit : "Le verset révélé postérieurement a montré qu'il s'agissait de "ce qui se trouve dans vos âmes" comme sincérité ou hypocrisie, et non comme pensées fugitives, sur lesquelles la volonté n'a pas de prise : l'homme n'est responsable que ce dont il est capable" (Al-Fawz ul-kabir, p. 56).
Cheikh Ashraf 'Alî Thânwî a commenté ces versets de la même façon, puis a conclu : "Dieu a, dans le second verset, explicité le sens du verset révélé précédemment ; c'est ce qui a été nommé dans certains récits un "naskh" : en fait, chez les Prédécesseurs ("Salaf") l'explicitation ("tawdhîh") aussi était appelée : "naskh"" (Bayân ul-qur'ân, tome 1 pp. 173-174).
Ibn Hajar a lui aussi écrit : "ويحتمل أن يكون المراد بالنسخ في الحديث التخصيص فإن المتقدمين يطلقون لفظ النسخ عليه كثيرا والمراد بالمحاسبة بما يخفي الإنسان ما يصمم عليه ويشرع فيه دون ما يخطر له ولا يستمر عليه والله أعلم" (FB 8/260).
Ce verset n'est donc nullement abrogé.
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Il faut comprendre qu'il existe ici 3 types d'actions :
Il y a :
– primo) l'action qui est par essence propre au for intérieur (العمل القائم بالقلب) : avoir une croyance (اعتقاد) ; chercher à plaire à se faire une renommée par le biais d'une bonne action (الرياء والسمعة) ; penser en mal au sujet d'autrui (سُوْء الظنّ) ; mépriser autrui (غَمْط الناس) ; penser aux parties intimes d'une personne avec qui on n'est pas marié ;
– secundo) l'action qui est propre aux membres extérieurs (العمل القائم بالجوارح) : boire de l'alcool ; insulter quelqu'un ;
– tertio) l'action qui est par essence liée à la parole dans la mesure où il s'agit de conclure ou de défaire un contrat (العمل القائم باللسان) : prononcer la formule de divorce ; ou prononcer la formule d'affranchissement.
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Dès lors :
– A) Il y a le fait de faire une action qui est propre au for intérieur (du genre de celle évoquée en primo) : avoir une croyance (اعتقاد) ; chercher à se faire une renommée par le biais d'une bonne action (الرياء والسمعة) ; penser en mal au sujet d'autrui (سُوْء الظنّ) ; mépriser autrui (غَمْط الناس) ; mais ne rien exprimer de tout cela par la parole :
C'est ce genre d'actions qui a été évoqué en ces versets : "وَإِن تُبْدُواْ مَا فِي أَنفُسِكُمْ أَوْ تُخْفُوهُ يُحَاسِبْكُم بِهِ اللّهُ فَيَغْفِرُ لِمَن يَشَاء وَيُعَذِّبُ مَن يَشَاء" (Coran 2/284), et : "لَا يُكَلِّفُ اللَّهُ نَفْسًا إِلَّا وُسْعَهَا" (Coran 2/286).
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Les pensées de Kufr sont concernées par ces versets :
--- A.a) Si cela ne relève que de ce qui "passe" involontairement dans son esprit puis disparaît, l'homme n'en est pas responsable ; et vu que cela disparaît de soi-même, l'homme n'a même pas à le repousser.
--- A.b) Si cela vient, part et revient, alors, l'homme doit le repousser, et, alors, il n'en sera pas non plus tenu responsable.
--- A.c) Par contre, si cette mauvaise pensée, d'abord involontaire, a fini par "prendre racine" en lui, parce qu'il ne l'avait pas repoussée, l'homme en sera responsable, car il s'agit justement là d'une mauvaise action intérieure.
--- A.d) De même, si c'est sciemment qu'il se laisse aller à cette mauvaise action intérieure ('aqlan), l'homme en sera responsable.
--- A.e) Quant au cas où il exprime verbalement, en tant que vérité à laquelle il adhère, la mauvaise action intérieure qu'il a ainsi faite, cela est encore plus accentué que le seul fait de penser cela volontairement, et il en sera a fortiori responsable.
Dans mon article sur les degrés de "doute" quant aux croyances correctes :
-- le "doute" numéroté "1" là-bas, correspond aux degrés "A.a" et "A.b" ici : l'homme n'en est pas responsable ;
-- quant au doute numéroté "3" ainsi que le doute numéroté "4" là-bas, ils correspondent aux degrés "A.c" et "A.d" ici : le numéroté "3" constitue un péché ; et le numéroté "4" constitue du kufr akbar.
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Les autres actions qui sont par essence intérieures, comme penser aux parties intimes d'une personne qui n'est pas licite pour soi (ce n'est pas son épouse/époux), sont elles aussi concernées par l'échelonnement que l'on vient de voir :
A la seule différence que, au sujet de ces autres actions, le degré A.e n'existe pas.
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– B) Qu'en est-il maintenant du fait d'avoir, en son for intérieur, l'intention de faire une action de bien ou de mal qui est, cette fois, propre à l'extérieur (du genre de celle évoquée en secundo), et ensuite de ne pas faire cette action : cette intention sera-t-elle comptabilisée auprès de Dieu, ou pas ?
La réponse est que cela dépend du degré d'intention, car il en existe 5 (comme nous l'avons exposé dans l'article consacré aux Degrés dans l'intention) :
--- B') Si cela ne constitue qu'une intention de niveau numéroté "1", "2" ou "3" (dans cet article-là), alors cela n'est pas compté à l'homme.
--- B'') Si cela constitue une intention de niveau "4", alors cela ne sera pas compté à l'homme s'il s'agissait d'une mauvaise action (mais sera compté s'il s'agissait d'une bonne action).
--- B''') Par contre, si cela constitue une intention ferme (niveau "5"), alors cela sera compté à l'homme qu'il s'agissait d'une bonne, ou d'une mauvaise action, et même s'il ne la réalise ensuite pas : c'est sa ferme intention qui lui est comptabilisée.
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– C) Qu'en est-il, enfin, du fait d'avoir, en son for intérieur, l'intention de faire une action qui est par essence verbale car relevant de la la conclusion d'un contrat (عمل قائم باللسان) (du genre de celle évoquée en tertio), et ensuite de ne pas prononcer cette parole : cette intention aura-t-elle une incidence juridique, ou pas ?
La réponse est que cela n'aura aucune incidence juridique. Ici c'est la prononciation qui est déterminante. C'est le cas par exemple pour la conclusion d'un contrat, ou pour le talâq.
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Les B et C relèvent de la catégorie des intentions.
Les A ne sont pour leur part pas des intentions.
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Il y a ici ce hadîth très connu : "عن أبي هريرة، يرفعه قال: "إن الله تجاوز لأمتي عما وسوست - أو حدثت - به أنفسها، ما لم تعمل به أو تكلم" : Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Dieu a pardonné aux gens de ma communauté ce que leur âme leur suggère, tant qu'ils n'agissent pas en fonction ni ne l'expriment par la parole" (al-Bukhârî, 6287, Muslim, 127) :
– "Agir en fonction", cela concerne la mauvaise action que l'homme pourrait commettre à l'extérieur, comme boire de l'alcool, etc. :
----- c'est seulement s'il agit en fonction de son intention (B) que cela sera inscrit comme péché ;
----- par contre, tant qu'il en a seulement eu l'intention (B), cela ne lui est pas compté comme péché (exception faite du degré d'intention n° 5 : la ferme intention, qui est une action à part entière, et est comptée même si on n'a ensuite pas concrétisé cette action).
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– "Exprimer par la parole", cela concerne ce que l'homme a pensé en son for intérieur et qu'il pourrait exprimer en tant que parole :
----- avoir une pensée qui relève du kufr akbar : si l'homme exprime cela verbalement, en tant que ce qu'il croit être vrai, cela est très grave (type A.e) ;
----- avoir une mauvaise pensée au sujet d'une personne (سُوء الظنّ) : si l'homme exprime devant un tiers cette mauvaise pensée qu'il a eue au sujet de cette personne, là cela est compté comme péché (type A.e) ;
----- donner talâq à son épouse (type C)...
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En fait, les choses pensées en son for intérieur...
–----- i) S'il s'agissait d'intention (B), alors :
Cela dépend de la force de l'intention.
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–----- ii) Et s'il s'agissait de pensées, alors :
----------- ii.i) s'il ne les exprime pas verbalement :
-------------- ii.i.i) il y a les actions qui sont, par essence, "de cœur" (اسم لمسمى قائم بالقلب) : ce sont les actions du type évoqué en primo : même en ne les exprimant pas verbalement et en les gardant en son for intérieur, si l'homme atteint en son for intérieur le degré A.d ou même le degré A.c, cela lui est compté comme péché. Car, même si on n'agit pas extérieurement en fonction et on ne l'exprime pas par la parole, ce qu'il y a c'est que ces degrés A.c et A.d constituent des actions intérieures, et entraînent donc la responsabilité devant Dieu (alors que les degrés A.a et A.b sont pardonnés) :
----- devenir kâfir intérieurement, sans jamais l'exprimer par la parole (attention, cela est différent de ce qui avait été mentionné plus haut : "avoir une pensée de kufr akbar" qui relevait du degré A.a et A.b et n'était donc que waswassa) ;
----- penser volontairement (A.d) aux parties intimes d'une personne précise avec qui on n'est pas marié (zina-l-qalb) ; cette représentation mentale entretenue est comparable à un regard volontaire ;
----- souhaiter ardemment (A.d) que telle personne perde tel bienfait dont elle jouit (hassad) ;
----- mépriser les hommes (kibr) ;
----- etc.
-------------- ii.i.ii) et puis il y a des actions qui sont par essence verbales (عمل قائم باللسان), comme le fait de donner talâq à son épouse : ce sont les actions du type évoqué en tertio : ces actions-là ne sont effectives que si l'homme prononce la parole en laquelle elles consistent : tant qu'il n'en a eu que l'intention, même ferme, ou tant qu'il n'a fait que le penser, même très fortement, cela n'a pas de validité (Zâd ul-ma'âd, 5/203). Cela est dû au fait que l'action de talâq consiste en une action verbale. Par ailleurs, d'après certains mujtahidûn, même la personne ivre au point de ne pas être consciente de ce qu'elle dit, son talâq ne compte pas : le fait est que c'est l'action verbale qui a été prononcée volontairement qui vaut talâq (Zâd ul-ma'âd, 5/209-210).
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----------- ii.ii) Et si l'homme les exprime verbalement en tant que choses à quoi il adhère, alors :
----------- ii.ii.i) si ces pensées sont mauvaises, elle lui sont comptées comme des péchés : "Je pense qu'Untel est mauvais" ; "Crois-tu vraiment que les défunts se relèveront un jour de leur tombe ?" (attention, cela ne concerne pas le fait d'en parler comme étant un problème qu'il a et dont il demande conseil pour s'en débarrasser, mais en tant que chose à quoi il adhère) ;
----------- ii.ii.ii) s'il prononce la dissolution de son nikâh, cela sera valide.
"فإن ما يعاقب عليه من أعمال القلوب هو معاص قلبية يستحق العقوبة عليها - كما يستحقه على المعاصي البدنية -، إذ هي منافية لعبودية القلب. فإن الكبر والعجب والرياء وظن السوء محرمات على القلب، وهي أمور اختيارية يمكن اجتنابها؛ فيستحق العقوبة على فعلها. وهي أسماء لمعان مسمياتها قائمة بالقلب.
وأما العتاق والطلاق فاسمان لمسميين قائمين باللسان، أو ما ناب عنه من إشارة أو كتابة وليسا اسمين لما في القلب مجردا عن النطق. وتضمنت أن المكلف إذا هزل بالطلاق أو النكاح أو الرجعة لزمه ما هزل به، فدل ذلك على أن كلام الهازل معتبر، وإن لم يعتبر كلام النائم والناسي وزائل العقل والمكره؛ والفرق بينهما أن الهازل قاصد للفظ غير مريد لحكمه، وذلك ليس إليه، فإنما إلى المكلف الأسباب، وأما ترتب مسبباتها وأحكامها، فهو إلى الشارع، قصده المكلف أو لم يقصده؛ والعبرة بقصده السبب اختيارا في حال عقله وتكليفه. فإذا قصده، رتب الشارع عليه حكمه جد به أو هزل. وهذا بخلاف النائم والمبرسم والمجنون والسكران وزائل العقل فإنهم ليس لهم قصد صحيح، وليسوا مكلفين، فألفاظهم لغو بمنزلة ألفاظ الطفل الذي لا يعقل معناها ولا يقصده" (Zâd ul-ma'âd, 5/204-205).
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Il existe donc 3 types d'actions intérieure qui sont en question :
--- l'action intérieure autre que l'intention (action évoquée en primo) : il s'agit de l'action intérieure de penser erronée une croyance correcte, de penser en mal au sujet de Dieu, de penser en mal au sujet d'autrui, ou de se représenter mentalement une 'awra interdite pour soi, etc. ; la question est de savoir si cette action intérieure - penser cela en son esprit -, cela constitue déjà, ou pas, un péché ;
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--- l'intention de faire telle action extérieure qui est interdite (comme boire de l'alcool), ou de prononcer telle parole qui est interdite (comme une insulte) (actions évoquées en secundo) ; la question est de savoir si cette action intérieure - avoir l'intention de faire telle action -, cela constitue déjà, ou pas, un péché ;
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--- l'intention de faire l'action de conclure ou de dissoudre - par la parole verbale ou écrite - un contrat (action évoquée en tertio) ; la question est de savoir si cette action intérieure - se représenter le résultat en son esprit, ou avoir l'intention de dissoudre le contrat -, cela est pris en considération, ou pas, au niveau juridique.
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Le dernier hadîth ("عن أبي هريرة يرفعه، قال: "إن الله تجاوز لأمتي عما حدثت به أنفسها، ما لم تعمل به أو تكلم") parle de la faible intention de faire telle action extérieure (B', et B'') :
----- si ces mauvaises intentions sont du degré B' ou B'', alors elles sont systématiquement pardonnées ;
----- c'est si elles se traduisent en acte (par la langue s'il s'agit d'une insulte, ou par la main s'il s'agit d'un geste) qu'elles seront comptées comme péché ;
----- cependant, si sans se traduire en acte, si ces mauvaises intentions sont du degré B''' (ferme intention), elles seront quand même comptées comme péché.
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Ce dernier hadîth (qui parle de la non-responsabilité pour ce que le for intérieur "dit") parle aussi de l'intention de conclure ou de dissoudre un contrat (C) :
----- même s'il s'agit d'une intention ferme, cela n'a pas d'incidence juridique ;
----- c'est seulement si cela a été prononcé verbalement que cela a une incidence juridique.
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Ce dernier hadîth ne parle pas directement des actions intérieures du type évoqué en primo. Ce n'est pas seulement à partir du moment où ces pensées sont exprimées par la langue ou traduites en acte qu'elles sont comptabilisées :
----- si, même n'étant pas exprimées, elles sont du degré A.c ou A.d, elles seront jugées par Dieu, au même titre que le sera le manque de sincérité (intention d'ostentation) lors de l'accomplissement des bonnes actions extérieures, etc. ; et, alors, Dieu pardonnera à qui Il voudra, et châtiera qui Il voudra : "Et que vous exprimiez ce qui se trouve dans vos âmes ou que vous le cachiez, Dieu vous jugera pour cela. Puis Il pardonnera à qui Il voudra et châtiera qui Il voudra" : "وَإِن تُبْدُواْ مَا فِي أَنفُسِكُمْ أَوْ تُخْفُوهُ يُحَاسِبْكُم بِهِ اللّهُ فَيَغْفِرُ لِمَن يَشَاء وَيُعَذِّبُ مَن يَشَاء" (Coran 2/284). Car ces actions intérieures, l'homme a la capacité de les contrôler ;
----- c'est si ces actions intérieures sont du degré A.a ou A.b, qu'elles sont systématiquement pardonnées, car relevant de ce sur quoi la volonté de l'homme n'a pas d'emprise : or "Dieu ne tient responsable une âme que ce dont elle est capable" : "لَا يُكَلِّفُ اللَّهُ نَفْسًا إِلَّا وُسْعَهَا" (Coran 2/286).
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Dans le célèbre hadîth :
"(...) La fornication des yeux c'est de regarder [la 'awra d'une personne qui n'est pas licite pour soi, ou bien toute partie du corps d'une telle personne mais avec shahwa]. La fornication des oreilles c'est d'écouter [volontairement la parole intime provenant d'une personne qui n'est pas licite pour soi, ou bien toute parole d'une telle personne mais avec shahwa]. La fornication de la langue c'est de parler [en tenant un propos intime, ou bien tout propos mais avec shahwa]. La fornication de la main c'est d'attraper. La fornication du pied ce sont les pas [faits pour parvenir à la rencontre illicite avec la personne qui n'est pas licite pour soi]. Le for intérieur espère et désire. Et le sexe confirme cela, ou bien l'infirme" : "عن ابن عباس، قال: ما رأيت شيئا أشبه باللمم مما قال أبو هريرة عن النبي صلى الله عليه وسلم: "إن الله كتب على ابن آدم حظه من الزنا، أدرك ذلك لا محالة. فزنا العين النظر، وزنا اللسان المنطق. والنفس تمنى وتشتهي. والفرج يصدق ذلك كله ويكذبه" (al-Bukhârî, 5889) ; ''عن أبي هريرة، عن النبي صلى الله عليه وسلم، قال: "كتب على ابن آدم نصيبه من الزنا، مدرك ذلك لا محالة. فالعينان زناهما النظر، والأذنان زناهما الاستماع، واللسان زناه الكلام، واليد زناها البطش، والرجل زناها الخطا. والقلب يهوى ويتمنى. ويصدق ذلك الفرج ويكذبه" (Muslim, 2657). "العينان زناهما النظر" فإنه حظّهما ولذّتهما. "والأذنان": بضم الذال، وتسكن، "زناهما الاستماع" أي: إلى كلام الزانية أو الواسطة، فهو حظّهما ولذّتهما به؛ قال ابن حجر أي: إلى صوت المرأة الأجنبية، مطلقا، بناء على أنه عورة، أو بشرط الفتنة، بناء - على الأصح - أنه ليس بعورة" (Mirqât ul-mafâtîh)...
Quand il est dit : "Le for intérieur espère et désire", "والنفس تمنى وتشتهي", cela peut évoquer l'envie, c'est-à-dire l'intention d'avoir concrètement une relation intime avec cette personne précise, avec qui la relation n'est pas licite (soit le cas B) ; et, alors, les autres actions évoquées préalablement désignent : les actions illicites faites avec une personne avec qui on est en intimité.
'Alî al-qârî écrit : "والنفس تمنى وتشتهي": "والنفس" أي: القلب كما في الرواية الآتية؛ ولعل النفس إذا طلبت، تبعها القلب. "تمنى": بحذف أحد التاءين. "وتشتهي": لعله عدل عن سنن السابق لإفادة التجديد أي: "زنا النفس تمنّيها واشتهاؤها وقوعَ الزنا الحقيقي". والتمني أعم من الاشتهاء، لأنه قد يكون في الممتنعات، دونه. وفيه دلالة على أن التمني إذا استقر في الباطن وأصر صاحبه عليه ولم يدفعه، يسمى زنا، فيكون معصية، ويترتب عليه عقوبة ولو لم يعمل. فتأمل" (Mirqât ul-mafâtîh) : cette envie peut constituer un grand péché (si consistant en la ferme intention de commettre le zinâ) (la dernière phrase de 'Alî al-qârî : "وفيه دلالة على أن التمني إذا استقر في الباطن وأصر صاحبه عليه ولم يدفعه، يسمى زنا، فيكون معصية" indiquerait-elle que la personne qui a une intention de niveau hamm seulement, mais qui l'a de façon répétée et sans repentir, commettrait un péché même si elle ne passe jamais à l'acte ?).
Quant à la suite : "Et le sexe confirme cela, ou bien l'infirme", "ويصدّق ذلك الفرج ويكذّبه", elle signifie :
--- soit que la partie intime confirme ou infirme l'envie du for intérieur : "أقول: الأظهر أن يقال: والفرج - أي عمله - يصدق ذلك التمني، ويكذبه. وهو أقرب لفظا وأنسب معنى" (Mirqât).
--- soit que la partie intime confirme ou infirme tout ce qui précédait, car ces actions-là sont des sas (dharî'a) pour l'acte lui-même ; c'en sont aussi des muqaddima : / "ويصدّق ذلك) أي: ما ذكر من المقدمات؛ أي: ما تتمناه النفس وتدعو إليه الحواس، وهو الجماع" (Mirqât) ; "قوله: "زنا العين النظر" إلى آخره: سمي هذه الأشياء باسم الزنا لأنها مقدمات له مؤذنة بوقوعه. ونسب التصديق والتكذيب إلى الفرج لأنه منشؤه ومكانه؛ أي يصدقه بالإتيان بما هو المراد منه، ويكذبه بالكف عنه والترك" (At-Tîbî) ; "قال ابن حجر: فإن حقّق زناه، فيوقع صاحبه في تلك الكبيرة؛ وإن كذّبه بأن لا يزني، فيستمر زنا تلك الأعضاء على كونها صغيرة" (Mirqât).
Un autre aspect est que les actions évoquées dans ce hadîth en premier lieu ne sont pas forcément les actions commises dans une perspective de possibilité d'aller jusqu'à l'acte charnel : les actions de ce genre, comportant délectation (taladhdhudh), sont elles aussi désignées dans ce hadîth, même s'il n'y a jamais intention de commettre l'acte charnel avec cette personne. Ce qui en est alors impliqué est que comme les yeux commettent du zinâ par la délectation par le regard porté sur ce qui est illicite pour soi, de même, le for intérieur commet du zinâ par le fait de se représenter mentalement, avec délectation, ce qui est illicite pour soi (soit le cas A).
Dès lors, s'imaginer en train d'avoir une relation intime avec une personne - quelle qu'elle soit - avec qui la relation n'est pas licite, cela constitue du zinâ bi-l-qalb.
De même, se représenter la 'awra d'une personne illicite, cela constitue du zinâ bi-l-qalb.
En commentaire du hadîth sus-cité, an-Nawawî écrit ainsi : "معنى الحديث أن ابن آدم قدر عليه نصيب من الزنا. فمنهم من يكون زناه حقيقا بإدخال الفرج في الفرج الحرام. ومنهم من يكون زناه مجازا، بالنظر الحرام، أو الاستماع إلى الزنا وما يتعلق بتحصيله، أو بالمس باليد بأن يمس أجنبية بيده أو يقبلها، أو بالمشي بالرِجل إلى الزنا أو النظر أو اللمس، أو الحديث الحرام مع أجنبية ونحو ذلك، أو بالفكر بالقلب؛ فكل هذا أنواع من الزنا المجازي. "والفرج يصدق ذلك كله أو يكذبه": معناه أنه قد يحقّق الزنى بالفرج، وقد لا يحققه بأن لا يولج الفرج في الفرج وإن قارب ذلك. والله اعلم" (Shar'h Muslim, 16/206).
Ibn Âbidîn ash-Shâmî écrit : "ذكر بعض الشافعية أنه كما يحرم النظر لما لا يحلّ، يحرم التفكر فيه" (Radd ul-muhtâr, 9/535) (seuls certains autres shafi'ites sont d'avis que la pensée volontaire n'est pas interdite - vu qu'elle ne constitue pas "intention de passer à l'acte" - ; cet autre avis shafi'ite a été cité juste après dans cet ouvrage ; mais il semble constituer une khata' qat'î).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).