I) Introduction (des exemples concrets sont exposés plus bas, en II) :
Il existe un lien entre la règle (hukm) qui est communiquée par les textes des sources à propos d'une action, et la présence de maslaha (ou : "salâh") et/ou de mafsada (ou : "fassâd") dans cette action (nous en avions parlé dans un autre article). (La maslaha est ce qui rend possible ou facilite la naissance – îjâd – ou la perpétuation – muhâfaza – de l'objectif supérieur, la maqsad, ou bien qui rend impossible ou difficile l'absence ou la perte de la maqsad ; et la mafsada est ce qui rend impossible ou difficile la naissance ou la perpétuation de la maqsad, ou bien qui rend possible ou facile l'absence de naissance de la maqsad ou sa perte.)
– En effet, vue sous un premier angle : "إذا عظمت المصلحة، أوجبها الرب في كل شريعة؛ وكذلك إذا عظمت المفسدة، حرمها في كل شريعة" (Qawâ'id ul-ahkâm fî islâh il-anâm, 1/61) :
--- toute action dont Dieu sait qu'elle constitue pour l'homme une maslaha pure (khâlissa) ou dominante (rajiha), Il l'a (Lui-même, ou bien Son Messager l'a fait : cliquez ici) requise de lui dans les textes (et cette action a donc été déclarée obligatoire lorsque la maslaha est de niveau dharûrî – lire le dernier article dont le lien a été donné –, presque obligatoire ou fortement conseillée lorsqu'elle est de niveau hajî, recommandée lorsqu'elle est de niveau tahsînî) ;
--- et toute action dont Dieu sait qu'elle constitue pour l'homme une mafsada pure (khâlissa) ou dominante (rajiha), Il la lui a (Lui-même, ou bien Son Messager l'a fait) interdite dans les textes (et cette action a donc été déclarée strictement interdite lorsque la mafsada est de niveau dharûrî et met donc en danger l'existence même de la maqsad – asl ul-maqsad –, fortement déconseillée lorsque la mafsada est de niveau hâjî et met donc en danger la complétion nécessaire de la maqsad – kamâl ul-maqsad al-wâjib –, légèrement déconseillée lorsque la mafsada est de niveau tahsînî et touche donc seulement à l'embellissement de cette maqsad – kamâl ul-maqsad az-zînî).
Ceci car "la sagesse" (hikma) ayant motivé chaque règle (hukm) et donc la législation tout entière est "la nécessité d'attirer une maslaha ou de repousser une mafsada" (Irshâd ul-fuhûl, p. 687).
– Et, vue de l'angle du croyant : "فكل مأمور به ففيه مصلحة الدارين أو إحداهما؛ وكل منهي عنه ففيه مفسدة فيهما أو في إحداهما" (Qawâ'id ul-ahkâm fî islâh il-anâm, 1/11) (voir aussi 1/39) :
--- toute action que Dieu ou Son Messager a demandé au croyant de faire (c'est-à-dire qui a été déclarée dans les textes soit obligatoire, soit fortement conseillée, soit recommandée), elle le lui a été parce qu'elle constitue une maslaha pure (khâlissa) ou dominante (rajiha) (cette maslaha étant de niveau dharûrî, hâjî ou tahsînî respectivement) ;
--- et toute action que Dieu ou Son Messager lui a défendu de faire (c'est-à-dire qui y a été soit formellement interdite, soit fortement déconseillée, soit légèrement déconseillée), elle le lui a été parce qu'elle constitue une mafsada pure (khâlissa) ou dominante (rajiha) (cette mafsada étant de niveau dharûrî, hâjî ou tahsînî respectivement).
Ibn Taymiyya a formulé la même chose ainsi : "ويكفي المسلم أن يعلم أن الله لم يحرم شيئا إلا ومفسدته محضة أو غالبة. وأما ما كانت مصلحته محضة أو راجحة فإن الله شرعه" (MF 27/178).
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Par ailleurs :
Les règles (ahkâm) concernant les actions (a'mâl) sont de plusieurs types :
– type A : les règles dont l'applicabilité, du point de vue humain, est commandée non seulement par une cause juridique (sabab) et/ou une condition (shart), mais aussi par une Ratio Legis, principe motivant ('illa) (pour en fait : 'illat ul-hukm, ou principe étant présent dans l'action et qui a motivé la règle).
– type B : les règles (ahkâm) dont l'applicabilité, du point de vue humain, est liée à une cause juridique (sabab : cliquez ici) et/ou à une condition (shart), mais pas également à une Ratio Legis, principe motivant ('illa) (sabab et 'illa sont deux choses différentes). Toutes les ahkâm de type ta'abbudî mah'dh sont ainsi.
En fait :
– L'action qui fait l'objet d'une règle (hukm) de type A, cette action-là est concernée par cette règle parce qu'elle renferme une propriété (wasf) qui est la Ratio Legis, ou "principe motivant" ou "pivot" de cette règle ('illat ul-hukm) et dont nous avons pu avoir connaissance. C'est ce principe qui constitue :
– soit (lorsque la règle consiste en une obligation ou une recommandation) une maslaha, c'est-à-dire une des choses permettant de faire naître ou de préserver un des objectifs supérieurs que Dieu veut pour l'homme (maqsadun min al-maqâssid ul-'ulyâ) ;
– soit (lorsque la règle consiste en un caractère déconseillé ou une interdiction) une mafsada, c'est-à-dire une des choses mettant en danger l'existence ou la préservation d'un des objectifs supérieurs que Dieu veut pour l'homme (maqsadun min al-maqâssid ul-'ulyâ).
Voici un exemple : s'il est interdit de manger de la main gauche, c'est parce que cette façon de faire est celle du Diable. L'action de manger avec la main gauche fait donc l'objet d'une interdiction (c'est là le hukm de cette action). Si cette action fait l'objet de cette règle, c'est parce qu'elle possède la propriété d'"être la façon de faire du Diable". Cette propriété est donc la 'illa, c'est-à-dire le principe motivant, pivot, ou Ratio Legis, de cette règle d'interdiction frappant cette action. Or ce qui constitue la façon de faire du Diable est une mafsada, car touchant à l'objectif supérieur (maqsad) qu'est le dîn ;
– par contre, l'action ('amal) qui relèvent des 'ibâdât, ainsi que l'élément (juz') qui est ta'abbudî mahdh (type B), tous deux sont eux aussi concernés par cette règle parce qu'ils possèdent une propriété (wasf) qui est la Ratio Legis, ou "principe motivant" ou "pivot" de cette règle ('illat ul-hukm), cependant, nous ne pouvons pas en avoir connaissance ; la règle est donc considérée comme étant directement liée à la réalisation d'une maslaha. Ainsi, la prière rituelle, le jeûne, les formules d'évocation, constituent de telles actions, qui permettent la concrétisation de la maslaha qui est reliée à l'objectif supérieur de spiritualité (maqsad ud-dîn, ar-rûhâniyya).
On dit donc qu'il n'y a pas, ici, de Ratio Legis ('illa). En fait il y en a bien une, mais notre raison est incapable de la connaître.
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Le présent article a pour but d'exposer des exemples de règles de type A, avec la stratification :
– Hukm (ma'lûl bi 'illa) ;
– Maslaha maqsûdat ul-jalb (aw mafsada maqsûdat ud-daf') ;
– Maslaha 'Ul'yâ nihâ'iyya ; wa hiya-l-maqsûd ul-a'lâ.
La Maslaha ou la Mafsada intermédiaire est également une Maqsad, mais une Maqsad relative.
On trouve sous la plume de al-Qarâfî cette appellation de "Maqsad" pour ce qui est intermédiaire également :
"والجواب أن الأحكام على قسمين مقاصد ووسائل.
فالمقاصد كالحج، والسفر إليه وسيلة؛
وإعزاز الدين ونصر الكلمة مقصد، والجهاد وسيلة؛
ونحو ذلك من الواجبات والمحرمات والمندوبات والمكروهات والمباحات.
فتحريم الزنا مقصد لاشتماله على مفسدة اختلاط الأنساب، وتحريم الخلوة والنظر وسيلة.
وصلاة العيدين مقصد مندوب، والمشي إليها وسيلة.
ورطانة الأعاجم مكروهة، ومخالطتهم وسيلة إليه.
وأكل الطيبات مقصد مباح، والاكتساب له وسيلة مباحة.
وحكم كل وسيلة: حكم مقصدها في اقتضاء الفعل أو الترك، وإن كانت أخفض منه في ذلك الباب.
إذا تقرر هذا فالاجتهاد قد يكون في تعيين المقاصد كتميز الأخت من الأجنبية، وقد تقع في الوسائل كالاجتهاد في أوصاف المياه ومقاديرها عند من يعتبر المقدار والمقصد هو الطهورية؛ والقاعدة أنه مهما تبين عدم إفضاء الوسيلة إلى المقصد بطل اعتبارها" (Adh-Dhakhîra, 2/179).
Ibn 'Abd is-Salâm écrit pour sa part :
"فصل في انقسام المصالح والمفاسد إلى الوسائل والمقاصد
الواجبات والمندوبات ضربان: أحدهما مقاصد، والثاني وسائل.
وكذلك المكروهات والمحرمات ضربان: أحدهما مقاصد، والثاني: وسائل.
وللوسائل أحكام المقاصد. فالوسيلة إلى أفضل المقاصد هي أفضل الوسائل، والوسيلة إلى أرذل المقاصد هي أرذل الوسائل" (Qawâ'ïd ul-ahkâm fî massâlih il-anâm, 1/74).
Ibn 'Abd is-Salâm donne un exemple :
"وهذان قسمان: أحدهما: وسيلة إلى ما هو مقصود في نفسه؛ كـتعريف التوحيد وصفات الإله؛ فإن معرفة ذلك: من أفضل المقاصد، والتوسل إليه: من أفضل الوسائل.
القسم الثاني: ما هو وسيلة إلى وسيلة؛ كتعليم أحكام الشرع، فإنه وسيلة إلى العلم بالأحكام؛ التي هي وسيلة إلى إقامه الطاعات؛ التي هي وسائل إلى المثوبة والرضوان، وكلاهما: من أفضل المقاصد" (Ibid. 1/167).
Ayant compté le zinâ comme un muharram maqsûd, il en expose des wassîla, également interdites (Ibid. 1/173).
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En fait, quasiment toute action qui a été déclaré "obligatoire" ou "interdite" l'a été à cause de ce qu'elle entraîne. Quasiment toute action est donc une wassîla (moyen), c'est-à-dire une dharî'a.
Simplement, il existe :
--- d'une part le Maqsad A'lâ (l'objectif supérieur) ;
--- et d'autre part :
----- la Wassîla vers ce Maqsad A'lâ ;
----- enfin : la Wassîla vers cette Wassîla du Maqsad A'lâ.
Ainsi, l'accomplissement des 5 prières rituelles quotidiennes a été rendu obligatoire parce que cela construit le lien avec Dieu (Dîn). Et le fait de boire ce qui rend ivre a été interdit parce que cela nuit à l'intellect ('Aql).
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Voyons concrètement tout cela au travers des 8 exemples qui vont suivre… Mais avant de lire ceux-ci, nous recommandons la lecture des articles suivants :
– Pourquoi se référer à la Révélation en sus de sa Raison ?
– "Bien" et "mal" : inhérents aux actes, ou dépendant de ce qu'a affirmé la révélation ?
– Maqâssid ; Maslaha et Mafsada. Ce que la Révélation a l'objectif de faire naître et de protéger en l'homme ;
– Pourquoi l'Occident a-t-il pratiqué la coupure entre Religieux et Civil ?
– Peut-on chercher à comprendre le pourquoi des règles ? et pratiquer un impératif par un moyen différent de celui mentionné ? La rationalité des règles : éléments ta'abbudî mahdh, ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ, 'âdî ;
– Dépasser ce qui est islamique pour arriver à l'universel ? 'Aqlî, millî, shar'î : les trois strates concernant les normes éthiques de l'homme ;
– La cause et les conditions auxquelles l'applicabilité de certaines règles est liée ;
– Relativiser l'applicabilité d'une règle en la restreignant à un contexte précis.
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II) 8 exemples concrets, illustrant la stratification sus-évoquée :
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Exemple 1 : Un cas très simple : L'interdiction de manger du porc et de boire de l'alcool :
Dieu a interdit de boire de l'alcool. La règle (hukm) est donc : l'interdiction de boire de l'alcool.
Or, si celui-ci a été interdit, c'est parce qu'il altère chez l'homme la perception de la réalité et le jugement.
On peut donc tenir le raisonnement suivant :
– toute action que Dieu m'a interdite, Il me l'a interdite parce qu'elle est nocive pour moi ;
– s'Il m'a interdit de devenir ivre, c'est parce que cela est nocif pour moi : en fait c'est parce que la consommation d'alcool nuit aux facultés mentales ('aql) ; or la préservation et le développement des facultés mentales sont des objectifs supérieurs des enseignements de l'islam ; tout ce qui nuit aux facultés mentales constitue donc une mafsada, et est par conséquent interdit.
De même, Dieu a interdit de manger du porc. Ceci constitue la règle (hukm) : l'interdiction de la consommation de porc.
Pourquoi la consommation de porc a-t-elle été interdite ? Parce qu'elle touche à la santé spirituelle de l'homme (dîn).
On a donc le raisonnement suivant :
– toute action que Dieu m'a interdite, Il me l'a interdite parce qu'elle est nocive pour moi ;
– s'Il m'a interdit la consommation de porc, c'est parce que cela est nocif pour moi ; en fait cela est nocif pour le dîn et le nafs ; or le développement et la préservation du dîn et du nafs constituent des objectifs supérieurs des enseignements de l'islam ; tout ce qui nuit au dîn et au nafs constitue donc une mafsada, et est par conséquent interdit.
Dans le cas de l'ivresse, la raison humaine pure pouvait trouver d'elle-même le caractère nocif de sa consommation ("cela nuit aux facultés mentales"), et la révélation divine (wah'y) est venue le mettre en évidence.
Dans le cas de la chair de porc, c'est sur la base de la révélation divine (wah'y) que la raison humaine a connu le caractère nocif de sa consommation ("cela nuit au dîn et au nafs") : elle n'aurait pas pu le trouver d'elle-même ; par contre, prenant connaissance de ce que la révélation divine a dit, elle ne peut que l'approuver.
Ces deux propos ("l'ivresse nuit à l'homme" et "la consommation de porc nuit à l'homme") sont également deux règles (hukm).
Si la raison du croyant peut chercher à comprendre le pourquoi de ces propos, elle adopte donc ces deux propos comme croyances qu'elle fait siennes.
Nous avons donc ceci :
– se rendre ivre est une mafsada (échelon II) ; car cela nuit au mental ('aql) ;
– or la préservation des facultés mentales fait partie des objectifs supérieurs (échelon I).
Et, de même :
– consommer de la chair ou de la graisse ou du sang de porc est une mafsada (échelon II) ; car la consommation de cela nuit à la préservation et/ou au développement du lien avec Dieu (dîn), de même qu'au nafs ;
– or la préservation / le développement du dîn et du nafs font partie des objectifs supérieurs (échelon I).
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Exemple 2 : Un cas un peu plus complexe : L'interdiction du qaza' ; une action ('amal) visée par une règle (hukm) d'interdiction (nah'y) ; le principe motivant de cette règle ('illat ul-hukm) ; le fait que ce principe motivant constitue une mafsada ; et ce parce qu'il touche à l'un des objectifs supérieurs (maqsad) :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a interdit le qaza' (rapporté par al-Bukhârî, 5576, Muslim 2120).
L'action nommée "qaza'" consiste à se raser une partie de la tête tout en laissant les cheveux sur une autre partie, à l'instar des coupes à l'iroquoise, ou de la tonsure pratiquée par des moines (par contre, le fait de laisser des cheveux sur toute sa tête et de se raser seulement la nuque, pour enlever les quelques cheveux irréguliers s'y trouvant, cela n'est pas concerné par cette interdiction : c'est apparemment ce que 'Umar ibn Nâfi' ou Nâfi' a expliqué à 'Ubaydullâh ibn Hafs : c'est apparemment ce que al-Bukhârî a voulu montrer en citant le propos de ce personnage juste après ce hadîth 5576 dans son Jâmi' Sahîh).
En tous cas nous avons ici la règle (hukm) : l'interdiction de pratiquer le qaza'.
Cette règle de l'interdiction du qaza' est liée à un principe qui en constitue le motif ('illa) : il s'agit du fait que le qaza' constitue un enlaidissement volontaire (c'est l'un des avis : FB 10/448). Or l'action de pratiquer volontairement ce qui constitue un enlaidissement constitue une mafsada, car touchant à un des objectifs supérieurs de l'islam (maqsad), qui est : le nafs (ici l'apparence physique).
On a alors ici le syllogisme suivant :
– le qaza' constitue un enlaidissement volontaire ;
– or tout enlaidissement volontaire touche à l'objectif supérieur qu'est le nafs, et constitue par conséquent une mafsada ;
– donc le qaza' constitue lui aussi une mafsada, et est par conséquent interdit.
Et on s'aperçoit des 3 points suivants :
– "le qaza' constitue une mafsada" : ceci constitue la conclusion (natîja) du syllogisme ; et ceci constitue la règle détaillée (hukm shar'î mansûs 'alayh, juz'î) ; le simple fait d'accepter ce propos conduit aux deux points qui vont suivre ;
– "le qaza' constitue un enlaidissement volontaire" : ceci constitue la mineure (sughrâ) : le sujet en est l'action (al-'amal) ("le qaza'"), et le prédicat en est le principe motivant ('illat ul-hukm) ("constituer un enlaidissement volontaire") ; le principe motivant est d'ailleurs le "moyen terme" du syllogisme. Cet énoncé constitue lui aussi un hukm shar'î : le musulman soumet donc sa raison à ce hukm, adoptant comme point de vue que se raser une partie de la tête tout en conservant des cheveux sur une autre partie, cela est systématiquement de la laideur (que doit-il faire s'il voit les autres le faire, cliquez ici pour découvrir toutes les nuances sur le sujet) (certes, la détermination de cette propriété, wasf, qu'est l'enlaidissement, comme étant le principe motivant, 'illa, de l'interdiction de cette action, cela n'est qu'un avis, mais, quelle que soit la 'illa que d'autres avis peuvent attribuer à cette interdiction, elle sera de toute façon le prédicat de ce qui constitue bien un hukm shar'î). On ne peut donc pas relativiser cette règle en cherchant à vérifier si la 'illat ul-hukm est présente ou non dans l'action, puisque la présence de cette 'illa dans cette action fait elle-même l'objet d'une information de la part du Prophète ("le qaza' constitue de l'enlaidissement" ou "telle autre chose") ;
– "tout enlaidissement volontaire constitue une mafsada" : ceci est la majeure (kubrâ), et constitue également un hukm shar'î, mais à un niveau plus global (kullî) : "l'enlaidissement volontaire est une mafsada car elle touche à un des objectifs supérieurs (maqsad a'lâ), qui est le physique (nafs)" ; la raison du croyant peut chercher à comprendre cela et peut comprendre cela, mais elle se soumet également à ce que la Sunna a dit, et adopte donc comme croyance que tout ce qui constitue un enlaidissement volontaire est chose dont il faut s'abstenir.
La cause ayant motivé (hikma au sens i cité plus haut) ces règles (d'interdiction du qaza' et d'interdiction de tout enlaidissement volontaire) est donc la nécessité de se préserver de toute mafsada.
Et l'avantage (maslaha juz'iyya) découlant du respect de ces interdictions est la préservation de son apparence physique par rapport à tout ce qui constitue de l'enlaidissement (c'est la hikma au sens ii.i du terme : on voit qu'en effet, ceci correspond entièrement à la 'illa, et nulle possibilité de relativiser l'applicabilité de la règle en énonçant ce genre de hikma).
Il peut y avoir d'autres avantages découlant du respect de cette interdiction (hikma au sens ii.ii du terme) (par exemple le fait que éviter le qaza' permet entre autres de ne pas imiter ceux qui pratiquent la tonsure).
On peut clore ce point en disant que, ici :
– l'action de pratiquer le qaza' – qui a été visée par le hukm, ou règle, d'interdiction – forme l'échelon IV ;
– le principe motivant ('illa) de cette règle et qui est présent dans cette action est, d'après un des avis, le fait de constituer un enlaidissement volontaire ; que cet enlaidissement volontaire constitue une mafsada car touchant à l'apparence physique de l'homme (laquelle est un objectif supérieur), cela forme l'échelon III ;
– enfin l'objectif supérieur qu'est la plénitude l'apparence physique et qui est à préserver constitue les échelons II et I.
On a en donc ceci :
– le qaza' a été interdit par la Sunna, et constitue donc une mafsada (échelon IV) ; car cela constitue un cas d'enlaidissement volontaire ;
– or tout enlaidissement volontaire constitue une mafsada (échelon III) ; car cela contredit la fit'ra ;
– or tout qui contredit la fit'ra est une mafsada (échelon II) ; car cela nuit au nafs ;
– or la préservation du nafs fait partie des objectifs supérieurs (échelon I).
On peut remarquer que dès lors que l'enlaidissement volontaire (action d'échelon III) constitue une mafsada (et ce parce qu'il touche au nafs, dont la préservation est une action d'échelon I), ce qui constitue un cas d'enlaidissement volontaire – à savoir le qaza' (action d'échelon IV) –, constitue lui aussi une mafsada.
(D'après un avis, l'impératif négatif employé à propos du qaza' a une valeur de karâhiyya tanzîhiyya et non de hurma ou de karâhiyya tahrîmiyya – voir Fat'h ul-bârî 10/448 et Halâl-o-harâm, Khâlid Saïfullâh, p. 82. Cela implique que cette action nuit à l'objectif supérieur qu'est le nafs : au niveau tahsînî et non au niveau hâjî.
D'après un autre avis, l'impératif négatif a ici une valeur de karâhiyya tahrîmiyya – voir Radd ul-muhtâr 9/584. Cela implique que cette action nuit à cet objectif supérieur : au niveau hâjî, de perfection nécessaire.
Etant donné que cette action constitue actuellement une imitation – tashabbuh – aussi, laquelle touche ici à la perfection nécessaire du dîn, cette action semble bien être de degré karâhiyya tahrîmiyya.)
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Exemple 3 : L'impératif demandant de garder la barbe : Un cas où la règle est non pas une interdiction mais une obligation :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Dix (actions) font partie de la fit'ra", et il a énuméré parmi celles-ci : "garder la barbe" (Muslim, 261).
La raison de cet impératif a été explicitée dans le hadîth : elle est que garder la barbe relève de la fit'ra : il s'agit (d'après l'une des interprétations) de ce qui fait la plénitude physique de l'homme, ce qui participe de la réalisation de l'objectif supérieur du nafs.
La barbe, précisément, constitue la beauté et la plénitude de l'apparence masculine) et le fait de la garder constitue donc, au même titre que les autres actions énumérées dans le hadîth, une maslaha.
Il est peut-être possible d'intercaler, entre l'impératif mentionné dans le hadîth et entre la 'illa exprimée dans ce même hadîth ("relever de la fit'ra"), une autre 'illa : en fait, garder la barbe relève de ce qui constitue la beauté et la plénitude de l'apparence masculine (échelon III) ; or ce qui constitue la beauté et la plénitude de l'apparence masculine fait partie des actions relevant de la fit'ra, (échelon II) ; et la fit'ra est une partie de l'objectif supérieur du nafs (échelon I).
Nous avons donc ceci :
– garder la barbe fait partie de la beauté et de la plénitude de l'apparence masculine ;
– or ce qui constitue la beauté et la plénitude de l'apparence masculine fait partie des actions relevant de la fit'ra, et, par là même, de la réalisation de l'objectif supérieur du nafs ; c'est donc une maslaha ;
– donc garder la barbe constitue une maslaha, et est par conséquent obligatoire.
On peut formuler ce point ainsi :
– "garder la barbe constitue une maslaha" : ceci constitue la règle telle que donnée dans les hadîths ;
– "garder la barbe fait partie de la beauté et de la plénitude de l'apparence masculine" ; ceci constitue la mineure, ainsi qu'un hukm shar'î, et on y lit aussi la 'illa ("relever de la beauté et de la plénitude de l'apparence") ;
– "ce qui fait partie de la beauté et de la plénitude de l'apparence masculine fait partie de la fit'ra, ce qui réalise l'objectif supérieur qu'est le nafs, et est donc maslaha" ; ceci constitue la majeure, et est un autre hukm shar'î, non exprimé mais sous-entendu.
Ce qui donne ceci :
– garder la barbe a été ordonné dans le hadîth ; cela constitue donc une maslaha (échelon IV) ; car la barbe fait partie de la beauté et de la plénitude de l'apparence masculine ("اللحية من جمال الفحول وتمام هيأتهم") ;
– or porter ce qui relève de la beauté et de la plénitude de l'apparence, cela constitue une maslaha (échelon III) ; car cela fait partie de la fit'ra ("وما هو من من جمال الفحول وتمام هيأتهم، فهو من الفطرة") ;
– or ce qui approuve la fit'ra est une maslaha (échelon II) ; car la fit'ra fait partie du nafs ;
– or la préservation /le développement du nafs fait partie des objectifs supérieurs (échelon I).
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Exemple 4 : L'interdiction de consommer une petite quantité d'alcool lorsque celui-ci est perceptible aux sens : Un cas où l'on s'aperçoit clairement que la détermination de la 'illa doit se faire non pas selon sa petite idée mais par prise en considération de ce que les textes disent précisément :
Les textes islamiques interdisent au croyant de devenir ivre et donc de consommer ce dont il sait que cela va l'enivrer.
Parmi les deux exemples cités en 1 nous avions vu ceci :
– se rendre ivre est une mafsada (échelon II) ; car cela nuit au mental ('aql) ;
– or la préservation des facultés mentales fait partie des objectifs supérieurs (échelon I).
Mais le Prophète (sur lui soit la paix) a aussi interdit la consommation de la petite quantité de ce qui rendrait ivre si consommé en plus grande quantité :
- "Ce dont la grande quantité enivre, sa petite quantité est interdite" (at-Tirmidhî 1865 et Abû Dâoûd 3681 ; relaté par 'Abdullâh ibn 'Amr, rapporté par an-Nassâ'ï 5607) ;
- "Tout enivrant est du khamr ; et ce dont un farq enivre, ce qui en remplit la paume est interdit" (Abû Dâoûd 3687) ;
- "Je vous interdis la petite quantité de ce dont la grande quantité enivre" (relaté par Sa'd, rapporté par an-Nassâ'ï 5608).
Si les textes avaient communiqué seulement l'interdiction de devenir ivre, alors la 'illa de l'interdiction aurait été : "le fait d'être une boisson ou un aliment qui provoque factuellement l'ivresse", et la règle détaillée (juz'î) aurait été : "l'interdiction de consommer une boisson ou un aliment enivrant au point d'en devenir ivre".
Mais les textes ayant communiqué aussi l'interdiction de boire ce qui, pris en plus grande quantité, rendrait ivre, la 'illa de cette interdiction est : "le fait d'être une boisson fermentée" ; et la règle est : l'interdiction de consommer tout aliment où une trace d'alcool est perceptible", vu qu'on a alors factuellement consommé une petite quantité d'une boisson fermentée. On voit d'ailleurs ici que la règle s'applique là où la 'illa est présente, et ne s'applique pas là où la 'illa est absente (yadûr ul-hukmu ma'a dawrân il-'illati wajûdan wa 'adaman) ; en effet, consommer un aliment ou une boisson où la trace d'alcool est totalement imperceptible aux sens humains est autorisé d'après l'avis qui nous semble pertinent (lire notre article sur le sujet).
Le fait d'être ivre contredit un des objectifs supérieurs, qui est la protection de ses facultés mentales ('aql). Mais la sagesse de l'interdiction de la consommation de même une petite quantité d'alcool est que l'alcool est tel que la consommation d'une petite quantité conduit (est donc la dharî'a) à la consommation d'un plus grand volume ; il y a eu donc interdiction par principe de précaution (sadd udh-dharî'a / sadd ul-bâb).
On a donc le syllogisme suivant :
– boire une quantité d'alcool qui est perceptible conduit trop souvent à en boire jusqu'à en devenir ivre ;
– or le fait de devenir ivre touche à l'un des objectifs supérieurs, qui est la protection de ses facultés mentales ('aql), et est donc une mafsada ;
– donc boire une petite quantité d'alcool – perceptible – est une mafsada, et est par conséquent interdit.
On s'aperçoit ici des 3 points suivants :
– "boire une quantité d'alcool perceptible est une mafsada" : cela constitue la règle détaillée (juz'î) ;
– "boire une quantité d'alcool perceptible conduit à en boire jusqu'à en devenir ivre" : ceci constitue la mineure, avec l'action (al-'amal) comme sujet, et le principe motivant ('illa) comme prédicat ; et on voit ici que le principe motivant est la prise en considération de la nature de dharî'a de l'action : il s'agit donc d'une règle de précaution, et cela constitue un hukm shar'î, nul croyant ne pouvant relativiser ce hukm du Prophète en déclarant, lui, pouvoir faire cette action sans commettre le risque qui y est lié ;
– "devenir ivre touche à la protection de ses facultés mentales ('aql), et est donc une mafsada" : ceci constitue la majeure, ainsi que, lui aussi, un hukm shar'î.
On a donc ceci :
– boire une quantité d'alcool perceptible a été interdit dans les hadîths et constitue donc une mafsada (cela constitue la règle détaillée, juz'î, d'échelon III) ; car cela conduit (dharî'a) à en boire jusqu'à devenir ivre ;
– or devenir ivre constitue une mafsada (échelon II) ; car cela nuit au mental ('aql) ;
– or la préservation et le développement du mental constitue un objectif supérieur (échelon I).
On s'aperçoit, au travers de cet exemple n° 4, que la détermination de la "'illat ul-hukm" ne sert pas toujours qu'à justifier la règle détaillée. Parfois la détermination de la "'illat ul-hukm" permet aussi, par interaction, de déterminer quelle est précisément l'action qui est visée par la règle détaillée. Au travers de cet exemple, nous avons ainsi vu que c'est le fait de boire une quantité d'alcool perceptible qui est concerné par la règle d'interdiction de consommation d'alcool. Il existe d'autres cas où déterminer la 'illa restreint l'action concernée par la règle, par rapport à ce que la littéralité de certains textes auraient pu laisser croire (certains de ces cas sont exposés aux points 3, 4 et 5 de l'article déjà évoqué).
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Exemple 5 : Un cas plus complexe encore, avec, entre la mafsada réelle et la 'illa, l'intercalation d'une présomption de présence de la 'illa (mazinnatu wujûd il-'illa) : L'interdiction de manger et de boire par le moyen de sa main gauche :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Et qu'aucun de vous ne mange ni ne boive de la main gauche ; car le Diable mange et boit de la main gauche" (Muslim, 2020).
L'interdiction d'utiliser sa main gauche pour porter les aliments ou la boisson à sa bouche est la norme détaillée (hukm mansûs 'alayh, juz'î).
Le principe qui en est le motif ('illa) (le Prophète l'a ici clairement dit) est que c'est le Diable qui fait ainsi. Or toute imitation du Diable dans ses façons de faire conduit à (est la dharî'a de) l'imitation dans l'intérieur, et en est donc la présomption (mazinna). Or encore, le rapprochement intérieur avec le Diable met en grave danger le dîn, et constitue par là une mafsada évidente.
On peut présenter les choses ainsi… L'action de porter les aliments à sa bouche par sa main gauche a ici été interdite (action d'échelon IV), car elle constitue une imitation du Diable ('illa, ici action d'échelon III), ce qui constitue une mafsada ; préserver le musulman d'imiter le Diable dans ses actions constitue l'avantage immédiat (maslaha juz'iyya) que cette règle procure. L'imitation du Diable dans les actions de celui-ci conduisant à se rapprocher de lui intérieurement, préserver le musulman de la mafsada de se rapprocher intérieurement du Diable (action d'échelon II) constitue l'avantage plus général que cette règle confère (maslaha a'lâ min al-maslahat il-juz'iyya). Préserver le musulman de cette mafsada protège l'un des objectifs supérieurs (maqâssid 'ulyâ) des enseignements de l'islam, et qui est : le dîn (action d'échelon I).
On s'aperçoit de nouveau ici des choses évoquées précédemment :
– manger avec sa main gauche a été interdit et est donc une mafsada (échelon IV) ; car cela constitue une imitation du Diable ;
– or toute imitation du Diable constitue une mafsada (échelon III) ; car l'imitation du Diable dans ses actions conduit à (est la dharî'a de) une imitation de lui dans ses traits intérieurs ;
– or tout imitation du Diable dans ses traits intérieurs constitue une mafsada (échelon II) ; car cela met gravement en danger le dîn ;
– or la préservation / le développement du dîn fait partie des objectifs supérieurs (échelon I).
Et, de même, on a les ahkâm (pluriel de hukm) suivants :
– "manger avec sa main gauche est une mafsada" : ceci est la conclusion du syllogisme ;
– "manger avec sa main gauche constitue une imitation du Diable" : cela est aussi un hukm shar'î, et ceci a été exprimé clairement par le Prophète ;
– "l'imitation du Diable dans ses actions constitue une présomption de rapprochement intérieur avec le Diable" : cela est également un hukm shar'î, non exprimé, mais qui découle de l'acceptation des deux hukm que nous venons de voir ;
– "le rapprochement intérieur avec le Diable met gravement en danger l'objectif supérieur du dîn, et constitue donc une mafsada" : cela est encore un hukm shar'î, également non exprimé.
On voit par ailleurs que :
– dès lors que le rapprochement intérieur avec le Diable (action d'échelon II) constitue une mafsada (et ce parce qu'il touche au dîn, action d'échelon I),
– ce qui mène à ce rapprochement intérieur, à savoir l'imitation dans les actions extérieures (action d'échelon III) constitue lui aussi une mafsada ;
– et, de même, l'élément qui est un cas d'imitation extérieure (ici l'action de manger ou de boire par sa main gauche) (action d'échelon IV) constitue lui aussi une mafsada.
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Exemple 6 : Un cas où la règle édictée dans un premier hadîth constitue ce qui sert de 'illa à une règle plus détaillée, édictée dans un second hadîth : L'interdiction faite aux hommes d'imiter les femmes et aux femmes d'imiter les hommes, avec l'interdiction faite aux hommes de porter de la soie :
6.1) La règle générale :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a édicté une règle de portée assez générale (en tous cas plus générale que celles que nous avons vues jusqu'à présent en 1, 2, 3, 4 et 5) : il a interdit aux hommes d'imiter les femmes, et aux femmes d'imiter les hommes (al-Bukhârî, 5546, at-Tirmidhî, 2784, Abû Dâoûd, 4097).
Cette interdiction de l'imitation de la femme par l'homme dans ce qu'elle a de spécifique, et de l'imitation de l'homme par la femme dans ce qu'il a de spécifique, cela constitue la norme telle que fournie par les textes (hukm mansûs 'alayh).
Cette interdiction est motivée (ma'lûl) par le fait – c'est-à-dire que sa 'illa est – que l'imitation dans l'apparence conduit à (est la dharî'a de) l'identification dans l'intérieur, et en est donc la présomption (mazinna). Or la féminisation de l'homme et la masculinisation de la femme constituent des mafsada, car ceci menace plusieurs maqâssid (plur. de maqsad) : la personne humaine (nafs) dans son ensemble avec ses équilibres, l'institution de la famille (nasl).
En résumé, la sagesse (hikma au sens i du terme) qui a motivé cette règle à propos de cette action est : la nécessité de repousser de l'homme cette mafsada que constitue l'imitation de la femme dans son apparence extérieure (action d'échelon III). Préserver l'homme de tomber dans cette mafsada que constitue l'imitation de la femme (action d'échelon III) est donc la maslaha juz'iyya. L'avantage plus général (maslaha kulliyya) que le respect de cette règle renferme est le repoussement de la mafsada que constitueraient la féminisation de l'homme, la masculinisation de la femme, ou encore la fonte des identités masculine et féminine en une identité unique (action d'échelon II) ; le lien entre l'échelon III et l'échelon II est, ici encore (comme pour le fait d'imiter dans les actions extérieures), la prise en considération du fort risque (sadd udh-dharî'a), et la présomption (mazinna). Cette préservation des identités masculine et féminine permet quelque chose à un échelon plus général (maslaha kulliyya) : protéger les deux objectifs supérieurs (maqâssid 'ulyâ) que sont : le nafs, la famille (action d'échelon I).
On a donc ici le syllogisme suivant :
– l'adoption, par l'homme, de façons de faire ou de vêtements qui sont spécifiquement féminins, ou l'adoption, par la femme, de façons de faire ou de vêtements qui sont spécifiquement masculins, cela constitue une dharî'a vers la féminisation de l'homme et la masculinisation de la femme ;
– or la féminisation de l'homme ou la masculinisation de la femme touche à la personne humaine et à la famille, et constitue donc une mafsada ;
– donc l'adoption, par l'homme, de façons de faire ou de vêtements qui sont spécifiquement féminins, ou l'adoption, par la femme, de façons de faire ou de vêtements qui sont spécifiquement masculins, cela est une mafsada et est par conséquent interdit.
On a donc ici ce qui suit :
– "l'adoption, par l'homme, de façons de faire ou de vêtements qui sont spécifiquement féminins, comme l'adoption, par la femme, de façons de faire ou de vêtements qui sont spécifiquement masculins, sont des mafsada" : voilà la conclusion du syllogisme ;
– "l'adoption, par l'homme, de façons de faire ou de vêtements qui sont spécifiquement féminins, ou l'adoption, par la femme, de façons de faire ou de vêtements qui sont spécifiquement masculins, cela constitue une dhar'îa vers la féminisation de l'homme et la masculinisation de la femme" ; ceci est la mineure ; "être dharî'a vers la féminisation de l'homme et la masculinisation de la femme", cela constitue le principe motivant de la règle d'interdiction ('illat ul-hukm) ;
– "la féminisation de l'homme ou la masculinisation de la femme touche à la personne humaine et à la famille, et constitue donc une mafsada" ; voilà la majeure.
On a aussi ce qui suit :
– l'adoption, par l'homme, de façons de faire ou de vêtements qui sont spécifiquement féminins, comme l'adoption, par la femme, de façons de faire ou de vêtements qui sont spécifiquement masculins, ont été interdit dans le hadîth, et constituent donc des mafsada (échelon III) ; car ces deux faits sont une dhar'îa vers la féminisation de l'homme et la masculinisation de la femme ;
– or la féminisation de l'homme, comme la masculinisation de la femme sont deux mafsada (échelon II) ; car cela nuit au nafs et à la famille ;
– or la préservation / le développement du nafs, ainsi que la préservation / le développement de la famille : sont deux objectifs supérieurs (échelon I).
Maintenant, dans les faits qu'est-ce qui constitue une imitation de l'homme par la femme ou de la femme par l'homme, le Prophète a fourni quelques règles détaillées sur le sujet : il a déclaré que constituaient une imitation de la femme par l'homme :
- le port de la soie (comme nous allons le voir) ;
- le port de l'or ;
- le fait de porter des vêtements teints au carthame (d'après une interprétation, cela est dû à la couleur rouge, ou rose – Mirqât 8/262 –, que cela donne) ;
- le fait de colorer son épiderme de safran oriental (cliquez ici) ; quant au fait de porter des vêtements qui sont colorés au safran oriental, cela fait l'objet d'interprétations divergentes et est interdit d'après un avis mais non d'après un autre (Fat'h ul-bârî 10/375-379).
Toutes ces règles peuvent être rattachées à cette règle plus générale de l'interdiction de l'imitation de la femme par l'homme et de l'homme par la femme.
Par ailleurs, quels vêtements sont, dans leur coupe, réservés aux femmes et lesquels le sont aux hommes, cela, écrit Ibn Taymiyya, n'a pas été donné une fois pour toutes dans les textes. Deux principes existent sur le sujet :
--- d'abord considérer qu'est-ce qui correspond davantage à la nature de l'homme et qu'est-ce qui correspond davantage à la nature de la femme ; cela ne pourra se faire que par référence au Réel (wâqi') ;
--- ensuite, dans le cadre de ce principe, considérer qu'est-ce que l'usage (i'tiyâd) pratiqué en un lieu donné à un moment donné, a réservé à l'homme et qu'est-ce qu'il a réservé à la femme (Majmû' ul-fatâwâ, Ibn Taymiyya, 22/145-155).
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6.2) L'interdiction, concernant les hommes, de porter de la soie :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit que le port de la soie était interdit aux hommes de sa Umma mais autorisé aux femmes de celle-ci (at-Tirmidhî, 1720).
L'interdiction du port de la soie pour un homme est la norme détaillée telle que fournie dans les textes (hukm mansûs 'alayh, juz'î).
Et cette norme a un principe motivant ('illa) : il s'agit (c'est un des avis existants) du fait que le port de la soie ne correspond pas à la nature de l'homme et est réservé à la femme. Or, faire ce qui est spécifique à la femme constitue une imitation de la femme par l'homme (tashabbuh bi-l-mar'a). Ici nous rejoignons le hadîth cité plus haut, où le Prophète a explicitement interdit à l'homme d'adopter dans ses vêtements et ses attributs volontaires externes, ce qui est spécifique à la femme : l'imitation de la femme par l'homme dans ce qu'elle a de spécifique – comme l'imitation de l'homme par la femme dans ce qu'il a de spécifique –, cela conduit à (est la dharî'a de) l'identification dans l'intérieur, et en est donc la présomption (mazinna) ; or l'identification de l'homme et de la femme en leur intérieur constitue une mafsada à un niveau plus général, car ceci est quelque chose qui menace plusieurs maqsad : le nafs, la famille.
On a ici le syllogisme suivant :
– le port de la soie contredit la nature de l'homme parce que correspondant seulement à celle de la femme ;
– tout ce qui contredit la nature de l'homme parce que correspondant seulement à celle de la femme, cela fait partie des spécificités de la femme ; porter pareille chose, cela constitue donc une imitation de la femme par l'homme ;
– or l'imitation de la femme par l'homme constitue une dharî'a vers la féminisation de l'homme ;
– or la féminisation de l'homme, comme la masculinisation de la femme, touchent à la personne humaine et à la famille, et constituent donc des mafsada ;
– donc le port de la soie par l'homme est une mafsada.
Et on a ici ce qui suit :
– "le port de la soie par l'homme est une mafsada" : ceci est la conclusion du syllogisme, et correspond à ce que le hadîth dit (hukm shar'î mansûs 'alayh) ;
– "le port de la soie correspond à la nature de la femme et non à celle de l'homme", ceci est également un hukm shar'î ;
– "tout ce qui contredit la nature de l'homme parce que correspondant seulement à celle de la femme, cela fait partie des spécificités de la femme" : c'est le hukm shar'î que Ibn Taymiyya avait déduit et que nous avons vu plus haut ; il en découle que "le fait que l'homme porte de la soie, cela constitue une imitation de la femme par lui" ;
– "tout ce qui constitue une imitation de la femme par l'homme, cela est interdit" : ceci est également un hukm shar'î, mais celui-ci a été exprimé clairement par le Prophète ; nous l'avons vu plus haut en 6.1.
On s'aperçoit, au travers de cet exemple n° 6, que ce qu'on appelle "'illat ul-hukm" ne se trouve en réalité pas seulement dans les actions détaillées : toute règle, fût-elle plus générale, possède une 'illa, qui est constituée du "principe actif" présent dans l'action et qui a motivé l'édiction de cette règle. Ainsi :
– en 6.1, c'est "être présomption de perte des identités" qui constitue la 'illa de la règle d'interdiction de l'imitation de la femme par l'homme et de l'homme par la femme ;
– et en 6.2 c'est "être un vêtement spécifique à la femme" qui constitue la 'illa de la règle d'interdiction du port de la soie par l'homme ; et cela, à plus approfondir encore, parce que en la soie se trouve la 'illa de "être conforme à la nature de la femme et non à celle de l'homme".
On a donc ce qui suit :
– le port de la soie a été interdit pour l'homme dans le hadîth et constitue donc une mafsada (échelon IV) ; car ceci consiste en l'adoption, par l'homme, d'un vêtement spécifiquement féminin ;
– or l'adoption, par l'homme, d'un vêtement spécifiquement féminin, cela constitue une mafsada (échelon III) ; car cela est une dhar'îa vers la féminisation de l'homme ;
– or la féminisation de l'homme , comme la masculinisation de la femme sont deux mafsada (échelon II) ; car cela nuit au nafs et à la famille ;
– or la préservation / le développement du nafs et celle / celui de la famille sont deux objectifs supérieurs (échelon I).
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Exemple 7 : Un autre cas (l'interdiction faite au musulman d'adopter les signes extérieurs du non-musulman, avec l'impératif de prier en gardant ses chaussures) où la règle édictée dans un premier hadîth constitue ce qui sert de 'illa à une règle plus détaillée, édictée dans un second hadîth. Et ce second hadîth peut être compris de deux façons :
7.1) La règle générale :
Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Celui qui imite ("tashabbaha") un groupe de gens fait partie des leurs" (Abû Dâoûd, 4031). Un autre hadîth (dont la chaîne est faible) présente ces mots : "Ne fait pas partie des nôtres celui qui imite autre que nous" (at-Tirmidhî, 2695).
Cette interdiction de l'imitation, dans les actions extérieures et visibles, des non-musulmans dans ce qu'ils ont de spécifique constitue la norme telle que fournie par les textes (hukm mansûs 'alayh).
Cette interdiction est motivée (ma'lûl) par le fait – c'est-à-dire que sa 'illa est – que l'imitation dans l'apparence conduit à (est la dharî'a de) l'imitation dans les valeurs et les croyances, et en est donc la présomption (mazinna). Or le musulman possède ses propres valeurs et ses propres croyances, et l'adoption des valeurs et croyances d'autrui menace gravement le dîn, et constitue donc une mafsada. (L'interdiction d'adopter les éléments extérieurs ne faisant pas en soi l'objet d'une interdiction, a été instituée, écrit Ibn Taymiyya, pour que cela ne mène pas à ladoption de valeurs et de croyances non conformes à celle de l'islam : "Mushâbahatuhum fi-z-zâhir sababun wa mazinnatun li mushâhabatihim fî 'ayn il-akhlâq wa-l-af'âl il-madhmûma, bal fî nafs il-i'tiqâdât" : Al-Iqtidhâ, Ibn Taymiyya, p. 203, voir aussi p. 15.)
On a donc ici le syllogisme suivant :
– l'adoption, par le musulman, de l'apparence extérieure du non-musulman, cela constitue une dharî'a vers l'adoption des valeurs et des croyances contraires à celles qu'enseigne l'islam ;
– or l'adoption, par le musulman, des valeurs et des croyances contraires à celles qu'enseigne l'islam touche gravement au dîn, et constitue donc une mafsada ;
– donc l'adoption, par le musulman, de l'apparence extérieure du non-musulman, cela est une mafsada et est par conséquent interdit.
On a donc ici ce qui suit :
– "l'adoption, par le musulman, de l'apparence extérieure du non-musulman, cela est une mafsada" : voilà la conclusion du syllogisme, et nous avons là ce qui correspond au hukm shar'î mansûs 'alayh ;
– "l'adoption, par le musulman, de l'apparence extérieure du non-musulman, cela constitue une dharî'a vers l'adoption des valeurs et des croyances contraires à celles qu'enseigne l'islam" ; ceci est la mineure ; "être présomption d'adoption de valeurs et de croyances non-islamiques", cela constitue la 'illa de l'interdiction ;
– "l'adoption des valeurs et des croyances contraires à celles qu'enseigne l'islam touche au dîn, et constitue donc une mafsada" ; voilà la majeure.
Maintenant ce qui fait l'apparence extérieure du non-musulman est de plusieurs degrés :
- il y a ce qui constitue un signe formel qu'on n'est pas du tout musulman ;
- il y a ce qui contredit une règle de l'islam, mais sans signifier que son porteur est non-musulman ;
- enfin il y a ce qui relève de la permission originelle.
L'adoption d'un signe du premier type n'est de même niveau que celle d'un signe du troisième type, où c'est seulement l'apparence générale qui compte... Nous avons parlé de tout cela de façon détaillée dans un autre article (cliquez ici pour découvrir les différents cas de figure qui s'y trouvent).
On a donc ce qui suit :
– l'adoption, par le musulman, de l'apparence extérieure du non-musulman, cela a été interdit dans le hadîth, et constitue donc une mafsada (échelon III) ; parce que cela constitue une dharî'a vers l'adoption des valeurs et des croyances contraires à celles qu'enseigne l'islam ;
– or l'adoption de croyances ou de valeurs contraires à celles qu'enseigne l'islam constitue une mafsada (échelon II) ; parce que cela nuit au dîn ;
– or la préservation / le développement du dîn fait partie des objectifs supérieurs (échelon I).
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7.2) L'impératif demandant de prier en gardant ses sandales :
Le Prophète (sur lui soit la paix) accomplissait [parfois] lui-même la prière en gardant ses sandales (na'l) (al-Bukhârî 379, Muslim 555). Par ailleurs, il a demandé d'accomplir la prière en gardant ses sandales (ou) ses chaussettes en cuir, et ce parce que certains non-musulmans ne prient pas en gardant cela (Abû Dâoûd 652).
– Première possibilité :
Soit, dans ce hadîth, le Prophète a voulu dire de le faire parfois, pour se rappeler que la croyance en islam est qu'il est entièrement légal (i'tiqâd ul-mashrû'iyya) et nullement déconseillé d'accomplir la prière en gardant ses sandales (ou) ses chaussettes en cuir ; cependant, garder ses chaussures ou les enlever pour prier est du même niveau – du moment que les chaussures ne sont pas souillées – (cette interprétation figure globalement dans Mirqât ul-mafâtîh).
La reconnaissance (action d'échelon III) du caractère légal (mashrû') de prier en sandales constitue la norme (hukm).
Le principe ayant motivé ('illa) cette norme (et que le Prophète a explicitement annoncé dans sa parole) est : l'islam n'ayant pas enseigné cela, considérer (i'tiqâd) qu'il est mauvais de faire la prière en sandales constitue un cas d'imitation dans la croyance (tashabbuh fi-l-i'tiqâd) de certains non-musulmans (laquelle croyance est liée à une norme, un hukm), ce qui constitue de la bid'a i'tiqâdiyya et de la tashabbuh fi-l-i'tiqâd (échelon II) ; or la bid'a i'tiqâdiyya et de la tashabbuh fi-l-i'tiqâd touche au dîn (action d'échelon I) et est donc une mafsada
L'avantage (maslaha juz'iyya) que cette règle confère est donc : préserver le musulman de la mafsada que constitue l'adoption de normes (i'tiqâdu ahkâm) que l'islam n'a pas enseignées et qui sont donc bid'a (échelon II). Ceci contribue à la préservation du dîn (échelon I).
– Autre possibilité :
Soit, dans ce hadîth, le Prophète a voulu dire qu'il est recommandé (mustahabb 'amalan) d'accomplir la prière en gardant ses sandales (ou) ses chaussettes en cuir. Ceci constitue la norme (hukm) à propos de l'action de garder ses sandales pour accomplir la prière rituelle.
Le principe ayant motivé cette norme (principe que le Prophète a explicitement annoncé dans sa parole) est : faire la prière en sandales (action d'échelon III) permet, en tant qu'élément, une non-ressemblance dans la forme globale de l'action (mukhâlafa), de certains non-musulmans (action d'échelon II). Or l'adoption d'une non-ressemblance dans la forme globale de l'action permet d'éviter (est la dharî'a de) l'imitation dans l'intérieur, et en est donc une maslaha (action d'échelon II) ; car cela est le contraire de l'adoption de croyances ou de valeurs contraires à celles de l'islam, laquelle est une mafsada (action d'échelon II), car touchant à l'objectif de protection du dîn (échelon I).
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Exemple 8 : Le moyen par lequel les musulmans se saluent, à savoir la prononciation de la formule : "As-salâmu 'alaykum" : Un cas où pré-existait une maslaha de niveau dharûrî ou hâjî, dont la nécessité est reconnue de façon universelle ('aqlî) ; où les textes ont déterminé pour les musulmans un moyen pour réaliser ce besoin :
En effet, ici il existait, connu de façon universelle ('aqlî) (cliquez ici), le besoin de se saluer quand on se rencontre. Et il y existe plusieurs moyens possibles pour satisfaire ce besoin. Mais l'islam a enseigné un moyen précis et celui-ci est déterminé (mu'ayyan), qui est de dire : "As-salâmu 'alaykum". La preuve en est que le Prophète a demandé de ne pas adopter la façon de saluer de certains non-musulmans, ajoutant : "Leur salut se fait par la tête et la main" (rapporté par an-Nassâ'ï, avec une chaîne de transmission de bonne qualité : Fath' ul-bârî 11/24).
Cela est dû au fait que, par rapport à ce besoin, le moyen prescrit par les textes recèle, en sus de la maslaha à réaliser, une autre maslaha, qu'aucun autre moyen ne recèle ou ne recèle à pareil degré ; ou que tous les autres moyens recèlent une mafsada dépassant la maslaha qu'ils recèlent aussi, alors quele moyen prescrit par les textes ne la recèlent pas. Cliquez ici pour lire un autre article, où nous avons parlé de la question du moyen de s'adresser entre musulmans la salutation.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).