Le Raisonnement fait avec l'accompagnement du Cœur (العقل بالقلب) & la Révélation qu'on Entend (سمع الوحي بالأذن) : Lumière sur Lumière (نور على نور)

Introduction :

Il existe ici 3 choses :
--- le Désir (الهوى), qui a pour objets les choses dont l'homme a naturellement besoin pour vivre sur Terre en société ;
--- la Raison (العقل), qui est la faculté de comprendre, d'extrapoler, de soupeser, en un mot : de réfléchir ;
--- et le Cœur (القلب), qui est la faculté d'aimer, de craindre, de ressentir des émotions, et bien d'autres choses sur lesquelles nous reviendrons.

Shâh Waliyyullâh écrit ainsi : "ويعلم من تتبع مواضع الاستعمال أن العقل هو الشيء الذي يدرك به الإنسان ما لا يدرك بالحواس؛ وأن القلب هو الشيء الذي به يحب الإنسان ويبغض، ويختار ويعزم؛ وأن النفس* هو الشيء الذي به يشتهي الإنسان ما يستلذه من المطاعم والمشارب والمناكح" (Hujjat-ullâh il-bâligha, 2/235 ; * il s'agit de : "الهوى").

Il décrit les attributs et faits de chacune de ces 3 facultés :
"فـالقلب من صفاته وأفعاله: الغضب والجراءة والحب والجبن والرضا والسخط والوفاء بالمحبة القديمة والتلون في الحب والبغض وحب الجاه والجود والبخل والرخاء والخوف.
والعقل من صفاته وأفعاله: اليقين والشك والتوهم وطلب الأسباب لكل حادث والتفكر في حيل جلب المنافع ودفع المصار.
والنفس منتهى صفاتها: الشره في المطاعم والمشارب اللذيذة وعشق** النساء ونحو ذلك"
(Hujjat-ullâh il-bâligha, 2/226-237). (** Il s'agit du "الاشتهاء إلى النساء" global. Sinon, le fait d'aimer son épouse pour ses qualités et les années de vie passées ensemble, cela relève pour sa part du Cœur, "القلب".)

Ces 3 facultés humaines sont en interaction, chacune d'elles avec les deux autres : "ثم إن فعل كل واحد من هذه الثلاثة لا يتم إلا بمعونة من الآخرين" (Hujjat-ullâh il-bâligha, 2/235).

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I) Le Désir / les "Passions" (au sens philosophique du terme) (الهوى / الشهوة) :

Le terme "Shahwa" signifie : "l'attirance du for intérieur humain vis-à-vis de ce qu'il recherche". Cela n'est pas en soi mauvais, au contraire, sans ce désir, l'homme ne pourrait pas continuer à vivre.

Aux Shahawât est lié le "Hawâ".

"Hawâ" est le nom d'action du verbe "Hawiya-Yahwâ", pour : "affectionner", "aimer". Il s'agit d'aimer ce qu'on désire par élan physique ou social naturel.

Le Hawâ et la Shahwa désignent (dans l'un des deux sens) le désir (lequel constitue une tension), tandis que la satisfaction de ce désir apporte le plaisir, Ladhdha (لذَة).

Pour plus de détails, lire notre article : Qu'est-ce que le Hawâ / la Shahwa ?.

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II) Le Raisonnement (العقل) fait de façon pure :

Dans le Coran, seule la forme verbale "raisonner" a été employée : "Penses-tu que la plupart d'entre eux écoutent ou raisonnent ?" (Coran 25/44). Il s'agit donc de l'action de raisonner.

Dans la Sunna, on trouve aussi le mot employé sous la forme nominale : "raisonnement" : il a été dit de la femme qu'elle est "incomplète de raisonnement". Le mot est alors le masdar, nom d'action, du verbe. Cette fois il s'agit de la faculté de raisonnement.

Pour l'islam, la faculté de raison est une faculté humaine qui est positive. A tel point que, d'après l'islam, celui qui est privé de raison, le fou, n'est pas tenu responsable de ses actes.

Voici l'une des définitions que al-Ghazâlî en a donnée : "اعلم أن الناس اختلفوا في حد العقل وحقيقته، وذهل الأكثرون عن كون هذا الاسم مطلقا على معان مختلفة، فصار ذلك سبب اختلافهم. والحق الكاشف للغطاء فيه أن العقل اسم يطلق بالاشتراك على أربعة معان، كما يطلق اسم العين مثلا على معان عدة. وما يجري هذا المجرى، فلا ينبغي أن يطلب لجميع أقسامه حد واحد، بل يفرد كل قسم بالكشف عنه. فالأول: الوصف الذي يفارق الإنسان به سائر البهائم، وهو الذي استعد به لقبول العلوم النظرية وتدبير الصناعات الخفية الفكرية؛ وهو الذي أراده الحارث بن أسد المحاسبي حيث قال في حد العقل: "إنه غريزة يتهيأ بها إدراك العلوم النظرية؛ وكأنه نور يقذف في القلب، به يستعد لإدراك الأشياء." ولم ينصف من أنكر هذا، ورد العقل إلى مجرد العلوم الضرورية؛ فإن الغافل عن العلوم والنائم يسميان عاقلين باعتبار وجود هذه الغريزة فيهما مع فقد العلوم" (Al-Ihyâ', 1/138).

Et voici les 3 définitions que Ibn Taymiyya en a relatées : "والعقل المشروط في التكليف لا بد أن يكون علوما يميز بها الإنسان بين ما ينفعه وما يضره. فالمجنون الذي لا يميز بين الدراهم والفلوس ولا بين أيام الأسبوع ولا يفقه ما يقال له من الكلام ليس بعاقل. أما من فهم الكلام وميز بين ما ينفعه وما يضره فهو عاقل. ثم من الناس من يقول: العقل هو علوم ضرورية؛ ومنهم من يقول: العقل هو العمل بموجب تلك العلوم؛ والصحيح أن اسم العقل يتناول هذا وهذا. وقد يراد بالعقل نفس الغريزة التي في الإنسان التي بها يعلم ويميز ويقصد المنافع دون المضار، كما قال أحمد بن حنبل والحارث المحاسبي وغيرهما: "إن العقل غريزة". وهذه الغريزة ثابتة عند جمهور العقلاء، كما أن في العين قوة بها يبصر، وفي اللسان قوة بها يذوق، وفي الجلد قوة بها يلمس عند جمهور العقلاء" (MF 9/287-288).

La raison est la faculté qui permet à l'homme de :
--- procéder à des déductions et des inductions (extrapolations) à partir de ce que les sens transmettent (
ma'lûmât juzi'yya hissiyya),
--- catégoriser ses connaissances (
ma'lûmât),
--- et arbitrer (
muwâzana) entre les deux possibilités qui se présentent à lui.
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Par élargissement à partir de ce dernier élément ("arbitrer entre deux possibilités"), on nomme aussi "raison" (
'Aql) cette aptitude que l'homme a développée en lui de ne pas se laisser mener par ce que lui dictent ses pulsions physiques naturelles (Tab'), mais de canaliser et contrôler l'expression de ses désirs et ses émotions. On dit ainsi : "C'est la raison qui doit dominer les pulsions et les émotions".

La faculté de raison est une faculté du cerveau (lire notre article : Est-ce le cerveau ou le cœur qui est le siège du raisonnement ?) ; elle n'est toutefois qu'une des facultés de cet organe : le cerveau est aussi le siège de l'imaginaire, lequel n'a rien à voir avec la raison.

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Cependant...

Cependant, certes positive, la raison a néanmoins ses limites : si la science rationnelle (fondée sur l'observation et l'expérimentation) a révélé bien des mystères, elle explique une partie du "comment" de l'univers, mais ne répond pas à la question, très humaine, du "pourquoi" : pourquoi un univers plutôt que rien ? pourquoi la vie ? quelle est la finalité de mon existence ? Dieu existe-t-il ? quelle devrait être ma relation avec Lui ?
Cela concerne les croyances pures.

De plus, si le savoir scientifique permet de comprendre les lois qui régissent le fonctionnement de l'univers et de réaliser grâce à elles des applications destinées à maîtriser la nature, ce seul savoir est, par définition, incapable de fournir à l'homme une éthique quant à l'utilisation de ces nouveaux outils. "La science, en soi, disait Bertrand Russel, ne peut pas nous fournir une éthique. Elle peut nous indiquer comment atteindre un objectif et, parfois, nous montrer que certains objectifs sont inaccessibles. Mais parmi les objectifs réalisables, notre choix doit être guidé par des considérations autres que purement scientifiques." Ceci est sans doute vrai aujourd'hui plus qu'hier, avec les énormes possibilités qu'offrent le génie génétique et la maîtrise technologique de l'énergie nucléaire. Ce le sera demain encore plus qu'aujourd'hui. La raison n'intervient qu'"en retard" puisqu'il lui faut d'abord constater les torts déjà présents pour pouvoir ensuite penser les limites "en aval". C'est pourquoi, un peu partout en Europe, apparaissent aujourd'hui des comités consultatifs d'éthique, destinés à proposer des limites et orientations éthiques, donc d'une nature autre que celles purement rationnelles.
Enfin, si l'homme utilise sa raison seule, froide et calculatrice, sa raison ne se met alors plus qu'au service de ses intérêts personnels et de ses désirs : "Il n'est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à une égratignure de mon doigt" disait Hume. Normal : la raison ne fait qu'arbitrer (muwâzana) entre deux possibilités lui étant présentées.

La raison pure peut donc observer et découvrir le fonctionnement de l'univers. C'est même le rôle qui lui est dévolu (lire : Autonomie de la Raison - Rationalité de la Foi - Enchantement du monde).

Mais la raison pure ne peut pas offrir des croyances à l'homme, ni des normes éthiques l'orientant pour ce qu'il a à faire.

L'homme se contentant de ses Désirs et de sa Raison devient un simple animal intelligent.

Cependant, "il existe en l'homme autre chose, qui a ses raisons qui sont différentes de celles de la raison pure : c'est le cœur".

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III) Le Cœur (القلب) :

Ici, le terme "cœur" ne désigne pas : "le for intérieur" dans sa globalité (comme c'est parfois le cas), mais seulement : "la conscience humaine spirituelle et morale", qui est une faculté naturellement bonne.
Cette "conscience", cette "âme", est lié à l'organe physique portant le nom "cœur" et se trouvant dans la poitrine (lire : Quelle différence y a-t-il entre Rûh et Qalb ?).

Dieu nous dit que tout humain possède un "cœur", même ceux qui refusent et renient ce que celui-ci leur souffle : "وَلَقَدْ ذَرَأْنَا لِجَهَنَّمَ كَثِيرًا مِّنَ الْجِنِّ وَالإِنسِ لَهُمْ قُلُوبٌ لاَّ يَفْقَهُونَ بِهَا وَلَهُمْ أَعْيُنٌ لاَّ يُبْصِرُونَ بِهَا وَلَهُمْ آذَانٌ لاَّ يَسْمَعُونَ بِهَا أُوْلَئِكَ كَالأَنْعَامِ بَلْ هُمْ أَضَلُّ أُوْلَئِكَ هُمُ الْغَافِلُون" : "Ils ont un cœur mais ne comprennent pas par lui" (Coran 7/179).

Ce "cœur" est de façon naturelle attiré par Dieu et par le fait de faire le bien :

- "وَفِي الْأَرْضِ آيَاتٌ لِّلْمُوقِنِينَ وَفِي أَنفُسِكُمْ أَفَلَا تُبْصِرُونَ" : "Et sur la Terre il est des signes pour ceux qui sont (aptes à être) convaincus, ainsi qu'en vous-mêmes. Ne voyez-vous donc pas ?" (Coran 51/20-21). L'un des commentaires est que ces signes qui se trouvent en l'homme, ici évoqués, ne sont pas le fonctionnement de son corps, mais ce que son cœur contient : "وقال قتادة: المعنى من سار في الأرض رأى آيات وعبرا؛ ومن تفكر في نفسه علم أنه خلق ليعبد الله" (Tafsîr ul-Qurtubî).

Et quand le Coran fait les éloges de ceux qui raisonnent, il parle bien de ceux qui raisonnent et réfléchissent avec l'accompagnement de leur cœur...

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IV) Le Raisonnement fait avec l'accompagnement du Cœur (العقل بالقلب) :

Le Coran dit en effet ceci :
"أَفَلَمْ يَسِيرُوا فِي الْأَرْضِ فَتَكُونَ لَهُمْ قُلُوبٌ يَعْقِلُونَ بِهَا أَوْ آذَانٌ يَسْمَعُونَ بِهَا. فَإِنَّهَا لَا تَعْمَى الْأَبْصَارُ وَلَكِن تَعْمَى الْقُلُوبُ الَّتِي فِي الصُّدُورِ"
:
"N'ont-ils pas parcouru la terre et alors eu des cœurs avec lesquels / par lesquels ils raisonnent, ou des oreilles par lesquelles ils entendent ? Car ce ne sont pas les vues qui s'aveuglent, mais s'aveuglent les cœurs qui sont dans les poitrines"
(Coran 22/46). C'est dans le cas où la raison accepte ce que le cœur lui souffle, que l'homme "raisonne par son cœur" (c'est-à-dire avec l'accompagnement de son cœur).

Il s'agit donc d'observer (ce qui nous entoure), d'entendre (les récits des expériences faites par les hommes) et de raisonner sur la base de tout cela, mais de faire tout cela avec l'accompagnement du cœur.

- "أَوَلَمْ يَتَفَكَّرُوا فِي أَنفُسِهِمْ مَا خَلَقَ اللَّهُ السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضَ وَمَا بَيْنَهُمَا إِلَّا بِالْحَقِّ وَأَجَلٍ مُّسَمًّى وَإِنَّ كَثِيرًا مِّنَ النَّاسِ بِلِقَاء رَبِّهِمْ لَكَافِرُونَ" : "N'ont-ils pas réfléchi en eux-mêmes : Dieu n'a créé les cieux, la Terre, et ce qui se trouve entre les deux qu'avec la juste (raison) et avec un délai fixé" (Coran 30/8).

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Cependant...

Cependant, si le "cœur par lequel on raisonne" exerce certes une influence positive sur le Raisonnement fait par l'homme, une autre influence aussi existe : celle du Hawâ (الهَوَى) (voir en I) : les instincts, les désirs et les pulsions naturellement présents chez l’homme par rapport à sa vie sur Terre.

Qui serait donc capable de distinguer réellement la voix de son cœur au milieu de toutes les incitations intérieures qu'il "ressent" ?
La psychanalyse l'a bien montré : ce dont on pourrait penser que c'est la voix de son cœur n'est parfois rien d'autre que les désirs enfouis dans les replis de son for intérieur, surgissant déguisés sous une autre forme…

L'homme possède certes une nature d'essence bonne ; mais il est également sujet à des désirs personnels. Son cœur est là pour lui rappeler le juste, mais ce cœur est concurrencé par les désirs personnels, qui, eux aussi, soufflent à l'homme.
Muhammad Asad (mort en 1992), un homme d'origine autrichienne et juive, et converti à l'islam dans la première moitié du XXème siècle, écrit au sujet de la dimension éthique : "Malgré tout ce qui dans l'islam séduisait mon intellect, je ne comprenais pas qu'un homme intelligent puisse conformer toute sa pensée et toute sa manière de vivre à un système non élaboré par lui-même.
– Dites-moi, cheikh Mustafa, demandai-je un jour à mon savant ami Al-Maraghi, pourquoi devrait-il être nécessaire de se limiter soi-même à tel enseignement et à tel ensemble de prescriptions ? Ne serait-il pas préférable de confier toute inspiration éthique à sa propre voix intérieure ?
– (...) La réponse est simple. Très peu nombreux - les prophètes seulement - sont les hommes réellement capables de comprendre la voix intérieure qui parle en eux. Nous sommes pour la plupart soumis à nos intérêts et désirs personnels, et si chacun devait suivre ce qu'il croit entendre de son propre cœur, ce serait un chaos moral complet, et nous ne pourrions jamais nous mettre d'accord sur une règle de comportement quelconque. Tu peux, bien sûr, demander s'il n'y a pas des exceptions, comme celles de personnalités éclairées qui sentent qu'elles n'ont pas besoin d'être "guidées" dans le choix du bien et du mal. Mais alors, je te le demande, ne verrait-on pas de très nombreuses personnes revendiquer ce droit exceptionnel pour elles-mêmes ? Et quel en serait le résultat ?"
(Le Chemin de la Mecque, Fayard, 1976, p. 179).

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L'homme est-il naturellement bon, ou naturellement porté au mal ?

- De par sa nature primordiale (Fit'ra), chaque homme est, par essence, naturellement attiré par Dieu, et par le fait de faire le bien. C'est ce qu'exprime ce célèbre hadîth : "كل إنسان تلده أمه على الفطرة" : "Chaque humain, sa mère le met au monde avec (l'état de) Fit'ra" (al-Bukhârî, 1292 etc., Muslim, 2658), ainsi que cet autre hadîth : "وإني خلقت عبادي حنفاء كلهم، وإنهم أتتهم الشياطين فاجتالتهم عن دينهم، وحرمت عليهم ما أحللت لهم، وأمرتهم أن يشركوا بي ما لم أنزل به سلطانا" (Muslim, 2865).

- Cependant, à cause de l'influence d'hommes présents avant lui sur Terre et ayant déjà dévié, à cause également des difficultés de la vie sur Terre, à cause enfin de l'élément (présent en l'homme) sensible aux suggestions du Démon ("عن أنس بن مالك أن رسول الله صلى الله عليه وسلم أتاه جبريل صلى الله عليه وسلم وهو يلعب مع الغلمان، فأخذه فصرعه، فشق عن قلبه، فاستخرج القلب، فاستخرج منه علقة، فقال: هذا حظ الشيطان منك، ثم غسله في طست من ذهب بماء زمزم، ثم لأمه، ثم أعاده في مكانه" : Muslim, 162), l'homme est, par incidence (li 'âridh), naturellement sujet au doute et à faire le mal. C'est ce qui explique cet autre hadîth, qudsî : "يا عبادي كلكم ضال إلا من هديته؛ فاستهدوني أهدكم" : "Dieu a dit : "Chacun de vous est égaré, sauf celui que Je guide. Demandez-moi donc la guidance, je vous guiderai"" (Muslim, 2577). Et cet autre hadîth : "عن عبد الله بن الديلمي، قال: سمعت عبد الله بن عمرو، يقول: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "إن الله عز وجل خلق خلقه في ظلمة، فألقى عليهم من نوره؛ فمن أصابه من ذلك النور اهتدى، ومن أخطأه ضل. فلذلك أقول: جف القلم على علم الله" (at-Tirmidhî, 2642).

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V) Une Révélation (الوحي) venant approuver et orienter le Raisonnement fait avec le Cœur :

C'est ici que, selon l'islam, entre en jeu la Révélation, qui propose justement à l'homme une lumière à partir de laquelle il peut orienter ses pensées et ses actes. Une lumière désirant non pas contredire les facultés morales et intellectuelles qu’il possède naturellement, mais approuver et préserver la lumière originelle de son cœur. Une lumière qui approuve, préserve et décuple la lumière innée de son cœur :
"اللَّهُ نُورُ السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضِ مَثَلُ نُورِهِ كَمِشْكَاةٍ فِيهَا مِصْبَاحٌ الْمِصْبَاحُ فِي زُجَاجَةٍ الزُّجَاجَةُ كَأَنَّهَا كَوْكَبٌ دُرِّيٌّ يُوقَدُ مِن شَجَرَةٍ مُّبَارَكَةٍ زَيْتُونِةٍ لَّا شَرْقِيَّةٍ وَلَا غَرْبِيَّةٍ يَكَادُ زَيْتُهَا يُضِيءُ وَلَوْ لَمْ تَمْسَسْهُ نَارٌ نُّورٌ عَلَى نُورٍ يَهْدِي اللَّهُ لِنُورِهِ مَن يَشَاء وَيَضْرِبُ اللَّهُ الْأَمْثَالَ لِلنَّاسِ وَاللَّهُ بِكُلِّ شَيْءٍ عَلِيمٌ"
"Dieu est la Lumière des cieux et de la Terre.
L'exemple de Sa lumière est (ceci) : (il y a) une niche dans laquelle se trouve une lampe* ; la lampe se trouve à l'intérieur d'une (paroi de) verre ; ce verre ressemble à une planète brillante ; (cette lampe) est allumée par (une huile provenant) d'un arbre béni - un olivier - qui n'est ni oriental ni occidental, dont l'huile éclairerait presque sans même que le feu la touche.
Lumière sur lumière !

Dieu guide qui Il veut vers Sa lumière. Et Dieu cite (de la sorte) des exemples à l'attention des hommes. Et Dieu est de toute chose Savant"
(Coran 24/35)
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(* Il s'agit ici d'une version basique de la lampe, c'est-à-dire la mèche et son support - voir Tafsîr ul-Qurtubî -, puisque le verre a été mentionné de façon distincte de cette lampe.)

Au-delà de la seule beauté de ses phrases, ce verset contient une comparaison : celle de la lumière de la révélation venant se superposer à la lumière du cœur de l'homme.
Dans le verset, il est question d'une lampe dont l'huile est si lumineuse qu'elle "éclairerait presque sans même que le feu la touche", et qui, lorsqu'elle rencontre le feu, connaît ensuite "lumière sur lumière" : le feu et sa lumière décuplent la lumière déjà présente en l'huile (cf. Ma'ârif ul-qur'ân, Muftî Muhammad Shafî', 6/422-423) ; "قال بعض السلف في الآية: هو المؤمن ينطق بالحكمة، وإن لم يسمع فيها بأثر؛ فإذا سمع بالأثر، كان نورا على نور: نور الإيمان الذي في قلبه يطابق نور القرآن. كما أن الميزان العقلي يطابق الكتاب المنزل، فإن الله أنزل الكتاب والميزان ليقوم الناس بالقسط" (MF 10/475).

Le verset part de cette image extraite de la vie quotidienne pour nous faire mieux comprendre encore que, à l’instar de la lampe contenant une huile naturellement lumineuse, le cœur humain contient naturellement la base de ce qui oriente l'homme dans le domaine spirituel et dans le domaine éthique. Et que, de la même façon que la luminosité naturelle de l'huile d'olive se trouve décuplée par le feu qui la touche, la luminosité naturelle du cœur est confirmée, préservée, décuplée et orientée par une lumière beaucoup plus puissante : la révélation divine. "Lumière sur lumière" : la lumière de la révélation vient toucher la lumière du cœur pour la préserver et l’orienter.

Car, dans ce verset précis, "la Lumière de Dieu" y étant mentionnée n'est pas la Lumière de Dieu qui est l'un de Ses Attributs (Sifa dhâtiyya), mais la guidance que Dieu a placée de façon innée dans le cœur humain.

Les commentateurs parlent du "cœur du croyant" précisément, mais cela vaut aussi, de façon générale, pour le cœur humain, puisque le cœur de chaque humain contient toujours au moins une étincelle de bien.

La lumière que le cœur humain contient déjà et que la révélation vient préserver et augmenter comporte une dimension spirituelle vers Dieu : l'élan naturel vers Dieu l'Unique, le besoin de se tourner vers Lui, le ressenti d'un jour pour rendre compte... Cette lumière comporte également les normes éthiques pour la vie sur Terre.

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La Lumière que l'homme possède en son intérieur, c'est l'Intelligence de son Cœur, c'est sa source d'orientation spirituelle et éthique : c'est le Cœur avec l'accompagnement duquel l'homme Raisonne.
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Et la Lumière qui vient se superposer à la première Lumière, c'est la Révélation : c'est ce que l'homme entend qui est provenu du Ciel par le moyen des Messagers de Dieu. Pour nous aujourd'hui, il s'agit du Coran : "يَا أَيُّهَا النَّاسُ قَدْ جَاءكُم بُرْهَانٌ مِّن رَّبِّكُمْ وَأَنزَلْنَا إِلَيْكُمْ نُورًا مُّبِينًا" (Coran 4/174).

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"قوله تعالى: {الله نور السماوات والأرض} فيه قولان: أحدهما: هادي أهل السموات والأرض، رواه ابن أبي طلحة عن ابن عباس، وبه قال أنس بن مالك" (Zâd ul-massîr).
"قوله تعالى: {مثل نوره} في هاء الكناية أربعة أقوال: أحدها: أنها ترجع إلى الله عز وجل، قال ابن عباس: مثل هداه في قلب المؤمن"
(Ibid.).
"يهدي الله لنوره} فيه أربعة أقوال: أحدها: لنور القرآن. والثاني: لنور الإيمان. والثالث: لنور محمد صلى الله عليه وسلم. والرابع: لدينه الإسلام"
(Ibid.).
"فقلب المؤمن يعمل بالهدى قبل أن يأتيه العلم، فاذا جاءه العلم ازداد هدى على هدى؛ كما يكاد هذا الزيت يضيء قبل أن تمسه النار، فاذا مسته اشتد نوره (...). وقيل: تكاد حجج الله تضيء لمن فكر فيها وتدبرها، ولو لم ينزل القرآن. {نور على نور} أي: القرآن نور من الله لخلقه، مع ما قد قام لهم من الدلائل والأعلام قبل نزول القرآن" (Ibid.).

"فشبه قلب المؤمن وما هو مفطور عليه من الهدى، وما يتلقاه من القرآن المطابق لما هو مفطور عليه - كما قال تعالى: {أفمن كان على بينة من ربه ويتلوه شاهد منه} -، فشبه قلب المؤمن في صفائه في نفسه بالقنديل من الزجاج الشفاف الجوهري، وما يستهديه من القرآن والشرع بالزيت الجيد الصافي المشرق المعتدل الذي لا كدر فيه ولا انحراف" (Tafsîr Ibn Kathîr).

"واختلف في هذه الشجرة على ستة أقوال: الأول: أنها ليست من شجر الشرق دون الغرب، ولا من شجر الغرب دون الشرق، لأن الذي يختص بإحدى الجهتين كان أدنى زيتا وأضعف ضوءا؛ ولكنها ما بين الشرق والغرب، كالشام، لاجتماع الأمرين فيه؛ وهو قول مالك. وفي رواية ابن وهب عنه قال: هو الشام، الشرق من هاهنا والغرب من هاهنا، ورأيته لابن شجرة أحد حذاق المفسرين. الثاني: أنها ليست بشرقية تستر عن الشمس عند الغروب، ولا بغربية تستر عن الشمس وقت الطلوع، بل هي بارزة؛ وذلك أحسن لزيتها أيضا؛ قاله قتادة" (Ahkâm ul-qur'ân, Ibn ul-'Arabî).

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Ci-après 4 versets où on trouve mention de ces deux Lumières...

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VI) Le Raisonnement fait avec le Cœur, et la Révélation :

1) "أَمْ تَحْسَبُ أَنَّ أَكْثَرَهُمْ يَسْمَعُونَ أَوْ يَعْقِلُونَ" :
"Penses-tu que la plupart d'entre eux écoutent ou raisonnent ?"
(Coran 25/44 ; an-Naml)
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2) "وَقَالُوا لَوْ كُنَّا نَسْمَعُ أَوْ نَعْقِلُ مَا كُنَّا فِي أَصْحَابِ السَّعِيرِ" :
"Et ils diront : "Si nous avions écouté ou si nous avions raisonné, nous ne serions pas parmi les gens de la fournaise""
(Coran 67/10 : al-Mulk).
Ecouter concerne le fait d'écouter ce que Dieu a révélé (cf. Tafsîr Ibn Kathîr, commentaire de ce verset).
Raisonner n'est pas, ici, le raisonnement de la Raison Pure, mais le raisonnement du Cœur, conformément aux versets 50/37 et 22/46 que nous allons voir.

3) "إِنَّ فِي ذَلِكَ لَذِكْرَى لِمَن كَانَ لَهُ قَلْبٌ أَوْ أَلْقَى السَّمْعَ وَهُوَ شَهِيدٌ" :
"Il y a en cela [en le fait de regarder les cités ayant été châtiées par Dieu] un rappel pour celui qui a un cœur, ou qui a prêté l'oreille tout en étant présent"
(Coran 50/37 : Qâf).
Ce verset-ci parle quant à lui du cœur (et pas de la raison), mais il s'agit du cœur qui raisonne – car le terme "qalb" ici employé a été commenté par : "'aql" (cf. Tafsîr Ibn Kathîr) –, donc de l'Intelligence du Cœur, conformément au verset 22/46, qui suit...

4) "أَفَلَمْ يَسِيرُوا فِي الْأَرْضِ فَتَكُونَ لَهُمْ قُلُوبٌ يَعْقِلُونَ بِهَا أَوْ آذَانٌ يَسْمَعُونَ بِهَا. فَإِنَّهَا لَا تَعْمَى الْأَبْصَارُ وَلَكِن تَعْمَى الْقُلُوبُ الَّتِي فِي الصُّدُورِ" :
"N'ont-ils pas parcouru la terre afin d'avoir un cœur avec lequel ils raisonnent, ou des oreilles par lesquelles ils entendent ? Car ce ne sont pas les vues qui s'aveuglent, mais s'aveuglent les cœurs qui sont dans les poitrines"
(Coran 22/46 : al-Hajj).
C'est d'après une des deux possibilités que, une nouvelle fois, ce qu'il est question d'entendre ici est : la Révélation (Tafsîr Abi-s-Sa'ûd). Le passage parle des cités ayant été châtiées par Dieu, et au sujet desquelles il est demandé aux Arabes d'en regarder les restes, mais de les regarder en réfléchissant : ce que chacun voit de ses yeux, il lui est demandé de :
--- réfléchir à ce que cela contient de leçons, à la lumière du raisonnement du cœur ;
--- réfléchir à ce que cela contient de leçons, à la lumière de ce que la Révélation en a dit (à savoir que c'est bien Dieu qui les a détruits, parce qu'ils Lui désobéissaient), Révélation que leurs oreilles peuvent entendre et que leur cœur doit accepter.
Ce verset est donc à comprendre ainsi :
"أَفَلَمْ يَسِيرُوا فِي الْأَرْضِ فَتَكُونَ لَهُمْ قُلُوبٌ يَعْقِلُونَ بِهَا [ما يرون بالأبصار] أَوْ آذَانٌ يَسْمَعُونَ بِهَا [الوحي، فيقبلونه بقلوبهم، فيعقلون بها ما يرون بالأبصار]. فَإِنَّهَا لَا تَعْمَى الْأَبْصَارُ وَلَكِن تَعْمَى الْقُلُوبُ الَّتِي فِي الصُّدُورِ"
Ce verset parle de parcourir la Terre et de regarder les signes qui s'y trouvent (ici les cités antiques détruites). Et il dit que bien que les regards ne soient pas aveugles, ce sont les cœurs qui s'aveuglent. Dans d'autres versets, ce fait de voir et même de regarder mais sans parvenir à en tirer les leçons, cela est désigné comme "être aveugle et ne pas voir" : "وَمِنْهُم مَّن يَسْتَمِعُونَ إِلَيْكَ أَفَأَنتَ تُسْمِعُ الصُّمَّ وَلَوْ كَانُواْ لاَ يَعْقِلُونَ وَمِنهُم مَّن يَنظُرُ إِلَيْكَ أَفَأَنتَ تَهْدِي الْعُمْيَ وَلَوْ كَانُواْ لاَ يُبْصِرُونَ إِنَّ اللّهَ لاَ يَظْلِمُ النَّاسَ شَيْئًا وَلَكِنَّ النَّاسَ أَنفُسَهُمْ يَظْلِمُونَ" (Coran 10/42-44), "ne pas voir" : "وَجَعَلْنَا مِن بَيْنِ أَيْدِيهِمْ سَدًّا وَمِنْ خَلْفِهِمْ سَدًّا فَأَغْشَيْنَاهُمْ فَهُمْ لاَ يُبْصِرُونَ" (Coran 36/9).
Par ailleurs, le seul fait qu'un homme entende le texte révélé n'implique pas qu'il en accepte le contenu : "وَإِذَا قَرَأْتَ الْقُرآنَ جَعَلْنَا بَيْنَكَ وَبَيْنَ الَّذِينَ لاَ يُؤْمِنُونَ بِالآخِرَةِ حِجَابًا مَّسْتُورًا وَجَعَلْنَا عَلَى قُلُوبِهِمْ أَكِنَّةً أَن يَفْقَهُوهُ وَفِي آذَانِهِمْ وَقْرًا وَإِذَا ذَكَرْتَ رَبَّكَ فِي الْقُرْآنِ وَحْدَهُ وَلَّوْاْ عَلَى أَدْبَارِهِمْ نُفُورًا" (Coran 17/45-46). "يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُواْ أَطِيعُواْ اللّهَ وَرَسُولَهُ وَلاَ تَوَلَّوْا عَنْهُ وَأَنتُمْ تَسْمَعُونَ وَلاَ تَكُونُواْ كَالَّذِينَ قَالُوا سَمِعْنَا وَهُمْ لاَ يَسْمَعُونَ إِنَّ شَرَّ الدَّوَابَّ عِندَ اللّهِ الصُّمُّ الْبُكْمُ الَّذِينَ لاَ يَعْقِلُونَ وَلَوْ عَلِمَ اللّهُ فِيهِمْ خَيْرًا لَّأسْمَعَهُمْ وَلَوْ أَسْمَعَهُمْ لَتَوَلَّواْ وَّهُم مُّعْرِضُونَ" : "(...) Et si Dieu savait qu'il y a du bien en eux, Il leur ferait entendre (...)" (Coran 8/20-23) : c'est-à-dire : "Il leur ferait comprendre et les amènerait à tirer profit de ce qu'ils entendent" (lire par exemple Tafsîr Ibn Kathîr). "إِنَّمَا يَسْتَجِيبُ الَّذِينَ يَسْمَعُونَ. وَالْمَوْتَى يَبْعَثُهُمُ اللّهُ ثُمَّ إِلَيْهِ يُرْجَعُونَ" : "Ne répondent (à l'appel) que ceux qui entendent. Et les morts, Dieu les ressuscitera puis vers Lui ils seront retournés" (Coran 6/36).

– Ce que la première Lumière ('Aql bi-l-Qalb) communique est global (ijmâl), et la seconde Lumière (Sam' ul-Wah'y) vient le détailler (tafsîl) : c'est-à-dire qu'elle expose des conditions, des nuances, des quantités aux normes que la première Lumière trouvait ; également qu'elle expose des normes constituant ramification des normes générales, ces normes ramifiées étant supplémentaires (zâ'ïda) par rapport à celles que la première Lumière trouvait.

– Plus encore : Ce que la première Lumière communique, l'homme peut se tromper à son sujet (ihtimâl), et la seconde Lumière vient donc l'encadrer (ta'yîn).

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VII) 'Aql bi-l-Qalb & Sam' ul-Wah'y :

Nous avons donc ces deux termes :
"'Aql bi-l-Qalb" – raisonner avec son cœur –,
– et "Sam' ul-Wah'y" – écouter et comprendre le message de la révélation –,
pour décrire respectivement :
la Faculté naturelle de l'homme, qui le pousse à se tourner vers Dieu, et qui lui permet de discerner le bien du mal pour ses actes,
– et la Révélation qui vient protéger, orienter et développer cette faculté naturelle globale.

Dès lors :
– L'ensemble des éléments Dînî / Ta'abbudî que la révélation (que l'on écoute, "Sam' ul-Wah'y") a communiqués sont appelés : "Sam'î / Shar'î".
– Plus restreints sont les éléments Dînî / Ta'abbudî que le raisonnement fait avec le cœur ("'Aql bi-l-Qalb" ") trouve lui-même : ces éléments là sont quant à eux appelés : "'Aqla-Qalbî", ce qui signifie, ici : "pouvant aisément être trouvées par le raisonnement du cœur" (et non pas : "ne contredisant pas la raison", car même les éléments shar'î ghayr 'aqla-qalbî ne contredisent pas la raison).

En fait tout ce que l'homme a en lui de par son 'Aql bi-l-Qalb, et qui est donc "'Aqla-Qalbî", tout cela relève de la Fit'ra : croire en l'existence et l'unicité de Dieu ; faire le bien ; détester le mal ; être propre ; avoir une apparence présentable ; etc.
الفطرة مكمَّلة بالفطرة المنزلة. فإن الفطرة تعلم الأمر مجملا؛ والشريعة تفصله وتبينه وتشهد بما لا تستقل الفطرة به"
(MF 4/45).

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Voici un premier schéma exposant cela à propos des croyances pures :

aqli1Parmi les croyances pures :
--- certaines relèvent du 'Aqla-Qalbî, de ce que l'intelligence du cœur connaît intuitivement ("'aql bi-l-qalb"), la révélation ("as-sam'") n'étant venue que confirmer et préserver cela (tadhkîr wa ta'kîd) : elles sont donc 'Aqla-Qalbî et, bien sûr, Sam'î / Shar'î aussi.
--- par contre, certaines autres ne pouvaient être connus que par référence à la révélation ("as-sam'") (kashf) : ils sont Sam'î / Shar'î (mais sans être Aqla-Qalbî) : ils ne pouvaient pas être trouvées par le 'Aql bi-l-Qalb, mais ne contredisent nullement ce 'Aql bi-l-Qalb, ni le 'Aql mujarrad.

Ainsi :

--- La croyance disant que Dieu existe et qu'Il est Transcendant, de même que la connaissance globale qu'on a de Lui, cela relève du 'Aqla-Qalbî, de ce que l'intelligence du cœur connaît intuitivement ("'aql bi-l-qalb") : la révélation ("as-sam'") n'est venue que confirmer et préserver cela.
Par contre, certains développements à ce sujet ne pouvaient être connus de l'homme que par référence à la révélation ("as-sam'").

--- La croyance disant que Dieu est Unique dans le caractère divin (et donc que rien d'autre que Lui ne mérite le culte), cela relève lui aussi du Aqla-Qalbî, de ce que l'intelligence du cœur connaît intuitivement ("'aql bi-l-qalb") : la révélation ("as-sam'") n'est venue que confirmer et préserver cela. (Simplement, il y a plus d'humains qui sont devenus Polythéistes qu'il y en a qui sont devenus Athées ou Agnostiques. C'est ce qui explique que le Coran s'est employé à argumenter quant au fait qu'on ne doit pas diviniser autre que Dieu.)
Par contre, certains développements à ce sujet ne pouvaient être connus de l'homme que par référence à la révélation ("as-sam'") : telle action (par exemple consulter un djinn quant à la localisation d'un objet perdu dans le présent) contredit-elle le tawhîd ullâh, ou ne le contredit-elle pas ?

--- La croyance disant que Dieu est dans la direction du Haut, cela relève de nouveau du 'Aqla-Qalbî, de ce que l'intelligence du cœur connaît  intuitivement ("'aql bi-l-qalb"), la révélation ("as-sam'") n'étant venue que confirmer et préserver cela.
Par contre, le fait qu'Il ait un Trône sur lequel Il S'est Etabli, cela ne pouvait être établi que par référence à la révélation ("as-sam'").

--- La croyance disant qu'il doit se produire un jour où les hommes seront pleinement rétribués pour leurs croyances et actes relève encore une fois du 'Aqla-Qalbî, de ce que l'intelligence du cœur ressent intuitivement ("'aql bi-l-qalb"), la révélation ("as-sam'") n'étant venue que confirmer et préserver cela.
Par contre, la façon exacte selon laquelle le Compte et la Rétribution se dérouleront, cela ne peut être su que par référence à la révélation ("as-sam'") (cf. Hâdi-l-arwâh, pp. 499 et 502).

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Et voici un second schéma exposant cela à propos des normes éthiques :

aqli2Parmi les normes éthiques concernant l'homme :

--- certaines normes (de type a) relèvent de ce que l'intelligence du cœur connaît intuitivement ("'aql bi-l-qalb"), la révélation ("as-sam'") n'étant venue que confirmer et approuver cela (tadhkîr wa ta'kîd). Ce sont uniquement ces normes qui sont appelées : "'Aqla-Qalbî", c'est-à-dire : "pouvant aisément être trouvées par le raisonnement du cœur" ;

--- d'autres normes (de type b) pouvaient être connues par ce raisonnement du cœur ("'aql bi-l-qalb"), mais sans être aussi évidentes : la révélation ("as-sam'") est donc venue éclairer (kashf) l'homme à leur sujet ;

--- enfin, d'autres normes encore (de type c) ont été totalement induites (inshâ') par la révélation ("as-sam'").

Les normes du premier type (de type a) sont donc 'Aqla-Qalbî et, bien sûr, Sam'î / Shar'î aussi.
Les normes de ces deux derniers types (types b et c) sont Sam'î / Shar'î (sans être aussi 'Aqla-Qalbî).

Ces 3 types ici présentés comme "de types..." :
--- a ;
--- b ;
--- c,
renvoient respectivement aux types qui
ont été (dans notre article : Le caractère "bon" ou "mauvais" d'une action humaine précédait-il ce que la Révélation est venue "révéler" au sujet de cette action ? ou bien fait-il suite à la venue de la Révélation ?) numérotés comme suit :
--- 1.1 ;
--- 1.2, 1.3 et 2.1 ;
--- 2.2, 2.3 et 3.

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Lire également notre article :

- عقليّ ('Aqlî), مِلِّيّ (Millî), شرعيّ (Shar'î) : les trois strates concernant les normes éthiques de l'homme - Dépasser ce qui est islamique pour atteindre l'universel ?

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Ibn Taymiyya écrit :

"ولما أعرض كثير من أرباب الكلام والحروف وأرباب العمل والصوت عن القرآن والإيمان، تجدهم في العقل على طريق كثير من المتكلمة يجعلون العقل وحده أصل علمهم ويفردونه ويجعلون الإيمان والقرآن تابعين له؛ والمعقولات عندهم هي الأصول الكلية الأولية المستغنية بنفسها عن الإيمان والقرآن.
وكثير من المتصوفة يذمون العقل ويعيبونه ويرون أن الأحوال العالية والمقامات الرفيعة لا تحصل إلا مع عدمه، ويقرون من الأمور بما يكذب به صريح العقل، ويمدحون السكر والجنون والوله وأمورا من المعارف والأحوال التي لا تكون إلا مع زوال العقل والتمييز، كما يصدقون بأمور يعلم بالعقل الصريح بطلانها ممن لم يعلم صدقه.
وكلا الطرفين مذموم!
بل العقل شرط في معرفة العلوم وكمال وصلاح الأعمال وبه يكمل العلم والعمل؛ لكنه ليس مستقلا بذلك؛ بل هو غريزة في النفس وقوة فيها بمنزلة قوة البصر التي في العين؛ فإن اتصل به نور الإيمان والقرآن كان كنور العين إذا اتصل به نور الشمس والنار؛ وإن انفرد بنفسه لم يبصر الأمور التي يعجز وحده عن دركها؛ وإن عزل بالكلية، كانت الأقوال والأفعال مع عدمه: أمورا حيوانية قد يكون فيها محبة ووجد وذوق كما قد يحصل للبهيمة؛ فالأحوال الحاصلة مع عدم العقل ناقصة؛ والأقوال المخالفة للعقل باطلة. والرسل جاءت بما يعجز العقل عن دركه، لم تأت بما يعلم بالعقل امتناعه"

"Les messagers (de Dieu) ont apporté ce que la raison (seule) était incapable d'atteindre ; ils n'ont pas apporté ce qui est connu "impossible" par la raison" (MF 3/338-339).

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VIII) Hawâ d'un coté, & Qalb / Hudâ de l'autre :

Dans le verset suivant on trouve l'opposition entre Hawâ et Qalb : "وَلَا تُطِعْ مَنْ أَغْفَلْنَا قَلْبَهُ عَن ذِكْرِنَا وَاتَّبَعَ هَوَاهُ وَكَانَ أَمْرُهُ فُرُطًا" (Coran 18/28).

Quant au verset suivant, l'opposition y est faite entre Hawâ d'une part et Hudâ (donc Wah'y) d'autre part : "وَمَنْ أَضَلُّ مِمَّنِ اتَّبَعَ هَوَاهُ بِغَيْرِ هُدًى مِّنَ اللَّهِ" (Coran 28/50).

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IX) Objectifs de la Révélation au regard de l'islam :

En islam, la révélation divine se veut donc une orientation ("lumière") venant confirmer et approfondir l'orientation naturelle ("lumière") que contient déjà le cœur humain (en matière de spiritualité comme en matière d'éthique). La nécessité de cette lumière de la révélation se fait sentir parce que l'être humain, complexe, n'est pas qu'un cœur ou qu'une raison, et qu'il risque, sans le vouloir, de croire être les "lumières de sa raison orientée par son cœur" ce qui est en fait "les pulsions liées à ses intérêts personnels". Cette "autre lumière qu'est la révélation" vient donc approuver, approfondir et préserver les valeurs humaines en indiquant à l'homme les limites qu'il lui convient de respecter.
La révélation divine ne s'adresse donc à l'homme ni parce qu'il serait coupable de naissance, ni pour contredire ce qu'il voit et observe sur terre, ni pour lui interdire de profiter sainement des ressources terrestres, ni encore pour l'empêcher de tirer parti de sa raison. Selon la conception musulmane, la révélation divine est un message venant de Dieu, d'au-dessus du ciel étoilé au-dessus de moi, afin de confirmer et de parachever ce que me souffle mon cœur qui est en moi.

Sans la présence de la lumière de la révélation, l'homme risque de ne pas savoir gérer, voire de perdre l'orientation éthique de la lumière de son cœur qui raisonne. A la recherche de réponses à ses questionnements, il risque fort de se mettre à imaginer, à croire à des superstitions et à des mythes, et à prendre ses désirs pour des réalités, à adorer ce qui n'est que chimères… "Ils ne suivent que leur imagination et ce que leur âme désire" (Coran 53/ 23).

A la recherche d'une orientation pour l'application de ses outils, il risque fort de tomber dans le "tout relatif", où tout peut être remis en question en fonction de bas intérêts. Assurément il trouvera parfois des réponses, mais parfois non. Ici il parviendra à la vérité, mais là non… Au fil du temps, il risque fort de se laisser guider par "les pulsions de ses désirs", croyant qu'il s’agit de "la voix de son cœur" ou l' "expression de sa plus haute et de sa plus pure rationalité", et à considérer alors bons, voire nécessaires, des choses qui lui font en réalité du tort... qui font du tort à sa santé physique, à sa santé mentale ou à la santé de la société… "...Il se peut que vous n’aimiez pas quelque chose alors que c’est un bien pour vous. Et il se peut que vous aimiez quelque chose alors qu’elle est nocive pour vous" (Coran 2/216). Cliquez ici et ici pour en savoir plus.

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X) Caractéristiques de la révélation au regard de l'islam :

En islam, la Révélation ne vient rien ordonner qui soit contraire à l'humanité de l'homme :

"يُرِيدُ اللّهُ لِيُبَيِّنَ لَكُمْ وَيَهْدِيَكُمْ سُنَنَ الَّذِينَ مِن قَبْلِكُمْ وَيَتُوبَ عَلَيْكُمْ وَاللّهُ عَلِيمٌ حَكِيمٌ. وَاللّهُ يُرِيدُ أَن يَتُوبَ عَلَيْكُمْ وَيُرِيدُ الَّذِينَ يَتَّبِعُونَ الشَّهَوَاتِ أَن تَمِيلُواْ مَيْلاً عَظِيمًا" : "Dieu veut vous éclairer, vous montrer les chemins des hommes d’avant vous et accueillir votre repentir. Dieu est omniscient et sage. Dieu veut accueillir votre repentir. Et ceux qui [ne] suivent [que] leurs désirs veulent que vous penchiez énormément. Dieu veut vous alléger [les obligations], car l’homme a été créé faible" (Coran 4/26-28).

"لاَ يُكَلِّفُ اللّهُ نَفْسًا إِلاَّ وُسْعَهَا" : "Dieu ne charge une âme que ce dont elle est capable" (Coran 2/286).

"يُرِيدُ اللّهُ بِكُمُ الْيُسْرَ وَلاَ يُرِيدُ بِكُمُ الْعُسْرَ" : "Dieu veut pour vous la facilité et ne veut pas pour vous la difficulté" (Coran 2/185).

Si l'islam demande à ce qu'on s'en tienne uniquement aux formes et aux modalités d'adoration communiquées par la révélation (Coran et hadîths), il ne le demande en revanche pas en ce qui a trait aux affaires sociales et aux habitudes terrestres : ici il s'agit de respecter les limites (interdictions et ce qui est déconseillé) et les orientations (obligations et recommandations) qu'il est possible d'extraire en tant que principes à partir des prescriptions de l'époque du Prophète Muhammad (sur lui soit la paix). Car la révélation n'a pas comme objectif de contredire les découvertes de la raison. En revanche, l'application de ces découvertes est directement concernée par les limites que fixe la révélation dans les affaires sociales : elle leur permet tout ce qui est en-deçà de ces limites, en même temps qu'elle leur montre que ce qui va au-delà leur est nocif : "… Voilà les prescriptions de Dieu. Ne les dépassez pas…" (Coran 2/229). "… Et celui qui dépasse les prescriptions de Dieu se fait du tort à lui-même…" (Coran 65/1).

Ainsi se comprend, en islam, le besoin et la place de la révélation dans la vie des hommes : la Lumière de la Révélation est donnée aux hommes de la part de Dieu pour confirmer et préserver la Lumière naturelle de leur cœur, afin de les guider dans leur chemin sur Terre.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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