On entend parfois dire qu'en islam, la voix de la femme ne doit pas être entendue d'un homme qui n'est ni son mari ni un proche parent (avec qui elle ne pourra jamais se marier), car, par rapport à cet homme, sa voix est 'awra, c'est-à-dire quelque chose qu'il faut nécessairement cacher, sauf cas de nécessité absolue (dharûra). Est-ce vrai ?
En fait non, la voix de la femme n'est pas en soi 'awra.
En effet, très nombreux sont les hadîths où l'on voit une musulmane poser directement une question au Prophète et celui-ci lui donner la réponse. Nous nous contenterons de citer ici le célèbre récit de la femme khath'amite venue, pendant le Pèlerinage d'Adieu du Prophète, lui poser à Minâ une question (fatwa) à propos de son père, trop vieux pour accomplir le pèlerinage (rapporté par al-Bukhârî).
Très nombreux aussi dans nos sources sont les récits où l'on voit un Compagnon être questionné par une musulmane.
La voix de la musulmane n'est donc pas, en soi, 'awra par rapport à celui qui n'est ni son mari ni son proche parent.
Les choses ne s'arrêtent cependant pas là. En effet, il y a quand même un certain nombre de limites à respecter, tant au niveau des hommes que des femmes :
1) Il ne s'agit pas de parler avec des personnes de l'autre sexe pour le plaisir de le faire, alors qu'on n'a en réalité rien à dire ; il s'agit de parler dans les occasions où il y a le besoin (hâja) de le faire, comme par exemple lorsque quelqu'un téléphone, ou lorsqu'une musulmane fait des achats et parle au vendeur à propos du prix, etc.
2) La conversation doit être alors, tant au niveau du contenu que de la façon de s'exprimer, empreinte de sérieux et de dignité.
3) La musulmane ne doit pas enjoliver (tazyîn) sa voix. De fait, écouter chanter une femme qui n'est ni son épouse ni une proche parente est interdit.
4) Si, malgré le respect des deux règles ci-dessus, un homme ressent une attirance (shahwa) au son de la voix d'une femme particulière, il doit ne pas écouter cette voix, conformément au hadîth du Prophète où celui-ci a dit : "(...) et les oreilles, leur adultère est d'écouter (...)" (rapporté par Muslim).
L'adultère des oreilles est donc d'écouter une voix pour laquelle on ressent de l'attirance (shahwa), ou bien d'écouter une voix enjolivée (muzayyan), ou bien d'écouter un propos ou d'avoir une conversation dont le contenu ou la forme n'est pas "neutre".
-
Note :
Il y a un texte sur lequel certains ulémas se fondent pour dire que la voix de la femme est 'awra. Il s'agit du hadîth du Prophète (sur lui la paix) où il a dit : "Frapper des mains n'est que pour les femmes" (rapporté par al-Bukhârî). Ce hadîth concerne le cas où des musulmans accomplissant la prière (salât) en groupe (jamâ'a), le groupe (al-muqtadûn) a besoin d'attirer l'attention de celui qui dirige la prière (imâm) sur un fait important (par exemple qu'il a fait une erreur, etc.). Le Prophète a donc rappelé ici que les hommes doivent alors prononcer la formule du tasbîh, et que les femmes doivent frapper leurs mains l'une sur l'autre. Se fondant sur ce texte, certains ulémas raisonnent de la manière suivante : si la voix de la femme n'était pas 'awra, pourquoi le Prophète aurait-il institué, pour les hommes, le fait d'interpeller le imâm par la voix, et, pour les femmes, le fait de l'interpeller en frappant des mains et non par la voix ?
Cette argumentation est certes respectable, mais nous ne la partageons pas car nous sommes plutôt de l'avis d'autres ulémas, qui pensent que c'est là une mesure particulière à la prière (salât), aux actions qui sont purement cultuelles. Et que pour les situations autres que celle de la prière, ce sont les autres références montrant le Prophète laisser les musulmanes lui poser des questions (comme nous l'avons vu plus haut) qui sont applicables. La preuve de cette différence est que si un musulman fait la prière en groupe avec son épouse, celle-ci devra quand même frapper des mains si elle veut attirer l'attention de son mari qui est imâm. Pourtant, nul 'âlim n'a dit que la voix de l'épouse était 'awra par rapport à son mari.
En fait il n'y a pas de raisonnement par analogie (qiyâs) entre une action purement cultuelle (al-ibâdât) et une action qui relève, elle, du domaine de la vie quotienne (al-'âdât). La règle (hukm) ayant été énoncée à propos de la voix de la femme pendant la prière n'est donc pas applicable à la voix de la femme dans les affaires quotidiennes.
Et s'il y a ainsi une différence entre la prière et les situations de la vie quotidienne, la raison en est facilement compréhensible. Comme nous l'avons dit plus haut, si la voix de la femme en général n'est pas 'awra en soi, l'homme doit faire en sorte de ne plus entendre la voix d'une femme donnée s'il s'aperçoit qu'il ressent une attirance (shahwa) pour elle. Il y a donc quand même un risque qui existe et qui doit être pris en compte. Ce risque ne doit donc pas être encouru pendant la prière, qui doit être le plus possible réservée à l'attention vers Dieu. C'est bien pourquoi, même au cas où le mari et sa femme font la prière en groupe, l'épouse doit se contenter de frapper des mains en cas d'erreur de la part de son mari. Cela ne veut pas dire que la voix de l'épouse serait 'awra par rapport à son mari, mais que la prière n'est pas le moment où l'on peut se permettre de risquer d'éprouver de l'attirance (shahwa) pour une voix, cette attirance fût-elle légitime en dehors de la prière, comme c'est le cas de l'attirance pour la voix de son épouse.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).