Suite de l'article III traitant de certaines critiques formulées à propos de mon écrit relatif au statut de l'action "'adam ul-hukm bi mâ anzalallâh".
Toujours sur le même forum et à propos du même article, un autre intervenant a exprimé l'objection qui suit, à propos cette fois de mon affirmation suivante : "Faire une loi qui ne figure pas dans le Coran et la Sunna n'est pas en soi interdit, sous réserve que cela réponde à certaines orientations".
La personne a fait de cette affirmation la critique qui suit (j'ai reproduit ici certaines phrases seulement, celles qui expriment la substance de la critique) :
"Cette phrase me gêne quand l'auteur dit : "faire une loi qui ne figure pas dans les sources de l'islam, Coran et Sunna". Je ne pense pas que l'islam a besoin d'être évolué (qu'Allah nous garde de dire ce genre de chose), car sinon ce serait dire que Muhammad et les Compagnons (radhiyallahu anhum) vivaient en évolution avec la Parole d'Allah pour la compléter. Qu'Allah nous préserve de dire qu'il manque quelque chose au Coran !
Si on dit qu'il faut faire une loi qui ne figure pas dans le Coran pour x raison, alors je pose ces questions :
1) Qu'est-ce qui nous manque dans la Loi d'Allah ? Y aurait-il une loi à attribuer à l'islam (donc à Allah) parce qu'elle ne figure pas dans le Coran ? Et si elle n'y figure pas, ne serait-ce pas s'éloigner de l'islam en voulant l'inventer pour des raisons futiles ?
2) Et si on dit que cette loi nouvelle n'est pas à attribuer à Allah mais que c'est juste pour des raisons humaines, ne serait-ce pas tomber dans le fait de faire des lois humaines, alors que c'est Allah qui est le Législateur ?"
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Réponse :
Ce genre d'objection, la première fois que j'en ai pris connaissance, c'était par le biais de la réponse qui y est apportée dans le livre de Abu-l-Hassan 'Alî an-Nadwî : Asr-é hâdhir mein dîn kî taf'hîm-o-tashrîh (pp. 66-68), juste en dessous d'un sous-titre intitulé "Ek ghuluw aur us kî tardîd" ("Une exagération et sa réfutation"). En fait cette réponse figurant dans ce livre de an-Nadwî est celle de al-Hudhaybî, que an-Nadwî citait textuellement et approuvait.
Ce jour-là, jamais je n'aurais pensé devoir écrire moi aussi un article pour répondre à une critique semblable.
Mais voilà, je dois m'y mettre moi aussi...
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1) Réponse à la critique disant que ce que j'ai écrit revient à dire qu'"il manque quelque chose au Coran" :
Ibn ul-Qayyim écrit dans At-Turuq ul-hukmiyya :
"وقال ابن عقيل في الفنون ": جرى في جواز العمل في السلطنة بالسياسة الشرعية: أنه هو الحزم، ولا يخلو من القول به إمام.
فقال شافعي: لا سياسة إلا ما وافق الشرع. فقال ابن عقيل: السياسة ما كان فعلا يكون معه الناس أقرب إلى الصلاح، وأبعد عن الفساد، وإن لم يضعه الرسول صلى الله عليه وسلم، ولا نزل به وحي. فإن أردت بقولك: "إلا ما وافق الشرع" أي: لم يخالف ما نطق به الشرع، فصحيح. وإن أردت: لا سياسة إلا ما نطق به الشرع: فغلط، وتغليط للصحابة (...)، ولو لم يكن إلا تحريق عثمان المصاحف: فإنه كان رأيا اعتمدوا فيه على مصلحة الأمة"
"Ibn 'Aqîl a dit dans Al-Funûn : "Quant au fait qu'il soit permis d'agir selon la siyâssa shar'iyya à propos de la sultana, il est établi que c'est ce qui est déterminé. Aucun référent ("imâm") n'a manqué à dire cela. Un shafi'ite a dit : "Pas de siyâssa sauf par ce qui correspond à la shar'". Ibn 'Aqîl dit alors : "La siyâssa est un acte avec lequel les hommes sont le plus proche de la salâh et le plus éloigné de la fassâd, même si le Messager ne l'a pas institué et que la révélation ne l'a pas apportée.
Si donc par ton propos "sauf par ce qui correspond à la shar'" tu veux dire : "sauf par ce qui ne contredit pas le texte de la shar'", alors c'est correct.
Mais si tu veux dire : "Pas de siyâssa sauf par le texte de la shar'", alors c'est faux, et (cela revient à) traiter les Compagnons d'auteurs d'erreurs (…). S'il n'y avait que le fait que 'Uthmân a fait brûler les mus'haf ! il s'agissait d'un avis à propos duquel ils se sont appuyés sur la maslaha de la Oumma (…)."
Ibn ul-Qayyim écrit ensuite :
"وهذا موضع مزلة أقدام، ومضلة أفهام، وهو مقام ضنك، ومعترك صعب.
فرط فيه طائفة، فعطلوا الحدود، وضيعوا الحقوق، وجرءوا أهل الفجور على الفساد، وجعلوا الشريعة قاصرة لا تقوم بمصالح العباد، محتاجة إلى غيرها، وسدوا على نفوسهم طرقا صحيحة من طرق معرفة الحق والتنفيذ له، وعطلوها، مع علمهم وعلم غيرهم قطعا أنها حق مطابق للواقع، ظنا منهم منافاتها لقواعد الشرع. ولعمر الله إنها لم تناف ما جاء به الرسول - صلى الله عليه وسلم -، وإن نافت ما فهموه من شريعته باجتهادهم. والذي أوجب لهم ذلك: نوع تقصير في معرفة الشريعة، وتقصير في معرفة الواقع، وتنزيل أحدهما على الآخر.
فلما رأى ولاة الأمور ذلك، وأن الناس لا يستقيم لهم أمرهم إلا بأمر وراء ما فهمه هؤلاء من الشريعة، أحدثوا من أوضاع سياساتهم شرا طويلا، وفسادا عريضا. فتفاقم الأمر، وتعذر استدراكه، وعز على العالمين بحقائق الشرع تخليص النفوس من ذلك، واستنقاذها من تلك المهالك.
وأفرطت طائفة أخرى قابلت هذه الطائفة، فسوغت من ذلك ما ينافي حكم الله ورسوله، وكلتا الطائفتين أتيت من تقصيرها في معرفة ما بعث الله به رسوله، وأنزل به كتابه."
Il dit ici :
"Ceci est un lieu où des pieds ont glissé et où des compréhensions se sont fourvoyées ; et c'est un endroit serré et un champ de bataille difficile.
Un groupe a fait preuve de manquement : ils ont rendu la sharî'a insuffisante pour pourvoir aux maslaha des serviteurs, et (l'ont rendu telle qu'elle) a besoin de quelque chose d'autre (…).
Et un autre groupe a fait preuve de dépassement, à l'opposé de ce (premier) groupe : il a autorisé en la matière ce qui contredit le hukm de Dieu et de Son Messager (…)".
Ibn ul-Qayyim écrit à propos de la posture du premier groupe : "Lorsque les détenteurs de l'autorité ont vu cela et (ont vu) que l'affaire des gens ne sera droite que par quelque chose qui est au-delà de la sharî'ah, ils ont inventé un long mal et un large tort comme situation de leurs siyâssa".
Ibn ul-Qayyim veut dire ici que, voyant que, selon l'enseignement du premier groupe, la siyâssa ne peut se faire que par le moyen de ce qui est explicitement stipulé dans les textes du Coran et de la Sunna, les détenteurs de l'autorité sont tombés dans les travers du second groupe : ils ont fait de la siyâssa par des actions qui contredisent les règles présentes dans les textes du Coran et de la Sunna. Alors que la vérité se trouve entre les deux, c'est celle que Ibn 'Aqîl a évoquée : "Non à la siyâssa par une action qui contredit une règle des textes ; oui à la siyâssa par une action qui ne contredit aucune règle des textes, même si elle n'est pas mentionnée dans les textes et n'a pas été entreprise par le Prophète".
Un peu plus loin Ibn ul-Qayyim écrit (en fait son livre At-Turuq ul-hukmiyya, duquel sont extraits ces passages, traite de ce qui constitue une preuve juridique permettant au juge de rendre le jugement ; à la question qui se pose donc de savoir si ce qui constitue une preuve formelle mais dont le Coran et la Sunna n'ont pas fait mention peut ou non être pris en compte par le qâdhî, Ibn ul-Qayyim apporte la réponse suivante) : "Dieu – pureté à Lui – a envoyé Ses Messagers et fait descendre Ses Livres pour que les gens établissent l'équité ; et il s'agit de la justice grâce à laquelle la terre et les cieux sont debout. Dès lors, lorsque les indices de la justice apparaissent et que le visage de celle-ci est découvert de n'importe quelle façon, là se trouve la shar' de Dieu et Son dîn. Dieu – pureté à Lui – est plus Savant, plus Sage et plus Juste que de restreindre à quelque chose les moyens de ce qui est juste ainsi que ses indices et ses signes, et de faire la négation de ce qui est plus évident, plus fort en indication et plus clair en signe, de ne pas le faire relever de ces [signes de ce qui est juste], et de ne pas juger selon ce qu'il implique quand il est présent. Dieu a, au contraire, montré, par les moyens qu'Il a institués, que l'objectif en est l'établissement de la justice parmi Ses serviteurs et le fait que les hommes établissent l'équité. Aussi, tout moyen par lequel on peut faire apparaître la justice et l'équité, cela relève du dîn et ne le contredit pas. On ne doit donc pas dire "La siyâssa qui est juste contredit ce que la shar' a dit explicitement" ; elle est au contraire conforme à cette dernière ; elle est même une partie d'elle. Nous l'appelons "siyâssa" par suite de leur usage, mais il s'agit en fait de la justice de Dieu et de Son Messager" (At-Turuq ul-hukmiyya, pp. 21-23).
Alors, Ibn ul-Qayyim voudrait-il dire qu'"il manque quelque chose au Coran et à la Sunna" ?
Mais comment peut-on tenir des raisonnements aussi courts que celui de l'objecteur ?
Il ne manque rien au Coran et à la Sunna, c'est notre croyance (conformément au verset "Al-yawma akmaltu lakum dînakum"), mais sur certains points, le juriste peut avoir recours à ce qui n'y figure pas – mais qui ne contredit non plus aucune de ses règles –, parce que, par analogie, il a établi que cela remplit le même principe de l'élément stipulé dans le Coran ou la Sunna. Comme Ibn ul-Qayyim l'a écrit pour les preuves de son époque, du moment que cela remplit l'objectif voulu par Dieu au travers des preuves qui sont citées dans la Sunna de Son Messager, cela relève aussi du dîn. C'est de l'analogie à propos de as-salâhiyya li-l-adâ' : il ne s'est pas agi de remplacer le moyen mentionné dans les sources par un moyen inventé, mais de dire que l'objectif étant telle chose, celui-ci peut être atteint non pas seulement par le moyen mentionné dans les sources mais aussi par tout autre moyen remplissant l'objectif ; les deux moyens, le mansûs 'alayh et le maqîs sont donc légaux (mashrû'). Le propos de Ibn ul-Qayyim, appliqué par des muftis d'aujourd'hui, conduirait à dire que, bien que les textes du Coran et de la Sunna n'en font pas mention en tant que preuves, les empreintes digitales et génétiques constituent des preuves pour le qâdhî (sauf lorsque cela contredirait un principe islamique établi, comme par exemple "Al-waladu li-l-firâsh", ou encore la recherche d'un moyen permettant d'acquitter le suspect dans les peines relevant des droits de Dieu).
Attention : "L'interdiction de l'intérêt a pour objectif l'établissement de l'équité ; or aujourd'hui l'établissement de l'équité passe par l'autorisation de l'intérêt ; donc, conformément à ce propos de Ibn ul-Qayyim, cela est aujourd'hui autorisé" : cela ne correspond en rien au propos de Ibn ul-Qayyim suscité, car il ne s'agirait plus d'une qiyâs ut-tamthîl à propos de salâhiyyat ul-adâ', mais d'un tahlîl ul-harâm. La même chose peut être dite à propos de l'interdiction de l'alcool, etc.
De même, un mujtahid ne peut pas élargir l'institution d'un moyen donné à celle d'un autre remplissant le même objectif quand le moyen mentionné dans les textes a été considéré par le consensus comme étant fixe et incontournable (muta'ayyan bi-l-ijmâ') ; ainsi, les règles à suivre suite à un divorce et qui font l'objet d'un consensus, ne peuvent être remplacées en pays musulman par d'autres règles, au motif que l'objectif étant l'équité, celle-ci peut être atteinte par un autre moyen que celui mentionné dans les sources. Dire le contraire constituerait du shar'u mâ lam ya'dhan bihi-llâhu min ad-dîn / tabdîl ush-shar' ("والإنسان متى حلل الحرام المجمع عليه، أو حرم الحلال المجمع عليه، أو بدل الشرع المجمع عليه: كان كافرا مرتدا باتفاق الفقهاء. وفي مثل هذا نزل قوله على أحد القولين: {ومن لم يحكم بما أنزل الله فأولئك هم الكافرون} أي هو المستحل للحكم بغير ما أنزل الله" : Majmû' ul-fatâwâ, Ibn Taymiyya, 3/267-268).
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2) Réponse à la critique disant que ce que j'ai écrit revient à dire qu'il s'agit de "faire une loi qu'il faudrait insérer dans l'islam" :
Il ne s'agit nullement d'insérer cette loi dans les textes de l'islam (Coran et Sunna)… Comment pourrait-on ajouter aux textes de l'islam ce qui est le produit de juristes ?
Il s'agit de la possibilité de faire une telle loi et de la rendre applicable au niveau du pays qui a pris comme référence les textes de l'islam. Il y a là une nuance à propos de laquelle on demande à l'objecteur de faire un petit effort pour essayer de la comprendre.
Dans n'importe quelle université islamique il existe un règlement intérieur qui stipule que les élèves sont obligés de faire telle et telle chose (non stipulées dans les textes du Coran et de la Sunna) et qu'il leur est interdit de faire telle et telle autres (également non présentes dans les textes du Coran et de la Sunna) ; le règlement stipule également qu'en cas de manquement aux devoirs et interdictions de l'université, l'élève s'expose à telle et telle sanctions. Tout cela constitue des lois ayant pour objectif l'organisation du fonctionnement de l'université. Pourquoi ce que l'on comprend tout à fait au niveau d'une institution d'enseignement, on ne le comprend pas au niveau d'un pays ?
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3) Réponse à la critique disant que ce que j'ai écrit contredit le fait que c'est seulement Dieu qui dispose du droit de légiférer :
Cette critique avait été faite à l'époque de al-Hudhaybî, et elle résulte d'une mauvaise compréhension de ce que signifie "c'est Dieu qui légifère".
Al-Hudhaybî écrit :
"Certaines personnes ont cru que l'auteur de ce propos [= al-Mawdûdî] pense qu'il est impossible que Dieu permette à des humains de formuler pour eux certaines organisations ou certaines législations qui organiseraient une dimension de leur vie.
Ceci est une compréhension erronée, que l'auteur du propos n'a pas dite".
Il répond à cette compréhension erronée comme suit…
"La vérité est que Dieu a laissé pour nous beaucoup de choses de nos affaires temporelles ("dunyânâ") que nous pouvons organiser en fonction de l'orientation que nous donne notre raison, [mais ce] dans le cadre de principes généraux et d'objectifs que Dieu – Pureté à Lui et Elevé soit-Il – a fixés pour nous et dont Il nous a ordonné de les réaliser, et avec la condition que nous ne rendions licite aucune chose interdite et ne rendions illicite aucune chose licite.
Cela dans la mesure où les actions sont, dans la sharî'ah, soit obligatoires, soit interdites, soit purement autorisées ("mubâh").
L'obligatoire que Dieu a décrété nécessaire pour nous, aucun humain n'a le pouvoir d'affirmer que cela n'est pas obligatoire. Cela ne serait pas accepté de lui. Et celui qui ferait ainsi est – après que la vérité lui soit parvenue et qu'il y ait eu qiyâm ul-hujja – quelqu'un qui réfute le texte et ne croit pas en ce que dit son Seigneur ; il est donc sans discussion kâfir mushrik.
Ce que Dieu a interdit est interdit jusqu'à la fin du monde, personne n'a le pouvoir de le rendre licite. Et celui qui ferait ainsi est – après que la vérité lui soit parvenue et qu'il y ait eu qiyâm ul-hujja – quelqu'un qui réfute le texte et ne croit pas en ce que dit son Seigneur ; il est donc sans discussion kâfir mushrik.
Quant aux mubâhât, les musulmans ont la possibilité d'instituer à leur sujet ce dont ils besoin d'organisations – qui peuvent prendre la forme d'un décret ("qarâr"), d'une annexe ("lâ'iha"), ou d'une loi ("qânun") –, et ce à la fin d'appliquer les textes qui communiquent la nécessité de réaliser certains objectifs généraux.
De cette catégorie relèvent : les lois de l'organisation de la shûrâ dont Dieu a donné l'ordre (en disant) : "Et leur affaire est concertation entre eux" "Et concerte-les dans l'affaire" ; de même, les lois de l'organisation de la circulation sur les voies publiques ; les lois de la prévention sanitaire ; les lois concernant la lutte contre les catastrophes agricoles, l'organisation de l'utilisation de l'eau potable, les lois de l'enseignement ; les lois de l'organisation des différents métiers – comme la médecine, l'ingénierie, la pharmacie – et la détermination des conditions à remplir pour qui les pratique ; les lois de l'organisation des administrations et services publics, de la détermination de leurs compétences et des pouvoirs de chacun d'eux ; [les lois de] l'organisation de l'armée et de la détermination des conditions que doivent remplir ceux qui la rejoignent, et par rapport à ses officiers leurs qualifications ; les lois concernant les conditions de construction des demeures, qui permettent la réalisation de leur sûreté et le fait qu'y soient remplies les conditions sanitaires ; les lois relatives aux conditions qu'il faut remplir dans les différentes industries, chacune selon la nature du travail qui y est fait ; les lois de l'organisation des lieux publics ; et ce qui ressemble à cela.
Prenons l'exemple des lois de l'organisation de la circulation sur les routes publiques. Du hadîth établi du Messager de Dieu (que Dieu prie sur lui et le salue) et dans lequel il dit "Vos sangs, vos biens, vos dignités et vos peaux sont sacrés", et du hadîth établi de lui (que la prière et le salut soient sur lui) et dans lequel il dit : "Le musulman est le frère du musulman, il n'est pas injuste envers lui et ne le livre pas", nous avons compris l'obligation de préserver les sangs, peaux, et dignités [des musulmans] et que l'un de nous ne livre pas l'autre à ce en quoi il y a sa destruction ou qui lui fait du tort. Et [par ailleurs] nous avons réalisé que si nous laissons la circulation dans les voies publiques par les moyens de locomotion, voitures, motocyclettes et autres moyens, se faire sans organisation et sans règles auxquelles chacun se plierait et qui garantiraient la sécurité des biens et des corps, nous aurons exposé les sangs, les peaux et les biens des gens à la destruction, et aurons livré ces (gens) à ce en quoi il y a leur destruction et qui leur fait un tort certain. C'est pourquoi il est un devoir sur la Communauté des musulmans de légiférer et de tracer les lois et les organisations dont le suivi garantira la sécurité des corps et des biens, et qui protègeront ceux-ci de la destruction, et de déterminer la sanction – demeurant dans le cadre des sanctions de ta'zîr [dont l'institution est] reconnue shar'an – à laquelle s'exposera celui qui désobéira à ces lois et ces règles.
Personne ne doit penser que légiférer de la sorte (quant à) l'organisation de la circulation routière relève de la Législation de Dieu. Ceci ne relève que de notre législation et de notre ijtihad, avec l'objectif de concrétiser un objectif général ("maqsad 'âmm") dont Dieu nous a fait l'obligation. Et ce sont des législations et des lois qui changent selon ce que les besoins rendent nécessaires, par le changement des moyens de locomotion. Et nous ne sommes pas à l'abri d'une erreur lorsque nous faisons ces lois et lorsque nous faisons l'ijtihad à leur sujet ; [au contraire,] l'erreur se produit chez nous à leur sujet. Et il peut arriver que nous ne fassions pas parfaitement fait ces lois d'une manière qui réalise l'objectif voulu, et il peut résulter de notre erreur un tort fait à certaines personnes en place du fait qu'elles soient protégées du tort.
Il y a en cela ce qui suffit à infirmer le propos de la personne qui prétend que "légiférer est un attribut parmi les Attributs de Dieu, et celui qui promulgue une loi s'est approprié un des Attributs de Dieu, s'est placé comme semblable de Dieu, sortant de Son pouvoir", ainsi que toutes les règles que cette personne a bâties à partir de ce (propos). Oui, si par "législation" on veut dire "tahlîl et tahrîm", alors cela, sans aucun doute, relève de ce que Dieu a réservé pour Lui" (Du'ât lâ qudhât pp. 104-106). Ce point, al-Hudhaybî l'a déjà évoqué plus haut : le tahlîl ul-harâm et le tahrîm ul-halâl, aucun musulman ne s'autoriserait à le faire.
En fait il s'agit plus exactement, ici, de qiyâs ul-maslaha.
Le qiyâs ul-maslaha consiste à déclarer quelque chose obligatoire ou interdit, certes non pas sur la base d'un texte du Coran ou de la Sunna, certes pas non plus sur la base d'une 'illa permettant l'analogie (qiyâs ut-tamthîl) de cette chose avec une autre chose explicitement évoquée dans le Coran ou la Sunna, mais sur la base d'une maslaha mursala (principe général) extraite de ces textes du Coran et de la Sunna.
Le qiyâs ul-maslaha est parfois également nommée "al-qiyâs ul-mursal", parce que faisant intervenir une "maslaha mursala". Comme nous l'avons vu dans un autre article, ar-Reyssûnî écrit à propos du principe "mursala" qu'"il est libre uniquement dans la mesure où il n'est pas mentionné dans les textes à la façon d'un élément ; cependant, si on le considère par rapport à la catégorie générale ("jins") à laquelle il appartient", il a également un fondement dans les textes. Et ar-Reyssûnî de citer certains de ces textes qui enseignent de faire le bien vis-à-vis d'autrui, d'observer ce qui est juste, et notamment cette parole du Prophète : "Pas de tort fait ni subi". Ar-Reyssûnî de citer également le fait que toutes les règles présentes dans les textes à propos d'éléments sont liées à la concrétisation de la préservation de la spiritualité, de la personne, de la raison, de la filiation, des biens (cf. Nazariyyat ul-maqâssid 'inda-l-imâm ish-shâtibî, pp. 208-209) [ou d'autres maqâssid].
Dans le cas du qiyâs ul-maslaha qui entraîne que quelque chose est déclaré interdit, cela consiste, pour reprendre la formule de al-Qaradhâwî, à "taqyîdu ba'dh il-mubâhât li maslaha râjiha, fî ba'dh il-awqât aw ba' dh il-ahwâl aw li ba'dh in-nâs" (Markaz ul-mar'a fi-l-hayât il-islâmiyya, p. 98).
Al-Qaradhâwî donne quelques exemples :
– le fait que l'autorité interdise pendant certaines périodes de l'année d'abattre des animaux dont la chair est destinée à la consommation, et ce afin de ménager le cheptel existant dans le pays et d'éviter une pénurie totale à moyen terme ;
– le fait qu'elle interdise la production, à l'échelle nationale, d'un bien en quantité supérieure à un certain volume, et ce afin de ne pas défavoriser la production d'autres biens dont le pays a également besoin ;
– le fait qu'elle interdise à des officiers de se marier avec des femmes étrangères, et ce afin d'éviter les risques de divulgation de secrets nationaux (Ibid. pp. 98-99).
Al-Qaradhâwî de souligner que cela est très différent d'une interdiction générale, inconditionnelle et permanente ("man' ul-mubâh man'an 'âmman mutlaqan mu'abbadan"), laquelle ressemblerait, elle, à ce tahrîm ul-halâl dont le musulman a la croyance que cela relève des prérogatives de Dieu (Markaz ul-mar'a fi-l-hayât il-islâmiyya, p. 98).
Nous voudrions ici ajouter qu'une taqyîdu ba'dh il-mubâhât qui, au lieu d'être fondée sur une maslaha shar'iyya, le serait sur une maslaha non reconnue shar'an, est également interdite.
Par ailleurs, cette question de savoir si le taqyîd ul-mubâh tombe sous le coup du tahrîm ul-halâl se pose également par rapport à l'ishtirât fi-l-'aqd… Imaginez ainsi le cas d'une femme qui émet comme condition à son mariage avec un homme donné que, tant qu'elle sera mariée à lui, il ne prendra pas de seconde épouse ; ce genre de condition est-il valable ?
Certains y objectent qu'il s'agirait de rendre harâm ce qui est halâl, et pareille condition tomberait sous le coup du hadîth qui dénonce toute "condition qui rend licite ce qui est illicite ou qui rend illicite ce qui est licite" (at-Tirmidhî 1352).
Mais Ibn Taymiyya répond à cela qu'il ne s'agit pas, ici, de tahrîm ul-halâl, car "farqun bayna thubût il-ibâha wa-t-tahrîm bi-l-khitâb, wa bayna thubûtihî bi mujarrad il-istis'hâb ; fa-l-'aqdu wa-sh-shartu yarfa'u mûjab al-istis'hâb, wa lâkin lâ yarfa'u mâ awjabahû kalâm ush-shâri'" (Al-Qawâ'ïd un-nûrâniyya al-fiq'hiyya, p. 222). Plus loin il explique qu'une condition qui contredit l'objectif même que Dieu a conféré à l'institution de cette transaction tomberait aussi sous le coup de l'interdiction (p. 226).
Cette problématique a également été évoquée dans notre article traitant des conditions stipulées lors d'une transaction.
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Pour finir :
Lire deux autres articles (cliquez ici et ici) traitant de la nécessité de ne pas faire appliquer (tanfîdh) toutes les règles de l'islam en bloc et sans prise en compte de l'état des lieux.
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Conclusion :
On voit à travers ce qui précède ce que signifie réellement "pouvoir faire une loi qui ne figure pas dans le Coran et la Sunna", et on voit qu'il ne s'agit nullement de s'arroger une prérogative réservée à Dieu le Très Haut.
Evitons les simplifications et les jugements faciles et nous serons tous gagnants inshâ Allâh.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).