Nous l'avons déjà dit, en islam, ce n'est ni un homme, ni un groupe d'hommes qui constituent les références suprêmes, ce sont les textes du Coran et des Hadîths. Cependant, afin d'éviter les déviances à propos de l'interprétation de ces textes, le Prophète Muhammad (sur lui la paix) a enjoint les musulmans de rester liés à la Jamâ'ah. Il a dit :
– "عن معاوية بن أبي سفيان، أنه قام فينا فقال: ألا إن رسول الله صلى الله عليه وسلم قام فينا فقال: "ألا إن من قبلكم من أهل الكتاب افترقوا على ثنتين وسبعين ملة، وإن هذه الملة ستفترق على ثلاث وسبعين: ثنتان وسبعون في النار، وواحدة في الجنة، وهي الجماعة." زاد ابن يحيى وعمرو في حديثيهما: "وإنه سيخرج من أمتي أقوام تجارى بهم تلك الأهواء، كما يتجارى الكلب لصاحبه" :
"… Et cette Umma se divisera en 73 groupes. 72 seront dans le Feu. Et 1 dans le Paradis ; il s'agit de la Jamâ'ah…" (Abû Dâoûd, 4597).
– "عن عبد الله بن عمرو، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "ليأتين على أمتي ما أتى على بني إسرائيل حذو النعل بالنعل، حتى إن كان منهم من أتى أمه علانية لكان في أمتي من يصنع ذلك، وإن بني إسرائيل تفرقت على ثنتين وسبعين ملة، وتفترق أمتي على ثلاث وسبعين ملة، كلهم في النار إلا ملة واحدة." قالوا: ومن هي يا رسول الله؟ قال: "ما أنا عليه وأصحابي" :
"… Et ma Umma se divisera en 73 groupes : tous seront dans le Feu, sauf 1. – Quel est-il ? demanda-t-on. – (C'est celui qui suivra) ce sur quoi moi et mes Compagnons nous sommes" répondit-il (at-Tirmidhî, 2641).
– "قال النبي صلى الله عليه وسلم: "وأنا آمركم بخمس الله أمرني بهن: السمع والطاعة والجهاد والهجرة والجماعة؛ فإنه من فارق الجماعة قيد شبر فقد خلع ربقة الإسلام من عنقه إلا أن يرجع. ومن ادعى دعوى الجاهلية فإنه من جثا جهنم." فقال رجل: يا رسول الله وإن صلى وصام؟ قال: "وإن صلى وصام، فادعوا بدعوى الله الذي سماكم المسلمين المؤمنين، عباد الله" :
"Et je vous enjoins 5 choses, que Dieu m'a ordonnées : la Jamâ'ah (...). Et celui qui sort de la Jamâ'ah ne serait-ce que d'un empan, celui-là a retiré de son cou l'appartenance à l'islam, sauf si (ensuite) il revient" (at-Tirmidhî, 2863).
Al-Bukhârî a d'ailleurs, dans son livre Al-Jâmi' us-Sahîh, écrit ce titre : "باب قوله تعالى: {وكذلك جعلناكم أمة وسطا} وما أمر النبي صلى الله عليه وسلم بلزوم الجماعة، وهم أهل العلم" : "(...) et du fait que le Prophète, que Dieu le bénisse et le salue, a ordonné que l'on reste lié à la Jamâ'ah (...)" (kitâb 99, bâb 19).
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Abû Qatâda raconte que 'Imrân ibn Hussayn relata le hadîth du Prophète (sur lui soit la paix) : "La pudeur est bonne, tout entière", quand Bushayr ibn Ka'b al-'Adawî lui opposa un : "Nous trouvons dans les livres de sagesse [= de philosophie] que de la (pudeur) naît de la sérénité et de la dignité vis-à-vis de Dieu, et de (cette pudeur) naît de la faiblesse". 'Imrân répéta le hadîth. Bushayr réitéra son propos. Cela se passa deux ou trois fois, jusqu'à ce que 'Imrân se fâche et dise : "Je te relate (un propos) du Messager de Dieu - que Dieu le bénisse et le salue -, et tu le contredis par le propos d'autres livres !" Abû Qatâda raconte : "Nous ne cessâmes alors de dire à 'Imrân : "O Abû Nujayd, il ne présente pas de problème ; il fait partie des nôtres", jusqu'à ce qu'il se calme" (Muslim, 37/61, Ahmad, 19999). "عن إسحاق وهو ابن سويد، أن أبا قتادة حدث، قال: كنا عند عمران بن حصين في رهط، وفينا بشير بن كعب، فحدثنا عمران يومئذ، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "الحياء خير كله" قال: أو قال: "الحياء كله خير". فقال بشير بن كعب: "إنا لنجد في بعض الكتب - أو الحكمة - أن منه سكينة ووقارا لله، ومنه ضعف". قال: فغضب عمران حتى احمرتا عيناه، وقال: "ألا أرى أحدثك عن رسول الله صلى الله عليه وسلم، وتعارض فيه". قال: فأعاد عمران الحديث، قال: فأعاد بشير. فغضب عمران. قال: "فما زلنا نقول فيه: "إنه منا يا أبا نُجيد، إنه لا بأس به" (Muslim, 37/61) ; "عن إسحاق بن سويد، عن أبي قتادة العدوي قال: دخلنا على عمران بن حصين في رهط من بني عدي فينا بشير بن كعب؛ فحدثنا عمران بن حصين قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "الحياء خير كله" أو: "إن الحياء خير كله". فقال بشير بن كعب: "إنا لنجد في بعض الكتب - أو قال الحكمة أن منه سكينة ووقارا لله ومنه ضعفا"، فأعاد عمران الحديث، وأعاد بشير مقالته، حتى ذكر ذاك مرتين أو ثلاثا. فغضب عمران حتى احمرت عيناه وقال: "أحدثك عن رسول الله صلى الله عليه وسلم وتعرض فيه لحديث الكتب!" قال: فقلنا: "يا أبا نجيد، إنه لا بأس به، وإنه منا" فما زلنا حتى سكن" (Ahmad, 19999).
Par "il fait partie des nôtres", Abû Qatâda voulait dire que Bushayr ibn Ka'b n'est pas un Hypocrite (Munâfiq bi nifâq akbar), ni un Déviant (par rapport à la voie de la Sunna et de la Jamâ'ah).
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Que représente le mot "Jamâ'ah" dans ces Hadîths ?
Littéralement il signifie : "groupe". Cependant, différentes explications ont été formulées au sujet de ce que ce mot "Jamâ'ah" signifie dans ces Hadîths :
– a) "… les Compagnons du Prophète" (cf. Al-I'tisâm 2/262, Fat'h ul-bârî 13/47) :
Le hadîth cité plus haut en seconde position le dit d'ailleurs explicitement.
Selon cette interprétation, les hadîths suscités nous demandent de rester attachés au modèle des Compagnons, et donc de ne pas en dévier par des innovations (bid'a).
Et ce non pas parce que ces Compagnons formeraient une sorte de groupe chargé de guider les vivants (l'islam rejette ce genre de croyances), mais bien parce que ces Compagnons, ayant vécu en compagnie du Messager de Dieu lors de la période même de la révélation, étaient, comme l'a dit Ibn Mas'ûd, "ceux qui possédaient les sciences de l'islam avec le plus de profondeur" ("a'maquhum 'ilman"). Il s'agit donc de suivre la façon qu'ont eue les Compagnons dans leur ensemble de comprendre le message de l'islam.
En fait il n'y a pas que le consensus des Compagnons qui soit pris en considération : le consensus explicite (sarîh) des mujtahids de toute génération constitue lui aussi un argument formel. Il semble donc – wallâhu a'lam – que ce qui est propre aux Compagnons, c'est le consensus tacite (sukûtî) (c'est l'un des avis à propos de l'ijmâ' sukûtî : cf. Irshâd ul-fuhûl, p. 313).
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– b) "… les Compagnons, leurs élèves et les élèves de leurs élèves" (Majmû' ul-fatâwâ 3/157-158, Mirqât ul-mafâtîh 7/215) :
C'est-à-dire qu'il s'agit de suivre l'interprétation qui a fait l'objet d'un consensus (ijmâ') entre ces 3 générations, appelées aussi "les Pieux Précédesseurs" (as-Salaf us-Sâlihûn). Cette période prend fin avec la mort du dernier Tâbi' ut-tâbi'în, survenue d'après Ibn Hajar en l'an 220 de l'hégire (FB 7/8-9) (cliquez ici).
En ce qui concerne les musulmans des 2 Générations suivant celle des Compagnons, il y a comme condition qu'ils ne soient pas tombés dans la Bid'a et n'aient donc pas dévié par rapport à la compréhension que les Compagnons ont eue. Car les musulmans qui ont vu des Compagnons ou des Elèves de ceux-ci mais sont tombés dans la Bid'a, ceux-là ne sont pas considérés comme faisant partie des Salaf Sâlih : c'est le cas de Jahm ibn Safwân, Wâssil ibn 'Atâ, al-Ja'd ibn Dirham, etc.
Quand on parle du Consensus des Salaf Sâlih...
– veut-on parler du consensus tacite (sukûtî), et dire que lorsque, sur une question donnée, aucun mujtahid parmi les ulémas de ces 3 Meilleures Générations n'a émis un avis différent de l'avis connu (ni n'ont dit que tel moyen - autre que le moyen connu, stipulé dans les textes - pouvait être adopté pour réaliser tel objectif), cela fait qu'il y a alors Ijmâ' des 3 premières générations sur le sujet, dont on ne peut pas sortir ?
– ou bien veut-on dire que si le consensus explicite (sarîh) de toute génération est valable, ceci est vrai en théorie seulement, car dans les faits seul celui des Salaf Sâlih peut concrètement être connu, vu que les mujtahids étaient alors tous connus et habitaient dans un espace relativement restreint (comme Ibn Taymiyya l'a affirmé dans Al-Wâssitiyya) ?
Je ne sais pas (لا أدري).
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– c) "… les gens du 'ilm" : "وما أمر النبي صلى الله عليه وسلم بلزوم الجماعة، وهم أهل العلم" (Sahîh ul-Bukhârî, kitâb ul-i'tissâm bi-l-kitâb wa-s-sunna, bâb 19) :
Selon cette interprétation, il s'agit de se renseigner auprès des ulémas, ces personnes versées dans l'étude des Textes, et ce dans la mesure où ils restent fidèles au cadre d'interprétation des Compagnons, de leurs élèves et des élèves de leurs élèves (comme exprimé en b).
Les ulémas ne forment cependant pas un groupe hiérarchisé, pour la simple raison qu'il n'existe pas de clergé en islam, et qu'une pluralité d'interprétations est possible pour un certain nombre de points (les différences d'interprétations de ce genre n'étant pas concernées par les hadîths suscités).
Pour ces ulémas eux-mêmes, rester lié aux autres ulémas contemporains est un avantage, puisque cela est à même d'éviter à chacun d'eux les erreurs dans la compréhension des croyances et des normes, par la confrontation des points de vue et la critique constructive mutuelle.
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– d) "… les musulmans lorsqu'ils sont structurés avec à leur tête un dirigeant (amîr)" : "باب: كيف الأمر إذا لم تكن جماعة" (Sahîh ul-Bukhârî, kitâb ul-fitan ; Fat'h ul-bârî 13/47) (voir aussi Al-I'tisâm 2/264) :
Selon cette interprétation, les hadîths suscités demandent de ne pas fomenter des troubles contre, et, plus encore, de reconnaître l'autorité de celui qui préside aux affaires de la communauté.
(Ensuite, l'obéissance concrète à chacun de ses ordres se fait bien entendu dans le cadre de ce que permettent les normes du Coran et des Hadîths.)
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– e) "… la communauté des musulmans en général" (cf. Al-I'tisâm 2/263) :
Selon cette explication, les hadîths suscités demandent à chaque musulmane et musulman de ne pas se couper du reste de la Communauté musulmane (par exemple sous prétexte que ses individus sont imparfaits et qu'ils sont difficiles à supporter), mais au contraire de rester lié à elle et de travailler patiemment et de l'intérieur à son amélioration.
C'est ainsi que se comprend ce hadîth : "عن أبي الدرداء، قال: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "ما من ثلاثة في قرية ولا بدو لا تقام فيهم الصلاة إلا قد استحوذ عليهم الشيطان. فعليك بالجماعة فإنما يأكل الذئب القاصية." قال زائدة: قال السائب: يعني بالجماعة: الصلاة في الجماعة" (Abû Dâoûd, 547).
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– Note) Quant à la formule "as-sawâd al-a'zam" ("le groupe le plus important", donc la majorité), que l'on retrouve parfois désigné comme étant le groupe à suivre, cela ne renvoie pas à la seule majorité :
Cela ne signifie pas que, au sujet de n'importe quel point (mas'alah) (qu'il soit de 'aqîda pure ou de 'amal zâhir), il faille suivre l'avis auquel adhère la majorité de la Umma Muslima du moment, ou bien la majorité des Musulmans de l'endroit.
En effet, car comment retenir ce à quoi la majorité des musulmans adhèrent, sachant que parmi eux il est de nombreux ignorants ?
Ash-Shâtibî écrit : "روى أبو نعيم عن محمد بن القاسم الطوسي قال: سمعت إسحاق بن راهويه وذكر في حديث رفعه إلى النبي صلى الله عليه وسلم قال: "إن الله لم يكن ليجمع أمة محمد على ضلالة، فإذا رأيتم الاختلاف فعليكم بالسواد الأعظم." فقال رجل: "يا أبا يعقوب! من السواد الأعظم؟" فقال: "محمد بن أسلم وأصحابه ومن تبعهم." ثم قال: "سأل رجل ابن المبارك: من السواد الأعظم؟ قال: أبو حمزة السكري." ثم قال إسحاق: "في ذلك الزمان (يعني: أبا حمزة)؛ وفي زماننا: محمد بن أسلم ومن تبعه." ثم قال إسحاق: "لو سألت الجهال عن السواد الأعظم لقالوا: جماعة الناس! ولا يعلمون أن الجماعة عالم متمسك بأثر النبي صلى الله عليه وسلم وطريقه. فمن كان معه وتبعه فهو الجماعة." ثم قال إسحاق: "لم أسمع عالما منذ خمسين سنة كان أشد تمسكا بأثر النبي صلى الله عليه وسلم من محمد بن أسلم."
فانظر في حكايته تتبين غلط من ظن أن الجماعة هي جماعة الناس وإن لم يكن فيهم عالم، وهو وهم العوام لا فهم العلماء. فليثبت الموفق في هذه المزلة قدمه لئلا يضل عن سواء السبيل. ولا توفيق إلا بالله" (Al-I'tissâm, 2/267).
Cela ne signifie même pas de suivre ce à quoi la majorité des ulémas de l'endroit adhèrent ! Car si c'était là le sens de ce hadîth, cela impliquerait que les musulmans de toute la planète doivent adhérer au credo ash'arî (et même pas maturidî, n'en parlons pas de la croyance atharî), vu que, depuis des siècles, ce sont les ulémas ash'arî qui sont les plus nombreux parmi l'ensemble de ceux qui de veulent Sunnites. Ou bien cela impliquerait que les musulmans de l'Iran aujourd'hui doivent adopter les croyances chiites, vu que la majorité des ulémas iraniens sont chiites ; ou que les musulmans de certains pays doivent adopter les croyances barelwis ; etc.
En fait, cette formule "sawâd a'zam" signifie littéralement la même chose que le terme "al-jamâ'ah". Et, comme ce dernier terme, la formule désigne le groupe, ou le plus grand groupe, des premiers temps : "وما أحسن ما قال أبو محمد عبد الرحمن بن إسماعيل المعروف بأبي شامة في كتاب "الحوادث والبدع" : "حيث جاء الأمر بلزوم الجماعة، فالمراد لزوم الحق واتباعه، وإن كان المتمسك به قليلا والمخالف له كثيرا؛ لأن الحق هو الذي كانت عليه الجماعة الأولى من عهد النبي صلى الله عليه وسلم وأصحابه رضي الله عنهم، ولا ننظر إلى كثرة أهل الباطل بعدهم"" (Shar'h ul-aqîda at-tahâwiyya, p. 362). Cela renvoie donc au groupe le plus grand parmi les 3 premières générations (voir le sens b suscité). Cela inclut tous les Compagnons, mais, parmi les musulmans des 2 Générations suivant celle des Compagnons, seulement ceux qui n'ont pas dévié par rapport à la compréhension que les Compagnons ont eue. Car les musulmans qui ont vu des Compagnons ou des Elèves de ceux-ci mais sont tombés dans la Bid'a, ceux-là ne sont pas considérés comme faisant partie des Salaf Sâlih : c'est le cas de Jahm ibn Safwân, Wâssil ibn 'Atâ, al-Ja'd ibn Dirham, etc. 'Alî al-qârî écrit : "فليلزم الجماعة"، أي: السواد الأعظم وما عليه الجمهور من الصحابة والتابعين والسلف الصالحين؛ فيدخل فيه حبهم وإكرامهم دخولا أوليا. "فإن الشيطان مع الفذ" بفتح الفاء وتشديد الذال المعجمة أي مقارن للفرد الذي تفرد برأيه" (Mirqât ul-mafâtîh, commentaire du hadîth n° 6012).
Par contre, chez ceux qui viennent après, il s'agit de suivre ceux qui (fussent-ils alors minoritaires) eux-mêmes adhèrent à ce à quoi la majorité des premiers temps adhéraient. C'est bien pourquoi Ibn Mas'ûd a dit : "الجماعة ما وافق الحق؛ ولو كنت وحدك" (Al-Lâlakâ'ï).
Par ailleurs, même en ce qui concerne les Premières générations, comme Alî al-qâri' le rappelle, le devoir de suivre la majorité ne peut pas concerner les points sur lesquels ces Générations ont divergé et au sujet desquels "li"l-ikhtilâf fihâ massâgh" : au sujet de tels points, ce n'est pas la majorité des Compagnons qu'il est obligatoire de suivre : "قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: (اتبعوا السواد الأعظم): يعبر به عن الجماعة الكثيرة. والمراد: ما عليه أكثر المسلمين. قيل: وهذا في أصول الاعتقاد كأركان الإسلام؛ وأما الفروع كبطلان الوضوء بالمس مثلا فلا حاجة فيه إلى الإجماع" (Mirqât ul-mafâtîh, commentaire du hadîth n° 174). Si c'était là ce que ce hadîth signifie, il impliquerait que les hanafites soient dans l'erreur, puisque la tendance ahl ur-ra'y n'était alors pas majoritaire. Ou, il impliquerait au moins que sur certaines questions détaillées, il faille abandonner l'avis hanafite, car minoritaire au sein des Mujtahidûn anciens (par exemple al-ish'âr, mas'alat ul-mussarrât, etc.).
En un mot, la détermination du Haqq se fait par référence au Groupe le plus nombreux, oui, mais il s'agit de :
---- ce sur quoi les Compagnons et ceux des 2 générations suivantes étaient unanimes,
--- ou ce sur quoi la grande majorité d'entre eux étaient d'accord de telle sorte que tout avis différent a été considéré comme "shâdhdh" (et non pas comme "sâ'ïgh").
Celui qui adhère à cela est "dans la Jamâ'ah", et pas "dans une Firqa Dhâlla", donc, par voie d'incidence, est "dans le Haqq dont le contraire est : la Dhalâl".
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– Un autre sens, plus large, du terme "Jamâ'ah", d'où il découle que l'adhésion à la "Jamâ'ah" a différents degrés : l'un est de base (le contraire étant alors la Dhalâl), et les autres sont complémentaires nécessaires (leur contraire étant des Khata' Ijtihâdî) :
At-Tirmidhî écrit : "وتفسير الجماعة عند أهل العلم هم أهل الفقه والعلم والحديث. وسمعت الجارود بن معاذ يقول: سمعت علي بن الحسن يقول: سألت عبد الله بن المبارك: "من الجماعة؟" فقال: "أبو بكر وعمر!" قيل له: "قد مات أبو بكر وعمر!" قال: "فلان وفلان!" قيل له: "قد مات فلان وفلان!" فقال عبد الله بن المبارك: "أبو حمزة السكري جماعة." وأبو حمزة هو محمد بن ميمون، وكان شيخا صالحا. وإنما قال هذا في حياته عندنا" (Jâmi' ut-Tirmidhî, sous le hadîth n° 2167).
Ash-Shatibî écrit (déjà cité plus haut) : "روى أبو نعيم عن محمد بن القاسم الطوسي قال: سمعت إسحاق بن راهويه وذكر في حديث رفعه إلى النبي صلى الله عليه وسلم قال: "إن الله لم يكن ليجمع أمة محمد على ضلالة، فإذا رأيتم الاختلاف فعليكم بالسواد الأعظم." فقال رجل: "يا أبا يعقوب! من السواد الأعظم؟" فقال: "محمد بن أسلم وأصحابه ومن تبعهم." ثم قال: "سأل رجل ابن المبارك: من السواد الأعظم؟ قال: أبو حمزة السكري." ثم قال إسحاق: "في ذلك الزمان (يعني: أبا حمزة)؛ وفي زماننا: محمد بن أسلم ومن تبعه." ثم قال إسحاق: "لو سألت الجهال عن السواد الأعظم لقالوا: جماعة الناس! ولا يعلمون أن الجماعة عالم متمسك بأثر النبي صلى الله عليه وسلم وطريقه. فمن كان معه وتبعه، فهو الجماعة." ثم قال إسحاق: "لم أسمع عالما منذ خمسين سنة كان أشد تمسكا بأثر النبي صلى الله عليه وسلم من محمد بن أسلم" (Al-I'tissâm, p. 267).
Dans ces propos de Abdullâh ibn ul-Mubârak et de Is'hâq ibn Râhawayh, il apparaît qu'il existe différents degrés quant à l'adhésion à la Jamâ'ah, car si on ne le comprend pas ainsi, cela impliquerait que seuls Abû Bakr et Omar étaient sur la Jamâ'ah, tandis que les autres Compagnons étaient dans le Dhalâl ! Et que, plus tard, seuls Abû Hamza as-Sukkarî et puis Muhammad ibn Aslam étaient sur la Jamâ'ah, tandis que les autres Ulémas étaient dans le Dhalâl !
En fait, dans leur propos, "Jamâ'ah" signifie seulement : "Haqq".
En vertu de ceci, le contraire de "Jamâ'ah" peut être, en ce sens large, de la "Dhalal", comme cela peut être une simple Khata' Qat'î Ijtihâdî.
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Quel sens revêt cette recommandation du Prophète (sur lui la paix) de rester attaché à la Jamâ'ah ?
Le Prophète (sur lui la paix) a ici voulu mettre en garde ses disciples contre les déviances pouvant survenir par rapport à la voie authentique que lui et ses Compagnons pratiquaient.
En effet, la notion de clergé et de pape étant inexistante en islam, il n'y a pas de "gardiens de l'orthodoxie" ; et la liberté d'étudier les sources de l'islam étant ouverte à tout le monde, le risque est conséquent de voir apparaître des apprentis sorciers interprétant les textes selon leur envie, créant ainsi des tendances déviantes à l'intérieur de la Communauté des musulmans.
Rester dans l'orthodoxie passe donc par le fait de rester attaché à la Jamâ'ah, chacun pouvant interpeller l'autre et lui rappeler l'existence de références textuelles ou de points de consensus qu'il aurait oubliés, négligés, ou mal compris.
Il s'ensuivra des débats, des critiques et des approfondissements, ce qui constitue des débats intra-communautaires, que l'on peut mettre en parallèle (malgré les indéniables différences) au débat démocratique des sociétés sécularisées.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).