Comment pourrait-on distinguer des "sunna 'âdiyya" de "sunna ta'abbudiyya", alors que le Coran dit qu'il y a un excellent modèle (أُسْوة حَسَنَة) en le Prophète (sur lui soit la paix) (2ème tentative d'explication à propos des Sunna 'Adiyya) (Avec les propos de Shâh Waliyyullâh et de Cheikh Thânwî)

Objection (faite oralement) :

Comment peux-tu distinguer, au sein de l'ensemble des façons de faire du Prophète (sur lui la paix), ce que tu as nommé "sunna 'âdiyya", alors qu'Allah a dit dans le Coran : "Il y a certainement pour vous, en le Messager d'Allah, un excellent modèle" (Coran 33/21) ?

Chaque façon de faire du Prophète relève de cet excellent modèle.

La distinction que tu fais entre sunnas 'âdiyya et sunnas ta'abbudiyya n'est pas celle des ulémas indiens.

Il faut laisser les frères qui pratiquent des sunnas du Prophète les pratiquer au lieu de tenir des propos qui tendent à relativiser ces sunnas.

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Réponse :

C'est de ma part la 2nde tentative d'expliquer ce point (après un précédent article).

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I) De la globalité de la Sunna :

Utiliser la droite et non la gauche pour manger est une sunna ta'abbudiyya : d'après certains ulémas c'est mustahabb ; d'après l'avis qui paraît le plus pertinent c'est wâjib.

S'habiller en commençant du côté droit est aussi une sunna ta'abbudiyya, qui est mustahabb.

Réciter les invocations de circonstances (al-ad'iyat ul-ma'thûra fi-l-awqât) est également une sunna ta'abbudiyya qui est mustahabb.

Muftî Taqî Uthmânî raconte avoir été le voisin de siège, dans un avion, d'un musulman avec qui il sympathisa pendant le voyage. L'heure du repas venue et comme Muftî Taqî s'aperçut que son voisin mangeait avec la gauche, il lui rappela avec douceur que le musulman ne mange pas avec la gauche.
Mais l'homme se mit à justifier ce qu'il faisait en disant : "Si notre communauté est restée en arrière, c'est justement parce qu'elle n'a pas su abandonner ces petites choses. C'est ce qui a empêché notre communauté de progresser."
Réponse logique de Muftî Taqî : "Vous mangez certainement depuis fort longtemps de cette façon. Eh bien dites-moi combien de progrès vous avez effectué en adoptant cette façon de faire ? Et par rapport à combien de personnes (restées en arrière) vous avez avancé ?"
L'homme, décontenancé, ne put bien évidemment rien répondre (cf. Islâhî khutbât, 7/181-182).
Dans les pages qui suivent sont relatés les rappels de Muftî Taqî concernant l'importance de suivre les enseignements du Prophète [chose que je comprends comme se rapportant avant tout aux sunna ta'abbudiyya, comme on vient de le voir sous la plume de Cheikh Thânwî]. Puis Muftî Taqî dit :
"Cependant il est vrai que "la Sunna", ce n'est pas seulement ce genre de choses : que l'homme mange avec sa main droite, qu'il s'habille en commençant par le côté droit.
Non, la Sunna est liée à chaque branche de la vie
. Dans les Sunnas il y a aussi les manières du Prophète (sur lui soit la paix)
: comment se comportait-il avec les gens ; comment c'était avec un visage souriant qu'il rencontrait les gens ; comment il faisait preuve de patience face aux to
rts que lui causaient les gens. Tout cela relève aussi de la Sunna.
Mais aucune sunna n'est telle qu'on pourrait la mépriser en la considérant petite. Imaginez que quelqu'un n'a pas la guidance pour pratiquer une sunna ; il doit considérer celui qui pratique cette sunna comme agissant mieux. Mais se moquer de cette sunna, la mépriser, la considérer mauvaise, dire du mal d'elle, cela fait craindre le kufr pour cette personne"
(Ibid., pp. 184-185).

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On voit à travers ces dires de Muftî Taqî que les sunna ta'abbudiyya ne se limitent pas à boire assis et à utiliser la droite pour manger, et que le comportement vis-à-vis d'autrui – et tout ce que le Prophète a enseigné – relève aussi (shumûliyya) des sunna ta'abbudiyya.

De plus, au sein des sunna ta'abbudiyya, il y a ce qui est obligatoire, et il y a ce qui n'est que recommandé ; on a la latitude de ne pas pratiquer la sunna ta'abbudiyya qui est purement recommandée, mais en considération ('aqîda), il est obligatoire de la croire recommandée.
Et au sujet de cette différenciation de caractère (farq ul-marâtib) et de cette compréhension des priorités (fahm ul-awlawiyya), on peut citer de nouveau Cheikh Thânwî, qui a écrit à propos de "orner l'extérieur et l'intérieur ("ta'mîr uz-zâhir wa-l-bâtin")" :
"Il s'agit d'(orner) l'extérieur par les actions obligatoires relatives aux membres, et l'intérieur par les croyances correctes et les qualités telles que la sincérité, la reconnaissance, la patience, le zuhd, l'humilité, etc. Ceci constitue un premier niveau.
Un second niveau consiste
, en plus du premier niveau, à occuper l'extérieur dans les actions facultatives et l'intérieur dans la continuité du dhikr.
Acquérir le premier niveau est obligatoire (fardh-é 'ayn) sur chaque musulman. Et pour cela il y a la nécessité de deux choses, dont il faudra donc se préoccuper également. La première est d'acquérir la quantité nécessaire de la connaissance du dîn, et ce que ce soit par des lectures ou par des questions adressées aux ulémas (…). La deuxième chose est de garder une forte détermination à agir selon (cette) connaissance, en sorte que ni les (désirs de) sa personne ni les reproches des créatures ne puissent être un empêchement. Ceci était donc l'explication du premier niveau.
Le second niveau est recommandé ("mandûb"). (…) Si par le fait que l'on soit occupé à (quelque chose de) ce second niveau on vient à manquer ou à moins bien pratiquer un acte obligatoire, du premier niveau, être occupé à ce (quelque chose du second niveau) sera non avenu (…)"
(Qasd us-sabîl ila-l-mawla-l-jalîl, pp. 2-3).

Plus encore, Cheikh Thânwî affirme : "Je ne dis pas de ce qui est mustahabb qu'il est bid'a, je dis que le considérer nécessaire est bid'a. Si quelqu'un considère wâjib ce qui est mustahabb, n'est-ce pas une bid'a ? "Nécessaire" ("lâzim" / "dharûri") et "wâjib" veulent dire la même chose" (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 124).

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II) Du fait de distinguer les Sunna Ta'abbudiyya et les Sunna 'Âdiyya :

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Chez Cheikh Ashraf 'Alî Thânwî :

Quelqu'un a demandé à Cheikh Thânwî si élever des caprins (choses que le Prophète a faite) est une sunna ?
Le 'âlim et maître soufi lui répondit :
"Oui, c'est une sunna, mais une sunna 'âdiyya, et non une sunnat-é 'ibâda. L'objectif originel est la sunnat-é 'ibâdâ. Cependant, si le mobile dans la sunna 'âdiyya est l'amour (du Prophète), alors cela rapportera des récompenses et de la bénédiction. [Cependant] il ne faut pas faire d'exagération ("ghuluw"), c'est-à-dire qu'il ne faut pas lui donner la même considération qu'aux sunnat-é 'ibâda. Certaines personnes passent nuit et jour à faire des recherches pour savoir de quelle longueur était la canne ("'assâ-é mubârak") du Prophète – que la paix soit sur lui –, et de quelle longueur était son turban ("'imâma sharîf"). Si c'est un amoureux ("'âshiq") qui fait ce genre de recherche, c'est différent, car son mobile est l'amour, mais la plupart des personnes qui sont à fond dans cela sont insouciantes des choses nécessaires de l'islam ; elles considèrent cela comme suffisant. S'il y a en cela ce genre d'exagération, ce sera se détourner de la religion. Chaque chose doit demeurer à sa limite. (…)
(Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, pp. 127-128).
Cheikh Thanwî dit encore : "Je dirai ceci : le Prophète mangeait de l'orge : l'a-t-il fait 'âdatan ou 'ibâdatan ? Il est évident que ce n'est pas 'ibâdatan qu'il en mangeait. L'islam n'a pas rendu obligatoire de suivre la 'âdah du Prophète ; ce n'est pas un péché de ne pas la pratiquer. Il y a, dans les 'âdât, le choix par rapport au tempérament (personnel) etc. (…) Si certaines personnes ont le courage et qu'il leur est donné de pratiquer les 'âdât (aussi), alors il n'y a pas de doute que cela sera un bien, mais elles n'ont pas le droit de dénigrer les autres (à ce sujet)" (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, pp. 127-128).


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Cheikh Thânwî dit aussi :
- "سنت مطلقه وه هے جس كو حضور صلى الله عليه و سلم نے بطور عبادت كے كيا هے. ورنه سننِ زوائد مين سے هے" (Da'wat-o-tablîgh ké ussûl-o-ahkâm, p. 326).

Le Cheikh dit encore que lorsqu'on utilise (ou on entend, ou on lit) la formule : "suivre la Sunna", cela concerne "les sunna ta'abbudiyya" :
- "سنت كي دو قسمين هين: سنتِ عبادت اور سنتِ عادت. مطلقًا سنت كا لفظ سنتِ عبادت پر يولا جاتا هے. اور ثواب كا وعده، اور اس كي ترغيب، اِسي قسم سے متعلق هے" (Da'wat-o-tablîgh ké ussûl-o-ahkâm, p. 326).

Aux sunan 'âdiyya, il ne faut donc pas accorder la même importance qu'aux sunan ta'abbudiyya :
- "اس مين غلو، يعني سنتِ عبادت كا سا اهتمام اور معامله نه كيا جائے" (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 127).

Faire de façon différente de ces sunan zawâ'ïd [= ici : sunan 'âdiyya] ne peut pas être qualifié de "khilâf us-sunna" :
- "اس كے خلاف كو خلافِ سنت نه كهينگے" (Da'wat-o-tablîgh ké ussûl-o-ahkâm, p. 326).

Dès lors, celui qui a choisi de pratiquer les sunna 'âdiyya n'a aucun blâme à faire à celui qui a choisi de ne pas les pratiquer) :
- "اس كو دوسرون پر طعن كرنے كا بهي حق نهين" (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 128).

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Il ressort de ces écrits de Cheikh Thânwî deux choses :

- a) La pratique des sunna ta'abudiyya est l'essentiel dans le fait de suivre la Sunna : quand on entend, ou on lit l'exhortation à "suivre la Sunna", cela concerne "les sunna ta'abbudiyya".
Quant à la pratique des sunna 'âdiyya, elle ne peut constituer qu'un "plus" par rapport à la pratique des sunna ta'abbudiyya : elle n'a donc de sens que si ces dernières sont aussi pratiquées.
Dès lors, un musulman doit accorder son attention prioritaire à ce que le Prophète a enseigné en tant que sunna ta'abudiyya. S'il se contente de ces sunnas là, il sera aussi "quelqu'un qui suit le modèle du Prophète".

- b) Le musulman qui a choisi de pratiquer les sunna 'âdiyya n'a pas le droit de faire de reproche à celui qui a choisi de ne pratiquer que les sunna ta'abbudiyya, ni de dire de lui qu'"il n'aime pas / ne pratique pas la Sunna".
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En fait nous assistons depuis quelque temps à la réduction de la Sunna du Prophète (sur lui soit la paix) à : les Sunan 'âdiyya, plus quelques Sunan Ta'abbudiyya relatives à la façon de manger, de boire, de s'allonger, de s'habiller et - pour les hommes - de garder la barbe).
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Cette réduction a eu comme conséquences :
--- le fait d'avoir mis au second plan en tant que "pratique de la Sunna" : bien des
Sunan Ta'abbudiyya Wâjiba (c'est ce qui a été exposé ci-dessus en I) ;
--- et
un excès, pensant réaliser le
Kamâl alors qu'il s'agit en fait de Ghuluww, par le fait de considérer "nécessaire" la pratique des Sunan 'Âdiyya et de se permettre de traiter de : "n'aimant pas la Sunna" celui qui a choisi de ne pas pratiquer ces Sunan 'Âdiyya ; c'est ce qui a été exposé en II ; "اس مين غلو، يعني سنتِ عبادت كا سا اهتمام اور معامله نه كيا جائے" (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 127).
قصر الشيء المطلوب على جزء منه (سواء وقع القصر في جزء مخصوص من أصل ذلك الشيء، أو في جزء من كماله الواجب، أو في جزء من كماله النافل): يؤدّي إلى الغلوّ في ذلك الجزء (وذلك باعتداء الحدّ فيه)، و إلى التهاون في جزء آخر من أصل ذلك الشيء، أو من كماله الواجب.

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Cheikh Thânwî a explicitement cité comme étant quelques sunna 'âdiyya les actions suivantes :

- porter le turban (Da'wat-o-tablîgh ké ussûl-o-ahkâm, p. 327) ;
- le fait de garder une chevelure (fournie) (Da'wat-o-tablîgh ké ussûl-o-ahkâm, p. 326) ;
- avoir l'orge comme céréale de base (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 127) ;
- placer la main dans la main de l'autre pour sceller un accord (Imdâd ul-fatâwâ, 5/238) ;
- élever des caprins (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 127).

Voici d'autres dits de lui, dans lesquels il relate comment quelqu'un s'en est pris à lui parce qu'il ne portait pas de turban :

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Par rapport au verset : "لَقَدْ كَانَ لَكُمْ فِي رَسُولِ اللَّهِ أُسْوَةٌ حَسَنَةٌ لِّمَن كَانَ يَرْجُو اللَّهَ وَالْيَوْمَ الْآخِرَ وَذَكَرَ اللَّهَ كَثِيرًا" : "Il y a certainement pour vous, en le Messager de Dieu, un excellent modèle" (Coran 33/21), Cheikh Thânwî dit :


"(...) Le modèle (
نمونہ) [
أُسْوَة] est de 2 types :
– (modèle) par enseignements oraux ("qawlî"),
– et (modèle) par façon de faire ("fi'lî").

La "façon de faire" ("fi'lî"), cela consiste en la façon particulière qu'a eue [le Prophète de faire quelque chose].
Et les "enseignements oraux" ("qawlî") consistent en les limites qu'il n'est pas autorisé de franchir mais à l'intérieur desquelles il existe une grande latitude. A propos de ce que nous faisons, des limites nous ont (en effet) été données qu'il n'est pas autorisé de franchir et (à propos de quoi il nous a été dit) : "Agissez en restant dans toute la latitude qu'il y a à l'intérieur de ces limites". Ceci est obligatoire et nécessaire.

Ceux qui étaient de grands amoureux (du Prophète) ("'ushshâq") ont montré qu'ils appliquaient le modèle dans la façon de faire même : ils mangeaient ce qu'il a mangé, buvaient ce qu'il a bu, ont passé leur vie de ce monde à un même niveau que lui l'a fait.

Mais pour les gens comme nous, il y a la latitude de satisfaire nos désirs en restant dans les limites [enseignées oralement par le Prophète] et en ne les transgressant pas. A propos de chaque action, demandez-vous où sont les limites enseignées par l'islam ; restez à l'intérieur de ces limites et vous serez considéré [par Dieu] comme pratiquant le modèle (du Prophète)" (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, pp. 128-129).

Les "enseignements oraux" correspondent aux "sunna ta'abbudiyya".
Et la "façon de faire" correspond aux "sunna 'âdiyya".

Une remarque : Cheikh Thânwî a ici parlé d'un côté du "grand amoureux", "'âshiq" (plur. "'ushshâq"), et de l'autre côté des autres musulmans.
Cela ne signifie pas que ces autres musulmans n'aient pas d'amour pour le Prophète, puisque "Lâ yu'minu ahadukum hattâ akûna ahabba ilayhi min wlâlidhî wa waladihî wa-n-nâss ajma'în". Ce que le Cheikh veut dire c'est que les premiers ont une qualité dominante – wasf ghâlib – de 'ishq (exactement comme c'est le cas dans les autres Hadîths évoqués dans un autre article).
Cependant, comme le Cheikh l'a dit aussi, cette qualité dominante de 'ishq n'a de sens, lorsqu'elle entraîne l'adoption des sunna 'âdiyya, que si elle s'exprime par l'adoption à fortiori des sunna ta'abbudiyya.

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Pour Cheikh Thânwî, la pratique des sunna 'âdiyya (ou sunan zawâ'ïd) est-elle mustahabb, ou bien est-elle mubâh ?

– Il ressort de ce qu'il a écrit parfois que cela est Mustahabb Zâ'ïd.
----- "Mustahabb" parce qu'il a écrit ceci à propos des sunna 'âdiyya : "اس كي فضيلت مين شك نهين" (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 128) ; et : "أولى هونے مين تو شبهه نهين" (Da'wat-o-tablîgh ké ussûl-o-ahkâm, p. 326).
----- Et "Zâ'ïd" parce qu'il a écrit également ceci à propos des sunna 'adiyya : "سننِ عادية كوئي مقصود نهين هين" (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 129) ; et : "دين كا جزء مقصود نهين" (Da'wat-o-tablîgh ké ussûl-o-ahkâm, p. 326).

Mais il ressort de ce qu'il a écrit par ailleurs que pour lui cela est purement Mubâh.
Ainsi, il a écrit à propos de faire allégeance (bay'a) en plaçant la main dans la main : "Cette façon de faire est mubâh, ne relevant d'aucun degré de ce qu'il est demandé de faire. On ne peut même pas lui conférer le caractère de istihbâb. Le fait est que ce qui est rapporté du Prophète (à ce sujet) n'a pas (été fait par lui) en tant que 'ibâda et (action de) dîn, mais en tant que 'âda : c'était la coutume chez les Arabes au moment de prendre un engagement. C'est à cause de cette habitude qu'on nomme cela safqa [où on retrouve le mot "paume de la main"] également" (Imdâd ul-fatâwâ, 5/238).

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Remarque :

Chez Cheikh Thanwî, en général "sunan zawâ'ïd" est synonyme de "sunan 'âdiyya" (comme dans ces écrits que nous avons cités) : il s'agit de ce que le Prophète (paix soit sur lui) a fait 'âdatan, et pas ta'abbudan.

Cependant, il semble que parfois, chez lui aussi, "sunan zawâ'ïd" a le sens de "mustahabb", fût-ce ta'abbudî (j'ai déjà trouvé cet emploi chez un autre savant). C'est le cas quand Cheikh Thânwî dit que celui qui, sans raison, délaisse des sunan zawâ'ïd après avoir pris l'habitude de les faire, celui-là tombe dans le Mak'rûh [tahrîmî], car il est dans le même cas que cet homme dont le Prophète (sur lui soit la paix) déplora dans un hadîth rapporté par al-Bukharî [1101, et Muslim, 1159] qu'il avait pris l'habitude d'accomplir la salât ut-tahajjud puis s'était mis à la délaisser sans raison, et dont il dit à Abdullâh ibn 'Amr qu'il ne fallait pas faire comme lui (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 118). Il est évident que la salât ut-tahajjud n'est pas une sunna 'âdiyya et n'est pas mubâh ; c'est au contraire une sunna ta'abbudiyya mustahabba. Ici, cheikh Thânwî veut donc dire qu'il ne faut pas, après avoir pris l'habitude de pratiquer régulièrement une sunna ta'abbudiyya mustahabba, de se mettre à la négliger sans raison. A bien lire le passage, cela y est dit : "معلوم هوا کہ ایک مستحب کو معمول بنا کر ترک کردینا مذموم ومکروه هے" ; or, juste après, figure cet écrit de Ibn Hajar : "ويستنبط منه كراهة قطع العبادة وإن لم تكن واجبة" [Fat'h ul-bârî, 3/49] (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 118). Il s'agit donc bien d'un amr ta'abbudî mustahabb.

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Chez Shâh Waliyyulâh :

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"اعلم أن ما رُوِي عن النبي صلى الله عليه وسلم ودُوِّن في كتب الحديث: على قسمين.

أحدهما ما سبيله سبيل تبليغ الرسالة، وفيه قوله تعالى: "وما آتاكم الرسول فخذوه وما نهاكم عنه فانتهوا":

منه علوم المعاد و عجائب الملكوت؛ وهذا كله مستند إلى الوحي؛
ومنه شرائع وضبط للعبادات والارتفاقات بوجوه الضبط المذكورة فيما سبق؛ وهذه بعضها مستند إلى الوحي، وبعضها مستند إلى الاجتهاد؛ واجتهاده صلى الله عليه وسلم بمنزلة الوحي، لأن الله تعالى عصمه من أن يتقرر رأيه على الخطأ؛ وليس يجب أن يكون اجتهاده استنباطا من المنصوص كما يظن، بل أكثره أن يكون عَلَّمَه اللهُ تعالى مقاصدَ الشرع وقانونَ التشريع والتيسير والأحكام، فبين المقاصد المتلقاة بالوحي بذلك القانون؛
ومنه حكم مرسلة ومصالح مطلقة لم يوقتها ولم يبين حدودها
، كبيان الأخلاق الصالحة وأضدادها؛ ومستندها غالبا الاجتهاد، بمعنى أن الله تعالى علمه قوانين الارتفاقات، فاستنبط منها حكمه، وجعل فيها كلية؛
ومنه فضائل الأعمال ومناقب العمال؛ ورأيي أن بعضها مستند إلى الوحي وبعضها إلى الاجتهاد، وقد سبق بيان تلك القوانين.
وهذا القسم هو الذي نقصد شرحه وبيان معانيه.

وثانيهما ما ليس من باب تبليغ الرسالة، وفيه قوله صلى الله عليه وسلم: "إنما أنا بشر إذا أمرتكم بشيء من دينكم فخذوا به وإذا أمرتكم بشيء من رأيي، فإنما أنا بشر"، وقوله صلى الله عليه وسلم في قصة تأبير النخل: "فانى إنما ظننت ظنا، ولا تؤاخذوني بالظن، ولكن إذا حدثتكم عن الله شيئا، فخذوا به، فإني لم أكذب على الله
":

فمنه الطب؛
ومنه باب قوله صلى الله عليه وسلم "عليكم بالأدهم الأقرح"؛ ومستنده التجربة؛
ومنه ما فعله النبي صلى الله عليه وسلم على سبيل العادة دون العبادة وبحسب الاتفاق دون القصد؛
ومنه ما ذكره كما كان يذكره قومه كحديث أم زرع، وحديث خرافة؛ وهو قول زيد بن ثابت حيث دخل عليه نفر فقالوا له: "حدثنا أحاديث رسول الله صلى الله عليه وسلم"، قال: "كنت جاره، فكان إذا نزل عليه الوحي بعث إلي، فكتبته له، فكان إذا ذكرنا الدنيا ذكرها معنا، وإذا ذكرنا الآخرة ذكرها معنا، وإذا ذكرنا الطعام ذكره معنا، فكل هذا أحدثكم عن رسول الله صلى الله عليه وسلم"؛
ومنه ما قصد به مصلحة جزئية يومئذ وليس من الأمر اللازمة لجميع الأمة
، وذلك مثل ما يأمر به الخليفة من تعبئة الجيوش وتعيين الشعار، وهو قول عمر رضي الله عنه: "ما لنا وللرمل كنا نتراءى به قوما قد أهلكهم الله، ثم خشي أن يكون له سبب آخر"، وقد حمل كثير من الأحكام عليه كقوله صلى الله عليه وسلم: "من قتل قتيلا فله سلبه"؛
ومنه حكم وقضاء خاص وإنما كان يتبع فيه البينات والايمان، وهو قوله صلى الله عليه وسلم لعلي رضي الله عنه: "الشاهد يرى ما لا يراه الغائب""

(Hujjat ulllâh il-bâligha, 1/371-372).

Il a même écrit ceci :
"ومن أسباب التحريف التعمق. وحقيقته أن يأمر الشارع بأمر وينهى عن شيء فيسمعه رجل من أمته، ويفهمه حسبما يليق بذهنه، فيعدي الحكم إلى ما يشاكل الشيء بحسب بعض الوجوه أو بعض أجزاء العلة أو إلى أجزاء الشيء ومظانه ودواعيه، وكلما اشتبه عليه الأمر لتعارض الروايات، التزم الأشد ويجعله واجبا؛ ويحمل كل ما فعله النبي صلى الله عليه وسلم على العبادة؛ والحق أنه فعل أشياء على العادة؛ فيظن أن الأمر والنهي شملا في هذه الأمور، فيجهر بأن الله تعالى أمر بكذا ونهى عن كذا" (Ibid., 1/342).

-

Cheikh Muhammad Ilyâs avait une position différente :

Cheikh Muhammad Ilyâs (le fondateur du mouvement "Tabligh"), avait une position différente de celle que nous venons d'évoquer. Suivre les moindres sunnas du Prophète constituait une "ghalaba" chez lui, comme l'a relaté Abu-l-Hassan Alî Nadwî.

An-Nadwî, qui avait eu l'occasion de travailler avec lui dans le cadre du mouvement, rapporte en effet que, "le dernier jour de sa vie", "il envoya par l'intermédiaire de Hâdjî Abdur-Rahmân ses recommandations à certains de ceux qui restaient à son service et qui étaient alors absents. Le point sur lequel il y insistait le plus était le fait de suivre la Sunna. (Il disait) que les terminologies ("istilâh") et la classification ("taqsîm") établies par les juristes musulmans [à propos de l'ensemble de ce qui est rapporté que le Prophète l'a fait] étaient vraies et correctes, mais qu'il fallait, sur le plan de la pratique, nécessairement pratiquer ce qui était lié au Prophète (sur lui la paix)."

Il semble bien que les "classifications" et autres "terminologies" dont le Cheikh parlait sont celles que nous avons vues plus haut entre sunna ta'abbudiyya et sunna 'adiyya…

An-Nadwî poursuit par cette remarque : "L'amour pour le Prophète et la volonté de suivre son modèle étaient à un tel point chez lui ("ghalaba") que cela touchait non seulement les "'ibâdât" mais aussi les "'âdât" : son cœur voulait qu'il imite le Prophète (sur lui la paix) même dans les "'âdât" (Mawlânâ Muhammad Ilyâs aûr un kî dînî da'wat, pp. 242-243).
-

C'est ce qui explique pourquoi le mouvement du Tablîgh ne fait pas de distinction entre sunna et sunna, ou bien fait parfois une distinction de principe mais seulement pour préciser aussitôt qu'il est impératif de tout pratiquer.

Il ne faudrait cependant pas que certains de ses adeptes se mettent à donner aux sunna 'adiyya une importance plus grande que celle qu'ils donnent aux sunna ta'abbudiyya, justifiant les manquements par rapport à ceux-ci par des raisonnements purement rationalistes, alors même qu'ils refusent toute relativisation des sunna 'âdiyya. Ce serait marcher sur la tête !

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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