On remarque que les musulman(e)s se réfèrent à des normes qui induisent une certaine exigence et une certaine privation par rapport à tout ce que l'homme est capable de faire. Les musulman(e)s doivent se lever à l'aube pour prier quand les autres sont dans les bras de Morphée. Pendant les journées de tout un mois de l'année, ils et elles doivent jeûner, ce qui fait qu'ils et elles ne mangent ni ne boivent durant un douzième de l'ensemble des journées de leur vie. Ils et elles ont le devoir de respecter des normes précises de pudeur en matière vestimentaire également, alors qu'il est plus "dans le vent" de s'habiller de façon plus ou moins légère. En ne buvant pas de vin, ils et elles "ne savent pas ce qu'il perdent" (c'est ce qu'on entend ci et là). Ils et elles ne peuvent goûter aux plaisirs de la chair que dans le cadre d'un mariage. La liste est longue de tout ce qu'ils et elles s'astreignent à faire parce qu'ils le considèrent obligatoire et de tout ce qu'ils s'interdisent de faire (ou du moins dont ils considèrent qu'ils ne devraient pas le faire)...
"Pourquoi vous privez-vous de tant de bonnes choses de la vie ? Et pourquoi vous astreignez-vous à tant d'obligations ?" demandent certaines personnes aux musulmans. "Qu'est-ce que Dieu obtiendrait en vous privant de ce qui pourrait vous faire plaisir ?"
Les normes voulues par Dieu auraient-elles pour objectif de priver l'homme et d'être contraignantes ?
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La réponse selon la perception musulmane, ci-après, en 7 points...
– 1) L'homme est constitué de forces diverses, entrant parfois en concurrence et nécessitant qu'il fasse un choix : il est désir autant que morale, plaisir aussi bien que devoir. Il est individuel mais doit vivre au milieu de ses semblables et au milieu de la biosphère (animaux, végétaux, terre et eau). Il ne voit que la matière mais son cœur est naturellement lié à la Transcendance.
– 2) Cependant, malgré la présence de ces autres forces en lui, c'est en étant prioritairement attiré par ce qui fait le plaisir de ses sens, par la reconnaissance de sa personne, et par le loisir, que l'homme naît et se développe ; par ailleurs, tout ce qu'il désire par rapport à ces points, il en espère la satisfaction immédiate. Dès lors, ce n'est pas la satisfaction de ses désirs, eux-mêmes liés à ce qui fait ses plaisirs, à quoi il doit éduquer sa personne ; ce sont les devoirs, les limites et la patience qu'il a à apprendre au fur et à mesure de son développement psychique.
– 3) L'homme doit donc faire des choix occasionnels, et, en même temps, s'éduquer pour accéder à la droiture de son intérieur.
– 4) Dans le for intérieur de l'homme se trouve une lumière qui l'attire vers Dieu, et qui distingue le bien du mal, le licite de l'illicite, le devoir du facultatif. Mais cette lumière est concurrencée par celle du désir et de l'intérêt personnel.
– 5) Dieu offre donc à l'homme, par le biais de la révélation, des normes qui le guident sur le plan des croyances et de l'éthique.
– 6) Ces normes communiquées par Dieu à l'homme entraînent pour ce dernier une certaine exigence (dans le cas des obligations) par rapport à son envie de se prélasser et de se divertir (que nous avions évoquée en 2), et une certaine privation (dans le cas des interdits) par rapport à tout ce qu'il serait capable de faire et qu'il serait porté à faire pour satisfaire immédiatement ses désirs (également évoqués en 2). Ainsi, il est certain que se lever à l'aube pour prier est plus contraignant que de faire la grasse matinée. De même, jeûner est plus ardu que manger et boire quand on en a envie ou quand on a faim et soif. Pareillement, il est plus exigeant de se réserver pour le mariage que de vivre sa sexualité de façon libre avec des petit(e)s ami(e)s. On pourrait multiplier les exemples...
Et c'est bien parce que satisfaire ses désirs immédiatement et pleinement est ce sur quoi l'homme est naturellement porté (et ce vu la prédominance de son côté physique pendant cette vie terrestre) et qu'il a à faire un effort constant pour respecter les limites et ne pas oublier ses devoirs que le Prophète (sur lui la paix) a dit : "Le Paradis a été entouré de ce qui est contraignant ("al-makârih"), et le Feu de ce dont on a envie ("ash-shahawât")" (Muslim 2823).
Cependant, il n'y a pas, dans la conception musulmane, le fait de percevoir cette exigence et cette privation comme étant l'objectif de ces normes, même si exigence et privation sont inhérentes à certaines d'entre elles par rapport à ce que l'homme pourrait ne pas faire et faire ("وإذا تقرر هذا، فما تضمن التكليف الثابت على العباد من المشقة المعتادة أيضا ليس بمقصود الطلب للشارع من جهة نفس المشقة، بل من جهة ما في ذلك من المصالح العائدة على المكلف" : Al-Muwâfaqât, 1/429 et suivantes) ("وليس المقصود بالعبادات والأوامر المشقة والكلفة بالقصد الأول، وإن وقع ذلك ضمنا وتبعا فى بعضها، لأسباب اقتضته لابد منها، هى من لوازم هذه النشأة" : Ighâthat ul-lahfân 1/49-50).
Les perspectives sont différentes : "être l'objectif de..." et "être inhérent à..." ne constituent pas du tout la même chose...
Et c'est bien pourquoi, en islam, le principe premier est l'absence d'obligation tant qu'il n'y a pas un texte des sources (al-barâ'a al-asliyya) et, dans le domaine temporel, l'absence d'interdiction tant qu'il n'y a pas un texte des sources ou un raisonnement fait sur la base d'un principe extrait de ces textes (al-ibâha al-asliyya).
C'est également pourquoi le musulman n'a pas à rechercher la difficulté dans sa pratique de l'islam (Al-Muwâfaqât 1/434). Le Prophète (sur lui la paix) l'a souligné dans plusieurs hadîths : "La religion est facilité. Et nul ne cherchera la dureté par rapport à la religion sans qu'elle ne le domine. Optez donc pour la droiture, rapprochez-vous et recevez la bonne nouvelle. Et aidez-vous de (moments) le matin, en soirée et quelque peu la nuit" (Riyâd us-sâlihîn, n° 145). "Optez pour la droiture, rapprochez-vous, allez le matin, en soirée et quelque peu la nuit ; choisissez la modération, choisissez la modération, et vous atteindrez le but" (Idem).
C'est enfin pourquoi nous percevons ces interdits et obligations comme ayant un objectif précis (autre que l'exigence et la privation). Nous allons le voir ci-après...
– 7) Le fait que l'homme soit sujet à cet ensemble de normes se dit : "taklîf", qui s'applique à l'homme parce qu'il est doué de raison et donc capable de choisir. Par le biais de la taklîf, Dieu met l'homme à l'épreuve de la vie terrestre : Il veut voir si l'homme d'une part reconnaît Son existence et ne divinise que Lui, et d'autre part s'il agit et se comporte sur terre conformément aux normes qu'Il a communiquées.
C'est la dimension d'obéissance à Dieu.
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Or ici il faut relever 3 dimensions...
--- A) L'homme est dans un rapport d'obéissance à Dieu, qui Lui ordonne à la fin :
----- A.a) de le mettre à l'épreuve ("للابتلاء والامتحان"), pour voir s'il se soumet à Lui en actions (الاستسلام والخضوع له) ;
----- A.b) et de rétribuer ses actes dans l'au-delà : ses bonnes actions par des récompenses, ses mauvaises par une sanction ("للتعويض بالثواب").
--- B) L'obéissance aux normes édictées par Dieu se fait aussi parce qu'Il est Celui que l'on aime, par rapport à Qui on cherche à se rapprocher spirituellement.
Car si l'homme est dans un rapport de servitude avec Dieu, auquel il obéit parce qu'il est Son serviteur, 'abd (A), il est aussi dans un rapport d'amour avec Lui (B), et s'il se conforme aux normes communiquées par Dieu, c'est aussi parce qu'il cherche à Lui plaire, en faisant ce qu'Il aime pour lui et en s'éloignant de ce qu'Il n'aime pas pour lui ("فأوامره سبحانه، وحقه الذى أوجبه على عباده، وشرائعه التى شرعها لهم هى قرة العيون ولذة القلوب، ونعيم الأرواح وسرورها" : Ighâthat ul-lahfân 1/50) (cf. également Al-'Ubûdiyya, Ibn Taymiyya, pp. 33-34).
--- C) Percevoir le code normatif d'origine divine sous l'angle de l'obéissance à Dieu (par la nécessité de se soumettre à Lui, A, et par la volonté de Lui plaire et la crainte de Lui déplaire, B), ce n'est là qu'une perception de la taklîf, faite selon un angle particulier seulement. Car selon un autre angle (C), tout aussi présent dans les sources de l'islam, la taklîf a, simultanément, un ensemble d'objectifs. (Car il est possible de dire que Dieu a fait tel acte ou dit telle chose avec un objectif.).
Quels sont ces objectifs globaux ?
----- C.a) Eduquer l'âme de l'homme, sur le plan spirituel comme sur le plan moral ("رياضة النفس وتهذيبها" : Ighâthat ul-lahfân 1/49), montrer à l'homme la voie pour qu'il puisse vivre une vie d'harmonie et de plénitude, en lui faisant accéder à un état où tous ses composants se retrouvent équilibrés (Al-Muwâfaqât 1/463, 469).
----- C.b) Le conduire à ce qui est meilleur pour lui en ce monde aussi ("إذًا، ثبت أن الشارع قد قصد بالتشريع إقامة المصالح الأخروية والدنيوية، فذلك على وجه لا يختل لها به نظام، لا بحسب الكل ولا بحسب الجزء، وسواء في ذلك ما كان من قبيل الضروريات أو الحاجيات أو التحسينيات" : Al-Muwâfaqât, 1/429, 469). "والشريعة إنما تأمر بالمصالح الخالصة أو الراجحة" (MF 1/194). "والشارع لا يحظر على الإنسان إلا ما فيه فساد راجح أو محض. فإذا لم يكن فيه فساد أو كان فساده مغمورا بالمصلحة لم يحظره أبدا" (MF 29/180). "ويكفي المسلم أن يعلم أن الله لم يحرم شيئا إلا ومفسدته محضة أو غالبة. وأما ما كانت مصلحته محضة أو راجحة فإن الله شرعه" (MF 27/178). "فالحكمة تتضمن شيئين: أحدهما حكمة تعود إليه يحبها ويرضاها؛ والثاني إلى عباده هي نعمة عليهم يفرحون بها ويلتذون بها؛ وهذا في المأمورات، وفي المخلوقات. أما في المأمورات فإن الطاعة هو يحبها ويرضاها، ويفرح بتوبة التائب أعظم فرح يعرفه الناس؛ (...). والطاعة عاقبتها سعادة الدنيا والآخرة، وذلك مما يفرح به العبد المطيع. فكان فيما أمر به من الطاعات عاقبته حميدة تعود إليه وإلى عباده؛ ففيها حكمة له ورحمة لعباده (...). وكذلك ما خلقه: خلقه لحكمة تعود إليه يحبها، وخلقه لرحمة بالعباد ينتفعون بها" (MF 8/35-37).
Chaque impératif et chaque limite fixés par Dieu pour l'homme ont ainsi un objectif (maqsad), et cherchent à élever l'âme de l'homme et à protéger quelque chose chez lui : soit sa spiritualité par rapport aux possibles excès de sa corporalité, soit sa vie par rapport aux atteintes que les autres individus pourraient porter à celle-ci, soit sa santé mentale par rapport à ce qu'il pourrait consommer qui altérerait celle-ci, soit le cadre familial et / ou le cadre social par rapport aux tentations individualistes, etc. Cliquez ici pour découvrir quels sont les objectifs supérieurs des enseignements de l'islam.
Ibn ul-Qayyim écrit : "وأما إلهه الحق فلا بد له منه فى كل وقت وفى كل حال، وأينما كان فنفس الإيمان به ومحبته وعبادته وإجلاله وذكره هو غذاء الإنسان وقوته، وصلاحه وقوامه، كما عليه أهل الإيمان، ودلت عليه السنة والقرآن، وشهدت به الفطرة والجنان، لا كما يقوله من قل نصيبه من التحقيق والعرفان وبخس حظه من الإحسان: إن عبادته وذكره وشكره تكليف ومشقة، لمجرد الابتلاء والامتحان؛ أو لأجل مجرد التعويض بالثواب المنفصل كالمعاوضة بالأثمان؛ أو لمجرد رياضة النفس وتهذيبها ليرتفع عن درجة البهيم من الحيوان، كما فى مقالات من بخس حظه من معرفة الرحمن وقل نصيبه من ذوق حقائق الإيمان وفرح بما عنده من زبد الأفكار وزبالة الأذهان؛ بل عبادته ومعرفته وتوحيده وشكره قرة عين الإنسان، وأفضل لذة للروح والقلب والجنان، وأطيب نعيم ناله من كان أهلا لهذا الشان، والله المستعان، وعليه التكلان.
وليس المقصود بالعبادات والأوامر المشقة والكلفة بالقصد الأول، وإن وقع ذلك ضمنا وتبعا فى بعضها، لأسباب اقتضته لابد منها، هى من لوازم هذه النشأة.
فأوامره سبحانه، وحقه الذى أوجبه على عباده، وشرائعه التى شرعها لهم هى قرة العيون ولذة القلوب، ونعيم الأرواح وسرورها، وبها شفاؤها وسعادتها وفلاحها، وكمالها فى معاشها ومعادها، بل لا سرور لها ولا فرح ولا لذة ولا نعيم فى الحقيقة إلا بذلك، كما قال تعالى:
{يا أيها الناس قد جاءتكم موعظة من ربكم وشفاء لما فى الصدور وهدى ورحمة للمؤمنين قل بفضل الله وبرحمته فبذلك فليفرحوا هو خير مما يجمعون}" (Ighâthat ul-lahfân 1/49-50).
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En fait ces différentes perceptions du cadre normatif sont toutes liées et complémentaires :
– c'est parce qu'on a foi en Dieu qu'on cherche à se conformer à ce qu'Il a édicté pour soi, par crainte et par amour pour Lui ; par fidélité envers Lui (fidélité se disait "foi" autrefois, comme dans l'expression "la foi conjugale") ;
– mais la foi sous-entend aussi la confiance, c'en est également un des sens étymologiques ("Ne t'en fais pas, j'ai foi en toi") : le fait de se conformer à ce qu'Il veut de soi se fait donc aussi parce qu'on a confiance en Lui, parce qu'on a confiance qu'Il veut le bien pour soi.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).