Dans un autre article, nous avons vu que l'"exportation de la règle", "Ta'diya" (B) est de 2 types, selon le degré d'évidence de l'analogie :
– B.a) Qiyâs Jalî ;
– B.b) Qiyâs Zannî.
Il y a également, par ailleurs, l'application de la règle à des cas individuels non explicitement stipulés, par le :
– Qiyâs ush-shumûl.
-
Ici nous allons voir que, les règles que la Raison humaine trouve dans les Textes des Sources, cette Raison humaine dispose de 3 outils pour transmettre (ta'diya) ces règles à des cas qui soit ne sont pas stipulés de façon individuelle dans ces Textes, soit ne l'y sont pas explicitement, soit ne l'y sont absolument pas. Ces 3 outils sont :
– 1) le Tahqîq ul-manât ;
– 2) le Tanqîh ul-manât ;
– 3) le Takhrîj ul-manât.
"Manât" signifie "pivot" et désigne la même chose que "'illa", à savoir : le principe ayant motivé la règle (ou : Ratio Legis) (note de bas de page sur p. 731 de Irshâd ul-fuhûl).
Ci-après quelques explications à propos de ces 3 outils...
-
1) Le "Tahqîq ul-manât" : effort de recherche de la présence du principe motivant (manât / 'illa) dans les cas particuliers (juz'iyyât), en vue de réaliser un "Qiyâs ush-shumûl", ou "analogie d'englobement", c'est-à-dire une application, à ces cas individuels, de la règle liée à l'ensemble :
Les textes ont communiqué une règle (hukm), et soit la cause qui la commande (Ratio Legis, principe motivant) ('illa) figure aussi dans les textes, soit elle a été extraite par un juriste qui est d'avis de la légitimité de l'extraction de ce principe. Dès lors, la règle s'applique à tous les cas qui appartiennent à la catégorie qu'elle concerne (et qui sont donc particuliers par rapport à l'ensemble que cette catégorie constitue) (id'râj ul-juz'î tahta-l-kullî). C'est pourquoi on appelle cet outil : "Tahqîq ul-manât", c'est-à-dire : "vérification de (la présence de la) cause".
L'application du "Tahqîq ul-manât" conduit à ce qu'on nomme : le "Qiyâs ush-shumûl", ou "analogie par englobement".
(Il ne faut pas confondre le "Qiyâs ush-shumûl" avec le "Qiyâs ut-Tamthîl"). (Qiyâs ush-shumûl mabniyyun 'ala-stiwâ' il-af'râd al-mundarija tahta-l-kulliyy, baynamâ yakûnu qiyâs ut-tamthîl mabniyyan 'alâ wujûdi mumâthala bayn fardayn.)
Ibn Taymiyya écrit : "كما اتفقوا على تحقيق المناط؛ وهو أن يعلق الشارع الحكم بمعنى كلي فينظر في ثبوته في بعض الأنواع أو بعض الأعيان. كأمره باستقبال الكعبة وكأمره باستشهاد شهيدين من رجالنا ممن نرضى من الشهداء وكتحريمه الخمر والميسر وكفرضه تحليل اليمين بالكفارة وكتفريقه بين الفدية والطلاق وغير ذلك. فيبقى النظر في بعض الأنواع: هل هي خمر ويمين وميسر وفدية أو طلاق؟ وفي بعض الأعيان: هل هي من هذا النوع؟ وهل هذا المصلي مستقبل القبلة؟ وهذا الشخص عدل مرضي؟ ونحو ذلك. فإن هذا النوع من الاجتهاد متفق عليه بين المسلمين بل بين العقلاء فيما يتبعونه من شرائع دينهم وطاعة ولاة أمورهم ومصالح دنياهم وآخرتهم" (MF 19/16).
La vérification de la présence de la Ratio Legis (Tahqîq ul-manât) dans un cas particulier (juz'î) consiste à vérifier si cette cause commandant l'application de la règle donnée (hukm) est bien présente dans ce cas particulier (juz'î), et si ce cas ne recèle pas un "wasf fâriq", un élément qui induit une différence entre ce cas-ci et les autres cas particuliers (juz'iyyât) dont il est établi qu'ils sont inféodés à la règle, et ce cas-ci (juz'î), en sorte que le premier tombe en fait sous le coup d'une autre règle et non de celle-ci.
On peut voir cette vérification à l'œuvre dans les deux dimensions suivantes…
1.1) Chercher à établir ce qu'il en est du réel, en vue de vérifier si la règle (qui est de l'ordre du général, kullî) est applicable ou non à tel élément du réel (élément qui, lui, relève de l'ordre du particulier, juz'î) :
– Les textes disent qu'en cas de contrainte à faire un acte normalement interdit (autre que le fait de tuer quelqu'un), il devient autorisé de faire cet acte, mais on doit garder en son cœur la croyance que cela est en soi interdit. Tout cas qui relève de la contrainte tombe sous le coup de cette règle.
La raison du muftî s'emploie alors à chercher si tel cas particulier (par exemple l'existence d'une loi rendant obligatoire sur le citoyen ce que le musulman considère interdit pour lui) remplit toutes les conditions de la contrainte, afin que la règle concernant celle-ci lui soit applicable.
– Dans l'école hanafite, la règle en vigueur est que l'élément qui était en soi illicite à la consommation mais qui a ensuite subi une transformation complète (istihâla) n'est plus illicite (lire notre article sur le sujet).
Maintenant, concrètement, la gélatine d'origine porcine, ou qui est issue d'un animal dont la chair est en soi licite mais qui n'a pas été abattu rituellement, remplit-elle toutes les conditions de la transformation complète en sorte qu'elle tombe sous le coup de la règle y relative ? ou bien ne remplit-elle pas toutes ses conditions, en sorte qu'elle ne cesse pas de relever de la règle relative aux constituants du porc, ou encore du bovin qui n'a pas été abattu rituellement ? Ceci demande un "Tahqîq ul-manât".
– Selon une règle musulmane bien connue, il est interdit à un musulman de porter ce qui constitue le symbole d'une autre religion ou d'une autre idéologie. Si la règle s'applique universellement à par exemple un crucifix, qu'en est-il d'autres vêtements ?
Il s'agit de relier la règle à la réalité du contexte dans lequel le musulman vit : tel vêtement, dans tel pays et à telle époque, constitue-t-il le symbole de non-musulmans, ce qui l'inféode à cette règle de "hurmat ut-tashabbuh", ou bien ne constitue-t-il pas le symbole d'une autre religion, ce qui l'inféode à la règle de la permission originelle (avec bien sûr le respect des autres règles : de pudeur etc.) ?
Toutes ces questions ne relèvent nullement du "Qiyâs ul-'illa" mais du "Qiyâs ush-shumûl" ; et ce dernier nécessite une "Tahqîq ul-manât".
-
1.2) Accoler l'élément en question à telle catégorie ou à telle autre ("ilhâq ul-juz'î bi hâdha-l-jins aw dhâka") ?
Le fait est qu'il est certaines règles qui sont applicables lorsque l'élément relève de telle catégorie, mais non s'il relève de telle autre, et ce même si la cause juridique ('illa) semble y être présente.
– Ainsi, "ta'lîq ut-tamlik bi-l-khatar" est la cause juridique extraite de l'interdiction de l'élément "maysir", mentionné explicitement dans les textes. Tout élément dans lequel on retrouve cette cause est interdit, même s'il n'est pas stipulé dans les textes.
Cependant, ce le sera si l'élément relève lui aussi de la catégorie "mu'âwadhât", et non s'il relève de la catégorie "tabarru'ât" (cliquez ici pour en savoir plus). Pareillement, de façon plus générale, adopter un élément non mentionné dans les sources, cela est impossible si l'action dans lequel cet élément s'insère relève de la catégorie "al-'ibâdât" et non de celle "al-'âdât" (cliquez ici pour en savoir plus).
– Les textes ont interdit au musulman ou à la musulmane qui est déjà en état de sacralisation liée au pèlerinage (ihrâm) de se parfumer. Le fait de le faire entraîne la nécessité de s'acquitter d'une expiation ("kaffâra" : "dam" ou "sadaqa", selon les cas).
Le fait pour ce(tte) musulman(e) de consommer un aliment dans lequel on a ajouté ce qui constitue également un parfum en soi (comme le safran oriental) tombe-t-il sous le coup de la nécessité de s'acquitter d'une expiation (car le principe motivant la nécessité de payer une expiation est l'existence d'une trace parfumée), ou bien ne tombe-t-il pas sous le coup de cette règle (car relevant de la catégorie "aliments") ?
Les écoles shafi'ite et hanbalite sont du premier avis.
L'école hanafite, elle, dit que le fait d'ingérer du safran oriental pur tombe sous le coup de la règle, tandis que le fait qu'il ait été mélangé à d'autres ingrédients puis que le tout ait été cuit le range sous la catégorie "aliments" même si son parfum subsiste : la règle n'est alors pas applicable. Enfin, s'il a été simplement mélangé à des aliments sans avoir été cuit, si on ressent son parfum, il est mauvais de consommer cet aliment en état de sacralisation, mais si on le fait il n'y aura aucune expiation à payer, car cela relève de la catégorie "aliments" (cf. Awjaz ul-massâlik, 6/437).
-
Quand le principe motivant est explicitement mentionné dans les textes ('illa mansûssa), même les ulémas qui sont opposés au "Qiyâs ut-tamthîl" (c'est le cas des zahirites, et aussi d'autres ulémas, comme al-Bukhârî, nous allons y revenir) considèrent qu'ici, le juriste doit appliquer la règle qui est attachée à ce principe aux cas qui ne sont pas stipulés dans les textes mais où se retouve la même cause. Le fait est que ces ulémas considèrent qu'ici il s'agit non pas d'une "Qiyâs ut-tamthîl" proprement dite mais du fait d'agir selon le texte même, donc d'une "Qiyâs ush-shumûl" ("min bâb il-'amal bi-n-nass, lâ min bâb il-qiyâs" : d'après Irshâd ul-fuhûl 702).
-
2) Le "Tanqîh ul-manât" : effort de dégagement, parmi tous les éléments présents dans le cas précis où la règle a vu le jour, du pivot (manât) auquel la règle est liée :
Ibn Taymiyya écrit à propos du "Tanqîh ul-manât" :
"والآيات التي أنزلها الله على محمد صلى الله عليه وسلم فيها خطاب لجميع الخلق من الإنس والجن. إذ كانت رسالته عامة للثقلين وإن كان من أسباب نزول الآيات ما كان موجودا في العرب فليس شيء من الآيات مختصا بالسبب المعين الذي نزل فيه باتفاق المسلمين؛ وإنما تنازعوا هل يختص بنوع السبب المسئول عنه؟ وأما بعين السبب فلم يقل أحد من المسلمين أن آيات الطلاق أو الظهار أو اللعان أو حد السرقة والمحاربين وغير ذلك يختص بالشخص المعين الذي كان سبب نزول الآية. وهذا الذي يسميه بعض الناس تنقيح المناط وهو أن يكون الرسول صلى الله عليه وسلم حكم في معين وقد علم أن الحكم لا يختص به فيريد أن ينقح مناط الحكم ليعلم النوع الذي حكم فيه" :
"Le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a émis une règle à propos d'une personne précise (mais) on sait que la règle n'est pas spécifique à cette personne ; on cherche alors à dégager le pivot de la règle afin de connaître quelle est la catégorie à propos de laquelle le Prophète a voulu émettre cette règle. (…)" (MF 19/14-15).
– "Le Prophète a dit à celui qui est entré en état de sacralisation vêtu d'un manteau et enduit de khalûq [un parfum fabriqué à partir de safran oriental] : "Enlève ce manteau et lave-toi pour faire disparaître la trace de kahlûq". [Le tanqîh ul-manât revient ici à se poser la question suivante :] Le Prophète a-t-il ordonné (à cet homme) de se laver parce que la personne en état de sacralisation ne doit pas, après l'entrée en état de sacralisation, conserver sur elle une trace de parfum mis avant l'entrée dans cet état (comme le pense Mâlik) ? ou bien parce qu'il est interdit à l'homme [mais non à la femme] de (s'enduire de) safran oriental [en toutes circonstances], ce qui revient à dire que ce hadîth n'interdit pas à la personne en état de sacralisation de conserver sur elle, après l'entrée en état de sacralisation, une trace de parfum mis avant l'entrée dans cet état (comme le pensent les trois autres référents) ? Et si on retient la première possibilité, ce hadîth est-il (ou non) abrogé par le fait que Aïcha a enduit le Prophète de parfum lors du pèlerinage d'Adieu ?" (MF 19/15-16).
– Ibn Taymiyya donne un autre exemple : "Au bédouin qui avait eu des relations intimes avec son épouse pendant le ramadan, le Prophète ordonna de donner l'expiation [affranchir un esclave, jeûner deux mois, ou nourrir soixante pauvres]. Il est évident que cette règle n'est pas spécifique à ce bédouin. Il est évident que ce n'est pas non plus son caractère de bédouin ou d'arabe qui est le pivot de la règle, ni même que la femme avec qui il a eu des relations intimes était son épouse. (…) Par contre, (la question qui se pose est :) est-ce que le pivot du caractère obligatoire de l'expiation est le fait qu'il a annulé son jeûne du ramadan par des relations intimes précisément, ou bien le fait qu'il l'ait annulé tout court ? Ash-Shâfi'î et Ahmad (d'après l'avis le plus connu de lui) sont du premier avis ; Mâlik, Abû Hanîfa et Ahmad (d'après une des opinions relatées de lui) (…) du second. Ensuite Mâlik considère que la règle est applicable par rapport à tout ce qui annule le jeûne, tandis que Abû Hanîfa pense qu'elle ne l'est que par rapport à ce qui annule le jeûne et qui est de même nature que ce qui est spécifié dans le hadîth : il pense donc que le fait d'avaler volontairement un caillou ou un grain (annule le jeûne mais) ne rend pas l'expiation obligatoire. (…)" (MF 19/15-16).
Le "Tanqîh ul-manât" consiste à établir que tel élément, non mentionné dans le texte, relève de la même règle que l'élément qui y est, lui, mentionné, car le premier ne présente aucune qualité susceptible d'induire, par rapport à la règle en question, une différence entre lui et le second élément (l'élément faisant l'objet d'une mention explicite dans le texte) ("ilghâ' ul-fâriq" ; "ithbât anna-l-fâriqa-l-mawjûda fi-l-maskût 'anh bi-n-nisbati li mawrid in-nass 'adîm ut-ta'thîr bi-n-nisbati li-l-hukm").
Le "Tanqîh ul-manât" mène donc à un "élargissement" du champ de la règle par rapport au strict contexte dans lequel elle avait été stipulée.
- Le Tanqîh ul-manât (2) peut mener à un élargissement de type Qiyâs Jalî, et même de type Qiyâs Zannî.
- Tandis que le Takhrîj ul-manât, ci-après (3), ne mène qu'à des élargissements de type Qiyâs Zannî.
-
3) Le "Takhrîj ul-manât", ou effort d'extraction du principe motivant (manât / 'illa) en vue de rendre possible le raisonnement par analogie ("Qiyâs ut-tamthîl", encore appelé : "Qiyâs ul-'illa", "Qiyâs ul-ashbâh", ou "Qiyâs un-nazâ'ïr") :
Il faut lire à ce sujet notre article traitant de ce raisonnement par analogie, "Qiyâs ut-tamthîl", et y découvrir les différents types de principes motivants ('illa).
L'effort d'extraction "Takhrîj ul-manât" ne concerne que les 3 types de principes motivants ('illa) qui ne sont pas explicitement donnés dans les textes, soit :
--- la 'illa mu'atthira,
--- la 'illa mulâ'ïma,
--- et la 'illa gharîba.
-
Question : Quels sont les points communs et quels sont les points de différence entre le "Tanqîh ul-manât" et le "Takhrîj ul-manât" ?
– L'explication de Ibn Taymiyya est la suivante : Le "Tanqîh ul-manât", cela entre en jeu à propos de la règle émise au sujet d'un événement particulier mais dont il est évident pour le mujtahid que la règle ne lui est pas spécifique. "وهذا الذي يسميه بعض الناس تنقيح المناط وهو أن يكون الرسول صلى الله عليه وسلم حكم في معين وقد علم أن الحكم لا يختص به فيريد أن ينقح مناط الحكم ليعلم النوع الذي حكم فيه" (MF 19/14-15). "القضية المعينة؛ ولا خفاء أن الحكم ليس مختصا بها" (MF 22/328). "ولا يسمى قياسا عند كثير من العلماء، كأبي حنيفة، ونفاة القياس، لاتفاق الناس على العمل به" (MF 19/16).
Par contre, le "Takhrîj ul-manât", la question d'y avoir recours ou pas se pose quand, à la lecture du texte, le mujtahid perçoit qu'il est en soi possible que la règle soit spécifique aux cas stipulés dans le texte, comme il est en soi possible qu'elle soit commune à d'autres cas aussi. "فإن القياس الذي يكون النزاع فيه هو تخريج المناط؛ وهو أن يجوز اختصاص مورد النص بالحكم؛ فإذا جاز اختصاصه، وجاز أن يكون الحكم مشتركا بين مورد النص وغيره، احتاج معتبر القياس إلى أن يعلم أن المشترك بين الأصل والفرع هو مناط الحكم" (MF 22/327). "وأما تخريج المناط وهو القياس المحض؛ وهو أن ينص على حكم في أمور قد يظن أنه يختص الحكم بها؛ فيستدل على أن غيرها مثلها، إما لانتفاء الفارق، أو للاشتراك في الوصف الذي قام الدليل على أن الشارع علق الحكم به في الأصل. فهذا هو القياس الذي تقر به جماهير العلماء وينكره نفاة القياس. وإنما يكثر الغلط فيه لعدم العلم بالجامع المشترك الذي علق الشارع الحكم به وهو الذي يسمى سؤال المطالبة وهو: مطالبة المعترض للمستدل بأن الوصف المشترك بين الأصل والفرع هو علة الحكم؛ أو دليل العلة. فأكثر غلط القائسين من ظنهم علة في الأصل ما ليس بعلة ولهذا كثرت شناعاتهم على أهل القياس الفاسد. فأما إذا قام دليل على إلغاء الفارق وأنه ليس بين الأصل والفرع فرق يفرق الشارع لأجله بين الصورتين، أو قام الدليل على أن المعنى الفلاني هو الذي لأجله حكم الشارع بهذا الحكم في الأصل وهو موجود في صورة أخرى، فهذا القياس لا ينازع فيه إلا من لم يعرف هاتين المقدمتين. وبسط هذا له موضع آخر" (MF 19/17-18).
– L'explication de al-Kashmîrî est la suivante : Les deux "Takhrîj ul-manât" et "Tanqîh ul-manât" reviennent à rendre la règle, spécifiée dans le texte, d'application plus générale. Cependant, c'est dans ce mouvement de généralisation opéré par la raison du mujtahid qu'il y a une différence entre les deux : dans le cas du Tanqîh ul-manât, ce mouvement se fait de l'intérieur même du texte, la raison cherchant, par sa seule appréhension du texte, à dégager l'élément du texte qui entraîne la règle, et la catégorie à laquelle cet élément se rattache.
Dans le cas du Takhrîj ul-manât, en revanche, c'est après avoir été confrontée à des questions nouvelles dans la réalité extérieure que la raison cherche, dans les textes, des cas auxquels elle pourrait rattacher les nouveautés par analogie. Le mouvement est donc inverse.
"ومحصل الفرق بينهما: أن النص إذا ورد بمورد ينظر فيه المجتهد، فيميز بين الأوصاف المؤثرة وغيرها، فإذا نقحها يعم النص لا محالة عن مورد النص، ويدور حكمه على تلك الأوصاف أينما وجدت. وحينئذ متى ما يتحقق المناط الذي حققه، يتحقق الحكم المنصوص أيضا. فالنظر فيه أولا يكون في النص، وثانيا في الجزئيات الخارجية، ثم حكمها لا يتلقى من جهة قياسها على أصل، بل من تحقق ذلك المناط فيها. بخلاف القياس، فإنه لا نظر فيه أولا إلى النص، بل النظر أولا في الجزئيات، فإذا طلب لها المجتهد حكما، نظر إلى النصوص ليلحقها بأقربها، فإذا صادق نصا علله، وبالتعليل يعم لا محالة. وحينئذ يسوغ له أن يأخذ حكم تلك الجزئيات من ذلك النص. فالنظر فيهما بين النصوص والجزئيات متعاكس. وهذا، وإن اتحدا في المآل، ولكنهما عملان متغايران يتفاوتان قوة وضعفا" (cf. Faydh ul-bârî 4/507-509).
La distinction entre les deux ne semble malgré tout pas toujours aisée (wallâhu a'lam).
D'ailleurs, il est certains "élargissements" (ta'diya) ayant été faits par certains mujtahidûn qui ne sont pas partagés par d'autres mujtahidûn, et cela eu égard au fait que les premiers sont d'avis que ces élargissements relèvent du Qiyâs Jalî (cliquez ici et ici), alors que les seconds pensent qu'ils relèvent plutôt du Qiyâs Zannî et que les analogies faites par les premiers ne sont pas correctes car faites malgré la présence de ce que les seconds pensent être un élément différenciant (Fâriq). Le fait est que ces élargissements (Ta'diyat ul-hukm) ont été réalisées par l'outil du Tanqîh ul-manât. Or l'outil du Tanqîh ul-manât entre en jeu pour réaliser des élargissements de type Qiyâs Jalî (ou Dalâlat ud-dalâla, ou Qiyâs Jalî), mais donne également naissance à des élargissements de type Qiyâs Zannî.
(Il y a hésitation entre des ulémas quant à savoir si la Dalâla du texte (nass) sur le Maf'hûm ul-muwâfaqa est de type lafziyya ou bien de type qiyâssiyya – cf. Irshâd ul-fuhul, p. 590.)
Ainsi, dans l'exemple cité plus haut du bédouin qui avait eu des relations intimes pendant un jeûne du ramadan, l'élargissement de la règle (obligation de donner une expiation) à tout musulman, cela relève de la Dalâlat ud-dalâla, ou Qiyâs Jalî. Par contre, il est certains élargissements qui sont "plus poussés" que cela : et c'est pourquoi ils font l'objet de divergences entre les mujtahidûn, comme Ibn Taymiyya l'a mentionné.
-
Notes :
i) Quand la règle est claire mais qu'une certaine hésitation demeure à propos d'un élément donné : appartient-il à la catégorie concernée par la règle, ou non ?
Les textes ont interdit d'utiliser un récipient en or ou en argent pour y manger ou boire. Ceci constitue la règle (hukm). La règle s'applique, cela est certain, au récipient en or ou en argent massif. Cependant une certaine hésitation voit le jour à propos du récipient qui, lui, est seulement recouvert d'une fine pellicule d'or ou d'argent : tombe-t-il sous le coup de cette règle, ou bien – dans le cas où la règle ne concernerait que les récipients en or ou argent massif – de la règle de la permission originelle? Cf. Subul us-salâm 1/39.
Un hadîth stipule que le meurtrier n'héritera pas de celui ou celle qu'il a tué ; dans le cas d'un parricide, par exemple, le meurtrier n'héritera rien. Cette règle s'applique, cela est certain, à celui qui a tué volontairement et sans être en état de légitime défense. Cependant, une certaine hésitation apparaît à propos de celui qui a tué involontairement (qatl ul-khata'), comme lors d'un accident de chasse, etc. : tombe-t-il lui aussi sous le coup de cette règle, ou bien – la règle ayant comme objectif de dissuader d'assassiner pour toucher rapidement l'héritage – fera-t-il exception au point où il pourra toucher sa part d'héritage ? L'école malikite est du premier avis, les trois écoles du second.
Ce genre d'"individu" relève d'une part de la généralité du terme mais, d'autre part, présente une spécificité par rapport aux autres cas qui, eux, en relèvent de façon évidente, au point que l'on est amené à se demander s'il relève lui aussi de la même règle que ces autres cas. Cela engendre une sorte de "khafâ'" – un "flou" – ; de là le terme "khafî", donné par des spécialistes des fondements de la jurisprudence hanafite : le texte est – en soi – "zâhir" – mais est aussi – et par rapport à ce genre de cas – "khafî" ("wa huwa idhâ kâna-l-lafzu zâhir ad-dalâla – fî haddi dhâtih –, wa lâkin 'aradha lahû shay'un min al-khafâ' – bi sababi ghayri lafzih, mithla an yakûna li ba'dhi afrâdihî wasfun yumayyizuhû 'an ghayrih – awqa'a shub'hatan fî dukhûli dhâlika-l-ba'dh fî 'umûm il-lafz"). Et la question de chercher à établir si la règle stipulée dans les textes s'applique ou non à ce cas individuel quelque peu particulier aussi, c'est une forme d'ijtihad (Ussûl ut-tashrî' al-islâmî, p. 232). Seulement je ne sais pas si cet effort de recherche, cet ijtihad, relève bien de l'un des trois outils mentionnés dans cet article ? Et si oui, cela relève-t-il du Tahqîq ul-manât ou bien du Tanqîh ul-manât ? Je ne sais pas (لا أدري). Prière aux frères et sœurs compétents de me faire part de leurs connaissances sur le sujet…
-
ii) Règle générale et éléments particuliers :
Le lecteur aura remarqué qu'on a beaucoup parlé d'éléments particuliers et de règles générales : il y a en fait l'élément particulier (juz'î), le sous-ensemble immédiat auquel cet élément se rattache (naw'), la catégorie immédiate à laquelle ce sous-ensemble appartient (jins qarîb), la catégorie plus lointaine (jins ba'îd), etc. : ainsi, la consommation de la chair du chien est interdite : cette règle est relative à un élément particulier (juz'î), le chien ; cet élément se rattache au sous-ensemble plus général (naw') de "quadrupède carnivore" : le Prophète a interdit la consommation de chaque élément de cet ensemble ("nahâ 'an akli kulli dhî nab min as-sibâ'…") : il s'agit, d'après Abû Hanîfa, des animaux carnivores, et d'après ash-Shâfi'î, des animaux féroces (Nayl ul-awtâr 8/262).
La consommation du porc est interdite : il s'agit d'un élément particulier, et non rattachable à un sous-ensemble immédiat (naw'), interdit lui aussi. Par contre, cet élément particulier recouvre plusieurs individus (af'râd), tous également interdits : le porc domestique, mais aussi le sanglier, le phacochère, le babiroussa…
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).