Voici le contenu d'un courrier que j'ai reçu :
Je me permets de vous écrire suite à la consultation de votre site "maison-islam.com". J'y ai constaté une erreur récurrente qui a des conséquences fâcheuses en ce qu'elle égare les croyants : vous affirmez que les "chrétiens" font partie des Gens du Livre et qu'il est donc licite au musulman de consommer les animaux qu'ils ont abattus.
Or cela est faux.
Le Coran ne fait aucunement référence aux "chrétiens".
- En langue arabe "chrétiens" se dit : "massîhiyyûn".
- Or le terme utilisé dans le Coran est "nassârâ", que vous traduisez de façon erronée par "chrétiens", alors que ce terme signifie "nazaréens". Jésus (sur lui soit la paix) venait de Nazareth, donc ses disciples véritables ont été qualifiés de "nazaréens".
Les "nassârâ", "nazaréens", sont distincts des "chrétiens", "al-massîhiyyûn" ; et la "nasrâniyya" est distincte du "christianisme", "al-massîhiyya".
La "nasrâniyya" se situe dans la lignée directe des enseignements de Jésus (sur lui soit la paix), tandis que la "massîhiyya" (le christianisme) a suivi un autre chemin que celui de ces enseignements originaux.
Les "nassârâ" faisaient partie des "Gens du Livre", mais aujourd'hui ils n'existent quasiment plus.
Les chrétiens, eux, ne font pas partie des Gens du Livre.
J'étudie depuis longtemps le christianisme et les modifications que celui-ci a connues tout au long du temps par rapport aux enseignements originaux de Jésus. Oseriez-vous dire que les chrétiens d'aujourd'hui ont les mêmes croyances que les "nassârâ" des premiers temps ? En plus ces chrétiens ont des divergences inconciliables entre eux...
"Le père, le fils, le saint-esprit", ça ne vous dit rien en terme de polythéisme ? Comment ceux qui croient en la Trinité et associent à Allah (subhanahu wa ta'ala) d'autres entités de la sorte pourraient-ils être des Gens du Livre ?
Et comment un musulman pourrait-il consommer la viande d'un animal abattu par un chrétien, qui ne l'a même pas saigné ?
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Ma réponse à ces objections :
As-salâmu 'alaykum.
I) Le fondement de votre raisonnement se trouve dans votre affirmation suivante : "La nasrâniyya, ou nazaréisme, se situe dans la lignée directe des enseignements de Jésus (sur lui soit la paix)", ce qui entraîne votre autre affirmation : "Les "nassârâ", ou "nazaréens", sont distincts des "chrétiens""…
Ma réponse sera brève : Dans ce cas, comment expliquez-vous qu'Allah (sub'hâna-hû wa ta'âlâ) ait dit :
"وقَالَتْ النَّصَارَى: الْمَسِيحُ ابْنُ اللّهِ" :
"Et les "nassâra" ont dit : "Le Messie est le fils de Dieu" (...)" (Coran 9/30) ?
(Il s'agit bien, ici, d'avoir dit que Jésus est le fils de Dieu au sens de sa divinisation, vu qu'il est dit ensuite : "يُضَاهِؤُونَ قَوْلَ الَّذِينَ كَفَرُواْ مِن قَبْلُ".)
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Alors : maintenez-vous que tous les "nassârâ" dont le Coran parle sont "ceux qui sont restés fidèles aux enseignements de Jésus" ?
Pareillement, si les "nassârâ" sont uniquement ceux qui sont fidèles aux enseignements originaux de Jésus (sur lui soit la paix), comment expliquez-vous que le Prophète Muhammad (sur lui soit la paix) ait dit : "وإن النصارى ضلال" : "Et les nassârâ sont dhullâl" (at-Tirmidhî, 2953, 2954), faisant allusion au verset coranique qui dit :
"قُلْ يَا أَهْلَ الْكِتَابِ لاَ تَغْلُواْ فِي دِينِكُمْ غَيْرَ الْحَقِّ وَلاَ تَتَّبِعُواْ أَهْوَاء قَوْمٍ قَدْ ضَلُّواْ مِن قَبْلُ وَأَضَلُّواْ كَثِيرًا وَضَلُّواْ عَن سَوَاء السَّبِيلِ" :
"Dis : "O Gens du Livre, n'exagérez pas dans votre religion, (adoptant) autre chose que la vérité. Et ne suivez pas les ahwâ' [= idées, croyances déviantes] de personnes qui, auparavant, ont fait dhalâl, ont fait idhlâl de beaucoup de gens et ont fait dhalâl par rapport au chemin droit"" (Coran 5/77) ?
Comment expliquez-vous encore que dans les ouvrages de Sîra (vérifiez par vous-même, et vous verrez bien) il soit dit d'une part qu'une délégation de "nâssârâ" de Najrân vinrent rencontrer le Prophète à Médine et discutèrent avec lui, et d'autre part que cette délégation n'acceptèrent pas ce que le Prophète leur relata au sujet de la nature de Jésus : à savoir que celui-ci n'était pas divin et n'était comparable qu'à Adam, que Dieu a créé en lui disant "Sois !" ?
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II) Vous affirmez également, à propos de ceux que vous nommez les "nazaréens" (et qui, selon vous, sont totalement distincts des "chrétiens") : "Aujourd'hui ils n'existent quasiment plus".
Dans ce cas comment expliquez-vous qu'Allah Ta'âlâ dise dans le Coran :
"وَمِنَ الَّذِينَ قَالُواْ إِنَّا نَصَارَى أَخَذْنَا مِيثَاقَهُمْ فَنَسُواْ حَظًّا مِّمَّا ذُكِّرُواْ بِهِ فَأَغْرَيْنَا بَيْنَهُمُ الْعَدَاوَةَ وَالْبَغْضَاء إِلَى يَوْمِ الْقِيَامَةِ وَسَوْفَ يُنَبِّئُهُمُ اللّهُ بِمَا كَانُواْ يَصْنَعُونَ" :
"Et de ceux qui ont dit : "Nous sommes nassârâ", Nous avions pris l'engagement. Puis ils oublièrent une partie de ce qui leur avait été rappelé. Nous suscitâmes donc l'inimitié et la haine entre eux jusqu'au jour de la résurrection. Et Dieu les informera de ce qu'ils faisaient" (Coran 5/14).
Comment expliquez-vous que Dieu annonce qu'entre les (différents groupes de) nassârâ l'inimitié existera jusqu'à la fin des temps, si vous dites que les nassârâ n'existent quasiment plus aujourd'hui ?
Par ailleurs il semble, comme l'a écrit Ibn Kathîr, que cette inimitié dont ce verset annonce qu'elle existera entre ces différents groupes, cette inimitié entre eux se produira justement à cause de ce que vous nommez "des divergences inconciliables" à propos des croyances quant à la nature de Jésus etc. (Tafsîr Ibn Kathîr tome 2 pp. 31-32)...
Vous pourriez m'objecter que ce verset, évoquant "ceux qui ont dit : "Nous sommes nassârâ", veut en fait dire que ces gens-là se disent "nassârâ" mais ne le sont en réalité pas ; ils ne méritent donc pas les règles (la licité de l'animal abattu et la possibilité de se marier avec une femme d'entre eux) qui sont liées à ce nom "nassârâ".
Mais en fait non, c'est tout simplement là la formulation coranique : si les chrétiens sont désignés dans le Coran tantôt non plus par le seul terme "nassârâ" mais par la périphrase "ceux qui ont dit "Nous sommes nassârâ"", c'est parce que Dieu a voulu rappeler que ce n'est pas Lui qui leur a donné ce nom, mais eux-mêmes qui se le sont donné. D'ailleurs on trouve la même formulation dans cet autre verset :
"وَلَتَجِدَنَّ أَقْرَبَهُمْ مَّوَدَّةً لِّلَّذِينَ آمَنُواْ: الَّذِينَ قَالُوَاْ إِنَّا نَصَارَى" :
"Et tu trouveras être les plus proches, parmi les (hommes), - en terme d'affection pour ceux qui ont foi [= les musulmans] - : ceux qui disent : "nous sommes nassârâ"" (Coran 5/82).
Et Ibn Taymiyya écrit au sujet de ce verset : "Quant aux chrétiens, il n'y a pas, dans la religion qu'ils professent, d'inimitié ni de détestation pour ceux qui sont ennemis de Dieu, qui combattent Dieu et Son Messager et qui font des efforts pour répandre le mal sur Terre. Comment auraient-ils alors de l'inimitié et de la détestation pour ceux qui ont la foi et sont du juste milieu, qui suivent la forme de religion de Abraham et croient en tous les livres (révélés) et tous les prophètes [= les musulmans] ? (Cependant), il n'y a pas en ce (passage coranique) d'éloge des nassârâ, disant qu'ils ont foi en Dieu. Il ne leur y a pas non plus été promis qu'ils seront sauvés du châtiment (de l'au-delà) et mériteront la récompense (de l'au-delà). Il y est seulement dit qu'ils sont les plus proches en affection" : "وأما النصارى فليس في الدين الذي يدينون به عداوة ولا بغض لأعداء الله الذين حاربوا الله ورسوله وسعوا في الأرض فسادا، فكيف بعداوتهم وبغضهم للمؤمنين المعتدلين أهل ملة إبراهيم، المؤمنين بجميع الكتب والرسل؟ وليس في هذا مدح للنصارى بالإيمان بالله، ولا وعد لهم بالنجاة من العذاب، واستحقاق الثواب؛ وإنما فيه أنهم أقرب مودة" (Al-Jawâb us-sahîh 2/47).
Un autre verset dit quant à lui :
"إِنَّ الَّذِينَ آمَنُواْ وَالَّذِينَ هَادُواْ وَالنَّصَارَى وَالصَّابِئِينَ مَنْ آمَنَ بِاللَّهِ وَالْيَوْمِ الآخِرِ وَعَمِلَ صَالِحاً فَلَهُمْ أَجْرُهُمْ عِندَ رَبِّهِمْ وَلاَ خَوْفٌ عَلَيْهِمْ وَلاَ هُمْ يَحْزَنُونَ" :
"Les croyants [= les musulmans], ceux qui se sont judaïsés, les "nassârâ", les sabéens : ceux qui auront cru en Dieu et au jour dernier et auront fait le bien, ceux-là auront leur récompense auprès de leur Seigneur, et il n'y aura crainte sur eux ni ils ne seront attristés" (Coran 2/62) (le verset de Coran 5/69 est très voisin).
Ce verset parle des "nassârâ" qui d'une part sont restés fidèles aux enseignements originaux de Jésus (sur lui soit la paix) et n'ont donc pas adopté de croyances de kufr akbar telles que la divinisation du Messie ou la Trinité, et qui d'autre part n'ont pas eu connaissance du message de Muhammad (sur lui soit la paix) (voir Al-Jawâb us-sahîh 1/238 ; 2/52-53 ; voir également Tafsîr Ibn Kathîr tome 1 p. 94).
On voit au travers de ces utilisations fort différentes que le texte coranique fait de ce nom "nassârâ" que, dans l'usage du Coran et de la Sunna, ce terme "nassârâ" désigne : "ceux qui se réclament des enseignements de Jésus".
Ensuite, parmi ces "gens qui se réclament des enseignements de Jésus", on trouve :
– les hommes qui sont réellement fidèles aux enseignements authentiques et originels de Jésus ; il s'agit des Compagnons de Jésus et de ceux qui, après eux, gardèrent les mêmes croyances qu'eux (c'est d'eux qu'il est question dans ce verset 2/62 : "إِنَّ الَّذِينَ آمَنُواْ وَالَّذِينَ هَادُواْ وَالنَّصَارَى وَالصَّابِئِينَ مَنْ آمَنَ بِاللَّهِ وَالْيَوْمِ الآخِرِ وَعَمِلَ صَالِحاً فَلَهُمْ أَجْرُهُمْ عِندَ رَبِّهِمْ وَلاَ خَوْفٌ عَلَيْهِمْ وَلاَ هُمْ يَحْزَنُونَ", ainsi que dans le verset 5/69) ;
– ainsi que les hommes qui disent adhérer aux enseignements de Jésus alors qu'ils en ont en réalité dévié :
----- ayant adopté la croyance que Jésus fut sacrifié pour le rachat du péché originel et pour la fin de la Loi ;
----- ayant adopté des croyances encore plus éloignées de l'enseignement originel de Jésus : les croyances de l'Incarnation, de la Trinité, etc. (c'est d'eux qu'il est question dans les versets cités plus haut : "وقَالَتْ النَّصَارَى الْمَسِيحُ ابْنُ اللّهِ" : Coran 9/30 ; et : "وَمِنَ الَّذِينَ قَالُواْ إِنَّا نَصَارَى أَخَذْنَا مِيثَاقَهُمْ فَنَسُواْ حَظًّا مِّمَّا ذُكِّرُواْ بِهِ فَأَغْرَيْنَا بَيْنَهُمُ الْعَدَاوَةَ وَالْبَغْضَاء إِلَى يَوْمِ الْقِيَامَةِ وَسَوْفَ يُنَبِّئُهُمُ اللّهُ بِمَا كَانُواْ يَصْنَعُونَ" : Coran 5/14).
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On retrouve la même chose chez des hérésiologues chrétiens :
Certes, au Ier siècle après Jésus, "les Nazôréens ou Nazaréens (en grec: Ναζωραῖος (Nazôraios), en hébreu: Notzrim) (étaient) un groupe religieux juif-messianiste mal connu, attesté de manière indirecte (...). Ce groupe a la particularité de reconnaître en Jésus le Messie tout en continuant à pratiquer les préceptes de la loi juive. Pour une branche de la recherche, les Nazôréens reconnaissent la messianité de Jésus, qu'ils qualifient de "serviteur de Dieu", mais pas sa divinité."
Cependant, ultérieurement ce terme "nazoréens" en vint à désigner tous ceux qui se réclament des enseignements de Jésus, même s'il s'agit désormais des enseignements de l'Eglise de Rome : ce ne fut plus "qu'une simple appellation pour désigner les chrétiens partageant les points de vue (...) de l'Église de Rome."
Conclusion : "Les Nazôréens du Ier siècle seraient alors un groupe différent de ceux dont les hérésiologues chrétiens parlent ultérieurement, et notamment lorsque le nom de nazôréens réapparaît chez les auteurs chrétiens aux IVe et Ve siècle" (source : Wikipedia).
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III) Vous dites qu'en langue arabe ceux qui se réclament des enseignements de Jésus mais en ont dévié gravement en divinisant le Messie et en adoptant la croyance en la Trinité, ceux-là sont appelés : "massîhiyyûn" et non pas : "nassârâ" :
Mais ce que vous dites là renvoie en réalité à l'arabe moderne.
Car il vous faut savoir qu'auparavant, en arabe classique, les chrétiens ayant adopté ces croyances déviantes (de kufr akbar) étaient eux aussi appelés : "nassârâ".
En effet, je vous ai déjà cité l'épisode de la venue de la délégation des nassârâ de Najrân plus haut.
De même, il vous suffira d'ouvrir des ouvrages classiques de Tafsîr, où, en commentaire des versets évoquant les croyances déviantes dont nous parlons, vous lirez bien que ces versets parlent de... nassârâ. En commentaire de Coran 5/72-75 (je vous prie de prendre ici une copie du Coran pour voir le contenu de ces versets), Ibn Kathîr écrit ainsi : "Le Très -Haut dit (ici), rendant le jugement du kufr des groupes de nassârâ que sont les Melkites*, les Jacobites et les Nestoriens, de ceux qui ont dit parmi eux que le Messie c'est Dieu – Dieu est grandement Elevé par rapport à ce propos de leur part, Pur et Magnifié – : (...)" : "يقول تعالى حاكما بتكفير فرق النصارى - من الملكية واليعقوبية والنسطورية -، ممن قال منهم بأن المسيح هو الله - تعالى الله عن قولهم وتنزه وتقدس علوا كبيرا" (Tafsîr Ibn Kathîr) ( * "Melkite" désigne ici tous ceux qui ont suivi les croyances promulguées au Concile de Chalcédoine : Jésus n'est qu'une personne, mais avec deux natures, l'une humaine et l'autre divine. Quant aux "Jacobites", ils désignent les monophysites, qui croient que Jésus n'est qu'une personne mais n'a aussi qu'une nature, divine. Les Nestoriens, eux, croient qu'en Jésus se trouvent deux personnes, l'une humaine et l'autre divine).
Ibn Taymiyya parle, de même, de gens "qui font dans leurs églises des images de ceux que, en dehors de Jésus et de sa mère, ils vénèrent, tels que Georges et autres que lui parmi les saints, et qui adorent [les êtres que représentent] ces images, leur font des demandes, les invoquent, leur font des offrandes et font des voeux en leur nom" ; et Ibn Taymiyya a désigné ces gens par le nom : "nassârâ" : "فإن النصارى يصورون في الكنائس صور من يعظمونه من الإنس غير عيسى وأمه مثل مار جرجس وغيره من القداديس ويعبدون تلك الصور ويسألونها ويدعونها ويقربون لها القرابين وينذرون لها النذور ويقولون هذه تذكرنا بأولئك الصالحين" (MF 17/455-456).
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Tout ceci explique que j'ai traduit "nassârâ" par "chrétiens", ce terme désignant, dans l'usage d'aujourd'hui : "ceux qui se réclament des enseignements de Jésus",
– qu'ils soient restés fidèles aux enseignements originaux (c'est le cas de ceux qu'en français on nomme "les judéo-chrétiens" : lire notre article au sujet de ces "judéo-chrétiens"),
– ou qu'ils en aient dévié (c'est le cas des autres).
Maintenant si vous avez un autre terme français que "chrétien" à me proposer, je suis preneur, mais à condition que cet autre terme désigne, à l'instar du terme coranique "nassârâ", aussi bien ceux qui sont restés fidèles aux enseignements originaux de Jésus que ceux qui s'en réclament alors qu'en réalité ils en ont dévié sur des points fondamentaux.
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IV) Vous affirmez encore : "Les chrétiens" [c'est-à-dire, selon vous, ceux qui, bien que se réclamant des enseignements de Jésus, en ont en réalité dévié gravement, ayant adopté par exemple la croyance en la divinité de Jésus, ou en la Trinité], "les chrétiens ne font pas partie des Gens du Livre". Et vous dites aussi : "Comment ceux qui croient en la Trinité et associent à Dieu d'autres entités de la sorte pourraient-ils être des Gens du Livre ?".
Ici encore, ma réponse sera brève : Dans ce cas comment expliquez-vous qu'Allah Ta'âlâ S'adresse aux adeptes de la Trinité en les appelant par un : "O Gens du Livre" :
"يَا أَهْلَ الْكِتَابِ لَا تَغْلُواْ فِي دِينِكُمْ وَلاَ تَقُولُواْ عَلَى اللّهِ إِلاَّ الْحَقِّ إِنَّمَا الْمَسِيحُ عِيسَى ابْنُ مَرْيَمَ رَسُولُ اللّهِ وَكَلِمَتُهُ أَلْقَاهَا إِلَى مَرْيَمَ وَرُوحٌ مِّنْهُ فَآمِنُواْ بِاللّهِ وَرُسُلِهِ وَلاَ تَقُولُواْ ثَلاَثَةٌ انتَهُواْ خَيْرًا لَّكُمْ إِنَّمَا اللّهُ إِلَهٌ وَاحِدٌ سُبْحَانَهُ أَن يَكُونَ لَهُ وَلَدٌ لَّهُ مَا فِي السَّمَاوَات وَمَا فِي الأَرْضِ وَكَفَى بِاللّهِ وَكِيلاً" :
"O Gens du Livre, n'exagérez pas dans votre religion et ne dites au sujet de Dieu que la vérité. Le Messie Jésus fils de Marie n'est que le Messager de Dieu, Sa Parole, qu'Il a envoyée vers Marie, et une Ame venant de Lui. Croyez donc en Dieu et en Ses Messagers et ne dites pas : "Trois" ; cessez, ce sera mieux pour vous. Dieu n'est qu'un dieu unique. Pureté à Lui par rapport au fait qu'Il ait un fils. A Lui appartient ce qui se trouve dans les cieux et sur la terre. Et Dieu suffit comme garant" (Coran 4/171).
Ceux qui adhèrent à la Trinité (croyance que vous avez évoquée dans votre message) sont bien sûr dans le kufr akbar :
"لَّقَدْ كَفَرَ الَّذِينَ قَالُواْ إِنَّ اللّهَ ثَالِثُ ثَلاَثَةٍ وَمَا مِنْ إِلَهٍ إِلاَّ إِلَهٌ وَاحِدٌ" :
"Ont fait kufr ceux qui ont dit : "Dieu est un parmi trois". Il n'est de dieu qu'un dieu unique" (Coran 5/73).
Ceux qui invoquent des saints en les prenant comme patrons (protecteurs) font du shirk akbar : Les Chrétiens qui invoquent ceux et celles qu'ils considèrent saint(e)s n'adhèrent pas à toute la "Aslu Tawhîd ir-Rubûbiyya", mais n'en sont pas classés pour autant : "Mushrikûn".
Malgré cela, ils sont aussi des Gens du Livre ! En effet, comme nous venons de le voir, le verset 4/171 prouve que ceux qui professent la Trinité et la divinité de Jésus, et à qui Dieu demande de cesser de le faire, sont des Gens du Livre – et ce avant même qu'ils délaissent ces croyances, puisque Dieu s'adresse à eux en les appelant "O Gens du Livre" avant de leur demander de délaisser ces croyances.
Comment expliquez-vous encore que, à Héraclius, empereur de Byzance à son époque, le Prophète (sur lui soit la paix) ait adressé une lettre où il fit écrire le verset coranique suivant : "(…) Et ô Gens du Livre, venez-en à une parole commune à nous et à vous (…)" (al-Bukhârî, Muslim) ?
Vous dites étudier depuis longtemps les différents groupes du christianisme et les déviances que les uns et les autres ont adoptées. Dans ce cas il vous sera très facile d'établir à quelles croyances Héraclius, empereur de Byzance au VIIè siècle chrétien, adhérait-il, lui à qui le Prophète envoya ce verset écrit dans une lettre : adhérait-il aux croyances originelles enseignées par Jésus... ou bien plutôt aux croyances de la Trinité, de l'Incarnation, etc…
On voit par là que la formule coranique "ahl ul-kitâb" ("Gens du Livre") englobe :
– d'une part ceux qui, après en avoir eu connaissance, n'ont pas adhéré au message de Muhammad mais sont restés malgré tout fidèles aux enseignements originels de Jésus (comme ceux qui sont restés fidèles aux enseignements de Moïse) : les règles de licité de l'animal et du mariage s'appliquent à eux ;
– mais aussi d'autre part ceux qui se réclament des enseignements de Jésus alors qu'en fait ils ont adopté certaines croyances contraires à ces enseignements, notamment la Trinité, d'où le verset 4/171 que je vous ai cité plus haut. Cette croyance constitue du kufr akbar (conformément au verset 5/73) et constitue une déviance par rapport aux enseignements de Jésus, mais ces "chrétiens" sont eux aussi des Gens du Livre, et les règles de licité de l'animal et du mariage s'appliquent à eux aussi.
Quand on questionnait Abdullâh ibn Omar au sujet du mariage avec une chrétienne, il disait : "Dieu a interdit que les musulmans se marient avec des femmes polycultistes. Or je ne connais pas, comme polycultisme (shirk), chose grande comme le fait qu'une femme dise que son dieu est Jésus, alors que celui-ci n'est qu'un serviteur parmi les serviteurs de Dieu" : "عن نافع، أن ابن عمر كان إذا سئل عن نكاح النصرانية واليهودية، قال: "إن الله حرم المشركات على المؤمنين، ولا أعلم من الإشراك شيئا أكبر من أن تقول المرأة ربها عيسى، وهو عبد من عباد الله" (al-Bukhârî, 4981). Et Ibn Omar ne parlait pas d'un simple caractère déconseillé mais bien d'une interdiction (Fat'h ul-bârî 9/515). Il considérait donc que la licité du mariage avec une chrétienne ne concerne que la chrétienne qui ne divinise pas Jésus (Ibid.).
Or ceci est un avis… complètement isolé (tafarrud) de Ibn Omar !
Ibn Taymiyya écrit ainsi que la licité du mariage avec une chrétienne [sous réserve que les autres conditions soient aussi remplies, bien sûr] est "l'avis de la grande majorité des érudits des temps anciens et suivants, parmi les quatre imams et les autres" ("madh'habu jamâhir is-salaf wal-khalaf min al-aïmmat il-arba'a wa ghayrihim"), avant de citer ensuite le propos de Ibn Omar rapporté par al-Bukhârî comme étant différent (Majmû' ul-fatâwâ 14/91 et 32/178). Dans un autre ouvrage, Ibn Taymiyya a décrit le principe selon lequel "pour établir une réglementation – un acte (cultuel) recommandé, ou un acte (temporel) autorisé, ou un acte obligatoire ou interdit – n'est pas (suffisant) un avis qui est relaté d'un Compagnon mais qui est isolé en sorte que les autres Compagnons n'ont pas été d'accord avec lui et en sorte que ce qui est établi du Prophète (sur lui la paix) le contredit" ; et parmi les exemples de tels avis qu'il a cités, il y a "l'avis de Ibn Omar selon lequel il n'est pas autorisé de se marier avec une femme "gens du livre"" (Qâ'ida jalîla fi-t-tawassul wa-l-wassîla, p. 134 puis p. 138).
De son côté, Ibn Hajar a écrit à propos de cet avis de Ibn Omar : "Il a été dit que Ibn Omar a eu ici un avis isolé. Car Ibn ul-Mundhir a dit : "Il n'est rapporté d'aucun des Anciens qu'il ait interdit cela"" (Fat'h ul-bârî 9/515-516).
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V) On comprend dès lors facilement quelle réponse donner à cette autre objection venant de vous : "J'étudie depuis longtemps le christianisme et les modifications que celui-ci a connues tout au long du temps par rapport aux enseignements originaux de Jésus. Oseriez-vous dire que les chrétiens d'aujourd'hui ont les mêmes croyances que les nazaréens d'hier ?".
Comme cela a été expliqué plus haut, quand je dis que les chrétiens trinitaires sont eux aussi des "nassârâ", je ne veux nullement dire par là que ces chrétiens ont les croyances originelles que les disciples immédiats de Jésus avaient.
Ceux qui se réclament des enseignements de Jésus mais ont adopté les croyances de sa divinisation ou de la Trinité ont, bien évidemment, adopté des croyances de kufr akbar : cliquez ici pour lire un article où ce point est explicitement abordé (cependant, ceux d'entre eux qui n'avaient pas eu connaissance du message venu ensuite rétablir la vérité, quel sera leur devenir dans l'au-delà, il y a à ce sujet divergence).
Mais je maintiens que, malgré ces déviances, ces chrétiens sont des "nassârâ" ainsi que des "Gens du Livre". Et, ci-dessus, je vous en ai fourni les preuves à travers le Coran et la Sunna…
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VI) Enfin, vous m'interpellez par un : "Et comment un musulman pourrait-il consommer la viande d'un animal abattu par un chrétien, qui ne l'a même pas saigné ?".
Comme je l'ai déjà écrit dans un autre article du site :
– si le chrétien a abattu l'animal non pas en le saignant mais en ayant eu recours à un autre moyen, l'animal est impropre à la consommation du musulman (point B.2 dans l'article en question) ;
– si le chrétien a bien saigné l'animal mais a alors prononcé le nom de Jésus ou d'autre chose que Dieu, cet animal est lui aussi impropre à la consommation du musulman (point B.3.1 : a et b) ;
– maintenant si le chrétien a bien saigné l'animal mais n'a prononcé le nom ni de Dieu ni d'autre chose que Lui, alors c'est le même cas que si un juif agit ainsi : il y a divergence "sâ'ïgh" sur le sujet (point B.3.2).
Essayez de comprendre quelque peu les nuances... Que j'ai dit que le musulman peut consommer l'animal abattu par les Gens du Livre, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas à cela d'autres conditions préalables…
Cela est tout à fait comparable au fait que je dise qu'un musulman peut se marier avec une musulmane : cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas à cela d'autres conditions, comme le fait que cette musulmane ne soit pas la fille de sa sœur à lui, qu'elle ne soit pas déjà mariée à quelqu'un d'autre, et bien d'autres conditions que tout le monde connaît.
Evitons les simplifications.
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VII) En fait toute la problématique est la suivante : Pourquoi l'islam continue-t-il à considérer ceux qui ont dévié du message originel de Jésus comme étant eux aussi des "nassârâ" et des "gens du livre" ?
Le message apporté par Muhammad (sur lui soit la paix) est – comme tout message apporté par un messager de Dieu – très strict quant à sa propre orthodoxie, au point que le musulman qui, en connaissance de cause, adopte ouvertement des croyances de kufr akbar (par exemple la divinisation de Muhammad, ou la croyance que Dieu S'est incarné en lui) quitterait l'islam et ne serait plus appelé "musulman" (cliquez ici pour en savoir plus).
De même, le message apporté par Muhammad désapprouve le fait que des hommes se réclamant de l'enseignement d'un messager antérieur aient mélangé aux enseignements authentiques de ce messager des croyances relevant du shirk akbar et donc du kufr. Cependant, du point de vue du message apporté par Muhammad, du moment que ces hommes ont choisi de continuer à adhérer à l'enseignement de ce messager antérieur et de ne pas adhérer au message du plus récent messager, c'est-à-dire Muhammad, ils sont déjà dans le kufr akbar : dès lors, qu'ils aient conservé intacts les enseignements de ce messager antérieur ou qu'ils leur aient mélangé des actes de kufr akbar, dans les deux cas ils sont dans le kufr akbar en ayant choisi de ne pas adhérer au message plus récent : dans les deux cas il s'agit de kufr akbar, et cela reste "le non-islam" (même si le second cas est plus grave encore).
Cela semble être la raison pour laquelle s'il y avait des hommes qui, bien que se réclamant de l'enseignement de Muhammad, le divinisaient, l'islam ne les considérerait plus du tout "muslimûn" dès que iqâmat ul-hujja aurait eu lieu (encore que certaines croyances déviantes sont telles qu'il n'est même pas besoin de iqâmat ul-hujja pour qu'on quitte l'islam, lire l'article auquel nous avons renvoyé), alors même qu'il continue à considérer "nassârâ" des hommes qui, bien que se réclamant des enseignements de Jésus, ont adopté des croyances de kufr akbar telles que l'Incarnation ou la Trinité.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).