Comme Ibn Taymiyya l'a écrit, il existe un soufisme conforme à l'orthodoxie de l'islam et un soufisme déviant.
Ci-après nous citons certaines de ces idées dont on entend parler comme se rapportant au soufisme, mais qui doivent être délaissées car déviantes par rapport à la voie de l'orthodoxie musulmane, celle sur quoi le Prophète (sur lui la paix) et ses Compagnons se trouvaient.
"Faire fusion avec Dieu" ?
La notion de "rapprochement vers Dieu" est correcte, car elle figure dans le Coran et les hadîths. Mais elle ne signifie pas un rapprochement physique, ou une fusion avec Lui. Le Prophète (sur lui la paix) a enseigné que l’homme qui fait des efforts pour adorer sincèrement Dieu va se rapprocher de Lui jusqu’à être aimé par Lui et devenir alors soumis à ce qu'Il veut. (Ces propos sont la substance d’un hadîth qudsî rapporté par al-Bukhârî.). Lire également mon article : Que penser du concept de l'extinction (fanâ) ?
"Atteindre un état où on n'aura plus ni besoin corporel, ni désir corporel, ni sentiment ni émotion (joie tristesse) etc." ?
Le Prophète Muhammad (sur lui la paix), qui était l’homme au cœur le plus purifié qui soit et qui était l’homme le plus proche de Dieu qui soit, éprouvait toujours la faim et la soif, s’est marié, a eu des enfants, était joyeux lors des occasions de joie et pleurait lors du décès de proches. Le Prophète (sur lui la paix) ne nous a pas laissé cet enseignement de chercher à affranchir notre âme des besoins de notre corps, mais de coordonner les besoins de notre corps avec les exigences de notre cœur. Et cette coordination se fait non d’après notre façon personnelle de voir, mais d’après les règlements que Dieu nous a communiqués par la Révélation (c'est-à-dire le Coran et les hadîths).
"Apercevoir des lumières" ?
Parfois, les lumières que certaines personnes peuvent apercevoir ne sont pas réelles, mais sont seulement des effets de leur esprit ; parfois ce sont l'effet de djinns. Et puis, le fait de voir des lumières n'est ni un but ni un avantage dans le domaine de la tazkiya : car cela ne rapproche pas plus de Dieu, et n’est pas non plus une preuve d’acceptation par Dieu.
"Acquérir le "kashf", ou dévoilement" ?
Certains yogis de l’Inde et certains moines du Tibet arrivent eux aussi à la possession de cette faculté par de longs exercices qu’ils font sur leur âme. Il peut arriver que certains musulmans aussi possèdent cette faculté d’intuition. Cependant :
- Ce n’est ni un but ni un avantage dans le domaine de la tazkiya : posséder le "kashf", en soi, ne rapproche pas plus de Dieu, et n’est pas non plus une preuve d’acceptation par Dieu.
- Ça ne marche pas "à tous les coups" : le Prophète Muhammad (sur lui la paix) lui-même, qui avait le cœur le plus purifié qui soit, ne savait pas systématiquement certaines choses : "Qui sont les habitants de ces deux tombes ?" a-t-il demandé.
"Se préoccuper de son cœur et se désintéresser de l'effort pour améliorer la société" ?
Cette opinion est aussi parfois assez répandue. Mais à la vérité, en islam, le travail sur le cœur ne doit pas conduire à se couper du monde et donc du travail pour l'amélioration de la société. Au contraire, le travail d'invitation (da'wa) découle directement du travail bien fait sur le cœur. C'est bien ce que le Prophète (sur lui la paix) avait dit : "Celui qui parmi vous voit un mal, qu'il le change (...). Et s'il ne le peut pas, alors par son cœur ; et c'est là le moindre degré de la foi" (al-Bukhârî et Muslim). La foi, qui est le contenu du cœur travaillé, doit donc pousser l'homme à agir pour les hommes en étant présent dans la société, et non à s'en retrancher sans raison.
"Obtenir une garantie terrestre d’entrer au Paradis" ?
L'enseignant en soufisme (shaykh) ne peut rien du tout pour le disciple si celui-ci fait de mauvaises actions. Le Prophète Muhammad (sur lui la paix) lui-même avait dit aux siens : "Ô fils de Abd al-Mouttalib ! Protégez-vous de l’Enfer (en faisant de bonnes actions) ! Ô Fâtima ! Protège-toi de l’Enfer (en faisant de bonnes actions) ! Car je ne pourrai rien pour vous contre (la décision de) Dieu !" (Muslim).
"Acquérir, par la piété, un savoir caché et mystérieux, pouvant contredire le savoir religieux qui serait alors appelé "apparent" ?
Le Prophète (sur lui la paix) a dit : "J’ai laissé parmi vous 2 choses telles que vous ne vous égarerez pas tant que vous vous y attacherez : le Livre de Dieu, et ma Sunna" (al-Hâkim). En islam, les normes pour nos croyances, nos pensées, nos actes et nos paroles, nous ont donc déjà été communiquées par Dieu, par le moyen de la Révélation au Prophète, c'est-à-dire par le Coran et les hadîths. Certes, en islam, certaines règles concernent l’extérieur de la vie de l’homme (ses actions, aussi bien vis-à-vis de Dieu que vis-à-vis des créatures), tandis que d’autres règles concernent l’intérieur de la vie de l’homme (son coeur). Mais ces dimensions extérieure et intérieure figurent toutes deux dans le Coran et les Hadîths, et aucune de ces deux dimensions n’est cachée. Le tout, aujourd’hui, est que chacun fasse son possible pour les pratiquer toutes deux. Certes, une différence de compréhension peut exister par rapport à certains textes de ces deux sources. Mais il ne s'agit pas de dire qu'il y aurait une connaissance cachée pouvant contredire ce que ces textes disent explicitement. (Voir la page de ce site consacrée à ce point : Y a-t-il une Connaissance cachée auprès de certains pieux musulmans ?)
"Ne plus avoir besoin de respecter interdictions et obligations formulées par le Coran et les Hadîths, et se suffire de développer en son cœur l'amour de Dieu" ?
Cette opinion, parfois assez répandue, se fonde :
- sur l'erreur de croire que l'obéissance à Dieu signifie seulement une pratique extérieure littéraliste et superficielle, sans amour du cœur ;
- sur l'erreur de croire qu'amour pour Dieu et obéissance à Dieu sont deux choses coupées l'une de l'autre (comme le face à face entre foi et loi dans la tradition chrétienne).
Logiquement, alors, développer en soi l'amour revient à se défaire de la pratique extérieure.
Or la vérité en islam est que l'obéissance à Dieu revient à aimer Dieu, puisqu'il s'agit, à cause de cet amour, de respecter les obligations et les interdictions communiquées par Dieu. Développer en son cœur l'amour de Dieu ne peut donc revenir en islam qu'à respecter davantage encore les règles que ce même Dieu nous a communiquées.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).