Le terme "sayyid" est-il réservé à Dieu, ou bien peut-on l'employer à propos de créatures, par exemple le Prophète (sur lui la paix) ?

Question :

Un frère m'a dit qu'il ne fallait pas employer le terme "sayyid" (qui signifie "maître", "chef") devant le prénom du Prophète, car c'est un qualificatif réservé à Dieu. Le frère a donné comme preuve le fait que, à quelqu'un qui lui a dit : "Tu es notre maître", le Prophète a répondu : "Le Maître c'est Dieu". Que pensez-vous de cet avis ?

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Réponse :

Il existe en effet ce Hadîth où on lit ceci : on dit un jour au Prophète (sur lui la paix) : "Tu es notre maître". Le Prophète répondit : "Le Maître c'est Dieu" : "عن مطرف، قال: قال أبي: انطلقت في وفد بني عامر إلى رسول الله صلى الله عليه وسلم. فقلنا: "أنت سيدنا"، فقال: "السيد الله تبارك وتعالى"، قلنا: "وأفضلنا فضلا وأعظمنا طولا"، فقال: "قولوا بقولكم"، أو "بعض قولكم، ولا يستجرينكم الشيطان" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 4806).

Cependant il faut savoir qu'il y a aussi et d'autre part des Hadîths où on lit que le Prophète a lui-même employé ce mot "sayyid" à propos d'humains, et ce en plusieurs occasions. Ainsi, à la tribu des Khazraj, le Prophète dit un jour à propos de leur chef Sa'd ibn Ubâda : "Ecoutez ce que dit votre sayyid" (Muslim, n° 1498, Abû Dâoûd, n° 4532). A des gens de la tribu Aws il demanda, alors que leur chef Sa'd ibn Mu'âdh arrivait, blessé, de se lever (deux interprétations existent : soit c'était pour l'aider à descendre de la monture, soit c'était pour honorer sa venue) : "Levez-vous vers votre sayyid" (al-Bukhârî, n° 2878, Muslim, n° 1768). Le Prophète a aussi dit que son petit-fils al-Hassan était un "sayyid" (al-Bukhârî, n° 2557, at-Tirmidhî, 3773). D'autres exemples existent encore (al-Bukhârî, n° 2414, Muslim, n° 2249).

Dès lors, deux opinions divergentes ont vu le jour...

--- Certains ulémas ont considéré le premier Hadîth uniquement, l'ont appréhendé de façon littérale, et ont dit qu'il ne fallait employer le terme "sayyid" qu'à propos de Dieu. C'est cette opinion que vous avez entendue.

--- Mais d'autres ulémas disent qu'il n'est pas interdit d'utiliser ce terme à propos d'humains ; et c'est cet avis qui semble pertinent. Dans le premier Hadîth, le Prophète ne semble pas avoir voulu communiquer une interdiction (hurma) quand il répondit "Le Maître c'est Dieu" ("As-sayyidu huwa-llâh") ; le Prophète semble bien avoir seulement voulu rappeler que le fait d'être maître dans le sens parfait et absolu du terme, cela appartient uniquement à Dieu – parce Son pouvoir est absolu – ; il a, de plus et par humilité, voulu détourner l'attention de sa personne – l'homme lui avait dit "Tu es notre maître" – et rappeler sa simple humanité devant la grandeur de Dieu. Mais, et le prouve l'emploi que le Prophète a fait du même terme en d'autres occasions, du moment qu'on n'oublie pas que le véritable maître et le maître absolu est Dieu et que devant Lui tous les humains sont égaux dans leur humanité, on peut dire d'un humain qu'il est "sayyid".

On dispose d'autres exemples de la même veine :
– le Prophète a dit : "Il n'y a de roi que Dieu ("Lâ malika illa-llâh")" (Muslim 2143). Pourtant le Coran lui-même a employé le mot "roi" à propos d'humains : voir Coran 12/50, 27/34. Al-Bukhârî a écrit qu'en fait le Prophète a seulement voulu dire que la royauté suprême appartient à Dieu, et non qu'aucun humain n'a jamais été roi (voir Al-Jâmi' us-sahîh, kitâb ul-adab, tarjama n° 102) ;
– Abû Rimtha raconte s'être rendu en compagnie de son père, qui était médecin, auprès du Prophète. Ayant cru que le sceau du prophétat que celui-ci portait entre ses omoplates était une blessure, le père de Abû Rimtha lui dit : "Montre-moi ce que tu as là dans le dos. Je suis médecin." Le Prophète lui dit : "Dieu est le médecin ; toi tu es quelqu'un qui s'occupe (d'autrui) ("Allâhu-t-tabîb, bal anta rajulun rafîq") ; son médecin est Celui qui l'a créé" (Abu Dâoûd, n° 4206, Ahmad, n° 17038). De nouveau, ici, le Prophète a simplement voulu rappeler que le médecin dans le sens absolu du terme – celui qui connaît parfaitement tous les remèdes et qui guérit –, c'est Dieu ; il n'a pas voulu dire qu'il était interdit de dire d'un humain qu'il est médecin.

Il y a aussi des exemples voisins, où l'on voit le Prophète restreindre l'emploi d'un nom à quelque chose, alors qu'il veut seulement montrer que c'est cette chose qui mérite le plus l'emploi de ce terme :
"Savez-vous ce qu'est celui qui est en faillite ? – Chez nous, l'homme en faillite est celui qui ne possède plus ni argent ni marchandise, répondirent les Compagnons. – L'homme en faillite, reprit le Prophète, est celui qui viendra le jour du jugement avec beaucoup de prières, de jeûnes et d'aumônes, mais qui aura insulté celui-ci, calomnié celui-là, usurpé le bien de cet autre, tué celui-ci et frappé celui-là ; on donnera à ses victimes de ses bonnes actions [en dédommagement] ; si ses bonnes actions seront épuisées avant qu'on ait épuisé son passif, on lui donnera les péchés de ses victimes, puis il sera pris et jeté dans le feu" (Muslim 2581) ; le Prophète n'a pas voulu dire que l'homme ayant fait faillite dans ses affaires commerciales ne devait pas être nommé "homme en faillite" ; au contraire, il a lui-même employé ce terme en parlant d'une règle à observer en un tel cas (al-Bukhârî 2272, Muslim 1559, Ahmad 7325) ; il a simplement voulu montrer que la vraie faillite sera celle de l'au-delà ;
"L'homme fort n'est pas celui qui terrasse son adversaire ; l'homme fort est celui qui reste maître de lui-même quand il est en colère" (al-Bukhârî 5763, Muslim 2609) : le Prophète n'a pas voulu interdire que l'on désigne l'homme qui terrasse son adversaire par les termes "homme fort"; il a seulement voulu montrer que la vraie force était de se maîtriser soi-même.

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A) Il est certains noms et attributs que l'on ne peut employer que vis-à-vis de Dieu. Ainsi, l'emploi de "Rahmân", "Quddûs", "Jabbâr", "Mâlik ul-mulûk", "Ahkam ul-hâkimîn", etc. doit n'être fait que vis-à-vis de Dieu (cf. Fat'h ul-bârî 10/723) ; les employer vis-à-vis d'autres que Dieu, c'est tomber dans l'associationnisme.

B) Par contre, il est d'autres mots et gestes de respect que l'on peut employer et effectuer vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis d'humains. Le fait est que ces mots et gestes peuvent exprimer une portée relative, tout humaine – cas où on peut les dire et faire à propos d'humains –, comme ils peuvent exprimer une portée absolue – cas où on ne peut les dire et les faire qu'à propos de Dieu sous peine de tomber dans l'associationnisme. Et la portée de ces mots et gestes dépend :
a)
de son intention, c'est-à-dire du sens qu'on leur donne en les prononçant et en les faisant,
b) et du contexte dans lequel on les prononce et les fait (cf. Hujjat ullâh il-bâligha, 1/179-181).
S'ils sont prononcés et faits avec l'intention de leur donner un sens d'absolu, ces mots et gestes expriment effectivement du culte et ne peuvent donc être dits et faits que par rapport à Dieu ; de même, s'ils sont prononcés et faits dans un contexte de culte, alors, quoiqu'on prétende quant à son intention, ils expriment forcément du culte et ne peuvent être dits et faits que par rapport à Dieu. Mais si on ne se trouve pas dans un contexte de culte et qu'on ne leur donne pas non plus dans son for intérieur un sens absolu mais relatif, alors ces mêmes mots et gestes peuvent être faits vis-à-vis d'humains.

Cela avait été le cas de l'acte de prosternation (sajda) dans des messages antérieurs à celui apporté par Muhammad. En effet, dans certains de ces messages :
– la prosternation pouvait revêtir une portée absolue et être acte de culte, donc à n'effectuer que vis-à-vis de Dieu ;
– elle pouvait également ne revêtir qu'une portée relative et exprimer seulement du respect : en tant que tel elle pouvait être faite vis-à-vis de créatures ; c'est dans cette perspective que Jacob, son épouse et ses onze fils se prosternèrent devant Joseph (cf. Coran 12/100).
Cependant, le message apporté par Muhammad a restreint la prosternation à son sens cultuel. Certains Compagnons avaient demandé au Prophète la permission de se prosterner devant lui ; eux, les purs monothéistes formés par le dernier Prophète, savaient bien qu'ils n'exprimeraient par cette prosternation que du respect et non du culte – comme ils en exprimaient pendant les cinq prières faites devant Dieu. Mais le Prophète refusa (plusieurs Compagnons relatent cela : voir Nayl ul-awtâr 6/334-335 ; voir aussi Bayân ul-qur'ân 1/22, note de bas de page). Sur ce point, le Prophète a fermé la porte (sadd ul-bâb) aux risques – conséquents pour un message à vocation universelle – de mauvaise compréhension d'un acte très particulier, mauvaise compréhension pouvant conduire certains de ses disciples des générations suivantes à croire acte de culte ce qui n'était fait qu'avec une intention de respect, et tomber ainsi peu à peu dans le polythéisme. A ce sujet, le Prophète a d'ailleurs été tellement prudent qu'il a même interdit que le musulman courbe légèrement son buste lorsqu'il salue quelqu'un (at-Tirmidhî, 2728).

Par contre, le Prophète n'a pas restreint les termes "sayyid" (maître), "malik" (roi) et "tabîb" (médecin) à leur sens absolu et n'a donc pas interdit leur emploi dans un sens relatif à propos d'êtres humains. Il y a aussi le qualificatif "rahîm" (bon) qui relève du même cas : ce terme s'emploie à propos de Dieu dans un sens absolu (c'est même un de Ses Attributs les plus connus, qui figure dans la formule de la basmala et dans la sourate al-Fâtiha, première sourate dans les copies coraniques) ; cependant, le Coran l'a aussi employé à propos du Prophète (Coran 9/128), dans un sens bien évidemment relatif.

C) Par ailleurs il est noms qu'on ne peut employer qu'à propos des créatures et jamais à propos de Dieu. Les employer à propos de Dieu ce serait rabaisser Dieu. Ainsi en est-il de "triste", ou "serviteur", etc.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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