Question (posée oralement) :
Un frère m'a dit qu'en islam il ne faut pas chercher à comprendre le pourquoi mais appliquer littéralement ce qui est demandé.
Comme preuve il a avancé le fait que Alî (radhiyallâhu 'anh) a dit : "Si les règles de l'islam étaient conformes à la raison, alors (nous dirions que) le dessous des chaussettes mérite, davantage que le dessus, d'être ce qu'on essuie par sa main humidifiée (mas'h) (pendant les ablutions). Or le Prophète (sallallâhu 'alayhi wa sallam) a essuyé, de sa main humidifiée, le dessus des chaussettes".
Il y a aussi le fait que questionnée par une dame : "Pourquoi la femme qui a manqué des jeûnes et des prières à cause de ses règles doit remplacer les jeûnes mais pas les prières", Aïcha ne lui a pas expliqué pourquoi, elle lui a seulement dit : "Serais-tu une kharijite ? Il nous a été ordonné de remplacer les jeûnes (ainsi manqués), et pas les prières (ainsi manquées)" (al-Bukhârî et Muslim).
Il y a aussi le fait qu'on est incapable d'expliquer pourquoi la prière de fajr comporte deux rak'as et non pas quatre comme la prière de zohr…
Et puis ce frère m'a dit que quand le Prophète (sallallâhu 'alayhi wa sallam) a fait quelque chose d'une certaine façon, c'est un manque d'amour pour lui et un manque de confiance en son modèle que de dire qu'il est possible d'avoir recours à une autre façon que la sienne parce que celle-ci était liée au contexte dans lequel il vivait ; le frère m'a dit qu'il faut pratiquer toutes les sunnas que le Prophète a faites exactement dans les formes selon lesquelles il l'a fait. Qu'en penses-tu ?
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Réponse :
Répondre à ta question demande un certain développement.
En fait ce que le frère t'a dit à propos du nombre de cycles à faire dans les différentes prières quotidiennes n'est pas faux.
Cependant, comme nous le verrons, si la sagesse de ce nombre n'est pas compréhensible de façon détaillée, elle l'est quand même de façon sommaire et globale. De plus, c'est la généralisation qui est faite à partir de cet exemple du nombre de cycles des prières avec laquelle je ne suis pas d'accord : nous allons voir que tous les éléments présents en islam ne sont pas du même type que cet élément là sur le plan de la rationalité : il y a d'un côté les éléments "ta'abbudî mahdh", mais d'un autre côté les éléments "ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ" aussi... Nous verrons également que la parole de Alî est authentique, mais ne conduit pas à la conclusion qui en a été tirée, de même que la question des formes de ce que le Prophète a fait est beaucoup plus nuancée que ce qui en a été dit.
Voici donc, ci-après, ledit développement, en 10 points…
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1) Ce qui constitue du culte ("ibâdah"/ "ta'abbud") :
Il faut tout d'abord rappeler que le concept islamique du "culte" recouvre, en son sens général (différent de celui que nous voir dans le point 5, plus bas), un champ plus vaste que ce qu'il recouvre dans l'acception occidentale : "Le culte [de Dieu] est un terme général désignant tout ce que Dieu agrée, qu'il s'agisse de paroles ou d'actes, et que ceux-ci soient extérieurs ou intérieurs" (Al-'Ubûdiyya, p. 23). "Les actes cultuels ne sont constitués que de ce qui est obligatoire ou recommandé. Ce qui n'est ni obligatoire ni recommandé, cela n'est pas du culte [de Dieu]" (Qâ'ïda jalîla fi-t-tawassul wa-l-wassîla, p. 124). Par voie d'incidence, se préserver de ce qui est interdit et de ce qui est déconseillé constitue aussi du culte.
Le "culte" concerne donc en islam toute la sphère de l'activité humaine.
On appelle les éléments constituant du culte (au sens général du terme) : des éléments "ta'abbudî". Tous les autres éléments, ceux qui ne constituent pas directement du culte et que l'islam a donné aux humains l'entière possibilité d'élaborer par eux-mêmes et de les adopter, sont dits : "'âdî". (Cliquez ici, ici et ici pour lire plus de détails sur le sujet.)
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2) Quand les textes ont conféré une forme précise à un élément "ta'abbudî", peut-on respecter le principe qui s'en dégage mais avoir recours à une autre forme, ou bien faut-il ne garder que la forme stipulée dans les textes du Coran ou de la Sunna ?
En fait les éléments "ta'abbudî" – qu'ils soient présents dans les actions appartenant au domaine dit "des 'ibâdât" ou dans les actions relevant du domaine dit "des 'âdât" (nous reviendrons sur ces deux termes plus bas, dans le point 5) – sont de deux types :
– l'élément dit "ta'abbudî mahdh" (l'élément purement cultuel) ;
– et l'élément dit "ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ" (l'élément commandé par un principe juridique, une 'illa).
La différence essentielle entre l'élement "ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ" et l'élément "ta'abbudî mahdh" est que :
– dans le premier cas, le caractère (hukm shar'î), ou bien la légalité (mashrû'iyya) – c'est-à-dire l'"aptitude" (salâhiyya) de l'élément à remplir l'objectif de la règle –, est exportable à un cas autre que celui stipulé dans les textes, par le biais d'un raisonnement par analogie (yata'addâ hukm ul-mansûs 'alayh ilâ maskûtin 'anh) ;
– alors que ceci n'est pas possible par rapport à l'élément "ta'abbudî mahdh".
"L'exportation de l'aptitude" (ta'diyat us-salâhiyya) conduit à la possibilité de pratiquer un impératif en ayant recours à un élément différent de celui figurant dans les textes des sources.
L'exportation / l'analogie (ta'diya) se fait parfois par un "qiyâs ut-tamthîl", et parfois par le recours à ce que les hanafites ne nomment pas "qiyâs" mais "dalâlat un-nass" (cf. note de bas de page n° 9 sur Muntakhab al-Hussâmî, p. 95).
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Deux exemples d'"exportation par dalâlat un-nass" :
A un moment donné après la mort du Prophète (sur lui la paix), des gens venus d'Irak demandèrent à Ibn Abbâs pourquoi ils ne voyaient pas les musulmans pratiquer l'impératif de ce verset coranique : "يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا لِيَسْتَأْذِنكُمُ الَّذِينَ مَلَكَتْ أَيْمَانُكُمْ وَالَّذِينَ لَمْ يَبْلُغُوا الْحُلُمَ مِنكُمْ ثَلَاثَ مَرَّاتٍ مِن قَبْلِ صَلَاةِ الْفَجْرِ وَحِينَ تَضَعُونَ ثِيَابَكُم مِّنَ الظَّهِيرَةِ وَمِن بَعْدِ صَلَاةِ الْعِشَاء ثَلَاثُ عَوْرَاتٍ لَّكُمْ" : "Vos serviteurs et vos enfants doivent vous demander la permission [avant d'entrer dans vos pièces] à trois moments : avant la prière de l'aube, lorsque vous vous dévêtez à cause de la mi-journée et après la prière de la nuit" (Coran 24/58). Ibn Abbâs expliqua alors à ces gens que cet impératif avait été révélé dans un contexte particulier, quand il n'y avait pas de rideau [ni de porte] séparant les pièces, à l'intérieur des demeures, et ces trois moments étaient des occasions où les couples se trouvaient en intimité. D'où la nécessité, pour les enfants et les serviteurs présents à l'intérieur des maisons, de toujours demander la permission avant d'entrer dans la pièce de leurs parents. Mais plus tard, l'aisance venue, les rideaux firent leur apparition ; le rideau défait avait la même valeur qu'une réponse négative à la demande verbale de permission d'entrer dans la pièce. C'est pourquoi les enfants et les serviteurs n'eurent plus recours à la demande verbale de permission d'entrer.
Voici le texte, en arabe, de ce que Ibn Abbâs a dit : "عن عكرمة، أن نفرا من أهل العراق قالوا: يا ابن عباس كيف ترى في هذه الآية التي أمرنا فيها بما أمرنا، ولا يعمل بها أحد؟ قول الله عز وجل {يا أيها الذين آمنوا ليستأذنكم الذين ملكت أيمانكم والذين لم يبلغوا الحلم منكم ثلاث مرات من قبل صلاة الفجر وحين تضعون ثيابكم من الظهيرة ومن بعد صلاة العشاء ثلاث عورات لكم ليس عليكم ولا عليهم جناح بعدهن طوافون عليكم قرأ القعنبي إلى عليم حكيم} قال ابن عباس: "إن الله حليم رحيم بالمؤمنين يحب الستر، وكان الناس ليس لبيوتهم ستور ولا حجال، فربما دخل الخادم أو الولد أو يتيمة الرجل والرجل على أهله، فأمرهم الله بالاستئذان في تلك العورات، فجاءهم الله بالستور والخير، فلم أر أحدا يعمل بذلك بعد" (Abû Dâoûd, 5192).
Ibn ul-Qayyim écrit : "والصحيح: أنه إن كان هناك ما يقوم مقام الاستئذان من فتح باب فتحه دليل على الدخول، أو رفع ستر، أو تردد الداخل والخارج ونحوه، أغنى ذلك عن الاستئذان؛ وإن لم يكن ما يقوم مقامه، فلا بد منه" (Zâd ul-ma'âd, 2/434).
La même chose peut être dite par rapport à la fermeture de la porte de la pièce.
Tout ceci revient à dire que le fait, pour les enfants et les serviteurs, de devoir obtenir la permission avant d'entrer dans la pièce est le moyen (wassîla /âlah) mentionné dans les textes pour accomplir l'obligation (wujûb) de se préserver de tomber sur une scène d'intimité ; or le fait de vérifier si le rideau est relevé [ou la porte ouverte] est un autre moyen ayant la capacité (salâhiyyat ul-adâ') d'accomplir cette obligation (wujûb).
Le Coran interdit qu'après l'appel à la prière de la mi-journée du vendredi on pratique encore le commerce ("la vente") : "O les croyants, lorsque est lancé l'appel pour la prière le jour du vendredi, accourez vers le rappel de Dieu et délaissez la vente" (Coran 62/9). Cette règle de l'interdiction (hurma) a été "exportée", d'après les ulémas de plusieurs écoles, à toute transaction (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, pp. 1283-1284) ; chez les hanafites, elle a même été exportée à "tout acte qui retient la personne par rapport au déplacement vers le lieu de la prière du vendredi" ("kullu amalin yunâfi-s-sa'y" : Radd ul-muhtâr 3/38) ; cette analogie a constitué selon les hanafites une "dalâlat un-nass" (Ussûl ut-tashrî' il-islâmî, pp. 108-109). Par contre, selon l'école hanbalite, non seulement il s'agit d'un qiyâs ut-tamthîl, mais ce qiyâs ut-tamthîl est impossible car "ma'a-l-fâriq" (cf. Al-Mughnî 3/10).
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Deux exemples d'"exportation par qiyâs ut-tamthîl" :
L'interdiction de la différence quantitative dans le troc d'un bien contre un autre bien de même nature a été stipulée dans les textes à propos de six biens (or, argent, blé, orge, dattes ou sel) ; ce caractère (hukm) – l'interdiction (hurma) – a été "exporté" à des biens autres que ceux stipulés dans les textes dès lors que le principe juridique ('illa / manât) a été vérifié (tahaqqaqa) dans ces autres biens (pour plus de détails, se référer à notre article L'intérêt dans les échanges).
Contrairement aux écoles malikite et shafi'ite, les écoles hanafite et hanbalite sont d'avis que les parents de niveau "dhawu-l-arhâm" héritent du défunt en cas d'absence de parents de type "dhawu-l-furûdh" et "'assabât" ; elles se fondent à ce sujet sur certains textes. Le hanbalite Ibn Qudâma écrit : "Leur propos est : "Le caractère d'héritier n'est établi que sur la base d'un texte." Notre réponse à cela est : "Nous avons (justement) cité des textes. D'autre part, [même à supposer que les textes ne sont pas authentiques ou explicites sur le sujet,] l'analogie est nécessaire autant que faire se peut ; et cela a été possible [ici] ; on n'aura donc pas recours à la [considération de] ta'abbud mahdh"" (Al-Mughnî 8/466).
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Un exemple où l'exportation de la règle qui a été faite l'a été soit par qiyâs ut-tamthîl soit par dalâlat un-nass :
Le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a mentionné l'eau comme moyen de purification de la partie du corps ou du vêtement qui a été souillée par une impureté rituelle (najâssa hissiyya). Cependant, Abû Hanîfa et Abû Yûssuf ont procédé à une analogie : le caractère est ici la légalité (salâhiyya) de l'utilisation de l'eau à cette fin ; et il y a un principe juridique (manât) qui commande cette légalité, c'est que l'eau est un moyen faisant disparaître l'impureté rituelle ; la légalité s'exportera donc à tout autre liquide qui est rituellement pur (tâhir) et qui est capable de faire disparaître l'impureté rituelle : al-Marghînanî souligne qu'il s'agit bien d'une analogie (il a employé le terme "'illa" : Al-Hidâya 1/56). Cela a été fait soit par qiyâs ut-tamthîl (c'est l'avis de al-Bâbartî : Al-'Inâya, 1/76), soit par dalâlat un-nass (c'est ce qui ressort de ce que al-Hussâmî a écrit : Muntakahab ul-Hussâmî, pp. 93-95).
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Exemples de cas où l'"exportation de la règle" n'est pas possible, ni par qiyâs ut-tamthîl ni par dalâlat un-nass :
Même Abû Hanîfa et Abû Yûssuf ont refusé qu'une "exportation de l'aptitude" ("ta'diyatu salâhiyyat il-adâ'") soit faite à propos de l'eau quand il s'agit d'utiliser celle-ci pour faire ses ablutions rituelles (ghusl ou wudhû) : ici la légalité (mashrû'iyya) de l'utilisation de l'eau coexiste avec le fait qu'il s'agit non d'une impureté rituelle visible à faire disparaître mais d'un état d'impureté (najâssa hukmiyya), ainsi qu'avec le fait que la détermination des membres qu'il faut laver est d'ordre purement cultuel (ta'abbudî mahdh) : on ne peut donc procéder à un raisonnement par analogie et exporter le caractère de la légalité de l'utilisation de l'eau à un autre liquide ; les ablutions rituelles ne peuvent se faire qu'avec de l'eau (Al-Hidâya 1/16 : "Wa-l-wazîfa fî hâdhihi-l-a'dhâ' : ta'abbudiyya ; fa lâ tata'addâ ilâ ghayr il-mansûs 'alayh" (fin de citation) : il veut dire : ta'abbudiyya mahdha).
Le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a enseigné d'abattre l'animal domestique dont on a besoin d'en consommer la chair en pratiquant la saignée au niveau des carotides ; les sources montrent le Prophète permettre cette saignée au niveau d'autres artères et veines dans des cas différents (lors de la chasse, ou à propos d'un animal domestique mais qu'il est impossible de rattraper) ; mais dans tout cas normal, on doit s'en tenir à la saignée faite au niveau des carotides et on ne peut faire un raisonnement par analogie avec d'autres artères : le fait est qu'il s'agit d'un élément "ta'abbudî mahdh" (Al-Muwâfaqât, 1/592).
(Attention, il ne faudrait pas croire que tous les éléments "ta'abbudî mahdh" soient à appliquer systématiquement : certains actes sont liés à la présence de conditions (sharâ'ït) et de causes (asbâb ghayru 'illa) : cliquez ici pour en savoir plus.)
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De façon très schématisée, on pourrait expliquer comme suit la différence essentielle existant entre l'élément "ta'abbudî mah'dh" et l'élément "ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ" :
Dans l'élément "ta'abbudî mah'dh", objectif et forme sont tous deux donnés de façon à servir de moyen de culte – "ta'abbud" – ; et c'est bien pourquoi on dit de cet élément qu'il est "ta'abbudî mahdh" (littéralement : "purement cultuel") : la règle qu'il communique n'est pas "exportable" à un autre élément ; on ne peut donc pas appliquer celle-ci à un autre élément, et on ne peut, non plus, donner à cet acte lui-même une forme autre que celle que les sources lui ont donnée, au prétexte que l'on tient de toute façon compte de son objectif.
Par contre, dans l'élément "ma'qûl ul-ma'nâ", la règle est théoriquement "exportable" à un autre élement ; je dis bien "théoriquement", car bien d'autres conditions existent (nous y reviendrons plus bas).
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Quelques exemples de questions juridiques (massâ'ïl) dont les réponses font divergence entre les ulémas parce que ceux-ci ne sont pas d'accord sur la question de savoir s'il s'agit d'un élément "ta'abbudî mahdh" ou bien d'un élément "ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ" :
D'après l'école hanafite, même si les textes (Coran et Sunna) ne stipulent que certaines denrées alimentaires comme forme de l'aumône dite "zakât ul-fitr" / "sadaqat ul-fitr", il est possible de s'acquitter de celle-ci sous forme de monnaie. Selon l'école hanafite, la mention des denrées alimentaires par le Prophète n'est pas d'ordre "ta'abbudî mahdh" mais "ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ" : le principe juridique est qu'il s'agit de quelque chose contribuant à améliorer l'ordinaire des plus pauvres pour les jours de fête. Si l'école hanafite a considéré les choses ainsi, c'est parce qu'elle pense qu'il y a, dans la parole du Prophète "tu'matan lil-massâkîn", un indice allant dans le sens d'une considération de "ma'qûliyyat ul-ma'nâ" ; Mullâ Jîwan parle de dalâlat un-nass (Nûr ul-anwâr, p. 236).
D'après certains ulémas, tout outil autre que le siwâk mais permettant d'atteindre l'objectif de propreté buccale fait l'affaire, car il s'agit d'un élément "ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ" : la légalité de l'utilisation du siwâk est ainsi exportable, par analogie, à tout autre outil où l'on retrouve le principe juridique qui est présent en le siwâk.
D'après Abû Hanîfa (mais la totalité de l'école hanafite ne l'a pas suivi sur ce point), même si le Prophète et ses Compagnons ont fait le sermon du vendredi en langue arabe, il est aussi possible de le faire dans une autre langue : l'emploi de la langue arabe n'est pas "ta'abbudî mahdh" : au contraire, il y a ici un principe juridique (manât) ayant commandé la légalité (mashrû'iyya) de l'utilisation de la langue arabe, c'est qu'il s'agit d'un canal de communication avec les fidèles. Cette légalité peut donc être exportée vers toute autre langue pouvant servir (salâhiyyat ul-adâ') de canal de communication avec les fidèles (cliquez ici). Par contre dans la prière rituelle (salât), l'utilisation de la langue arabe est "ta'abbudî mahdh" et Abû Hanîfa est revenu sur l'avis qu'il avait énoncé sur le sujet auparavant.
Chacun sait que la peine capitale peut être appliquée en pays musulmans lors de certains cas de meurtres (cliquez ici pour en savoir plus à ce sujet). Wahba az-Zuhaylî est d'avis que la légalité de ce qui sert à appliquer cette peine n'est pas "ta'abbudî mahdh" et que d'autres formes sont donc tout aussi légales, par analogie pour le principe juridique ('illa) ayant commandé la désignation de ce qui servait à le faire à l'époque (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh 7/5687-5688).
Le Prophète a enseigné de faire débuter les mois lunaires par la vision du premier croissant lunaire. Mais d'après le contemporain Ahmad Muhammad Shâkir (le spécialiste de hadîths), on peut établir le début de l'ensemble des mois lunaires par calcul astronomique (cliquez ici pour lire ses arguments). La quasi-totalité des ulémas sunnites ont comme opinion que la recherche du croissant pour faire débuter les mois lunaires est d'ordre "ta'abbudî mahdh". Mais Ahmad Muhammad Shâkir écrit que la parole du Prophète "Nahnu ummatun ummiyya lâ naktubu wa lâ nahsib" constitue un indice du fait qu'il s'agissait d'une mesure liée à la situation d'alors, d'où une considération de "ma'qûliyyat ul-ma'nâ". Il est vrai qu'il s'agit là d'un avis assez singulier.
Peut-on ajouter d'autres mots à la formule de talbiya que l'on prononce lors du pèlerinage ? Certains ulémas disent oui, d'autres non. Ce dernier avis compare cette formule à celles de l'appel à la prière et de la tashahhud, alors que la première opinion dit que c'est l'objectif qui compte (cf. Al-Hidâya 1/217 ; voir aussi Fat'h ul-bârî 3/517). Il semble s'agir d'une divergence liée à la question de savoir si la formule de la talbiya enseignée par le Prophète est ta'abbudî mahdh ou non. Wallâhu A'lam.
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3) Il y a donc des éléments qui sont "ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ", tandis que d'autres sont "ta'abbudî mahdh". Or "ma'qûl ul-ma'nâ" signifie littéralement : "dont le sens est compréhensible" ; cela signifierait-il que eux sont rationnels alors que les éléments "ta'abbdî mahdh" sont contraires à la rationalité ?
En fait non. Tout ce qu'il y a c'est qu'il existe une différence de niveau entre la rationalité qui concerne l'élément "ta'abbudî mahdh" et celle qui est en rapport avec l'élément "ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ". Pour ce qui concerne le premier, la rationalité concerne la recherche de la sagesse (hikma) uniquement ; par contre, pour ce qui concerne le second, la rationalité consiste à en chercher non seulement la sagesse (hikma) mais aussi le principe (manât) capable d'en rendre la règle applicable, par "exportation", à des cas non spécifiés.
Ce qu'il faut donc souligner c'est que "ma'qûl ul-ma'nâ" signifie en fait "ma'qûl ul-manât" et "qâbil li-t-ta'diya", et non pas "ma'qûl ul-hikma" (de sorte que l'autre élément, le "ta'abbudî mahdh", veuille dire : "lâ ya'qil ul-'aqlu shay'an min hikmatihâ").
Il est donc possible à la raison de découvrir, même à propos des éléments "ta'abbudî mahdh", quelques-uns des points de sagesse qui sont à leur base.
Les travaux de Shâh Waliyyullâh dans Hujjat ullâh il-bâligha, de Cheikh Ashraf Alî Thânwî dans Ahkâm-é islâm 'aql kî nazar mein ("Les enseignements de l'islam dans le regard de la raison") présentent justement certaines de ces sagesses.
Cependant, ce dont il faut se souvenir aussi, c'est que les sagesses des éléments "ta'abbudî mahdh" ne sont pas accessibles par la raison de façon détaillée, mais seulement de façon sommaire. C'est que Ibn ul-Qayyim a écrit : "وبالجملة فللشارع في أحكام العبادات أسرار لا تهتدي العقول إلى إدراكها على وجه التفصيل وإن أدركتها جملة" (A'lâm ul-muwaqqi'în, 2/67). Al-Qaradhâwî a évoqué lui aussi ce principe in As-Siyassa ash-shar'iyya fî dhaw'i nussus ish-sharî'a wa maqâssidihâ (pp. 256-257). Peut-on par exemple expliquer de façon détaillée pourquoi les cinq prières se font à telle heure et non à telle autre, ensuite pourquoi la prière de l'aube (sub'h) est constituée de 2 cycles, alors que celle du début de l'après-midi (zuhr) est constituée de 4 ? Pourquoi les nombres 2, 3, ou 4 ?
Il est des ulémas qui soulignent que si on partage les 24 heures que dure un jour en quatre périodes liées aux positions du soleil (coucher du soleil jusqu'à la moitié de la nuit, moitié de la nuit jusqu'au lever du soleil, lever jusqu'au zénith, zénith jusqu'au coucher), on s'aperçoit qu'il y a deux prières instituées dans chacune de ces quatre périodes (respectivement : maghrib et 'ishâ, tahajjud et sub'h, ishrâq et dhuhâ, zuhr et 'asr, avec quelques "débordements" pour certaines de ces prières), ce qui fait un total de huit prières quotidiennes, dont cinq sont obligatoires et trois facultatives. D'autres ulémas soulignent aussi que le total des cycles de prière obligatoires dans une journée atteint le chiffre de 20 (si la prière du witr comporte 3 cycles). Il est même des ulémas qui ont tenté de proposer des explications sur la sagesse de la répartition de ces 20 cycles dans la journée (Shâh Waliyyullâh a écrit quelques lignes allant dans ce sens dans Hujjat ullâh il-bâligha 2/15-16).
Cependant, la meilleure posture intellectuelle qui soit par rapport à ce genre d'éléments est de considérer que, s'agissant d'éléments purement cultuels, il ne peut y avoir qu'une compréhension sommaire et non détaillée de leur sagesse, l'objectif premier étant de les pratiquer avec l'objectif de s'en remettre de façon confiante à Dieu et à ce qu'Il veut de nous (ash-Shâtibî écrit ainsi : "أما أمور التعبدات، فعلتها المطلوبة مجرد الانقياد، من غير زيادة ولا نقصان. ولذلك لما سئلت عائشة رضي الله عنها عن قضاء الحائض الصوم دون الصلاة، قالت للسائلة: "أحرورية أنت؟ " إنكارا عليها أن يسئل عن مثل هذا؛ إذ لم يوضع التعبد أن تفهم علته الخاصة؛ ثم قالت: "كنا نؤمر بقضاء الصوم ولا نؤمر بقضاء الصلاة"؛ وهذا يرجح التعبد على التعليل بالمشقة. وقول ابن المسيب في مسألة تسوية الشارع بين دية الأصابع: "هي السنة با ابن أخي". وهو كثير. ومعنى هذا التعليل أنْ لا علة" : Al-Muwâfaqât, 1/592). C'est également ainsi qu'on considérera d'autres chiffres présents dans les sources à propos d'autres sujets : 7, 10, 40, 80, 100… 3 mois, 4 mois et 10 jours… etc. Ces éléments chiffrés sont compréhensibles de façon globale seulement ; et ils ne sont pas "exportables" vers d'autres points par analogie…
(On pourrait objecter à cela que les Compagnons ont d'une part délaissé le nombre "40" institué par le Prophète à propos de la "shurb ul-khamr", ont d'autre part fait une analogie entre la "qadhf" et la "shurb ul-khamr" et ont exporté les "80" de la première vers la seconde. Mais en réalité, s'ils ont eu recours au premier point, c'est bien, comme l'a souligné at-Tahâwî, parce que le Prophète n'avait institué aucun nombre précis : cf. Fat'h ul-bârî 12/86. Quant à "80", il s'est plutôt agi d'établir une "ta'zîr" ne dépassant pas la "akhaff ul-hudûd" – certains Compagnons ont d'ailleurs employé ces derniers termes –, et non d'une analogie stricto sensu ; quant à "idhâ sakara hadhâ, wa idhâ hadha-ftarâ", cela a constitué une "dharb ul-mathal" et non le raisonnement d'une analogie stricto sensu : cf. Fat'h ul-bârî 12/87.)
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4) Relativiser la forme énoncée dans les textes d'un élément ta'abbudî ma'qûl par recours à l'analogie quant à la mashrû'iyya :
Un point supplémentaire : Nous avons vu que contrairement à l'élément ta'abbudî mahdh, un élément ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ peut être l'objet d'exportation par analogie. Nous avons vu aussi que dans certains cas, ce raisonnement par analogie peut porter sur la mashrû'iyya (dans le cas non pas d'une règle d'interdiction mais d'un acte à accomplir) et peut donc conduire à la possibilité du recours à une autre forme que celle énoncée dans les textes pour l'accomplissement de l'élément ta'abbudî. Cependant, ici, le consensus (ijmâ') constitue un garde-fou pour éviter de tomber dans le "tout relatif".
Il y a donc :
- l'élément ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ dont la règle peut être exportable à un autre élément, non stipulé dans les textes, et qui peut lui-même être pratiqué par une autre forme que celle stipulée dans ces textes ;
- et il y a l'élément ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ dont la règle peut théoriquement être exportable à un autre élément, non stipulé dans les textes, mais qui ne peut lui-même être pratiqué par une autre forme que celle stipulée dans ces textes : la présence d'un consensus sur la nécessité d'avoir recours à cette forme même pour accomplir ce principe empêche sa relativisation.
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5) Les éléments constituant les actions du domaine des 'ibâdât, et ceux constituant les actions du domaine des 'âdât :
Les actions (a'mâl) instituées (mashrû'a) qui appartiennent au domaine des "'ibâdât" sont telles que la totalité ou la quasi-totalité des éléments (ajzâ') les constituant sont "ta'abbudî", donnés par les textes des sources. Ash-Shâtibî écrit : "Ainsi, les purifications rituelles, les prières, les jeûnes, le pèlerinage : la totalité [de ce qui constitue ces actions] est ta'abbudî" (Al-I'tisâm, 2/79).
Quant aux actions relevant du domaine des 'âdât ou des mu'âmalât, il s'y trouve également des éléments "ta'abbudî" – certains d'entre eux étant d'ailleurs "ta'abbudî mah'dh" –, mais ceux-ci y coexistent avec plusieurs éléments "'âdî" ("purement temporels") : "Et la vente, le mariage, l'achat, le divorce, les locations, les sanctions : sont totalement 'âdî (...), et il s'y trouve nécessairement du ta'abbud [aussi], vu que cela est nuancé par des règles ("umûr shar'iyya"), à propos desquelles le responsable [= l'homme] n'a pas eu le choix [de leur élaboration], qu'il s'agisse d'obligation ou de recommandation" (Al-I'tissâm 2/79-80).
Les actions relevant du domaine des 'ibâdât sont donc constituées d'éléments dont la totalité sont ta'abbudî.
Et les actions relevant du domaine des 'âdât sont constituées d'éléments dont la majorité sont 'âdî et une certaine quantité sont ta'abbudî.
C'est pour cette raison que, d'un côté, dans le domaine du purement cultuel ('ibâdât), on ne peut rajouter aucune action que le Prophète n'a pas instituée ; le faire serait tomber dans l'innovation (cliquez ici pour en savoir plus). Mais que, d'un autre côté, pour tous les autres domaines, on peut rajouter de nouvelles choses, que le Prophète n'a pas faites, à condition de tenir compte des orientations générales relatives aux actions même, et par ailleurs de respecter les règles concernant les éléments constituant les actions ; ces orientations et ces règles seront applicables soit telles quelles, soit par analogie.
Ash-Shâtibî écrit : "Le principe en ce qui concerne les 'ibâdât n'est pas – contrairement au cas des 'âdât – que ce qui n'est pas mentionné dans les textes ("maskût 'anh") est comme ce qui est [explicitement] autorisé. (...) Par tout cela on sait que l'objectif du législateur est qu'il n'a confié rien de ce qui relève des ta'abbudât à l'avis des hommes. Il n'y a alors qu'à s'en tenir à ce qu'il a fixé ; rajouter quelque chose est une innovation religieuse ("bid'a")..." (Al-I'tisâm 2/135).
Attention à ne pas confondre le "'ibâda" (ou "ta'abbud") appréhendé dans son sens général, avec le même terme appréhendé dans son sens particulier (cliquez ici : il s'agit des sens B.b et B.b.a respectivement). Quand on dit que les "'âdât" ne sont pas les "'ibâdât", cela ne signifie pas que dans les actions des 'âdât il n'y a pas de 'ibâda (au contraire, nous venons de voir qu'il s'y trouve des éléments ta'abbudî, dont le respect constitue de la 'ibâda) ; cela ne signifie pas non plus que pratiquer telle action des 'âdât n'est pas de la 'ibâda (au contraire, si cette action est obligatoire et qu'on l'accomplit avec l'intention d'obéir à Dieu, cela constitue de la 'ibâda : cliquez ici pour en savoir plus) ; cela signifie que dans le domaine des 'ibâdât on ne peut rajouter aucune action à celles que le Prophète a instituées ; et cela signifie que, en général, tout en pratiquant l'action instituée, on ne peut pratiquer un impératif lui étant relatif par un élément autre que celui spécifié dans les sources (nous allons le voir au point 6). En fait le terme "'ibâda" dans son sens général est présent dans les sources et désigne – comme nous l'avons vu en 1 – tout élément par lequel on rend un culte à Dieu et que Dieu agrée, quel que soit le domaine de la vie humaine auquel il se rapporte : 'âdât ou 'ibâdât ; le terme "ta'abbud" (d'où est issu "ta'abbudî") désigne la même chose. Par contre, le terme "'ibâdât", en son sens particulier, désigne – comme nous venons de le voir – le domaine dans lequel on ne peut rajouter aucune action ou frme d'action que les sources n'ont pas elles-mêmes instituée ; le domaine où cela est possible a été désigné quant à lui par le nom : "'âdât"...
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6) Récapitulatif :
On peut récapituler ce que nous vu ainsi...
Il s'agit en premier lieu de distinguer les actions instituées (al-a'mâl al-juz'iyya aw il-kulliyya) et les éléments (ajzâ') qui composent chacune de ces actions.
Pour ce qui est des actions (a'mâl) : celles relevant du domaine des 'ibâdât (il s'agit de l'ensemble des actions qui ont été instituées pour créer, entretenir ou augmenter dans le cœur le lien spirituel avec Dieu) sont fixées et données une fois pour toutes (c'est ce que nous avons vu dans le point 5).
– On ne peut donc pas inventer (inshâ') une action nouvelle faite en tant que 'ibâda (comme le jeûne de la parole).
– On ne peut non plus pratiquer une action en lui conférant le sens de 'ibâdâ alors qu'elle n'a été pratiquée par le Prophète qu'en tant que 'âda (comme le fait d'écouter des vers avec l'objectif de se rapprocher spirituellement de Dieu – c'est ce qu'on appelle le samâ', avec des vers parlant de l'amour – ).
– On ne peut, enfin, remplacer (istibdâl) une action instituée par une autre qui nous semblerait pouvoir remplir le même objectif (par exemple se rendre en pèlerinage non plus à la Mecque – parce qu'on n'en pas les moyens financiers – mais au mont Sinaï – parce qu'on habite tout près).
Pour ce qui est des éléments (ajzâ') constitutifs des actions : Peut-on remplacer l'un des éléments constituant une action et stipulés dans les textes, par un autre, qui nous semble en être l'équivalent ? En termes techniques : Peut-on faire la ta'diyat us-salâhiyya d'un des éléments constituant une action ?
La réponse est qu'on ne peut pas le faire si cet élément est :
– ta'abbudî mahdh (c'est ce que nous avons vu aux points 2 et 3) ;
– ou muta'ayyan bi-l-ijmâ' (c'est ce que nous avons vu au point 4).
(Quant à la ta'diyat ul-hukm ish-shar'î, cela est impossible si cet élément est ta'abbudî mahdh ; cependant, ceci ne concerne plus "le remplacement par un équivalent", mais "l'exportation de la règle, avec le maintien de l'élément stipulé".)
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Ensuite, la nature des éléments constituant majoritairement les actions relevant des 'ibâdât et celles relevant des 'âdât, cela est comme suit...
Les actions relevant du domaine des 'ibâdât (A) sont constituées d'éléments dont la quasi-totalité sont ta'abbudî (nous l'avons vu en 5) ; ceux-ci sont :
--- A.a) dans leur écrasante majorité des éléments ta'abbudî mahdh ;
--- A.b) pour une petite minorité, des éléments ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ.
Les actions relevant du domaine des 'âdât (B) sont constituées d'éléments dont :
--- B.a) la majorité sont 'âdî (nous l'avons vu en 5) ;
--- B.b) une certaine quantité sont ta'abbudî ; en ce qui concerne ces derniers :
------ B.b.a) la plupart sont ma'qûl ul-ma'nâ ;
------ B.b.b) certains sont ta'abbudî mahdh ou muta'ayyan bi-l-ijmâ'.
Etant donné d'une part que relèvent du domaine des 'ibâdât les actes dont la quasi-totalité des éléments sont ta'abbudî, et d'autre part que la quasi-totalité des éléments ta'abbudî des 'ibâdât sont des éléments ta'abbudî mahdh, à propos desquels l'analogie de légalité (ta'diyat us-salâhiyya) est impossible (comme nous l'avons vu en 2), il en résulte le principe suivant, énoncé par ash-Shâtibî : "Par rapport au serviteur, le principe à propos des 'ibâdât est l'accomplissement (de ce qui est demandé), sans se tourner vers le sens" (Al-Muwâfaqât, 1/585) ; "sans se tourner vers le sens" veut dire : "sans possibilité de relativiser – par recours à la considération de l'objectif – la forme de l'action telle que stipulée dans les textes".
Et étant donné d'un côté que relèvent du domaine des 'âdât les actes dont la grande majorité des éléments sont 'âdî, et d'un autre côté que la majorité des éléments ta'abbudî présents dans ces 'âdât sont des éléments ta'abbudî ma'qûl (à propos desquels l'analogie est possible), la fin du principe énoncé par ash-Shâtibî est : "Et le principe à propos des 'âdât est de se tourner vers le sens" (Ibid.).
On relèvera que dans les deux cas, ash-Shâtibî a bien parlé d'un principe général ("asl") et non d'une règle systématique (donc applicable à 100 %). Le fait est que, comme on peut le remarquer, il y a des exceptions à propos des deux domaines.
Al-Qaradhâwî l'a relevé lui aussi : "Wa innamâ qala-sh-Shâtibî wa man wâfaqahû min al-'ulamâ' : "Al-asl fi-l-'âdât wa-l-mu'âmalât huwa-l-iltifât ila-l-ma'ânî wa-l-maqâssid wa-l-hikam", li yadullû 'alâ anna hunâka mâ huwa khilâf ul-asl. Wa kalimatu "l-asl" ta'nî : "al-assâs wal-ghâlib". Wa maf'hûmuhû anna hunâka ashyâ'a ta'tî 'alâ khilâf il-ghâlib wa-l-ma'rûf" (As-Siyâssa ash-Shar'iyya, p. 254).
Ash-Shâtibî lui-même l'a bien précisé : "Nous avons donc su comme relevant de l'objectif du Shârî' [= Dieu] : que la différence soit faite entre les 'ibâdât et les 'âdât ; et qu'Il a fait prédominer (ghallaba) :
- dans le domaine des 'ibâdât : la dimension de ta'abbud ;
- et dans le domaine des 'adât : la dimension de prendre en considération l'objectif (al-ma'ânî).
L'inverse dans les deux domaines est en petit nombre" (Al-Muwâfaqât, 1/670).
Un peu plus loin il écrit, dans la même veine, que :
- "que les objectifs soient pris en considération" : "quelque chose de cela est apparu" "dans le domaine des 'ibâdât" ;
- et "qu'il y ait at-ta'abbud(...)" : "quelque chose de cela est apparu" "dans le domaine des 'âdât" (Ibid.).
C'est cela, "l'inverse dans les deux domaines", qu'il évoquait ; il s'agit d'exceptions par rapport aux deux principes généraux. Et ash-Shâtibî en a profité pour exprimer sa divergence avec la vision des hanafites, qui se sont fondés sur le constat qu'à l'unanimité il y a eu analogie à propos de ces quelques éléments constitutifs d'actions du domaine des 'ibâdât, pour généraliser cette possibilité à tout le chapitre des "'ibâdât" (alors qu'il s'agissait en fait d'une exception) ; comme il a exprimé sa divergence avec la vision des zahirites, qui se sont fondés sur le constat qu'à l'unanimité l'analogie est impossible à propos de ces quelques éléments constitutifs d'actions du domaine des 'âdât, pour généraliser cette impossibilité à tout le chapitre des "'âdât" (alors qu'il s'agissait également d'une exception) (cf. Al-Muwâfaqât, 1/670).
En fait ces exceptions sont dues aux faits :
– que parmi les éléments constitutifs des actions relevant du domaine des 'ibâdât (la catégorie A), il existe malgré tout un petit nombre d'éléments qui sont ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ (il s'agit des éléments de type A.b), à propos desquels l'analogie (exportation de la règle) reste possible ; quand la proportion d'éléments maq'ûl ul-ma'nâ est élevée dans une action, celle-ci ne fait pas partie du domaine des 'ibâdât uniquement, mais est une 'ibâda fîhâ ma'nan âkhar (comme c'est le cas de la zakât) (nous allons y revenir dans lepoint suivant) ;
– et que, parallèlement, parmi les éléments constitutifs des actions relevant du domaine des 'âdât (la catégorie B), il existe quand même certains éléments qui sont ta'abbudî mahdh, ou bien muta'ayyan bi-l-ijmâ' (il s'agit des éléments de type B.b.b), à propos desquels l'analogie de légalité est impossible.
Cliquez ici pour lire un article à propos de ce point.
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7) Une classification supplémentaire à l'intérieur de la catégorie "ibâdât" et de la catégorie "'âdât" : des actions qui ont quelque chose de ces deux catégories :
Nous avons vu que la classification "catégorie 'ibâdât" et "catégorie 'âdât / mu'âmalât" sert à établir quelle action nouvelle (car ne figurant pas dans les sources) et ayant élaborée par la raison humaine ou par la tradition, on peut et laquelle on ne pas adopter.
Cependant, au sein de la catégorie "'ibâdât", il y a ensuite plusieurs types d'actions :
– il y a les "'ibâdât mahdha" : les actions dont la totalité ou la quasi-totalité des éléments "ta'abbudî" sont spécifiquement "ta'abbudî mahdh" : ainsi en est-il de la prière rituelle, le pèlerinage, etc. ;
– et il y a les actions dans lesquelles on trouve la présence d'une autre dimension ; il semblerait qu'il s'agit des actions dont les éléments "ta'abbudî" les composant sont, en nombre conséquent, des éléments "ma'qûl ul-ma'nâ" : ceci entraîne d'une part que, à l'intérieur de ces actions, certaines analogies ("qiyâs") sont possibles à partir de ces éléments "ma'qûl ul-ma'nâ" ; et d'autre part que toutes les règles applicables aux 'ibâdat mahdha ne sont pas appplicables à ces actions. Ainsi, la sadaqat ul-fitr possède, en sus de la dimension de culte, une dimension de taxe ("'ibâdât fîhâ ma'na-l-ma'ûna") : c'est pourquoi elle est obligatoire même à propos de l'enfant. D'après certaines écoles, la zakât possède elle aussi cette dimension de taxe, et c'est pourquoi ces écoles ont effectué des analogies dans les règles relevant de la zakât (Fiqh uz-zakât, al-Qaradhâwî, 1/44) ; c'est aussi pourquoi certaines écoles (autres que la hanafite) sont d'avis que cette zakât est obligatoire même dans l'argent de l'enfant (alors que les 'ibâdât mahdha ne sont pas obligatoires sur l'enfant) ; c'est encore pourquoi ces mêmes écoles pensent que, parmi les dettes que le défunt laisse et que son legs doit systématiquement payer avant de pouvoir être partagé entre ses héritiers (même s'il n'avait pas fait de testament en ce sens), il y a la zakât dont il ne s'était pas acquitté ; c'est encore pourquoi certaines de ces écoles pensent que l'on peut, pour s'acquitter de la zakât sur des animaux, remettre non pas un animal comme cela est spécifié dans les textes, mais sa valeur en numéraire. (Lire aussi Ussûl ul-fiqh il-islâmî, az-Zuhaylî, 1/153, et As-Siyâssa ash-shar'iyya, al-Qaradhâwî, pp. 261-264.)
Cette autre classification permet d'établir :
– quels sont celles des actions de cette catégorie où une analogie est parfois possible à partir de certains de leurs éléments ;
– quels sont les actions qui sont valides juridiquement même si elles ont été faites sans intention ("niyya") ;
– enfin quels sont les actions à propos desquelles il n'y a pas comme condition qu'elles aient été accomplis par un musulman pour être valides.
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8) Suivre la Sunna, cela veut-il dire tout faire exactement comme le Prophète (sur lui la paix) l'a fait ?
Cela n'est pas systématiquement nécessaire. En fait, au sein de l'ensemble de ce que le Prophète a fait, il y a d'une part les "sunna ta'abbudiyya" et d'autre part les "sunna 'âdiyya". Dans ces deux formules, le terme "sunna" renvoie à la "forme" de l'acte que le Prophète a fait. Dès lors, "la sunna ta'abbudiyya" correspond à "l'élément ta'abbudî mahdh" : la forme de l'acte fait par le Prophète relève, tout comme son objectif, du "ta'abbud", et il n'y a donc pas moyen d'adopter une autre forme. Au contraire de "la sunna 'âdiyya", qui correspond, elle, à "l'élément ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ" : ici la forme que le Prophète a donnée à l'acte qu'il a fait est 'âdî, et la légalité peut donc en être "exportée" par analogie, par le biais du principe qui en est à la base, ce principe étant, lui, "ta'abbudî".
Chaque musulman(e) est attaché(e) à la Sunna, l'enseignement du Prophète (sur lui la paix). Il est des frères et sœurs qui ont choisi de garder toutes les formes d'une grande partie des éléments auxquels le Prophète a eu recours, même s'il s'agit de sunna 'âdiyya, ce qui est leur droit le plus élémentaire. Le problème c'est que certains d'entre ces frères et sœurs se permettent de juger ceux de leurs coreligionnaires qui, eux, ont choisi – au nom du recours à la recherche du principe (manât) dans les éléments "ta'abbudî ma'qûl ul-ma'nâ" – d'en relativiser la forme, de tenir compte du contexte, et de distinguer "sunna ta'abbudiyya" et "sunna 'âdiyya". Et quand on s'aperçoit que ces frères sont hanafites, ayant de surcroît fait des études en sciences islamiques, on ne peut qu'être étonné d'une pareille attitude de leur part. En effet, nous avons vu plus haut quelques exemples extraits de l'école hanafite sur le sujet… De plus, ce sont des ulémas hanafites qui ont été parmi les plus explicites dans la différenciation entre certaines sunnas dont la forme ne peut pas être modifiée et certaines autres sunnas dont la forme peut, sans problème, être modifiée en fonction du contexte. Ainsi, Mullâ Jîwan, savant hanafite indien du 18ème siècle de l'ère chrétienne, a explicité cette différence entre sunnas et sunnas relevant de ce que le Prophète a fait en tant que 'âdah et non 'ibâdah (cf. Nûr ul anwâr, p. 171). Un autre savant hanafite indien, Shâh Waliyyullâh (également du 18ème siècle), a pour sa part écrit que ce que le Prophète a fait en tant que 'âdah et non en tant que 'ibâdah ne relève pas directement de l'objectif de sa mission de Messager de Dieu (Hujjat ullâh il bâlighah 1/372), et que considérer nécessairement tout ce que le Prophète a fait comme relevant systématiquement de la 'ibâdah relève de l'exagération (Ibid. 1/349).
Pour plus de détails quant à ce point précis, se référer à nos articles suivants :
– Serait-il interdit de faire une chose différemment du Prophète ? ;
– Peut-on donner à un acte la forme culturelle coutumière de la région du monde où l'on vit quand les textes mentionnent une autre forme pour cet acte ? ;
– Les sunna 'âdiyya, troisième tentative d'explication.
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9) La parole de Alî en question et celle de Aïcha (que Dieu les agrée) :
La parole de Alî (que Dieu l'agrée) que tu as citée dans ta question est authentique : "عن علي رضي الله عنه، قال: لو كان الدين بالرأي لكان أسفل الخف أولى بالمسح من أعلاه، وقد رأيت رسول الله صلى الله عليه وسلم يمسح على ظاهر خفيه". Tu en as relaté la traduction ainsi : "Si les règles de l'islam étaient conformes à la raison, alors (nous dirions que) le dessous de la chaussette de cuir mérite, davantage que le dessus, d'être ce sur quoi on passe la main humidifiée (mas'h) (pendant les ablutions). Or j'ai vu le Messager de Dieu (que Dieu le bénisse et le salue) passer sa main humidifiée sur le dessus de ses chaussettes en cuir" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 162).
Pourtant, Shâh Waliyyullâh l'a écrit : que, pendant les ablutions rituelles, on passe la main humidifiée (mas'h) sur le dessus et non sur le dessous des chaussettes, cela est très rationnel :
– d'une part le passage de la main humidifiée se fait à la place du lavage, mais, n'en étant qu'un rappel symbolique, il était attendu qu'il ne se fasse pas sur l'ensemble de la surface sur laquelle le lavage, lui, doit se faire ;
– d'autre part le dessous des chaussettes est très souvent souillé par la poussière, et passer la main humidifiée sur cette partie aurait conduit à souiller sa main ;
– c'est pourquoi il s'est agi de ne passer la main humidifiée que sur une partie de la chaussette, et cette partie est le dessus : "أقول: لما كان المسح إبقاء لنموذج الغسل لا يراد منه إلا ذلك، وكان الأسفل مظنة لتلويث الخفين عند المشي في الأرض، كان المسح على ظاهرهما دون باطنهما معقولا وموافقا بالرأي! وكان رضي الله عنه من أعلم الناس بعلم معاني الشرائع كما يظهر من كلامه وخطبه، لكن أراد أن يسد مدخل الرأي لئلا يفسد العامة على أنفسهم دينهم" (Hujjat ullâh il-bâligha, 1/505).
En fait cet élément est "ta'abbudî mahdh". Or, si tu as compris tout ce qui précède, tu comprendras ce que Alî a voulu dire : la raison humaine pouvait difficilement élaborer d'elle-même cette fine distinction entre ce qui, du "dessus" et du "dessous", mérite le plus d'être essuyé pour les raisons que nous avons vues. Cependant, ayant reçu cette façon de faire de la révélation, la raison peut en comprendre globalement la sagesse, comme Shâh Waliyyullâh l'a démontré ici.
Et Shâh Waliyyullâh d'ajouter que ce que Alî a voulu ici montrer au public musulman, ce n'est pas que les règles de l'islam seraient contraires à la raison, puisque, dit-il, ses autres propos et ses discours montrent au contraire qu'il était parmi les plus grands savants des sagesses des règles de l'islam ; ce qu'il a voulu rappeler ici, c'est que le musulman ne doit pas se fonder sur sa seule raison mais doit se référer aux textes de la révélation et orienter sa raison à la lumière de ces textes (d'après Hujjat ullâh il-bâligha 1/ 505).
Tout ceci fait que pour ma part je ne traduirais pas la parole de Alî comme tu l'as relaté. Le texte originel se lit ainsi : "لو كان الدين بالرأي لكان أسفل الخف أولى بالمسح من أعلاه". Je le traduirais non pas ainsi : "Si les règles de l'islam étaient conformes à la raison, alors (la règle rationnelle serait que) le dessous de la chaussette...", mais plutôt ainsi : "Si les règles de l'islam étaient à établir d'après la raison (seule), alors (ma raison à moi dirait que) le dessous de la chaussette de cuir mérite, davantage que le dessus, d'être ce sur quoi on passe la main humidifiée (mas'h) (pendant les ablutions). Or j'ai vu le Messager de Dieu (que Dieu le bénisse et le salue) passer sa main humidifiée sur le dessus de ses chaussettes en cuir". Le motif en est que ta traduction peut laisser croire que le sens de la parole de Alî est que les règles de l'islam ne sont pas conformes à la raison. Or ce n'est pas ce qu'il a voulu dire, comme nous venons de le voir sous la plume de Shâh Waliyyullâh. Wallâhu A'lam.
C'est également dans le sens de ce qui précède que Ibn ul-Qayyim a, dans son ouvrage A'lâm ul-muwaqqi'în, écrit ces longues pages (tome 2 pp. 40 à 119) consacrées à l'énonciation de la sagesse (hikma) qui existe dans le fait que les textes de la révélation ont communiqué parfois des règles différentes à propos de deux points que la raison seule aurait, elle, jugés semblables : la raison seule n'aurait pas pu élaborer d'elle-même cette différence, et, trouvant les deux points comparables, aurait appliqué la même règle aux deux ; mais ayant reçu des textes de la révélation ces deux règles différentes, elle peut reconnaître la fine sagesse observée par les textes et ayant motivé cette différenciation.
Il est cependant à noter que certaines des différences de règles que Ibn ul-Qayyim a citées dans ces pages ont au contraire été "amalgamées" par l'école hanafite, qui a pensé que ces cas là relevaient non pas de deux points voisins – l'un étant alors perçu par la raison comme étant au même niveau que l'autre –, mais de deux points dont l'un constitue un principe général, et l'autre, étant inclus dans ce qu'il implique, doit être assujetti à la même règle englobante après ta'wîl conciliatrice de ce que le texte dit (ce qui constitue justement la façon de faire des Ahl ur-ra'y).
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Quant à la parole de Aïcha (que Dieu l'agrée), voici une des versions que Muslim a rapportées et qui va dans le sens de la question ici traitée : "عن معاذة، قالت: سألت عائشة فقلت: ما بال الحائض تقضي الصوم، ولا تقضي الصلاة. فقالت: أحرورية أنت؟ قلت: لست بحرورية، ولكني أسأل. قالت: كان يصيبنا ذلك، فنؤمر بقضاء الصوم، ولا نؤمر بقضاء الصلاة" (Muslim, 335) (l'autre version rapportée par al-Bukhârî et par Muslim ne relate pas exactement la même question).
Cette parole, al-Aynî l'interprète en substance la même chose que ce que nous venons de voir :
"وقال أبو الزناد: إن السنن ووجوه الحق لتأتي كثيرا على خلاف الرأي؛ فما يجد المسلمون بدا من اتباعها؛ من ذلك أن الحائض تقضي الصيام ولا تقضي الصلاة. (...) وقال بعضهم: وقد تقدم في كتاب الحيض سؤال معاذة عن عائشة عن الفرق المذكور، وأنكرت عليها عائشة السؤال، وخشيت عليها أن تكون تلقته من الخوارج الذين جرت عادتهم باعتراض السنن بآرائهم، ولم تزدها على الحوالة على النص، فكأنها قالت لها: دعي السؤال عن العلة إلى ما هو أهم من معرفتها، وهو الانقياد إلى الشارع انتهى.
قلت: قد غلط هذا القائل في قوله: سؤال معاذة عن عائشة عن الفرق إلى آخره، ولم يكن السؤال من معاذة، وإنما معاذة حدثت أن امرأة قالت لعائشة: فهذه هي السائلة دون معاذة، والسؤال والجواب إنما كانا بين تلك المرأة وعائشة، ولم تكن بين معاذة وعائشة على ما لا يخفى.
قوله: (ووجوه الحق) أي الأمور الشرعية، واللام في قوله: لتأتي، مفتوحة للتأكيد. قوله: (على خلاف الرأي) أي: العقل والقياس. قوله: (فما يجد المسلمون بدا) أي: افتراقا وامتناعا من اتباعها. قوله: (من ذلك) أي: من جملة ما هو أتى بخلاف الرأي، قضاء الصوم والصلاة، فإن مقتضاه أن يكون قضاؤهما متساويين في الحكم، لأن كلا منهما عبادة تركت لعذر، لكن قضاء الصوم واجب.
والحاصل من كلامه أن الأمور الشرعية التي تأتي على خلاف الرأي والقياس لا يطلب فيها وجه الحكمة، بل يتعبد بها، ويوكل أمرها إلى الله تعالى؛ لأن أفعال الله تعالى لا تخلو عن حكمة، ولكن غالبها تخفى على الناس ولا تدركها العقول.
ومن جملة ما قالوا في الفرق بين الصوم والصلاة على أنواع. منها: ما قال الفقهاء: الفرق بينهما أن الصوم لا يقع في السنة إلا مرة واحدة فلا حرج في قضائه، بخلاف الصلاة، فإنها متكررة كل يوم ففي قضائها حرج عظيم" ('Umdat ul-qâri', Bâb : man mâta wa 'alayhi sawm).
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10) Réponse concrète à ta question :
Tout ce qui précède fait que personnellement je ne m'associe pas au discours qu'ont certains frères et sœurs et selon lequel "un musulman commettrait une faute, ou au mieux perdrait son temps, à chercher à comprendre le pourquoi de ce qui lui est demandé ; il devrait plutôt appliquer littéralement tout ce qu'il lit et entend". Ce discours me surprend d'autant plus de la part de musulmans hanafites se référant aux ulémas indiens que Abû Hanîfa a fait des interprétations telles que celles que nous avons vues plus haut... que des savants hanafites indiens ont été parmi les plus explicites à propos des "sunna ta'abbudiyya" et des "sunna 'âdiyya"... qu'enfin "Ahkâm-é islâm 'aql kî nazar mein" ("Les enseignements de l'islam dans le regard de la raison") a été rédigé par Cheikh Thânwî, et le chef d'œuvre Hujjat ullâh il-bâligha par Shâh Waliyyullâh, tous deux savants hanafites indiens...
Cheikh Thânwî a écrit en avant-propos de son ouvrage que le musulman a comme croyance que ce sont les textes de la révélation qui orientent sa raison, et dire qu'on refuse telle règle – alors qu'on sait pourtant pertinemment que c'est la révélation qui l'a donnée – tant qu'on n'en comprend pas la sagesse, ce serait mettre en danger sa foi. Cependant, poursuit-il, pour un certain nombre de personnes, découvrir ces sagesses sans en avoir fait une condition pour l'acceptation des règles, c'est faire naître en soi davantage de proximité des règles de l'islam. Or ce nombre de personnes est important aujourd'hui. C'est pourquoi, conclue-t-il, le besoin s'est fait sentir de préparer un recueil contenant quelques sagesses que la raison peut trouver dans un certain nombre de règles de l'islam. Cependant, rappelle-t-il, il s'agit bien de certaines sagesses que sa raison a pu y trouver, et loin de lui la prétention de les avoir toutes épuisées (cf. Ahkâm-é islâm 'aql kî nazar mein, pp. 25-28). Cheikh Thânwî fait aussi mention de l'ouvrage de Shâh Waliyyullâh, mais, dit-il, s'il a dû préparer un autre ouvrage, c'est parce que celui de Shâh Waliyyullâh est de compréhension ardue pour le grand public (Ibid.). Ceci veut bien dire qu'il entendait ainsi mettre les sagesses qu'il a trouvées à portée du grand public.
Ce qui t'est demandé en tant que musulman, c'est d'éviter les questions inutiles, ainsi que les questions par lesquelles on a en réalité comme objectif de s'éloigner de la règle que la révélation a donnée : c'est dans ce sens que se comprend ce Hadîth : "(…) Ceux qui étaient avant vous n'ont été perdus qu'à cause de leur trop grand nombre de questions et de divergences par rapport à leur prophète" (rapporté par Muslim n° 1337, voir aussi Sahîh ul-Bukhârî n° 6858). Par contre tu as l'entière liberté de questionner et de chercher à comprendre du moment que tu le fais réellement pour approfondir ta compréhension et avec un minimum de respect pour le savant que tu questionnes. C'est bien ce que Ibn Abî Mulayka relate : "Chaque fois que Aïcha, épouse du Prophète, entendait quelque chose qu'elle ne comprenait pas, elle revenait sur le sujet jusqu'à comprendre" (rapporté par al-Bukhârî, n° 103).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).