On vivait en union libre, on veut se marier ; y a-t-il un délai à attendre ?

Question :

Je voudrais quelques précisions au sujet du point juridique suivant : un homme et une femme musulmans vivaient ensemble intimement, mais sans être mariés ; cependant ils étaient fidèles l'un envers l'autre. Revenus à une plus grande spiritualité, ils veulent maintenant cesser de vivre ainsi et désirent se marier. La femme doit-elle au préalable observer un délai (haydha) avant de pouvoir se marier ?

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Réponse :

Plusieurs points se présentent ici…

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Question 1) Peut-on se marier avec quelqu'un qui, jusqu'à présent, avait des relations extra-matrimoniales (zinâ) ?

On peut bien sûr se marier avec une telle personne (sous réserve que les autres conditions soient également remplies) :
d'après l'école hanbalite, cependant, il faut au préalable que cette personne ait sincèrement demandé pardon à Dieu de ce qu'elle faisait auparavant ;
les trois autres écoles disent bien entendu que le fait de se repentir de cela est une obligation, mais elles ne font pas de ce repentir une condition préalable pour la validité du mariage.

Un verset coranique dit : "L'homme qui s'adonne à la fornication ne se marie qu'avec une femme qui s'adonne à la fornication ou avec une polythéiste. Et la femme qui s'adonne à la fornication ne se marie qu'avec un homme qui s'adonne à la fornication ou avec un polythéiste. Ceci a été interdit pour les croyants" (Coran 24/3).
Il y a dans ce passage 3 phrases.
Concernant les 2 premières phrases, il est certain qu'elles ne représentent pas des impératifs (an-naf'y layssa fî ma'na-n-nahy) car sinon elles signifieraient que l'homme qui a des relations extra-matrimoniales ne doit se marier qu'avec une femme qui a des relations extra-matrimoniales ou qui est polythéiste ; or, à l'unanimité il est interdit à un musulman d'épouser une polythéiste ; il est donc certain que ces deux phrases n'ont qu'une valeur informative (ikhbâr), Dieu évoquant – et désapprouvant – le fait que la plupart de ceux et celles qui se laissent aller à la fornication ne se marient qu'avec tel ou tel genre de personnes.
En fait c'est autour de la troisième phrase que tout tourne : "Ceci a été interdit pour les croyants" : que représente ici le pronom "ceci" ? de quoi Dieu parle-t-il qui "a été interdit pour les croyants" :
– est-ce le fait de se marier avec une personne qui s'adonne à la fornication ou qui est polythéiste,
– ou bien est-ce le fait de s'adonner à la fornication ?
C'est ce point qui fait l'objet des divergences entre l'école hanbalite d'une part – tenante de la première interprétation – et les trois autres écoles d'autres part – qui ont adopté la seconde interprétation. De longues discussions ont lieu à propos de ce point entre les ulémas de ces différentes écoles (voir par exemple Al-Mughnî, 9/387-388, et Majmû' ul-fatâwâ, 32/113-121).

Une fois qu'on projette de se marier et que le mariage est possible (ce qui suppose entre autres que les conditions soient remplies – selon ce que, comme nous venons de le voir, l'école voulue rend nécessaire), une autre question se pose…

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Question 2) Faut-il attendre un délai avant de pouvoir se marier si, jusqu'à présent, on vivait des relations hors du cadre du mariage ?

Cette question de savoir s'il est nécessaire ou pas d'attendre un délai avant de se marier se pose en fait par rapport à la femme, car elle pourrait être enceinte de l'homme avec qui elle avait vécu intimement jusqu'à avant le mariage qu'elle projette maintenant ; or l'islam entend préserver la filiation et éviter les doutes à ce sujet. Y a-t-il donc un délai à attendre avant de pouvoir se marier ?

En fait trois cas se présentent :
Cas 2.1) La dame vivait maritalement avec A (c'est-à-dire que sans lui être mariée, elle lui était fidèle), mais maintenant elle a rompu avec A et veut se marier avec Z ;
Cas 2.2) La dame avait deux amants, B et C, mais maintenant elle a rompu avec eux et veut se marier avec Z ;
Cas 2.3) La dame vivait maritalement avec A (c'est-à-dire que sans lui être mariée, elle et lui vivaient fidèlement), et maintenant, A et elle veulent se marier.

Voici différents avis à propos de chacun de ces 3 cas...

Cas 2.1) La dame vivait maritalement avec A (c'est-à-dire que sans lui être mariée, elle lui était fidèle), mais maintenant elle a rompu avec A et veut se marier avec Z ;
& Cas 2.2) La dame avait deux amants, B et C, mais maintenant elle a rompu avec eux et veut se marier avec Z :

Le Coran évoque ces deux cas, celui de ceux qui vivent leur sexualité avec des partenaires différents et celui de ceux qui, sans être mariés, se choisissent un partenaire unique avec qui ils vivent de façon libre (respectivement : "mussâfihîn" et "muttakhidhî akhdân" : Coran 5/ 5 ; et : "mussâfihât" et "muttakhidhâti akhdân" : Coran 4/25 – voir le commentaire de Ibn Abbâs cité dans Majmû' ul-fatâwâ, 32/126, 144, 123).

Si une dame musulmane se trouve dans le cas 2.1 ou le cas 2.2 et veut maintenant se marier, doit-elle observer un délai avant de pouvoir le faire ? Ce point fait l'objet d'avis divergents entre différents ulémas...

--- Globalement, les écoles hanafite et shafi'ite sont d'avis que l'attente d'un délai n'est pas nécessaire avant de pouvoir conclure un mariage (Fiqh us-sunna 2/376).
Selon elles, c'est la femme divorcée qui doit attendre, avant de pouvoir se marier, qu'un délai soit passé après la date de son divorce, l'objectif étant qu'elle s'assure qu'elle n'est pas enceinte de son mari précédent et que l'on évite ainsi d'affilier au second mari un bébé qu'elle a eu de son ex-mari. Or, dans les deux cas qui nous occupent ici, la dame n'était auparavant pas mariée, et si grossesse d'un homme précédent il y a, ce sera bien entendu à cause de relations extra-matrimoniales. Or, disent-elles, il n'y a pas de filiation établie pour l'homme qui a eu des relations extra-matrimoniales ("Lâ hurmata li mâ'-iz-zânî", disent-elles). Cela n'empêche pas donc qu'il y ait mariage avec un autre homme, avant même un quelconque délai.

Ceci est la règle générale qu'appliquent globalement ces deux écoles hanafite et shafi'ite. Dans le détail, maintenant, 4 sous-cas se présentent à l'intérieur de ces cas 2.1 et 2.2 selon ces deux écoles :
----- a) Lorsqu'une femme se trouve dans le cas 2.1 ou dans le cas 2.2 et est enceinte :
------- a.i) le mariage (= le contrat) est-il valide avec elle ? L'école shafi'ite dit que ce mariage est valide (Zâd ul-ma'âd, 5/155). Abû Hanîfa et Muhammad sont du même avis. Par contre Abû Yûssuf pense qu'un tel mariage n'est pas valide (Al-Hidâya, 1/292) ;
------- a.ii) si le mariage avec cette femme est valide, le mari peut-il, immédiatement après le mariage, avoir des relations intimes avec celle qui est devenue son épouse, ou bien doit-il attendre au préalable qu'elle mette au monde l'enfant qu'elle porte ? L'école shafi'ite déconseille les relations intimes (Zâd ul-ma'âd, 5/155). L'école hanafite (Abû Hanîfa et Muhammad y compris) interdit ces relations intimes (Al-Hidâya, 1/292).
----- b) Lorsqu'une femme se trouve dans le cas 2.1 ou dans le cas 2.2 et n'est pas enceinte :
------- b.i) le mariage (= le contrat) est-il valide avec elle ? Les deux écoles hanafite et shafi'ite disent que le mariage est en effet valide (Fiqh us-sunna, 2/376) ;
------- b.ii) si le mariage avec cette femme est valide, le mari peut-il, immédiatement après le mariage, avoir des relations intimes avec celle qui est devenue son épouse, ou bien doit-il attendre un délai au préalable ? Abû Hanîfa et Muhammad disent que cela est autorisé. Cependant Muhammad ibn al-Hassan le déconseille (Al-Hidâya, 1/292).

Dans ces différents cas, nous avons vu que, même s'ils considèrent le mariage valide (al-'aqdu sahîh), certains de ces ulémas interdisent ou déconseillent les relations intimes entre ceux qui sont devenus ainsi époux. Ces ulémas se fondent apparemment pour cela sur une analogie menée sur la base d'un cas voisin (al-masbiyyât), à propos duquel un Hadîth dit qu'il faut attendre un délai avant de pouvoir avoir des relations intimes : le délai est que la dame mette au monde l'enfant qu'elle attendait – au cas où elle en attendait un –, sinon que passe une fois la période menstruelle ("لا توطأ حامل حتى تضع، ولا غير ذات حمل حتى تحيض حيضة" : rapporté par Abû Dâoûd, n° 2157).
De même, il y a un Hadîth qui dit : "لا يحل لامرئ يؤمن بالله واليوم الآخر أن يسقي ماءه زرع غيره" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 2158 ; une version très proche est rapportée par at-Tirmidhî, n° 1131).
Il semble être ici question du bébé dont la femme est enceinte : aussi bien à cause d'un mariage précédent, qu'à cause de relations extra-matrimoniales (ya'umm uz-zar' at-tayyib wa-l-khabîth : Zâd ul-ma'âd, 5/728).
Il semble aussi y être question : aussi bien du cas où il y a certitude qu'il y a un bébé, que du cas où il y a possibilité qu'il y ait un bébé (sâqiyan zar'a ghayrihî, ma'a-htimâli an lâ yakûna kadhâlik : Zâd ul-ma'âd, 5/729).

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--- Les écoles hanbalite et malikite sont d'avis que la dame qui se trouve dans l'un de ces cas 2.1 et 2.2 doit attendre un certain délai avant de pouvoir se marier (Fiqh us-sunna, 2/375-376).

Ces deux écoles, d'une part, appliquent entièrement les raisonnements que nous venons de voir, qui se fondent sur ces deux Hadîths : "لا توطأ حامل حتى تضع، ولا غير ذات حمل حتى تحيض حيضة" : rapporté par Abû Dâoûd, n° 2157), et : "لا يحل لامرئ يؤمن بالله واليوم الآخر أن يسقي ماءه زرع غيره" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 2158), et qui rendent impossible toute relation intime entre deux personnes qui sont dans ce cas.

Mais d'autre part, selon ces deux écoles-ci, c'est le mariage même qui est impossible entre deux personnes qui sont dans l'un des cas 2.1 et 2.2. Ces écoles font pour cela un raisonnement par analogie sur la nécessité que la dame divorcée a d'attendre le délai voulu ('idda) avant de pouvoir contracter un nouveau mariage, l'objectif étant de préserver du risque du doute la filiation de celui qui va se marier avec cette dame. Ici, même si la dame n'était pas dûment mariée puis divorcée, elle a quand même connu intimement un homme, et, sans observance d'un délai, il y a le risque qu'elle soit enceinte de cet homme avec qui elle vivait intimement. D'où la nécessité d'attendre un délai avant de pouvoir se marier.

Quant au principe évoqué par les écoles hanafite et shafi'ite "Il n'y a pas de filiation établie pour l'homme qui a eu des relations extra-matrimoniales" ("Lâ hurmata li mâ'-iz-zânî"), les écoles malikite et hanbalite y répondent qu'ici il s'agit de tout autre chose : il s'agit de préserver du risque du doute la filiation de celui qui va se marier avec cette dame ("Layssa-l-maqsûd hurmata mâ'-ir-rajul il-awwal (az-zânî), bal hurmata nassab ir-rajul ith-thânî (alladhî yurîdu-t-tazawwuj bi hâdhihi-l-mar'ah) : yajibu an yujannaba min khatar il-ikhtilât bi mâ' iz-zânî"). Il y a donc divergence de vues sur ce point. (Innamâ harrama-l-wat'a bal il-'aqda fil-'idda khashyata imkân il-haml : Zâd ul-ma'âd, 5/729.)

Ibn Qudâma écrit qu'il est établi que le mariage avec une femme divorcée mais enceinte d'un autre homme est interdit. Or, même si mariage et relations intimes il pouvait y avoir ici, cela n'entraînerait pas de doute à propos de la filiation du bébé, puisque la maman est déjà enceinte. Dès lors il doit être à plus forte raison interdit de contracter un mariage avec une femme qui a eu des relations intimes avec un autre homme, avant que cette femme ait observé le délai prouvant qu'elle n'est pas enceinte (istib'râ' ur-rahim), puisqu'ici il y a le risque du doute quant à la filiation d'un bébé pouvant naître neuf mois plus tard (cf. Al-Mughnî, 9/387).

La dame qui se trouve dans un de ces deux cas 2.1 ou 2.2 doit donc, d'après ces deux écoles, attendre un délai avant de pouvoir se marier :
----- d'après un des deux avis présents au sein de l'école hanbalite, ce délai est qu'une période menstruelle passe ; c'est un raisonnement par analogie par rapport au contenu du Hadîth rapporté par Abû Dâoûd, n° 2157, que nous avons déjà cité ;
----- d'après l'autre avis, le délai à attendre est que trois périodes passent ; c'est un raisonnement par analogie par rapport au délai que la femme divorcée doit attendre (Fiqh us-sunna, 2/376, cf. Al-Mughnî, 9/389).

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Cas 2.3) La dame vivait maritalement avec A (c'est-à-dire que sans lui être mariée, elle et lui vivaient en intimité et étaient fidèles), et maintenant, elle et ce même A veulent se marier :

--- Pour les écoles hanafite et shafi'ite, il n'y a, pour ce cas 2.3, pas de délai à attendre obligatoirement avant de pouvoir se marier avec cette femme, et ce à plus forte raison, puisqu'il n'y a selon elles pas de délai pour les cas 2.1 et 2.2, comme nous l'avions vu plus haut.

Par contre il y a un avis de Mâlik, qui, de façon explicite, ne fait pas de différence entre les cas 2.1 et 2.2, cités plus haut, et ce cas 2.3 : cet avis de Mâlik ordonne pour le cas 2.3 ce qu'il ordonne pour les cas 2.1 et 2.2 :
"J'ai demandé : "Si un homme avait des relations intimes avec une femme sans lui être marié, peut-il ensuite l'épouser ?"
Mâlik répondit : "Oui, il peut l'épouser ; mais il ne l'épousera pas avant d'avoir attendu le délai voulu ("hattâ yastab'ri'a rahimahâ min mâ'ïhi-l-fâssid")"
(Al-Mudawwana al-kub'râ, cité dans Tahrîr ul-mar'a fî 'asr ir-rissâlah, 6/139).

Ibn Qudâma écrit que, certes, un strict raisonnement fait sur les règles de l'école hanbalite ("qiyâs ul-madh'hab") demanderait qu'un tel mariage ne soit pas autorisé pendant le délai, cependant, "le mieux" serait d'autoriser le mariage entre une femme et l'homme si la filiation peut être établie entre l'enfant de cette femme et cet homme (par exemple dans un cas de "jimâ' bi shub'ha" ou de "nikâh fâssid"). Par contre, poursuit-il, dans le cas où il y avait eu des relations intimes relevant purement du "zinâ", le mariage n'est pas possible avant la fin du délai, parce que la filiation ne peut être établie entre cet homme et l'enfant de cette femme (Al-Mughnî 11/67).

C'est ici qu'une autre question apparaît : Certes, la filiation ne peut pas être établie entre un enfant et son père biologique (et non légitime) si, lors de la période où il a été conçu, sa mère était dûment mariée à un autre homme (car "الولد للفراش"). Cependant, dans le cas où sa mère n'était pas mariée lors de cette période et qu'il est établi que son père est Untel, alors d'après l'avis de certains grands ulémas la filiation peut être établie (du moins en ce qui concerne les cas d'avant l'islam) (voir Majmû' ul-fatâwâ 32/113, 139 ; Bidâyat ul-mujtahid 2/638). Ibn ul-Qayyim relate que c'est la position de al-Hassan al-Basrî, 'Urwa ibn az-Zubayr, Sulaymân ibn Yassâr et Is'hâq ibn Rahawayh ; il écrit que c'est un avis fondé sur un raisonnement fort (Zâd ul-ma'âd 5/425-426). Voir aussi Al-Mughnî, 8/519-520. Cet avis ne signifie pas que l'islam approuve les relations intimes hors du cadre du mariage mais que la filiation peut être établie dans ce cas, et que "الولد للفراش" concerne le cas où la femme qui a fait l'enfant avec tel homme avait par ailleurs un mari.
C'est ce qui a conduit certains muftis contemporains à dire que, même aujourd'hui, et même si l'homme et la femme étaient musulmans lorsqu'ils ont commis le zinâ, si la dame n'était mariée à personne lors de ce zinâ, et si l'homme reconnaît l'enfant, cet enfant lui sera affilié. C'est aussi l'avis de Cheikh Ferkous.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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